RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 4 - Chambre 8
ARRÊT DU 06 MARS 2024
(n° 2024/ 52 , 10 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/14608 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CEGBA
Décision déférée à la Cour : Jugement du 17 Juin 2021 -Tribunal de Commerce de PARIS RG n° 2021007445
APPELANTE
S.A.S.U. MAISON ALBAR HÔTELS [8], prise en la personne de son Président, domicilié en cette qualité audit siège,
[Adresse 3]
[Localité 4]
Immatriculée au RCS de PARIS sous le numéro : 804 72 4 1 10
Représentée par Me Audrey SCHWAB de la SELARL 2H Avocats à la cour, avocat au barreau de PARIS, toque : L0056, plaidant par Me Richard ESQUIER, avocat au barreau de Paris, toque R 144
INTIMÉE
S.A. ALLIANZ IARD, Représentée par son Président domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Localité 5]
Immatriculée au RCS de NANTERRE sous le numéro : 542 110 291
Représentée par Me Philippe-Gildas BERNARD de l'AARPI NGO JUNG & PARTNERS, avocat au barreau de PARIS, toque : R013, plaidant par Me Marine de BOURQUENEY, NGO JUNG ET PARTNERS, substituant Me Philippe BERNARD, avocat au barreau de Paris, toque R 013
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 28 Novembre 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :
Mme CHAMPEAU-RENAULT, Présidente de chambre
Mme FAIVRE, Présidente de chambre
M. SENEL, Conseiller
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Mme CHAMPEAU-RENAULT, Présidente de chambre dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Madame POUPET
ARRÊT : Contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par, Mme CHAMPEAU-RENAULT, Présidente de chambre et par Mme POUPET, greffière, présente lors de la mise à disposition.
***
La société [Localité 10] INN GROUP, ci-après dénommée la société PIG, gère et commercialise des établissements hôteliers quatre et cinq étoiles. Elle a notamment pour filiale la SASU MAISON ALBAR HOTELS [8], ci-après dénommée la SASU ALBAR, qui exploite un hôtel cinq étoiles ainsi qu'un restaurant situés [Adresse 2]).
Le 20 décembre 2019, la société PIG a souscrit pour son compte et celui de 24 de ses filiales, exploitant des hôtels à travers toute la France, dont la SASU ALBAR, un contrat d'assurance, auprès la SA ALLIANZ IARD, ci-après dénommée ALLIANZ, garantissant notamment les pertes d'exploitation.
Par une série de lois, décrets et arrêtés (applicables dès la mi-mars 2020) des mesures générales ont été prises par le gouvernement français pour lutter contre la propagation de l'épidémie de Covid 19 dans le cadre de l'urgence sanitaire, obligeant un certain nombre d'établissements, limitativement désignés par les autorités publiques, à suspendre leurs activités. A [Localité 10], ces mesures ont été prolongées jusqu'au 11 mai 2020, puis jusqu'au 15 juin 2020.
C'est dans ces circonstances que l'hôtel cinq étoiles, le restaurant [9], et le SPA [7] ont fermé à compter du 17 mars 2020. Leur réouverture n'a eu lieu que plusieurs mois plus tard.
Le 26 mai 2020, la société PIG a envoyé, pour son compte et celui de ses filiales, une déclaration de sinistre à son assureur indiquant que « la fermeture totale des établissements hôteliers exploités par les sociétés filiales du groupe PIG s'est imposée à la suite de plusieurs arrêtés et décrets gouvernementaux pris dans le cadre de la crise sanitaire et de la lutte contre le Covid 19 ».
Le 17 juin 2020, ALLIANZ lui a opposé un refus de garantie.
Le 2 septembre 2020, la SASU ALBAR a alors assigné ALLIANZ en référé aux fins d'obtenir le paiement à titre provisionnel d'une somme de 670 000 euros en indemnisation de sa perte d'exploitation. Par ordonnance du 30 octobre 2020, le président du tribunal de commerce de Paris a débouté la SASU ALBAR estimant qu'il n'existait aucune décision ordonnant la fermeture de l'hôtel.
C'est dans ce contexte que par acte du 1er février 2021, la société ALBAR a assigné son assureur ALLIANZ devant le tribunal de commerce de Paris, afin de le voir condamner à lui verser la somme de 670 000 euros et voir ordonner la désignation d'un expert judiciaire, avec pour mission d'évaluer les pertes d'exploitation subies pour la période du 19 mars 2020 au 14 juin 2020.
Par jugement du 17 juin 2021, le tribunal de commerce de Paris a :
- débouté la SASU MAISON ALBAR HOTELS [8] de toutes ses demandes,
- condamné la SASU MAISON ALBAR HOTELS [8] à verser à la SA ALLIANZ IARD la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la SAS MAISON ALBAR HOTELS [8] aux dépens de l'instance, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 70,87 euros dont 11,60 euros de TVA.
Par déclaration électronique du 26 juillet 2021, enregistrée au greffe le 18 août 2021, la SASU ALBAR a interjeté appel du jugement en mentionnant dans cette déclaration que son appel tend à l'annulation / la réformation du jugement en y reproduisant les chefs de jugement critiqués.
Par conclusions d'appel n° 4 notifiées par voie électronique le 14 novembre 2023, la SASU ALBAR demande à la cour, au visa des articles 1103 et 1104 du code civil, de la police n° 60 838 512 souscrite auprès d'ALLIANZ, et des articles L. 113-2 et L. 113-9 du code des assurances, de :
- INFIRMER le jugement entrepris en toutes ses dispositions, notamment en ce qu'il a :
* débouté la société MAISON ALBAR HOTELS [8] de toutes ses demandes,
* condamné la société MAISON ALBAR HOTELS [8] à payer à la société ALLIANZ IARD la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
* condamné la société MAISON ALBAR HOTELS [8] aux dépens de l'instance, dont ceux à recouvrer par le greffe ;
Statuant à nouveau,
- condamner la société ALLIANZ IARD à payer à la société MAISON ALBAR HOTELS [8] la somme de 182 029 euros (à parfaire), outre intérêts au taux légal à compter du 2 septembre 2020, date de l'assignation en référé, valant indemnisation de l'ensemble des pertes d'exploitation subies ;
Subsidiairement,
- ordonner une expertise judiciaire et désigner tel expert ayant pour mission :
* de se faire communiquer tous documents et pièces qu'il estimera utiles à l'accomplissement de sa mission ;
* d'entendre les parties ainsi que tout sachant ;
* de chiffrer le montant des pertes d'exploitation subies par MAH [8] pendant la période d'indemnisation, au titre de son établissement de restauration et du SPA, en conformité avec les principes posés par la police d'assurance et notamment :
o calculer le chiffre d'affaires qui aurait été réalisé par le restaurant [9], l'auberge urbaine et par le SPA [7] en l'absence de fermeture,
o déterminer le taux de marge brute et l'appliquer à la perte de chiffre d'affaires,
o calculer les frais supplémentaires d'exploitation,
* établir un pré-rapport et le communiquer aux parties afin de recueillir leurs observations dans un délai raisonnable,
* déposer l'original et une copie de son rapport définitif au greffe de la cour d'appel de Paris dans un délai de 6 mois à compter de sa désignation ;
- condamner la société ALLIANZ IARD à payer à la société MAISON ALBAR HOTELS [8] une provision de 100 000 euros, à valoir sur l'indemnité d'assurance ;
- rejeter toutes demandes, fins et conclusions de la société ALLIANZ IARD ;
En tout état de cause,
- condamner la société ALLIANZ IARD à payer à la société MAISON ALBAR HOTELS [8] la somme de 15 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la société ALLIANZ IARD aux entiers dépens de première instance et d'appel, dont distraction pour ceux la concernant au profit de la SELARL 2H AVOCATS prise en la personne de Maître Patricia HARDOUIN et ce, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Par conclusions d'intimée n° 3 notifiées par voie électronique le 20 octobre 2023, ALLIANZ demande à la cour, au visa des dispositions générales des polices d'assurance de la société PIG pour le compte de ses filiales, dont la SASU ALBAR, de l'article L. 125-1 du code des assurances et de l'article L.113-9 du code des assurances, de :
A titre principal,
- CONFIRMER le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris du 17 juin 2021 dans toutes ses dispositions ;
En conséquence,
- juger que la police d'assurance souscrite pour le compte de la société MAISON ALBAR HOTELS [8] n'est pas mobilisable au titre de la garantie
« fermeture administrative » ;
- juger que les demandes de la société MAISON ALBAR HÔTELS [8] ne sont pas justifiées ;
- débouter la société MAISON ALBAR HÔTELS [8] de ses demandes formées à l'encontre d'ALLIANZ ;
- débouter la société MAISON ALBAR HÔTELS [8] de sa demande d'expertise judiciaire ;
A titre subsidiaire, si par extraordinaire la cour devait juger la garantie applicable,
- juger que les demandes de la société MAISON ALBAR HÔTELS [8] ne sont pas justifiées ;
- juger l'existence d'une règle proportionnelle au sens de l'article L. 113-9 du code des assurances ;
- ordonner une extension de la mission qui sera confiée à l'expert judiciaire qui intégrera le calcul de la marge brute réalisée par l'ensemble des établissements assurés au titre de la police d'assurance souscrite par la société [Localité 10] INN GROUP ;
En tout état de cause,
- condamner la société MAISON ALBAR HÔTELS [8] à verser à ALLIANZ la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- la condamner aux entiers dépens.
Pour plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties, il convient de se reporter aux conclusions ci-dessus visées conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 20 novembre 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION
L'appelante sollicite l'infirmation du jugement en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes d'indemnisation des pertes d'exploitation au titre de la fermeture du restaurant [9] et du SPA [7] et sollicite la condamnation d'ALLIANZ à l'indemniser de la somme de 182 029 euros (à parfaire) au titre de la garantie perte d'exploitation, outre les intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 2 septembre 2020.
Au soutien de ses demandes, elle fait notamment valoir que :
- la garantie d'assurance est mobilisable au titre des pertes d'exploitation qu'elle a subies pour les activités de son établissement de restauration et du SPA, en raison de leur fermeture par suite des décisions administratives prises par le gouvernement pour lutter contre la propagation de la Covid-19 ;
- la garantie « Pertes d'exploitation » a été étendue ainsi : 'à la fermeture totale et temporaire de votre établissement par suite d'une décision des autorités administratives compétentes prise en raison de la présence de germes susceptibles d'entraîner des épidémies ; l'événement générateur doit être d'origine soudaine et fortuite ; la période d'indemnisation est limitée à 3 mois à compter de la date de fermeture' ;
- en l'espèce, les conditions de la garantie sont bien réunies en raison de la fermeture du restaurant [9] et du SPA ;
- les décisions administratives d'interdiction de recevoir du public prises par le gouvernement français en raison de la présence de germes susceptibles d'entraîner des épidémies, imposées aux établissements de restauration et aux SPA, les ont contraints à une fermeture totale et temporaire ;
- la possibilité donnée aux restaurants de poursuivre une activité restreinte de vente à emporter était une simple faculté, et non une obligation ;
- le SPA a arrêté toute activité comme le démontre l'absence totale de chiffre d'affaires au cours de cette période ; il a donc également bien fait l'objet d'une fermeture administrative;
- quand bien même l'hôtel [8] serait demeuré ouvert, sa clientèle n'aurait pu se rendre au restaurant [9], puisque celui-ci s'est vu interdire de recevoir du public, en ce comprise la clientèle de l'hôtel ;
- à aucun moment il n'est indiqué, par quelque procédé typographique que ce soit, que le terme « établissement» utilisé dans l'extension de garantie figurant dans les Conditions Particulières, devrait s'entendre de la définition qui en est donnée dans un autre document, en l'espèce les Dispositions générales ; la définition qui figure dans l'extension de garantie n'est donc pas claire et ALLIANZ, qui n'a pas attiré l'attention du souscripteur, a manifestement failli à son devoir d'information ; elle est dès lors infondée à opposer à l'assurée la définition du terme « établissement» qui figure dans les Dispositions générales pour refuser sa garantie ;
- dès lors que les activités de bar (et a fortiori de restaurant) et de SPA sont autonomes de l'activité d'hôtellerie, génèrent un chiffre d'affaires propre et ne sont pas réservées aux clients de l'hôtel, elles sont garanties indépendamment de l'activité hôtelière ; restreindre la garantie à une fermeture administrative totale de l'ensemble des trois établissements exerçant au sein de l'entité juridique [8], aurait pour conséquence de vider la garantie « fermeture administrative » de sa substance ;
- s'agissant de l'indemnité due, le montant total de la marge brute perdue pour le restaurant et la SPA s'élève à 182 029 euros ; ce montant étant inférieur au plafond de garantie, il y a lieu de l'indemniser en intégralité ; aucune distinction ne doit être faite entre l'activité résultant d'une clientèle hôtelière ou d'une clientèle extérieure à l'hôtel, dès lors que la garantie n'opère pas une telle distinction ;
- ensuite ALLIANZ n'est pas fondée à lui opposer la réduction proportionnelle, dès lors qu'elle n'a pas respecté l'article L.113-9 du code des assurances ; faute pour ALLIANZ de rapporter la preuve, qui lui incombe, c'est-à-dire que le souscripteur a omis de répondre à une question qui lui a été effectivement et précisément posée par l'assureur, ou que le souscripteur a apporté une réponse inexacte à une question posée par l'assureur ;
- enfin si la cour s'estimait insuffisamment informée sur le chiffrage ou les données produites par la société ALBAR, elle devrait infirmer le jugement et ordonner une expertise.
L'intimée fait valoir, au soutien de sa demande de confirmation du jugement, que :
- la couverture d'assurance n'est pas mobilisable, faute de fermeture administrative de l'établissement exploité par la société ALBAR, comme exigé aux termes de la garantie
« fermeture administrative » stipulée dans la police d'assurance souscrite par la société PIG ; en effet, aux termes de son Annexe, l'Arrêté du 15 mars 2020 a expressément exclu des établissements soumis à fermeture administrative « les hôtels et hébergements similaires » de sorte que l'existence d'une « fermeture administrative » ne peut être invoquée par ALBAR, alors même qu'il s'agit de la condition essentielle et prédominante à la garantie fermeture administrative, prévue dans le contrat d'assurance qui lie les parties, et dont l'application est sollicitée ;
- les mesures de confinement de la population ne permettent pas la mobilisation de la garantie ;
- en outre, la garantie « fermeture administrative » ne saurait être mobilisée lorsque la décision de fermer résulte d'une décision de gestion, prise sans décision administrative ordonnant la fermeture d'un établissement visé par la police d'assurance ;
- aucune « fermeture totale » n'a eu lieu en l'espèce, compte tenu de l'absence de « décisions des Autorités Administratives compétentes », relative à l'activité hôtelière de l'établissement exploité par ALBAR, et ce, peu importe la fermeture de son restaurant et/ou de son SPA, l'ensemble formant un seul établissement ;
- en tout état de cause la clause ne saurait être mobilisée pour le restaurant et le SPA, puisque les mesures d'interdiction de recevoir du public ne sont pas assimilables à des mesures de fermeture administrative ; s'agissant des restaurateurs, l'arrêté du 14 mars 2020 a expressément prévu que les restaurateurs pouvaient poursuivre leur activité, via la livraison et/ou la vente à emporter ; un grand nombre de restaurateurs ont ainsi poursuivi leur activité selon ces modalités; la fermeture administrative n'est que la sanction attachée à l'absence de respect du protocole sanitaire imposée par les arrêtés des 14 et 15 mars 2020 qui ont permis la poursuite des activités de vente à emporter et de room service ; les décisions de fermeture administrative sont, par nature, des décisions qui sont prononcées à titre individuel ; le raisonnement est le même s'agissant des établissements sportifs couverts, catégorie dans laquelle la société ALBAR inclut le SPA de l'établissement ;
- subsidiairement,
- en application du principe indemnitaire, le montant de l'indemnité ne peut excéder la réparation des pertes réelles supportées par l'assuré ;
- il y a lieu de distinguer l'activité du restaurant générée par la clientèle de l'hôtel de celle générée par la clientèle extérieure puisque l'accès au restaurant n'est pas réservé aux seuls clients de l'hôtel ; or concernant l'activité « restauration », aucune distinction n'est faite entre l'activité restauration liée à la clientèle de l'hôtel de celle liée à la clientèle extérieure;
- le montant, correspondant à la perte de marge brute réclamée par ALBAR ne saurait être retenu, ni servir de fondement à la demande qu'elle forme à l'encontre d'ALLIANZ ; par ailleurs, ce calcul doit nécessairement prendre en compte les aides versées par l'Etat dans le cadre de la crise de la Covid-19 ; toutes les charges fixes et variables non supportées par l'établissement assuré doivent être retranchées du calcul de la perte d'exploitation ; le montant de l'indemnisation réclamé doit également prendre en compte les tendances générales de l'évolution des activités et des facteurs, tant internes qu'externes, susceptibles d'avoir eu une influence sur l'activité et son chiffre d'affaires ;
- ensuite il ressort des éléments versés au débat par ALBAR que le montant des pertes d'exploitation réclamées n'est pas justifié et qu'en outre, si la cour devait juger la garantie applicable, l'indemnité d'assurance que la société ALBAR serait susceptible de percevoir devra nécessairement se voir appliquer une « réduction proportionnelle » par application des articles L.121-5 et L.113-9 du code des assurances dès lors que les capitaux déclarés par la société PIG, pour l'ensemble de ses 24 filiales, soit une marge brute de
10 000 000,00 euros, sont nettement inférieurs à la réalité et résultent d'une déclaration inexacte de l'assurée.
Sur ce,
Le tribunal a jugé que l'arrêté du 15/3/2020 n'a pas inclus dans la liste des établissements soumis à fermeture administrative « les hôtels et hébergements similaires », de sorte que l'existence d'une fermeture administrative ne peut être formellement invoquée par ALBAR, alors même qu'il s'agit de la condition de mobilisation de la garantie « fermeture administrative » prévue dans le contrat. Il a considéré que l'hôtel n'a pas été fermé par suite d'une décision administrative mais volontairement par la gérance. Il a ajouté s'agissant du restaurant qu'il y a lieu de distinguer les activités générées par la clientèle de l'hôtel de celle générée par la clientèle extérieure puisque l'accès au restaurant n'est pas réservé aux seuls clients de l'hôtel et qu'en conséquence la perte de chiffre d'affaires en restauration résultant de la fermeture de l'hôtel n'a pas lieu d'être prise en compte et la perte de marge pas davantage indemnisée. Concernant le restaurant dans son activité générée par la clientèle extérieure il a jugé que si le motif de la décision administrative ne fait pas de doute, qu'en outre aucune clause d'exclusion susceptible de concerner le
Covid- 19 ne figure dans le contrat et qu'en conséquence le principe d'une indemnisation ne peut à ce stade être valablement écarté, il se trouve que l'assuré n'a pas fourni d'éléments permettant de quantifier une demande d'indemnisation, ce qui ne permettait ni de désigner un expert ni de fixer le montant d'une provision.
L'appelante n'a pas repris dans ses dernières conclusions en cause d'appel, ses demandes d'indemnisation relatives aux pertes d'exploitation générées par l'hôtel. Elle sollicite exclusivement l'infirmation du jugement en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes d'indemnisation des pertes d'exploitation au titre de la fermeture du restaurant et du SPA et sollicite la condamnation d'ALLIANZ à l'indemniser de la somme de 182 029 euros (à parfaire) au titre de la garantie perte d'exploitation, outre les intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 2 septembre 2020.
Sur la mobilisation de la garantie pertes d'exploitation du fait de l'évènement
' fermeture administrative' pour le restaurant et le SPA
Aux termes de l'article 1103 du code civil, dans sa rédaction ici applicable, issue de l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des obligations, du régime général et de la preuve des obligations, 'les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits'.
L'article 1104 de ce même code ajoute que 'Les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi . Cette disposition est d'ordre public'.
En application de l'article 9 du code de procédure civile, il incombe à chaque partie de prouver, conformément à la loi, les faits nécessaires au succès de sa prétention.
Par ailleurs, l'article 1353 du code civil dispose que celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. Réciproquement celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement qui a produit l'extinction de son obligation.
En matière d'assurance, il appartient à l'assuré, qui sollicite l'application de la garantie, d'établir que le sinistre répond aux conditions de cette garantie et à l'assureur, qui invoque une cause d'exclusion de garantie, d'établir que le sinistre répond aux conditions de l'exclusion.
En l'espèce, il résulte des pièces produites aux débats que la société PIG, pour son compte et celui de ses 24 filiales, a souscrit le 20 décembre 2019 une police d'assurance avec effet au 1er janvier 2020, puis un avenant du 30 janvier 2020 (pour mise à jour du parc au 17 janvier 2020), avec la société ALLIANZ d'une durée d'un an, renouvelable tacitement annuellement.
Le préambule indique que le contrat est composé des documents suivants :
* des dispositions générales du contrat Assurance Multirisques 'ALLIANZ ENTREPRISE DE SERVICES' regroupant l'ensemble des règles communes à tous les contrats définissant la nature et l'étendue des garanties ainsi que les montants de garantie et de franchises, et incluant également un lexique 'Quelques définitions' regroupant la définition d'un certain nombre de termes indispensables à la bonne compréhension du contrat, dispositions référencées n° COM19965 V05/16 ;
* des conditions particulières n° 60 838 512 qui adaptent le contrat à la situation personnelle de l'assuré et qui précisent en particulier les garanties, extensions, options et franchises choisies et qui prévalent sur les dispositions générales en cas de contradiction entre elles ;
* éventuellement des annexes dont mention est faite aux dispositions particulières définissant des garanties spécifiques.
Il est stipulé dans le corps des conditions particulières, en page 17/20 :
Les clauses particulières applicables à votre situation
Nous vous indiquons ci-dessous le titre de la ou des clauses applicables(s) à votre situation.
Pour prendre connaissance du contenu de cette ou ces clauses, reporter vous aux Dispositions Générales ALLIANZ ENTREPRISES DE SERVICES;
(...)
Clause spécifiques à certaines activités
Clause fermeture administrative
Fermeture administrative
La garantie ''perte d'exploitation'' est étendue à la fermeture totale et temporaire de votre établissement par suite d'une décision des Autorités Administratives compétentes prise en raison de la présence de germes susceptibles d'entraîner des épidémies. L'événement générateur doit être d'origine soudaine et fortuite. La période d'indemnisation est limitée à 3 mois à compter de la date de fermeture.
Demeurent formellement exclues :
- les fermetures administratives résultant du non-respect des règlementations en vigueur concernant l'hygiène et les normes de fabrication ou de transformation
- les fermetures dues à un attentat ou un acte de terrorisme sans dommages matériels directs aux biens garantis par le présent contrat.'
C'est sur le fondement de cette clause de garantie que la société ALBAR réclame son indemnisation.
Il en résulte clairement que conformément à cette disposition contractuelle, la garantie des pertes d'exploitation pour une durée de trois mois suppose la réunion des trois conditions suivantes :
- la fermeture totale et temporaire de l'« établissement » ;
- qui doit intervenir par suite d'une décision des « Autorités Administratives
compétentes » ;
- prise en raison de « la présence de germes susceptibles d'entraîner des épidémies ».
Au cas particulier, l'exclusion de garantie subséquente n'est ni applicable ni invoquée.
La condition relative à la « fermeture totale » de l'« établissement », est indispensable pour que la clause « fermeture administrative » soit mobilisable.
Or, la cour ne peut suivre la société ALBAR lorsqu'elle soutient que la fermeture du restaurant et du SPA permet la mobilisation de la police d'assurance.
En effet, la notion d'« établissement » est clairement définie par les Dispositions Générales du contrat d'assurance que l'assuré a reconnu avoir reçu, comme étant un «ensemble des biens immobiliers, mobiliers et matériels professionnels concourant à la même exploitation et réunis sur le site assuré. ».Il n'existe à cet égard aucune contradiction entre les Dispositions Générales et les conditions particulières.
Le KBIS de la SASU ALBAR indique comme activités principales :
création d'un hôtel et gestion de son patrimoine immobilier
Renseignements relatifs à l'activité et à l'établissement principal [Adresse 6] MAISON ALBAR HOTELS [8] création d'un hôtel et gestion de son patrimoine immobilier
Renseignements relatifs à l'autre établissement dans le ressort
adresse de l'établissement [Adresse 2]
activité exercée création d'un hôtel et gestion de son patrimoine immobilier. restauration et bar.
L'assureur soutient par ailleurs à juste titre que la police d'assurance renvoie aux
« établissements hôteliers » dans leur intégralité et dans leur ensemble.
Il en résulte que l'établissement, au sens du contrat d'assurance souscrit est l'ensemble immobilier se trouvant sur le même site constitué de l'établissement hôtelier au sein duquel se situe les chambres, le restaurant ainsi que le SPA. Ceux-ci ne sauraient être considérés comme des établissements autonomes et indépendants de l'établissement assuré. Ils concourent à la même exploitation et sont réunis sur le site assuré , à savoir l'établissement hôtelier exploité par la société ALBAR.
En l'espèce, l'établissement n'a pas été totalement fermé, puisqu'aux termes de son Annexe, l'Arrêté du 15 mars 2020 a expressément exclu des établissements soumis à fermeture administrative « les hôtels et hébergements similaires » et que l'activité hôtelière aurait donc pu se poursuivre étant précisé que par dérogation, le « room service » des restaurants et bars d'hôtels a été autorisé à poursuivre son activité, la fermeture de l'hôtel ayant exclusivement résulté d'une décision incombant au gestionnaire.
La société ALBAR n'explique pas en quoi le fait que l'hôtel, le restaurant et le SPA soient considérés comme un ensemble constituant un seul établissement aurait pour conséquence de vider la garantie « fermeture administrative» de sa substance.
Dès lors, la fermeture du restaurant et du SPA ne saurait permettre de fonder l'application de la clause « fermeture administrative ».
Le jugement sera confirmé par motifs substitués.
Sur la demande de désignation d'un expert judiciaire et de provision
La société ALBAR sollicite la désignation d'un expert judiciaire afin de chiffrer le montant de son indemnisation et la condamnation de l'assureur à lui payer une provision de 100 000 euros dans l'attente du dépôt du rapport, ce à quoi ALLIANZ s'oppose.
Il a été précédemment jugé que la société ALBAR ne peut prétendre à la mobilisation de la garantie ce qui rend sa demande d'expertise et de condamnation de l'assureur au paiement d'une provision sans objet. Elle sera déboutée de ses demandes et le jugement sera confirmé.
Sur les autres demandes
Les demandes subsidiaires, notamment relatives à l'application de la règle proprotionnelle sont sans objet.
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné la SASU ALBAR aux dépens de première instance et à verser à la SA ALLIANZ la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
En cause d'appel, la société ALBAR sera condamnée aux entiers dépens et à verser à ALLIANZ la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. Elle sera déboutée de sa propre demande de ce chef.
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Statuant en dernier ressort, contradictoirement et publiquement par mise à disposition de la décision au greffe,
CONFIRME le jugement en toutes ses dispositions soumises à la cour ;
Y ajoutant,
Condamne la société MAISON ALBAR HÔTELS [8] aux entiers dépens d'appel et à payer à la SA ALLIANZ IARD la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Déboute la société MAISON ALBAR HOTELS [8] de sa demande au titre des dépens et des frais irrépétibles ;
Rejette toutes autres demandes.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE