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12/03/2024 | FRANCE | N°23/07659

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 16, 12 mars 2024, 23/07659


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Chambre commerciale internationale

POLE 5 CHAMBRE 16



ARRET DU 12 MARS 2024



(n° 34 /2024 , 17 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/07659 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CHQS2



Décision déférée à la Cour : Jugement rendu le 18 Avril 2023 par le Tribunal de Commerce de PARIS (1ère chambre ) - RG n° 2021022340





APPELANTE



Société LAZARD GROUP

REAL ESTATE

société anonyme de droit français,

immatriculée au RCS de PARIS sous le numéro 509 222 378,

ayant son siège social : [Adresse 1] (FRANCE),

prise en la personne de ses repré...

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Chambre commerciale internationale

POLE 5 CHAMBRE 16

ARRET DU 12 MARS 2024

(n° 34 /2024 , 17 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/07659 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CHQS2

Décision déférée à la Cour : Jugement rendu le 18 Avril 2023 par le Tribunal de Commerce de PARIS (1ère chambre ) - RG n° 2021022340

APPELANTE

Société LAZARD GROUP REAL ESTATE

société anonyme de droit français,

immatriculée au RCS de PARIS sous le numéro 509 222 378,

ayant son siège social : [Adresse 1] (FRANCE),

prise en la personne de ses représentants légaux,

Ayant pour avocat postulant et plaidant : Me Claire BASSALERT, de la SELAS SCHERMANN MASSELIN ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : R142

INTIMEE (et appelante à titre incident)

Société IRIS COURTAGE

société par actions simplifée de droit français,

immatriculée au RCS de PARIS sous le numéro 454 047 663,

ayant son siège social : [Adresse 2] (FRANCE)

prise en la personne de ses représentants légaux,

Ayant pour avocat postulant : Me Benjamin MOISAN de la SELARL BAECHLIN MOISAN Associés, avocat au barreau de PARIS, toque : L34

Ayant pour avocat plaidant :Me Philippe GLASER, du cabinet TAYLOR WESSING - SELAS VALSAMIDIS, JONATH, FLAICHER et ASSOCIE, substitué à l'audience par Me Leonardo PINTO, avocat au barreau de PARIS, toque : J010

INTIMEES

Société BALOISE VIE LUXEMBOURG

société anonyme de droit luxembourgeois,

immatriculée au RCS de LUXEMBOURG sous le numéro B-54686,

ayant son siège social : [Adresse 3] ( LUXEMBOURG)

Ayant pour avocat postulant et plaidant : Me Richard ESQUIER de l'AARPI LAUDE ESQUIER & ASSOCIÉS, avocat au barreau de PARIS, toque : R144

Société IRIS FINANCE

société par actions simplifée,

immatriculée au RCS de PARIS sous le numéro 398 701 268,

ayant son siège social : [Adresse 2] (FRANCE)

Ayant pour avocat postulant : Me Benjamin MOISAN de la SELARL BAECHLIN MOISAN Associés, avocat au barreau de PARIS, toque : L34

Ayant pour avocat plaidant : Me Jérôme HERBERT, du cabinet W&S SELARL, substitué à l'audience par Me Camille CLAUSS, avocat au barreau de PARIS, toque : L215

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 905 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 11 Décembre 2023, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant M. Daniel BARLOW, Président de chambre et Mme Fabienne SCHALLER, Présidente de chambre, chargée du rapport.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

M. Daniel BARLOW, Président de chambre

Mme Fabienne SCHALLER, Présidente de chambre

Mme Marie-Catherine GAFFINEL, Conseillère

Greffier, lors des débats : Mme Najma EL FARISSI

ARRET :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Daniel BARLOW, président de chambre et par Najma EL FARISSI, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

* *

*

I/ FAITS ET PROCEDURE

1. La cour est saisie de l'appel interjeté contre un jugement rendu le 18 avril 2023 par le tribunal de commerce de Paris (1ère chambre), qui s'est déclaré incompétent au profit des juridictions luxembourgeoises dans un litige opposant la société française Lazard Group Real Estate (ci-après « la société Lazard ») à la société luxembourgeoise Bâloise Vie Luxembourg (ci-après « Bâloise »), et aux sociétés françaises Iris Finance et Iris Courtage, ayant toutes deux le même dirigeant social, Monsieur [P].

2. La société Bâloise est une compagnie d'assurance vie luxembourgeoise qui exerce son activité sous le régime de la libre prestation de services dans différents États membres de l'Union européenne, dont la France.

3. La société Bâloise commercialise un contrat « ProCapi PM » qui est un contrat de capitalisation nominatif libellé en unités de compte adossé à un fonds interne dédié.

4. Suivant bulletin de souscription en date du 10 février 2017, la société Lazard a souscrit un contrat de capitalisation « ProCapi PM » (ci-après « le Contrat ») proposé par la société Bâloise, par l'intermédiaire du courtier d'assurance Iris Courtage, la société Iris Finance étant désignée dans le contrat comme gestionnaire financier du portefeuille, le dépôt des actifs du fonds étant confié à Pictet Luxembourg.

5. Le montant de la prime initiale affectée par Lazard à ce contrat de capitalisation était de 48.000.000 €.

6. Le contrat et ses annexes désignant Iris Finance comme gestionnaire fixait les frais de gestion financière versés à Iris Finance dans un document annexe intitulé « Votre Fonds interne dédié » (§4.3), dans lequel Lazard se définissait comme investisseur « défensif ». Un document annexe intitulé « frais spécifiques de la société de gestion », a été signé par Lazard et par [S] [P], « mandataire », le 9 janvier 2017.

7. Les conditions générales du Contrat signées par Lazard contenaient une clause de choix de la loi française et de la loi luxembourgeoise pour les normes prudentielles et techniques, et désignaient, de façon non-exclusive, les juridictions luxembourgeoises en cas de litige.

8. La société Lazard a souscrit par l'intermédiaire d'Iris Courtage d'autres contrats de capitalisation dont la gestion a également été confiée à Iris Finance selon des modalités similaires et qui font l'objet de litiges pendants devant la cour :

- Avec la société Vitis Life, le 20 mars 2017 pour un contrat dénommé « Vitis Wealth executive Cap »,

- Avec la société Cardif, le 10 mars 2014, un contrat individuel de capitalisation à capital variable intitulé « Ducalis Capi »,

9. Par lettre en date du 24 juin 2020, la société Lazard a écrit à la société Iris Finance, à l'attention de Monsieur [P], pour l'informer de sa décision de changer de mandat de gestion et de courtage confié jusqu'alors à Iris Finance pour tous ces contrats, suspectant des irrégularités dans la gestion de ces contrats et dans les frais prélevés, lui demandant de ne plus intervenir sur l'ensemble de ladite gestion. Lazard précisait par ce courrier avoir informé chacune des compagnies d'assurance-vie avec lesquelles Lazard avait souscrit des Contrats pour les informer du changement de gestionnaire et de courtier, jusqu'alors confié à Iris Finance et Iris Courtage.

10. Par ce courrier, Lazard faisait état de fortes irrégularités qu'elle aurait constatées dans la gestion, et l'informait de la prise d'effet de la suspension à compter du 23 juin 2020 à 18h.

11. La société Lazard ayant demandé aux autres compagnies d'assurance et notamment à Cardif de procéder au rachat partiel des sommes investies et de ne plus effectuer aucun versement à Iris Finance, cette dernière a engagé une procédure contre Cardif devant le juge luxembourgeois, procédure à laquelle Cardif a attrait Lazard en intervention forcée devant lesdites juridictions, en référé puis au fond, mais auxquelles Bâloise n'est pas partie.

12. Par acte extrajudiciaire du 30 avril 2021, LAZARD a assigné Bâloise, Iris Finance et Iris Courtage devant le tribunal de commerce de Paris pour voir :

« DECLARER la socie'te' LAZARD GROUP REAL ESTATE recevable et bien fonde'e en son action

En conse'quence,

CONSTATER que les re'mune'rations dont se re'clame la socie'te' de gestion IRIS FINANCE a' l'e'gard de la socie'te' LAZARD GROUP REAL ESTATE, comme le versement de celles-ci auquel a proce'de' la compagnie d'assurance BALOISE VIE LUXEMBOURG, contreviennent tant au droit commun des contrats qu'aux exigences le'gales et re'glementaires applicables aux prestataires de services d'investissement.

En tout e'tat de cause,

CONDAMNER in solidum les de'fenderesses a' restituer a' la socie'te' LAZARD GROUP REAL ESTATE l'inte'gralite' des sommes verse'es a' IRIS FINANCE par LA BALOISE VIE LUXEMBOURG pour le compte de LAZARD GROUP REAL ESTATE, soit la somme de 1 360 823 €.

CONDAMNER in solidum les de'fenderesses a' payer a' la socie'te' LAZARD GROUP REAL ESTATE une somme de 100 000 € (cent-mille euros) sur le fondement de l'article 700 du Code de proce'dure civile.

Les CONDAMNER aux entiers frais et de'pens de l'instance

CONSTATER que le jugement a' intervenir est exe'cutoire a' titre provisoire ».

13. Par jugement en date du 18 avril 2023, le tribunal de commerce de Paris a statué en ces termes :

« Le tribunal statuant publiquement par jugement contradictoire en premier ressort :

Déboute la société BALOISE VIE LUXEMBOURG, la société IRIS FINANCE et la société IRIS COURTAGE de voir prononcer la nullité de l'assignation du 30 avril 2021

Se de'clare incompe'tent et renvoie la socie'te' LAZARD GROUP REAL ESTATE a' mieux se pourvoir devant les juridictions du Luxembourg ;

Condamne la société' LAZARD GROUPE REAL ESTATE au titre de l'article 700 du code de proce'dure civile a' payer 10.000 euros a' la socie'te' IRIS FINANCE, 10.000 euros a' la socie'te' IRIS COURTAGE et 10.000 euros a' la socie'te' BALOISE VIE LUXEMBOURG ;

Déboute les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires au présent dispositif ;

Ordonne l'exécution provisoire du présent jugement. »

14. LAZARD a interjeté appel de cette décision par déclaration d'appel du 3 mai 2023.

15. Elle a été autorisée à assigner Bâloise, Iris Finance et Iris Courtage à jour fixe devant la chambre commerciale internationale de la cour d'appel de Paris, pour l'audience du 11 décembre 2023.

16. Deux autres affaires ont été audiencées en appel contre des jugements rendus le même jour, mettant en cause les mêmes appelants et certains intimés (Iris Finance et Iris Courtage) et d'autres intimés (Vitis life SA, Cardif Lux Vie) relativement aux contrats rappelés ci-dessus.

17. Ces deux autres affaires ont été audiencées sous les numéros de n°RG 23/07655 et 23/07657 et débattues à la même audience que la présente affaire.

II/ PRETENTIONS DES PARTIES

18. Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 24 novembre 2023, LAZARD demande à la cour, au visa des articles 83 à 89 et 917 du code de procédure civile et du Règlement n°1215/2012 du Parlement Europe'en et du Conseil du 12 de'cembre 2012, de bien vouloir :

- DECLARER recevable et bien fondé l'appel interjeté par la société LAZARD GROUP REAL ESTATE contre le jugement rendu le 18 avril 2023 par le Tribunal de commerce de PARIS sur la compétence, sous le numéro RG 2021022340

- INFIRMER les dispositions suivantes dudit jugement en ce qu'il a dit :

'' Se déclare incompétent et renvoie la société LAZARD GROUP REAL ESTATE à mieux se pourvoir devant les juridictions du Luxembourg;

' Condamne la société LAZARD GROUPE REAL ESTATE au titre de l'article 700 du code de procédure civile à payer 10.000 euros à la société IRIS FINANCE, 10.000 euros à la société IRIS COURTAGE et 3.000 euros à la société LA BALOISE VIE LUXEMBOURG;

' Ordonne l'exécution provisoire du présent jugement;

' Condamne la société LAZARD GROUPE REAL ESTATE aux entiers dépens, dont ceux à recouvrer par le Greffe, liquidés à la somme de 161, 11 euros dont 26, 64 euros de TVA.'

- CONFIRMER le jugement entrepris pour le surplus;

STATUANT À NOUVEAU :

- DECLARER les juridictions françaises, et plus particulièrement le Tribunal de commerce de Paris, compétentes pour trancher le litige entre la société LAZARD GROUP REAL ESTATE et les sociétés BÂLOISE VIE LUXEMBOURG, IRIS COURTAGE et IRIS FINANCE.

- RENVOYER cette affaire devant le Tribunal de commerce de Paris pour qu'elle puisse y être jugée au fond,

SUR LES FRAIS DE L'ARTICLE 700 CPC, à titre principal :

- CONDAMNER les sociétés BALOISE VIE LUXEMBOURG, IRIS COURTAGE et IRIS FINANCE à verser à la société LAZARD GROUP REAL ESTATE la somme de 2.000 € chacune au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, pour les frais irrépétibles qu'elle a été contrainte d'engager en première instance,

SUR LES FRAIS DE L'ARTICLE 700 CPC, à titre subsidiaire :

- RÉDUIRE les sommes allouées par le jugement entrepris au titre de l'article 700 du Code de Procédure civile à la somme de 2000 euros par défendeur.

EN TOUT ÉTAT DE CAUSE :

- CONDAMNER les sociétés BALOISE VIE LUXEMBOURG, IRIS COURTAGE et IRIS FINANCE à verser à la société LAZARD GROUP REAL ESTATE la somme de 2.000 € chacune au titre de l'article 700 du Code de procédure civile pour les frais irrépétibles qu'elle a été contrainte d'engager dans le cadre de la présente procédure d'appel,

- CONDAMNER les sociétés BALOISE VIE LUXEMBOURG, IRIS COURTAGE et IRIS FINANCE aux entiers dépens de première instance et d'appel.

19. Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 7 décembre 2023, Bâloise demande à la cour, au visa de l'article 75 du code de procédure civile et des articles 4, 7 et 25 du Règlement n°1215/2012 du Parlement Europe'en et du Conseil du 12 de'cembre 2012 de bien vouloir :

- Confirmer le jugement entrepris rendu le 18 avril 2023 par le Tribunal de commerce de Paris (RG n°2021022340) en ce qu'il s'est déclaré incompétent et a renvoyé la société Lazard Group Real Estate à mieux se pourvoir devant les juridictions du Luxembourg ;

- Confirmer le jugement entrepris rendu le 18 avril 2023 par le Tribunal de commerce de Paris (RG n°2021022340) en ce qu'il a condamné la société Lazard Group Real Estate à payer à la société Bâloise Vie Luxembourg la somme de 3.000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- Débouter la société Lazard Group Real Estate de ses demandes, fins et prétentions ;

- Condamner la société Lazard Group Real Estate à payer à la société Bâloise Vie Luxembourg la somme de 10.000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile au titre de la procédure d'appel ;

- Condamner la société Lazard Group Real Estate au dépens à recouvrer par Maître Richard Esquier.

20. Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 6 décembre 2023, Iris Finance demande à la cour, au visa des articles 56, 74, 75, 114, 700 et 918 du code de procédure civile et des articles 4, 8 et 25 du Règlement n° 1215/2012 du Parlement Europe'en et du Conseil du 12 de'cembre 2012, de bien vouloir :

A titre principal,

- REJETER les moyens et pre'tentions de la socie'te' LAZARD GROUP REAL ESTATE

- CONFIRMER le jugement entrepris en toutes ses dispositions

A titre subsidiaire,

- INFIRMER le jugement uniquement en ce qu'il a de'boute' les de'fenderesses de leur exception de nullite' visant l'assignation a' comparaître devant le Tribunal de commerce de Paris

Et, statuant a' nouveau,

- JUGER nulle l'assignation a' comparaître devant le Tribunal de commerce de Paris signifie'e le 30 avril 2021 a' la socie'te' IRIS FINANCE pour de'faut de motivation en droit

En tout e'tat de cause,

- CONDAMNER la socie'te' LAZARD GROUP REAL ESTATE a' payer la somme de 10.000 euros a' la socie'te' IRIS FINANCE au titre des frais irre'pe'tibles d'appel

- CONDAMNER la socie'te' LAZARD GROUP REAL ESTATE aux entiers de'pens d'appel, dont distraction entre les mains de Maître [D] [R] pour la SELARL BAECHLIN [R] ASSOCIES.

21. Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 6 novembre 2023, Iris Courtage demande à la cour, au visa des articles 15, 56, 75, 76 et 114 du code de proce'dure civile et du Règlement no1215/2012, de bien vouloir :

Sur l'appel incident d'IRIS COURTAGE

- INFIRMER le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 18 avril 2023 (RG n°2021034060) [sic] en ce qu'il a rejete' le moyen de nullite' de l'assignation de'livre'e le 30 avril 2021 a' la demande de la socie'te' LAZARD GROUP REAL ESTATE a' l'encontre de la socie'te' IRIS COURTAGE ;

- PRONONCER LA NULLITE de ladite assignation pour de'faut de motivation en fait et en droit et violation du principe du contradictoire ;

Sur l'appel principal de LAZARD GROUP REAL ESTATE

- CONFIRMER le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 18 avril 2023 (RG n°2021022340) en ce qu'il s'est déclaré incompe'tent et a renvoye' la socie'te' LAZARD GROUP REAL ESTATE a' mieux se pourvoir devant les juridictions du Luxembourg ;

A de'faut, en cas de prononce' partiel d'incompe'tence au profit seulement d'IRIS FINANCE et/ou de LA BALOISE

- CONSTATER l'inte're't de juger ensemble l'entier litige ;

- PRONONCER L'INCOMPETENCE DES JURIDICTIONS FRANCAISES pour statuer sur l'entier litige et renvoyer la socie'te' LAZARD GROUP REAL ESTATE a' mieux se pourvoir devant les juridictions du Luxembourg ;

En tout e'tat de cause

- DEBOUTER toutes les parties de leurs demandes, fins et conclusions ;

- CONFIRMER le jugement attaque' dans ses dispositions relatives a' l'article 700 du code de proce'dure civile ;

- CONDAMNER la socie'te' LAZARD GROUP REAL ESTATE a' payer a' la socie'te' IRIS COURTAGE la somme de 5.000 euros au titre des frais de l'article 700 du code de proce'dure civile ainsi qu'aux entiers de'pens ;

22. La cour renvoie aux écritures susvisées pour le complet exposé des moyens des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

III/ MOTIFS DE LA DECISION

1) Sur la nullité de l'assignation

23. La société Bâloise n'ayant pas formé en première instance de demande relative à la nullité de l'assignation, elle ne sollicite en appel la confirmation du jugement que sur la compétence.

24. La société Iris Courtage a formé appel incident sur la nullité de l'assignation et demande à la cour d'infirmer le jugement en ce qu'il a rejeté ce moyen de nullité.

25. Elle soutient que l'assignation est nulle faute d'exposé des moyens en droit et en fait et qu'aucune demande ne la concerne personnellement. Elle fait notamment valoir que :

- l'assignation ne contient aucun fondement juridique, la « restitution » demandée des sommes prétendument indues comme la condamnation in solidum des défenderesses n'étant pas motivées ;

- les frais de gestion qu'Iris Courtage a perçus à hauteur de 0,17% ne sont aucunement visés dans l'assignation, celle-ci ne critiquant que les frais de gestion perçus par Iris Finance ;

- il y a une confusion entre une demande de restitution, contractuelle, et une demande relative à un préjudice, et donc de responsabilité, les visas aux articles 1128, 1134, 1169, 1171 et 1986 du code civil ne permettant pas plus de qualifier cette demande ;

- il en est de même s'agissant des visa aux articles L.533-1 et suivants du code monétaire et financier ansi qu'aux articles 314-1 et suivants, 319-1 et suivants et 321-98 et suivants du RGAMF qui concernent les prestataires de services d'investissement et les sociétés de gestion de portefeuille, ce qu'Iris Courtage n'est pas ;

- l'absence de moyens de fait et de droit sérieux constitue, par application de l'article 114 du code de procédure civile, un vice de forme qui cause indéniablement un grief aux défenderesses qui se trouvent empêchées d'organiser leur défense.

26. La société Iris Finance ne sollicite la nullité de l'assignation qu'à titre subsidiaire, si la compétence des juridictions françaises est retenue.

27. Elle soutient que lorsque la demande n'indique pas de fondement juridique ou des fondements trop généraux, l'acte introductif d'instance doit être déclaré nul.

28. Elle rappelle que le formalisme particulier de l'article 56 du code de procédure civile est destiné à garantir l'égalité des justiciables, chacun sachant à l'avance la façon dont doivent être élaborés les actes de procédure, et à les préserver de l'arbitraire du juge.

29. Elle fait valoir qu'en l'espèce :

- l'assignation ne contient pas d'exposé des moyens en droit et crée de ce fait une incertitude préjudiciable à l'exercice des droits de la défense, ce qui est de nature à lui causer grief ;

- la société Lazard a visé les anciens textes du code civil applicables au contrat de capitalisation pour demander à Iris Finance la restitution des commissions, pour le versement desquelles Iris Finance a engagé une procédure au fond au Luxembourg ;

- la demande de condamnation d'Iris Finance est particulièrement vague, puisqu'il n'existe aucun lien juridique contractuel direct entre Iris Finance et Lazard, et qu'Iris Finance n'a jamais réclamé le versement d'une rémunération auprès de Lazard ;

- Lazard ne peut contester les rémunérations qu'Iris Finance a perçues de Bâloise au titre de la Convention de gestion d'actifs ;

- a fortiori, Lazard ne peut davantage fonder sa demande à l'encontre de la société Iris Finance sur le Contrat de capitalisation, auquel Iris Finance n'est pas partie ;

- il en résulte qu'aucune action en responsabilité contractuelle ne peut être introduite par Lazard (souscripteur) à l'encontre du délégataire (Iris Finance) ;

- cette situation cause à l'évidence un grief à la société Iris Finance laquelle se trouve dans l'incapacité d'identifier le fondement juridique des prétentions de Lazard et d'organiser correctement sa défense, justifiant ainsi sa demande de nullité de l'assignation.

30. La société Lazard n'a pas conclu sur la nullité de l'assignation, mais demande la confirmation du jugement.

Sur ce,

31. Indépendamment de la loi applicable au fond du litige et de la contestation de la compétence de la juridiction française, il appartient au juge du for saisi de statuer sur les principes régissant l'action en justice devant les juridictions françaises en application du droit du for.

32. La nullité de l'assignation suit dès lors les règles françaises applicables aux exceptions de nullité qui sont traitées aux articles 112 à 121 du code de procédure civile.

33. Au titre des vices de forme, l'article 114 dispose qu'« aucun acte de procédure ne peut être déclaré nul pour vice de forme si la nullité n'en est pas expressément prévue par la loi, sauf en cas d'inobservation d'une formalité substantielle ou d'ordre public. La nullité ne peut être prononcée qu'à charge pour l'adversaire qui l'invoque de prouver le grief que lui cause l'irrégularité, même lorsqu'il s'agit d'une formalité substantielle ou d'ordre public. »

34. Lazard, qui sollicite la confirmation du jugement, n'ayant pas conclu sur la nullité de l'assignation, il y a lieu de faire application du dernier alinéa de l'article 954 du code de procédure civile et de dire que cette société est réputée s'approprier les motifs du jugement sur ce point.

35. En l'espèce, la nullité alléguée est fondée sur un vice de forme, les parties invoquant une violation des articles 56 et 6, 9 et 15 du code de procédure civile, pour défaut de motivation de l'assignation et pour défaut précision sur les griefs reprochés aux défenderesses.

36. Selon l'article 56 du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret n°2020-1452 du 27 novembre 2020, applicable à l'assignation délivrée le 29 avril 2021:

« L'assignation contient à peine de nullité, outre les mentions prescrites pour les actes d'huissier de justice et celles énoncées à l'article 54 :

1° les lieu, jour et heure de l'audience à laquelle l'affaire sera appelée,

2° Un exposé des moyens en fait et en droit,

3° La liste des pièces sur lesquelles la demande est fondée dans un bordereau qui lui est annexé, (') »

37. Selon ce texte, l'exposé des moyens en fait, comme d'ailleurs celui des moyens en droit et l'exposé de l'objet de la demande, sont des règles de forme qui doivent permettre au destinataire de l'assignation de savoir ce qu'on lui demande, d'apprécier si le tribunal saisi est compétent, s'il est opportun de se défendre, et par quels moyens.

38. En l'espèce, il résulte de l'assignation versée aux débats, que la société Lazard demande la restitution de sommes versées à la société Iris Finance par Bâloise pour le compte de Lazard, soit la somme de 1.360.832 €, demandant la condamnation in solidum de l'ensemble des intervenantes au motif qu'elles sont toutes impliquées dans les actes ayant contribué à la réalisation du préjudice subi par Lazard, que les conventions signées contreviennent au droit commun des contrats, que ces conventions sont entachées de vices de forme et de fond viciant la volonté des parties, qu'elles créent une contrepartie illusoire et un déséquilibre significatif, que les conventions contreviennent au droit spécial applicable aux prestataires de services d'investissement et aux sociétés de gestion de portefeuille, relatives aux frais de gestion et aux commissions de surperformance, notamment aux règles édictées par les autorités de régulation et aux exigences légales et réglementaires, telles notamment que celles édictées par le code monétaire et financier et le règlement général de l'AMF, visant les textes mis à la charge de ces professionnels.

39. Il résulte de ces éléments que les faits sur la base desquels la demande est formulée permettent aux défendeurs, contrairement à ce qu'ils allèguent, de connaître l'implication reprochée aux défendeurs individuellement, le schéma contractuel critiqué étant suffisamment précis et articulé pour permettre de comprendre quels sont les faits reprochés et à l'égard de quelles parties.

40. De même, l'exposé des moyens, même s'il vise des textes généraux sur la validité des contrats ou des extraits des codes visés ou de la réglementation prudentielle applicable, reprend de façon claire et articulée les moyens en droit au soutien de la demande de restitution et d'indemnisation formulée, quelle qu'en soit par ailleurs le bien-fondé.

41. Il ne peut, là encore, être retenu une violation de l'article 56 susrappelé, dès lors que le droit invoqué est clairement identifiable et que les articles visés figurent dans le dispositif de l'assignation.

42. C'est dès lors à juste titre que les premiers juges ont rejeté la demande de voir prononcer la nullité de l'assignation du 30 avril 2021.

43. La décision sera confirmée sur ce point.

2) Sur la compétence

44. La société Lazard fait grief au tribunal de commerce de Paris de s'être déclaré incompétent au profit des juridictions du Luxembourg alors que :

- Il n'existe aucun contrat liant la société Lazard et la société Iris Finance contrairement à ce que soutient Bâloise,

- Les conditions générales souscrites par Lazard dans le cadre du contrat de capitalisation ne concernent que Lazard et Bâloise,

- La clause attributive de juridiction souscrite par Lazard et Bâloise mentionne la compétence « non exclusive » des tribunaux luxembourgeois, ce qui, en application de l'article 25 §1 du règlement Bruxelles Ibis, a pour conséquence qu'une telle clause non-exclusive laisse le choix aux parties entre la compétence des juridictions du Luxembourg visées par ladite clause et toute autre juridiction compétente par application des dispositions dudit règlement,

- Elle conteste que la non-exclusivité ne bénéficie qu'à une partie, en l'espèce Bâloise,

- La société Lazard fait ensuite valoir quela clause attributive de juridiction contenue dans le contrat de gestion conclu entre la société Iris Finance et Bâloise, auquel Lazard n'est pas partie, lui est inopposable ;

- Elle estime avoir dès lors pu faire application combinée des articles 4 et 8 dudit règlement et saisir ainsi le tribunal de commerce de Paris, tribunal du domicile de deux des défendeurs (Iris Finance et Iris Courtage) et assigner l'autre défendeur (Bâloise) devant ce même tribunal,

- Les litiges concernant une même situation de droit et de fait et portant sur une convention viciée doivent être jugés ensemble devant la juridiction française, juridiction du domicile du gestionnaire et du courtier, pour éviter toute contrariété de décisions,

- A tout le moins, sur le fondement des articles 10 et 11 du règlement Bruxelles I bis, qu'elle invoque à hauteur d'appel, la société Lazard soutient que le contrat liant les sociétés Bâloise et Lazard porte sur un produit d'assurance justifiant d'appliquer les dispositions du règlement relatif à la compétence en matière d'assurance, et que Lazard, en tant que « preneur » d'assurance » peut attraire Bâloise, l'assureur, devant les juridictions françaises.

45. La société Bâloise fait valoir tout d'abord que :

- la compétence de la juridiction saisie est régie par le règlement Bruxelles Ibis, et le tribunal de commerce de Paris est incompétent pour connaitre des demandes formées par Lazard contre Bâloise en présence d'une clause attributive de juridiction désignant les tribunaux du Luxembourg, ladite clause primant par application de l'article 25§1 les dispositions de l'article 8§1 du règlement Bruxelles Ibis,

- en l'espèce, Lazard a signé les conditions générales du bon de souscription qui contient une clause attributive de juridiction expresse et écrite visant les tribunaux luxembourgeois, la validité de ladite clause étant incontestable, et son opposabilité à Lazard résultant de sa signature et de son consentement à ladite clause, ainsi que son opposabilité à l'intermédiaire qui a signé comme mandataire de Bâloise, Monsieur [P], agissant tant pour Iris Courtage que pour Iris Finance, toutes deux mentionnées dans ledit bon de souscription, comme courtier et comme gestionnaire,

- la clause ne désignant que les tribunaux luxembourgeois, il en résulte une compétence de principe au profit des juridictions luxembourgeoises, nonobstant sa non-exclusivité, qui ne peut être qu'au seul bénéfice de Bâloise, sauf à vider la clause de sa substance, puisqu'à défaut, à suivre l'argumentation de Lazard, toute partie pourrait en réalité y déroger et ce en violation de l'article 1170 du code civil,

- Lazard, qui n'est ni la partie dans l'intérêt exclusif de laquelle la clause attributive de juridiction a été stipulée, ni une personne physique, ne peut donc se prévaloir du caractère non-exclusif de l'attribution de compétence,

- en outre, l'article 8§1 du règlement Bruxelles Ibis ne peut pas faire échec aux effets impératifs de la clause attributive de juridiction stipulée au Contrat, laquelle prime,

- quand bien même les demandes formées par Lazard à l'encontre des sociétés Bâloise, Iris Finance et Iris Courtage seraient liées entre elles par un rapport si étroit qu'il y a un intérêt à les instruire et à les juger en même temps afin d'éviter que des décisions inconciliables soient rendues, ce qui n'est pas démontré, cette situation ne serait pas de nature à faire échec à l'application de la clause attributive de juridiction.

46. La société Bâloise soutient encore que, à supposer que la clause attributive de juridiction contenue dans le Bon de souscription ne soit pas retenue, ni l'article 7§1, ni l'article 8§1, ni les articles 10 et 11 du règlement Bruxelles Ibis ne permettraient d'attraire Bâloise devant le tribunal de commerce de Paris. Elle rappelle que :

- Tant le lieu où est établie Bâloise, que le lieu où Lazard a bénéficié de ses services sont situés au Luxembourg, à supposer que Bâloise soit prestataire de services,

- Le domicile de Bâloise est à Luxembourg,

- L'article 8§1 est d'application stricte, et il ne suffit pas d'alléguer que le résultat d'une procédure puisse influer sur une autre pour considérer qu'il y a un risque de décisions inconciliables,

- En l'espèce, le conflit opposant Monsieur Lazard et Monsieur [P] (dirigeant d'Iris Finance et d'Iris Courtage) au sujet de la rémunération prévue par un accord signé entre eux le 9 janvier 2017, instrumentalise le contrat signé par Lazard avec Bâloise qui rappelle cet accord, et c'est de façon artificielle que Lazard a attrait Bâloise dans ce litige qui ne la concerne ni en fait ni en droit,

- Aucune faute ne pourrait être reprochée à Bâloise qui n'a versé aucune rémunération, celles-ci étant prélevées directement,

- La convention litigieuse n'est pas le Contrat conclu entre Bâloise et Lazard, mais un contrat auquel Bâloise n'est pas partie, liant Lazard et Iris Finance,

- Une condamnation in solidum serait totalement artificielle,

- Il n'y a aucune situation identique de fait et de droit, ni aucun ensemble contractuel vicié,

- Rien n'empêche Lazard d'agir en France contre Iris Finance et Iris Courtage, et au Luxembourg contre Bâloise, si tant est qu'elle aurait des demandes à formuler contre Bâloise,

- Enfin, il ne s'agit nullement d'un litige « en matière d'assurance » qui justifierait l'application des articles 10 et 11 du règlement Bruxelles Ibis, le litige portant en l'espèce sur des rémunérations d'un contrat de capitalisation et non sur un contrat d'assurance.

47. La société Iris Finance fait valoir qu'en application de l'article 25 du règlement Bruxelles Ibis, l'existence d'une clause attributive de juridiction confère une compétence exclusive à la juridiction désignée, qui prime toute compétence spéciale, une telle clause pouvant être opposée à un tiers au contrat dès lors que ce tiers tient ses droits et obligations d'une des parties, sous réseve du respect des conditions de fond et de forme prévues par le règlement Bruxelles Ibis.

48. Elle fait valoir qu'en l'espèce, le litige est soumis aux dispositions de l'article 25 du Règlement Bruxelles Ibis aux motifs que :

- la convention de gestion d'actifs conclue entre Iris Finance et Bâloise le 7 novembre 2013, et son avenant en date du 19 juin 2015, donnant lieu à rémunération du gestionnaire, contiennent une clause attributive de compétence exclusive en faveur des juridictions luxembourgeoises pour trancher les éventuels litiges relatifs à ladite convention, cette clause conférant compétence exclusive auxdites juridictions ;

- le litige relatif à la perception des rémunérations par Iris Finance, prévues par le contrat de gestion et aujourd'hui contestées par Lazard ne peut dès lors être sousmis qu'aux juridictions désignées par ledit contrat de gestion,

- il n'y a aucun lien contractuel entre Iris Finance et Lazard, qui soumettrait à la compétence des juridictions françaises la demande de remboursement des sommes perçues par Iris Finance de la part de Bâloise au titre de la convention de gestion d'actifs,

- En tout état de cause, les demandes formulées par Lazard à l'encontre de Bâloise, Iris Finance et Iris Courtage sont liées par un rapport si étroit qu'il y a intérêt à les instruire ensemble au Luxembourg afin d'éviter des décisions inconciliables ;

- le risque de décisions contradictoires n'est pas potentiel mais avéré dans la mesure où une procédure est déjà initiée et en cours au Luxembourg ;

- la compétence des juridictions luxembourgeoises est dès lors également retenue sur le fondement de l'article 8§1.

49. S'agissant enfin de la compétence des juridictions françaises sur le fondement des articles 10 et 11 du règlement Bruxelles I bis, Iris Finance fait valoir que :

- ce nouveau moyen est irrecevable par application de l'article 918 du code de procédure civile ;

- à tout le moins ce moyen ne peut fonder la compétence des juridictions françaises parce qu'Iris Finance n'est pas un assureur et bénéficie d'une clause attributive de juridiction qui prime toute autre compétence même spéciale.

50. Iris Courtage soutient que la clause attributive de juridiction conclue dans une convention doit être appliquée en vertu de l'article 25 du Règlement Bruxelles Ibis, en ce compris à l'égard d'une partie tierce au contrat dans lequel la clause attributive était stipulée, faisant ainsi échec à la compétence de l'article 8§1 fondée sur la connexité du litige.

51. En l'occurrence, elle rappelle que la convention de relations d'affaires souscrite entre Bâloise et Iris Courtage en date du 7 novembre 2013 contient une clause attributive de juridiction en faveur des tribunaux luxembourgeois, Bâloise se réservant dans la clause « le droit d'assigner le Courtier devant toute juridiction normalement compétente » (article 15.2) et que cette clause s'impose à Lazard dans le cadre de sa demande de condamnation in solidum d'Iris Courtage avec les autres défenderesses à lui « restituer » les frais de gestion perçus prétendument de façon indue par Iris Finance.

52. Elle indique que sa responsabilité ne saurait être recherchée que par l'effet d'un manquement qu'elle aurait commis à ses obligations contractuelles en qualité de courtier en assurance ayant mis en relation Lazard et Bâloise et ayant permis à Lazard de souscrire par son intermédiaire le contrat de capitalisation ayant donné lieu aux rémunérations d'Iris Finance contestées par Lazard.

53. Elle en déduit que si Lazard engage la responsabilité contractuelle d'Iris Courtage, ce n'est qu'au regard de la Convention de relations d'affaires susmentionnée, et la clause attributive de juridiction qui y figure doit dès lors recevoir application. Il en est de même en cas d'appel en garantie.

54. Elle soutient que si Lazard engage la responsabilité délictuelle d'Iris Courtage, la clause attributive de juridiction doit également recevoir application, dès lors que le litige trouve sa cause dans le rapport de droit à l'occasion duquel celle-ci a été convenuue.

55. Enfin, elle fait valoir que Lazard a agi devant le tribunal de commerce de Paris en se fondant sur le domicile d'Iris Courtage et d'Iris Finance, sans tenir compte des clauses attributives de juridiction qui donnent compétence aux juridictions luxembourgeoises contenues dans la Convention de Gestion d'Actifs concernant Iris Finance et la Convention de Relations d'Affaires concernant Iris Courtage, alors en outre que le contrat de capitalisation signé par Lazard avec Bâloise par l'intermédiaire d'Iris Courtage prévoit aussi une clause attributive de juridiction donnant compétence aux tribunaux Luxembourgeois et que c'est ce contrat qui a généré les frais de gestion contestés alloués à Iris Finance.

56. Elle indique reprendre également à son compte et s'associer aux arguments que Bâloise et Iris Finance ont développés et rappelle que :

- la société Lazard connaissait l'existence de la convention de gestion d'actifs conclue entre Iris Finance et Bâloise contenant la clause exclusive attributive de juridiction au §14 dudit contrat ;

- le contrat de capitalisation souscrit par Lazard renvoie expressément à la gestion confiée à Iris Finance ;

- la clause attributive de juridiction lui est opposable dès lors qu'elle a été implicitement acceptée par le tiers dans l'ensemble des relations contractuelles ;

- en tout état de cause, l'article 8 du règlement Bruxelles I bis évite la dispersion des actions et la saisine concurrente de plusieurs juridictions quand les défendeurs s'inscrivent dans une même situation de fait et de droit, de sorte qu'il convient qu'ils soient jugés ensemble afin d'éviter des solutions inconciliables, et que l'exception d'incompétence au profit des juridictions luxembourgeoises doit profiter à l'ensemble des défendeurs.

Sur ce,

57. Il n'est pas contesté que le litige présente un caractère international et relève, dans le temps comme dans l'espace, du champ d'application du Règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012, dit Bruxelles I bis, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale.

58. Conformément à l'article 4, paragraphe 1, de ce règlement, les personnes domiciliées sur le territoire d'un État membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État.

59. Elles ne peuvent, selon l'article 5, paragraphe 1, être attraites devant les juridictions d'un autre État membre qu'en vertu des règles énoncées aux sections 2 à 7 du chapitre relatif à la compétence, soit aux articles 7 à 26 de ce règlement.

60. Aux termes de l'article 25, paragraphe 1, si les parties, sans considération de leur domicile, sont convenues d'une juridiction ou de juridictions d'un État membre pour connaître des différends nés ou à naître à l'occasion d'un rapport de droit déterminé, ces juridictions sont compétentes, sauf si la validité de la convention attributive de juridiction est entachée de nullité quant au fond selon le droit de cet État membre. Cette compétence est exclusive, sauf convention contraire des parties. (')

61. Le paragraphe 5 du même article précise qu'une convention attributive de juridiction faisant partie d'un contrat est considérée comme un accord distinct des autres clauses du contrat.

62. Une clause attributive de juridiction n'est opposable à une partie qu'à condition d'établir avec certitude qu'elle l'a connue et acceptée.

63. En l'espèce, il résulte des éléments rappelés ci-dessus que trois clauses attributives de juridiction désignant toutes les tribunaux du Luxembourg, de manière exclusive, non-exclusive ou asymétrique, sont en cause :

(i) La clause contenue dans les conditions générales souscrites expressément par Lazard avec Bâloise par l'intermédiaire d'Iris Courtage, dans le contrat de capitalisation en date du 10 février 2017, aux termes de laquelle : « article 18. Où se trouve la juridiction compétente ' Toutes les contestations éventuelles relèvent de la compétence non exclusive des tribunaux luxembourgeois ».

Lazard ne conteste pas la validité de la clause désignant les juridictions du Luxembourg mais soutient que cette clause laisse la possibilité aux parties de choisir entre ladite clause ou l'application des règles de compétence du règlement Bruxelles Ibis, en l'absence d'exclusivité.

Bâloise soutient que la clause doit être interprétée comme une clause asymétrique dont seule Bâloise peut se prévaloir de la non-exclusivité.

(ii) La clause insérée dans la Convention de Gestion d'Actifs signée entre Iris Finance et Bâloise le 7 novembre 2013 aux termes de laquelle : « article 14 - Compétence juridictionnelle/loi applicable : Les litiges relatifs à l'interprétation et à l'exécution de la présente convention relèvent de la compétence exclusive des tribunaux du Grand-Duché de Luxembourg, et seule la loi luxembourgeoise est d'application » dont il n'est pas contesté qu'elle est valable et qu'elle est exclusive. Lazard conteste simplement qu'elle lui soit opposable.

(iii) La clause attributive de juridiction insérée dans la Convention de Relations d'Affaires signée entre Iris Courtage et Bâloise le 7 novembre 2013 aux termes de laquelle : « article 15.2 - compétence juridictionnelle 84. Toutes les contestations éventuelles relatives à l'interprétation ou l'exécution de la présente convention relèvent de la compétence exclusive des tribunaux luxembourgeois. La Compagnie se réserve toutefois le droit d'assigner le Courtier devant toute juridicntion normalement compétente ». La validité de cette clause et son opposabilité à Lazard qui ont été retenues par les premiers juges ne sont pas discutées par Lazard dans ses conclusions, cette dernière demandant seulement l'infirmation de la décision, sans développer de moyens sur ce point.

64.Il rés ulte de ces trois clauses que les juridictions du Luxembourg ont été expressément choisies par les parties dans les trois conventions relatives au litige, leur validité n'étant pas contestée, l'exclusivité étant prévue pour les conventions liant Bâloise avec Iris Finance et Iris Courtage, l'asymétrie de l'exclusivité de la dernière au profit du seul courtier n'étant pas remise en cause.

65. S'agissant de la clause liant Bâloise et Lazard dans le cadre du contrat de souscription désignant les juridictions du Luxembourg, l'absence d'exclusivité n'a pas pour effet, selon les termes de l'article 25§1 du règlement rappelé ci-dessus, d'invalider la clause, ce qui n'est d'ailleurs pas soutenu par Lazard, mais seulement d'écarter les effets attachés à l'exclusivité prévue par le règlement Bruxelles 1bis en l'absence de convention contraire.

66. Si Bâloise soutient qu'elle seule peut se prévaloir de l'absence d'exclusivité alors que Lazard soutient qu'elle peut écarter le choix de la juridiction luxembourgeoise au bénéfice des autres articles du règlement, il ne résulte pas de l'article 25 du Règlement susrappelé que l'absence d'exclusivité convenue par les parties emporte automatiquement des effets asymétriques au bénéfice d'une seule partie si celles-ci ne l'ont pas prévu.

67. En l'espèce, en l'absence de toute précision sur ce point, aucune asymétrie au bénéfice d'une seule des parties ne peut être déduite de cette clause qui laisse ouverte l'application d'autres alternatives, sans pour autant qu'elle puisse être considérée comme privée de sa substance et réputée non-écrite, puisque le choix des juridictions luxembourgeoises reste valable, l'alternative étant, s'agissant d'un litige présentant un caractère international, l'application des dispositions du règlement Bruxelles Ibis.

68. Il y a lieu par conséquent de retenir que ladite clause est opposable tant à Bâloise qu'à Lazard, qu'elle désigne au choix des parties les juridictions du Luxembourg, qu'alternativement, Bâloise étant défenderesse domicilée au Luxembourg, l'article 4 du règlement désigne les juridictions du Luxembourg, sous réserve de l'application des articles 2 à 7 dudit règlement, qu'en application de l'article 7 le lieu d'exécution de l'obligation est au Luxembourg, que seules restent en débat l'applicabilité de l'article 8 et des articles 10 et 11 qui seront traités ci-dessous une fois l'application des autres clauses attributives de juridiction tranchée.

69. S'agissant de l'opposabilité à Lazard de la clause attributive de juridiction insérée dans la Convention de Gestion d'Actifs concernant Iris Finance et dans la Convention de Relations d'Affaires concernant Iris Courtage, ces clauses étant exclusives, quoique asymétrique pour la seconde, au bénéfice du seul courtier, il résulte des éléments de fait rappelés ci-dessus et des contrats versés aux débats que :

- Le dossier de souscription au contrat individuel de capitalisation « ProCapi PM » proposé par Bâloise par l'intermédiaire de Monsieur [P], dirigeant des sociétés Iris Finance et Iris Courtage, et signé par Lazard le 10 février 2017 vise expressément la société Iris Finance comme gestionnaire financier à l'article 4.3 (p.44) :

' « Gestionnaire et dépositaire du Fond Dédié » ' « La gestion financière du fonds dédié est confiée à : Iris Finance »,

- En prévoyant expressément que Lazard accepte :

' « le coût lié à l'exercice du mandat de gestion est fixé à 0,60% par an hors TVA »

' « autres frais éventuels : +10% H.T./an de commissions de surperformance si celle-ci est supérrieure à 5.5% »

70. Ces éléments fixant les modalités de gestion par Iris Finance et les frais de gestion financière versés à Iris Finance ont été confirmés par Lazard lors de la souscription du Contrat notamment dans l'annexe intitulée « Votre Fonds interne dédié » (p.42), dans lequel Lazard se définissait comme investisseur « défensif » (§4.2).

71. Un document annexe intitulé « frais spécifiques de la société de gestion », a été signé le 9 janvier 2017 par Lazard et par [S] [P], « mandataire », sans que soit précisé s'il agit en qualité de dirigeant d'Iris Courtage ou d'Iris Finance dont il est le dirigeant.

72. Les factures de frais de gestion fixes et de frais de gestion variable versées aux débats ont été émises par Iris Finance.

73. Par lettre RAR en date du 24 juin 2020, la société Lazard a écrit directement à Iris Finance pour l'informer qu'elle avait demandé aux compagnies d'assurance de faire cesser le « mandat de gestion et de courtage d'Iris Finance à compter du 23 juin 2020 à 18h00 ».

- Par ce même courrier, Lazard écrivait à Iris Finance : « Je fais suite à ton message texte reçu hier mardi 23 juin 2020 à 16h06 par lequel tu as été informé vraisemblablement par Pictet de ma décision de changer le mandat de gestion et de courtage confié jusqu'alors à Iris Finance et ce à compter du mardi 23 juin 2020 18h00 ».

- Enfin, elle indiquait « merci de le respecter et de ne plus intervenir sur l'ensemble de la gestion de mes contrats tant au titre de Lazard Group Real Estate qu'à titre privé au nom de Monsieur [T] Lazard ».

74. Lazard ne conteste pas avoir signé avec Monsieur [P] le document intitulé « frais spécifiques de la société de gestion » le 9 janvier 2017 qui l'engagent.

75. Il résulte clairement de l'ensemble de ces éléments et notamment du dossier de souscription et de ses annexes que même si Lazard n'a pas formellement signé la Convention de Gestion d'actifs avec Iris Finance, ni la Convention de Relations d'Affaires avec Iris Courtage, le gestionnaire connu de Lazard était identifié comme étant Iris Finance dirigé par Monsieur [P] avec lequel il était en relation depuis huit ans, et que les frais litigieux étaient les commissions versées à Iris Finance pour frais variables telles que fixées dans les annexes du dossier de souscription proposé par Iris Courtage, mandataire de Bâloise.

76. Il s'ensuit que Lazard ne peut soutenir qu'elle ne connaissait pas ou n'avait pas accepté les termes des Conventions de Gestion d'Actifs ou de Relations d'Affaires, alors que les éléments susrappelés démontrent qu'elle avait une connaissance desdites conditions et partant, avait accepté la clause attributive de juridiction figurant dans ces conventions qui lui sont dès lors opposables et justifient qu'il soit fait application de l'article 25 du Règlement Bruxelles Ibis.

77. Compte tenu du caractère non exclusif de la clause contenue dans la Convention de Relations d'Affaires à l'égard de Bâloise et d'Iris Courtage, et de la solidarité invoquée par Lazard à l'égard de toutes les sociétés mises en cause, il y a lieu de rechercher si l'application du règlement et notamment des articles 4, 8 et 10 invoqués par Lazard permettrait de faire le choix pour ces parties d'une autre juridiction que Luxembourg, étant toutefois précisé que, pour ce qui concerne Iris Finance, Bâloise et Lazard, l'exclusivité attachée à la clause invoquée prime toute autre disposition du règlement, sans qu'il soit possible d'évincer cette disposition par les articles 4, 8 ou 10 et 11 dudit Règlement, l'article 25 s'imposant et conférant une compétence exclusive à la juridiction désignée par ladite clause.

78. Contrairement à ce que soutient Iris Finance, le moyen invoqué par Lazard tiré des articles 10 et 11 dudit Règlement, quoique nouveau en cause d'appel, n'est pas pour autant irrecevable, en l'absence de prétention nouvelle au sens de l'article 564 du code de procédure civile. Ces textes n'ont toutefois pas vocation à s'appliquer en l'espèce, le litige portant, non sur un contrat d'assurance au sens du Règlement, mais sur un contrat de capitalisation et d'investissement, la rémunération du gestionnaire d'actifs étant mise en cause.

79. L'article 8§1 dispose quant à lui que : « Une personne domiciliée sur le territoire d'un État membre peut aussi être attraite: 1) s'il y a plusieurs défendeurs, devant la juridiction du domicile de l'un d'eux, à condition que les demandes soient liées entre elles par un rapport si étroit qu'il y a intérêt à les instruire et à les juger en même temps afin d'éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément  .

80. La référence ainsi faite à un lien étroit de connexité ne permet pas de considérer comme suffisante la seule présence de plusieurs défendeurs, le fait qu'une procédure puisse avoir un lien avec une autre ne suffisant pas davantage pour considérer qu'il y a un risque de décisions inconciliables.

81. Au cas présent, il résulte des faits de l'espèce et des autres actions engagées en même temps à l'égard d'autres sociétés domiciliées au Luxembourg que le litige porte sur les rémunérations liées aux contrats de capitalisation souscrits par Lazard au Luxembourg, où une action a déjà été engagée sur le fondement d'une clause exclusive par Cardif contre Iris Finance, Iris Courtage et Lazard. Au regard de cette exclusivité, à laquelle il ne peut être dérogé, il apparaît qu'il y a intérêt à les juger ensemble devant les juridictions luxembourgeoises, la connexité alléguée ne pouvant prospérer en faveur des juridictions françaises.

82. Les juridictions françaises doivent dès lors être déclarées incompétentes.

83. La décision des premiers juges sera dès lors confirmée par motifs propres sur la compétence, mais infirmée en ce qu'elle a désigné la juridiction luxembourgeoise, les parties étant simplement renvoyées à mieux se pourvoir en application de l'article 81 du code de procédure civile.

3) Sur les dépens et les frais irrépétibles

84. Le sort des de'pens et de l'indemnite' de proce'dure a e'te' exactement re'gle' par le tribunal de commerce. La décision sera confirmée sur ce point.

85. La société Lazard succombant en son appel et les sociétés Bâloise, Iris Courtage et Iris Finance succombant en leur appel incident, il y a lieu de laisser à la charge de chacune des parties leurs frais irrépétibles supplémentaires en cause d'appel et de mettre les dépens d'appel à la charge de la société Lazard.

V/ DISPOSITIF

Par ces motifs, la cour :

1. Confirme le jugement du tribunal de commerce de Paris du 18 avril 2023, par motifs propres, en toutes ses dispositions soumises à la cour, sauf en ce qu'il a renvoyé les parties à se pourvoir devant les juridictions du Luxembourg ;

2. L'infirmant sur ce point et statuant à nouveau, renvoie les parties à mieux se pourvoir ;

Y ajoutant,

3. Dit les autres demandes sans objet,

4. Dit n'y avoir lieu d'allouer aux parties une indemnisation au titre de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur d'appel ;

5. Condamne la société Lazard aux dépens de la présente instance.

LA GREFFIERE, LE PRESIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 16
Numéro d'arrêt : 23/07659
Date de la décision : 12/03/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 28/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-03-12;23.07659 ?
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