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06/07/2023 | FRANCE | N°20/00241

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 8, 06 juillet 2023, 20/00241


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 6 - Chambre 8



ARRET DU 06 JUILLET 2023



(n° , 8 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/00241 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CBHEI



Décision déférée à la Cour : Jugement du 28 Novembre 2019 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CRETEIL - RG n° F 18/00795





APPELANTE



CAISSE D'ALLOCATIONS FAMILIALES DU VAL DE MARNE (CAF)

[Adresse 2]
>[Localité 5]



Représentée par Me Jérôme ARTZ, avocat au barreau de PARIS, toque : L0097





INTIMÉE



Madame [G] [O]

[Adresse 3]

[Localité 4]



Représentée par Me Aurélie THEVENI...

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 8

ARRET DU 06 JUILLET 2023

(n° , 8 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/00241 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CBHEI

Décision déférée à la Cour : Jugement du 28 Novembre 2019 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CRETEIL - RG n° F 18/00795

APPELANTE

CAISSE D'ALLOCATIONS FAMILIALES DU VAL DE MARNE (CAF)

[Adresse 2]

[Localité 5]

Représentée par Me Jérôme ARTZ, avocat au barreau de PARIS, toque : L0097

INTIMÉE

Madame [G] [O]

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représentée par Me Aurélie THEVENIN, avocat au barreau de PARIS, toque : B 757

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 13 Avril 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Sophie GUENIER-LEFEVRE, Présidente de chambre

Mme Nicolette GUILLAUME, Présidente de chambre

Mme Emmanuelle DEMAZIERE, Vice-Présidente placée

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Mme Sophie GUENIER-LEFEVRE, Présidente, dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme Nolwenn CADIOU

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- signé par Madame Sophie GUENIER-LEFEVRE, présidente et par Madame Nolwenn CADIOU, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

Mme [G] [O] a été engagée en qualité de fondée de pouvoir, par la Caisse d'allocations familiales dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée du 19 mars 2012.

La convention collective applicable à la relation de travail est celle du personnel des organismes de sécurité sociale.

Le 28 septembre 2017, la salariée recevait un avertissement pour insubordination.

Puis le 23 janvier 2018, elle était convoquée à un entretien préalable fixé le jour même en vue d'une mise à pied à titre conservatoire sans traitement.

Lors de cet entretien lui a été remis une convocation à un entretien préalable fixé au 31 janvier suivant et à l'issue elle était effectivement mise à pied à titre conservatoire sans traitement.

Le 30 janvier 2018, elle était placée en arrêt de travail et n'a pu de ce fait se présenter à l'entretien préalable.

Malgré un avis défavorable émis par le conseil de discipline de l'établissement le 22 février 2018, la salariée était licenciée pour faute grave le 27 février suivant.

A ce stade, sa rémunération mensuelle moyenne sur les douze derniers mois était de 6 119,63 euros brut, la rémunération brute de base étant de 5 005,89 euros.

Contestant son licenciement, Mme [O] par acte du 31 mai 2018 saisissait le conseil de prud'hommes de Créteil.

Par jugement du 28 novembre 2019, notifié aux parties par lettre du 3 décembre 2019, le conseil de prud'hommes de Créteil a :

-jugé le licenciement sans cause réelle ni sérieuse,

-condamné la Caisse d'allocations familiales du Val-de-Marne aux sommes suivantes :

- 1 524 euros brut au titre des salaires du 23 janvier 2018 au 30 janvier 2018,

- 5 006 euros brut au titre des salaires de février 2018,

- 32 538 euros brut au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

- 40 750 euros net au titre de l'indemnité de licenciement,

- 50 000 euros brut au titre de l'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 1 300 euros net au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

-ordonné la remise des documents sociaux (bulletins de paie, attestation pôle emploi et certificat de travail) conformes à la décision intervenue,

-dit que les sommes de nature salariale (y compris l'indemnité de licenciement) sont exécutoires de plein droit dans la limite de 9 mois de salaire, et porteront intérêt à compter de la réception, par la partie défenderesse, de la convocation pour l'audience devant le bureau de conciliation et d'orientation,

-dit que les autres condamnations porteront intérêt au taux légal à compter du prononcé du jugement,

-fixé la moyenne mensuelle des salaires à la somme de 5 005,89 euros,

-débouté Mme [O] du surplus de ses demandes,

-débouté la Caisse d'allocations familiales du Val-de-Marne de sa demande reconventionnelle,

-condamné la Caisse d'allocations familiales du Val-de-Marne aux entiers dépens.

Par déclaration du 2 janvier 2020, la Caisse d'allocations familiales a interjeté appel du jugement.

Dans ses dernières conclusions, notifiées et déposées au greffe par voie électronique le 13 septembre 2022, la Caisse d'allocations familiales demande à la cour :

à titre principal :

-de réformer le jugement en ce qu'il a :

-jugé la faute grave non établie,

-jugé le licenciement sans cause réelle ni sérieuse,

-condamné la Caisse d'allocations familiales du Val-de-Marne aux sommes suivantes :

-1 524 euros bruts au titre du salaire du 23 janvier 2018 au 30 janvier 2018,

-5 006 euros bruts au titre du salaire de février 2018,

-32 538 euros bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

-40 750 euros nets au titre de l'indemnité de licenciement,

-50 000 euros bruts au titre de l'indemnité de licenciement sans cause réelle et

sérieuse,

-1 300 euros net au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile,

-ordonné la remise des documents sociaux (bulletins de paie, attestation Pôle Emploi et certificat de travail) conformes à la décision intervenue,

-débouté la Caisse d'allocations familiales du Val-de-Marne de sa demande reconventionnelle,

-condamné la Caisse d'allocations familiales du Val-de-Marne aux entiers dépens,

en conséquence :

-de juger que le licenciement pour faute grave est justifié,

-de débouter Mme [O] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

-de recevoir la CAF 94 en sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

-de condamner Mme [O] à verser à la CAF la somme de :

-1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

-de condamner Mme [O] aux éventuels dépens,

à titre subsidiaire :

-de juger que la demande nouvelle formulée par Mme [O] au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement est irrecevable et donc,

-de débouter Mme [O] de ladite demande,

-de réformer le jugement en ce qu'il a fixé à 32 538 euros bruts le montant de l'indemnité compensatrice de préavis,

-de réformer le jugement en ce qu'il a fixé à 40 750 euros nets le montant de l'indemnité de licenciement.

Dans ses dernières conclusions, notifiées et déposées au greffe par voie électronique le 9 septembre 2022, Mme [O] demande au contraire à la cour :

- de confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a condamné la Caisse d'allocations familiales du Val de Marne à payer à Mme [O] les sommes suivantes :

-1 524 euros au titre des salaires du 23 janvier 2018 au 30 janvier 2018,

-5 006 euros au titre des salaires de février 2018,

-1 300 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

-d'infirmer le jugement dont appel pour le surplus,

et statuant de nouveau,

-de fixer la moyenne mensuelle des salaires à la somme de 6 119,63 euros,

-de condamner la Caisse d'allocations familiales du Val de Marne à payer à Mme [G] [O] les sommes suivantes :

- 36 717,78 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

-3 671,77 euros au titre des congés payés afférents,

- 56 107,68 euros au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement ou, à titre subsidiaire, 40 627,54 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement,

- 85 100 euros au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

y ajoutant,

-de condamner la Caisse d'allocations familiales du Val de Marne à payer à Mme [G] [O] la somme de :

- 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 13 septembre 2022 et l'affaire a été appelée à l'audience du 27 octobre 2022 pour y être examinée.

Par arrêt du 17 novembre 2022, la cour a :

-avancé son délibéré,

-ordonné une médiation dans la présente affaire opposant la Caisse d'Allocations Familiales du Val de Marne (CAF) à Mme [O],

-désigné M. [S] (domicilié [Adresse 1] / [Courriel 6]), en qualité de médiateur avec la mission suivante :

-réunir et entendre les parties ainsi que leurs conseils,

-après avoir pris connaissance de tous éléments utiles, par la confrontation et le rapprochement de leurs points de vue respectifs suivant un processus à déterminer ensemble, permettre aux parties de trouver par elles-mêmes une solution au conflit qui les oppose en les aidant dans l'élaboration d'un accord,

-dit que, sauf prorogation dans les conditions de l'article 131-3 du code de procédure civile, la mission du médiateur est d'une durée de 3 mois suivant la première réunion de médiation,

-fixé à 1 440 euros TTC (mille quatre cent quarante euros toutes taxes comprises) la provision à valoir sur la rémunération du médiateur,

-dit que cette provision est répartie à concurrence de 1 200 euros pour la caisse d'allocations familiales du Val de Marne (CAF) et de 240 euros pour Mme [O],

somme qui devra être versée directement entre les mains du médiateur au plus tard dans le mois de la présente décision,

-rappelle qu'à défaut de versement de la somme provisionnelle dans les conditions fixées et le délai imparti, la désignation du médiateur sera caduque et l'instance se poursuivra,

-rappelle au médiateur désigné son obligation d'informer la cour sans délai de toute(s) difficulté(s) qu'il pourrait rencontrer dans l'accomplissement de sa mission, et qu'à l'expiration de celle-ci il devra indiquer à la cour par écrit si les parties sont ou non parvenues à trouver une solution au conflit qui les oppose,

-dit que le rapport de fin de mission établi par le médiateur, qui ne fera pas état des propositions transactionnelles ayant pu éventuellement émaner de l'une ou de l'autre des parties, sera remis à la cour sans délai,

-invité les parties à informer la cour des suites réservées au processus de médiation par la voie électronique,

-invité les parties à communiquer leurs conclusions au plus tard 48 heures ouvrables avant l'audience lorsqu'un désistement est demandé et accepté,

-dit que l'affaire sera rappelée à l'audience du 13 avril 2023 à 9 heures 00 en salle d'audience Louise Hanon 2-H-01, à laquelle les débats seront rouverts,

-dit qu'en cas de demande d'homologation, les parties devront soumettre à la cour leur protocole d'accord dans un délai maximum de 15 jours avant l'audience du 13 avril 2023 afin d'une transmission au Ministère Public pour avis en application de l'article 131-12, 798 et 953 du code de procédure civile.

La médiation ayant échoué, l'affaire a été rappelée à l'audience du 13 avril 2023 pour y être examinée.

Il convient de se reporter aux énonciations de la décision déférée pour un plus ample exposé des faits et de la procédure antérieure et aux conclusions susvisées pour l'exposé des moyens des parties devant la cour.

MOTIFS

I- sur le bien fondé de la rupture,

La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputable au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible immédiatement le maintien du salarié dans l'entreprise.

Il appartient à l'employeur d'apporter la preuve de la gravité des faits fautifs retenus et de leur imputabilité au salarié.

Il est admis que le salarié commet une faute s'il n'exécute pas normalement son contrat de travail ou n'accomplit pas normalement sa prestation de travail et que son comportement est volontaire

La lettre de licenciement dont les termes fixent les limites du litige fait grief à la salariée d'avoir mis en place dans le cadre de l'exercice de ses fonctions des pratiques inadaptées afin de repousser de manière fictive et sans acte interruptif juridiquement valable, la prescription de créances, en méconnaissance des règles législatives et réglementaires en vigueur, ainsi que d'autres textes juridiques applicables, dont notamment la circulaire interministérielle n°2010-260 du 12 juillet 2010, l'instruction technique n°2016-122 et la circulaire comptable du 26 octobre 2016.

Rappelant qu'il a demandé au directeur adjoint de l'organisme de procéder à une analyse afin qu'il dispose d'une visibilité précise des pratiques en matière de gestion des créances afin de s'assurer de la sécurité juridique et de garantir la sincérité des comptes de l'organisme, l'employeur souligne que le rapport établi 15 janvier 2018, révèle que la salariée a commis, dans le cadre de votre activité professionnelle, 'de graves violations, à la fois des règles de droit en vigueur, mais aussi des consignes données par l'autorité de tutelle en matière de gestion des créances'.

La caisse expose encore dans la lettre que ces actions ont concerné plus de six millions d'euros de créances prescrites fictivement déprescrites dites « faux PRECRE » et non déclarées à l'arrêté des comptes, ainsi que près de 2 millions d'euros de créances RSA-socle qui sont restées à tort dans les bases de l'organisme, au lieu d'être transférées pour recouvrement au conseil départemental, comme le prévoit pourtant la convention de gestion signée entre la caisse d'allocations familiales du Val-de-Marne et le conseil départemental.

L'employeur rappelle qu'il a été constaté que c'est la salariée , ainsi que les stagiaires et les agents en contrats de travail à durée déterminée recrutés pour faire du télé-recouvrement et placés sous la responsabilité directe de Mme [O] qui ont effectué des 'PRECRE' et ce, sans contact réel tracé avec l'allocataire, donc sans acte juridique valable pour interrompre la prescription.

Soulignant que la salariée avait la charge directe du Service contrôle prestations (SCP), la Caisse rappelle qu'il lui appartenait de respecter en tant que telle le plan de vérification lui imposant de « vérifier au regard des pièces en notre possession ou de la situation du dossier que l'acte interruptif ou suspensif est justifié » et de ' vérifier au regard des pièces en notre possession ou de la situation du dossier, que les dates de début et de fin correspondent à l'acte interruptif ou suspensif'.

L'employeur reproche expressément à la salariée d'avoir instauré une pratique qui consistait à donner des listes pour traitement de masse, sans analyse en amont des dossiers, en demandant de passer des' PRECRE', sans autre forme de procédure. Ces tâches étant confiées à des stagiaires ou des agents recrutés en contrat de travail à durée déterminée et non à des salariés expérimentés maîtrisant les règles de droit et les techniques applicables en la matière, les règles juridiquement applicables ainsi que les consignes fixées par l'autorité de tutelle en la matière ayant donc été enfreintes.

Au constat des graves conséquences attachées à ces dysfonctionnements, (conséquences financières, délivrance de contraintes au nom de l'organisme, alors même qu'elles n'ont pas été analysées en amont et donc sécurisées juridiquement, atteinte aux relations partenariales en particulier celles entretenues avec le conseil départemental, dans le cadre de la convention de gestion des créances RSA) et malgré les alertes que le service 'SRU' a formulées à plusieurs reprises auprès d'elle, l'employeur relève que Mme [O] n'a pas agi, et a elle même 'saisi des faits générateurs 'PRECRE' sur des créances RSA-socle, en lieu et place d'une cession de créance qui était indispensable et qui aurait dû [l' ]alerter, compte tenu de [ses] fonctions'.

La caisse considère qu'une partie des dossiers de créances RSA seules sans autres prestations (dossiers radiés, sans droits PF, mutés) sont en recouvrement direct au lieu d'un recouvrement par la paierie départementale, avec toutes les conséquences juridiques en cas de rupture de paiement pour un processus contentieux.

L'employeur relève enfin au regard des faits reprochés, que la salariée a commis une faute professionnelle grave en dérogeant à l'éthique et à la déontologie professionnelles qui s'imposent à [elle] en tant que fondée de pouvoir et donc garante de la sincérité des comptes de l'organisme, dont l'autorité de tutelle dont il dépend subit les conséquences 'compte-tenu des répercussions sévères que cela peut avoir pour les comptes de la branche famille'.

Soulignant le niveau de responsabilités de Mme [O], dont il rappelle la qualité de membre du Comité Directeur (CODIR), et la posture professionnelle attendue en termes de loyauté, de probité et d'exemplarité, l'employeur relève le caractère fautif du comportement qu'il décrit et en conclut au prononcé du licenciement pour faute grave.

Sans contester la réalité des dysfonctionnements constatés dans le cadre de l'audit mené par le directeur adjoint de l'organisme sur demande du directeur, et relevés en détail dans la lettre dont le contenu a été en substance ci-dessus rappelé, Mme [O] soutient en premier lieu que la pratique des 'PRECRE' était utilisée de longue date et que c'était à l'agent comptable et au directeur de l'organisme de mettre en place des procédure conformes à la circulaire du 12 juillet 2010 et à celle du 26 octobre 2016 sur la gestion des créances.

Cependant, il doit être rappelé qu'en sa qualité de fondée de pouvoir de l'agent comptable Mme [O] était l'adjoint de ce dernier et bénéficiait d'une délégation conforme aux dispositions de l'article D. 253-13 du code de la sécurité sociale aux termes duquel: 'après avoir été installé, l'agent comptable doit, sous sa responsabilité, se faire suppléer pour tout ou partie de ses attributions, par un ou plusieurs fondés de pouvoir agréés par le conseil d'administration, munis d'une procuration régulière'.

Cette délégation (pièce N° 27 de l'employeur), précisait qu'en sa qualité de première fondée de pouvoir, il lui revenait notamment de 'faire d'une manière générale ce qui est nécessaire au bon fonctionnement de la Direction de l'Agence Comptable'.

La définition du poste de fondé de pouvoir de l'agent comptable telle qu'elle est présentée sur le site de l'école nationale supérieure de sécurité sociale, précise que l'une des constantes de ces postes, quelle que soit la taille de l'organisme, est de 'garantir la bonne tenue des comptes et la bonne gestion des fonds publics(...) Pour cela, il contrôle les processus de l'organisme liés à l'enregistrement et au traitement des données (...) Manager les services de l'Agence comptable (...) Le fondé de pouvoir fixe les objectifs de performance des services, assure le suivi des indicateurs associés, supervise l'activité, accompagne le développement des compétences de ses collaborateurs(...)'.

Est ainsi démontré que la salariée bénéficiait d'un haut niveau de responsabilités, notamment s'agissant de la mise en oeuvre de processus conformes aux règles dont elle ne prétend pas ignorer l'existence.

Indépendamment du fait que l'agent comptable dont elle était délégataire était son supérieur hiérarchique, il doit être relevé qu'en sa qualité de fondée de pouvoirs, la salariée demeurait elle même responsable des dysfonctionnements dont elle ne conteste pas qu'ils résultent pour partie de processus qu'elle avait elle même mis en place (pool d'agents recrutés pour procéder à des relances téléphoniques et terminaux de paiement mis à leur disposition pour procéder aux encaissements), le tout ayant abouti à reculer artificiellement, au mépris de règles édictées en la matière et non contestées par la salariée, des dates de prescriptions de créances détenues par la caisse du Val de Marne.

De plus, l'employeur démontre que Mme [O] a elle même procédé en 2015 et 2016, à l'inscription de 'faux PRECRE' comme le révèle le listing versé en pièces N° 7.

L'audit mené en janvier 2018 souligne qu'une problématique identique de recul artificiel de prescriptions de créances a été pointée en 2012, puis de nouveau en 2015, et a donné lieu à l'émission de préconisations qui n'ont pas été respectées par le service de l'agent comptable dont Mme [O] était la fondée de pouvoirs, et dont il vient d'être rappelé qu'en cette qualité il lui revenait de mettre en oeuvre des processus respectant les dispositions réglementaires précitées.

Si, comme elle le soutient, ces pratiques étaient le fruit de décisions de l'Agent comptable, cela ne la dédouane pas de sa propre responsabilité dès lors qu'est établie la part active qu'elle a prise pour faire des 'PRECRE' une pratique habituelle, ayant, comme elle le rappelle elle même, recruté des agents pour en généraliser la pratique dans le cadre d'une équipe dont l'audit précité souligne l'incapacité à vérifier les règles de prescription applicables aux créances concernées.

De plus s'il peut être fait grief à l'agent comptable d'un manque de vérification et de contrôle d'une action menée par la première de ses fondées de pouvoirs, ce que relève les membres du conseil d'administration lors de sa réunion du 26 juin 2018 (pièce N° 1 de l'employeur), cette circonstance ne peut avoir d'effet sur la responsabilité personnelle de Mme [O].

Il n'est pas contesté que la pratique massive des PRECRE a eu pour conséquence la production de comptes non sincères, la commission d'examen des comptes ayant émis de ce fait un avis de non approbation suite au refus de validation des comptes par la Caisse Nationale des allocations familiales, une observation cotée D sur le traitement et la gestion des créances prescrites ayant été émise par l'agent comptable de cet organisme. (Pièce N° 1 de l'employeur).

L'ensemble de ces éléments caractérise un comportement fautif justifiant le licenciement disciplinaire de Mme [O].

Les faits reprochés s'analysent en une faute grave dès lors qu'en sa qualité de fondée de pouvoirs de l'agent comptable occupant en tant que telle l'un des postes les plus élevés dans la hiérarchie, elle se devait en tant que telle, de veiller à la sincérité des comptes de l'organisme qui l'employait et dont la mission de service public impliquait la gestion de fonds publics.

Ainsi le jugement entrepris doit-il être infirmé et Mme [O] déboutée de l'ensemble de ses demandes.

II- sur les autres demandes,

En raison des circonstances de l'espèce, malgré l'issue du litige il n'est pas inéquitable de laisser à chacune des parties la charge de ses propres frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

INFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

REJETTE l'ensemble des demandes formées par Mme [O],

LAISSE à chacune des partis la charge de ses propres frais irrépétibles exposés en première instance et en cause d'appel,

CONDAMNE madame [O] aux dépens de première instance et d'appel.

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 8
Numéro d'arrêt : 20/00241
Date de la décision : 06/07/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-07-06;20.00241 ?
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