Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 3 - Chambre 1
ARRET DU 28 JUIN 2023
(n° 2023/ , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/07613 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CFU6B
Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 22 Mars 2022 - Juge de la mise en état de PARIS - RG n° 21/37522
APPELANTE
Madame [X], [M], [J] [N] [W]
née le 06 Mars 1961 à [Localité 1] (92)
[Adresse 5]
[Localité 4]
représentée par Me Maryline LUGOSI de la SELARL Selarl MOREAU GERVAIS GUILLOU VERNADE SIMON LUGOSI, avocat au barreau de PARIS, toque : P0073
INTIME
Monsieur [Z] [Y]
né le 28 Septembre 1942 à [Localité 2] (MAROC)
[Adresse 6]
[Localité 3] (MAROC)
représenté et plaidant par Me Jean-Loup NITOT, avocat au barreau de PARIS, toque : L0208
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 905 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 17 Mai 2023, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Patricia GRASSO, Président, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme Patricia GRASSO, Président
Mme Sophie RODRIGUES, Conseiller
Mme Isabelle PAULMIER-CAYOL, Conseiller
Greffier lors des débats : Mme Emilie POMPON
ARRÊT :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Mme Patricia GRASSO, Président, et par Mme Emilie POMPON, Greffier.
***
EXPOSE DU LITIGE :
Mme [X] [N] [W] et M. [Z] [Y] se sont mariés le 10 mai 2002 devant l'officier d'état civil de la commune de [Localité 3] (Maroc).
Suivant contrat de mariage reçu le 6 mars 2002 par Maître [P] [R], notaire à [Localité 4], les époux ont opté pour le régime de séparation de biens.
De leur union est issu un enfant :
-[O], née le 7 février 2004 à [Localité 4].
Par jugement du 4 février 2021, le divorce des époux a été prononcé et il a été statué sur les mesures relatives à l'exercice de l'autorité parentale.
Ce même jugement a débouté M. [Z] [Y] de sa demande reconventionnelle aux termes de laquelle il se prétendait créancier de Mme [X] [N] [W] pour avoir financé les travaux sur le bien situé [Adresse 5], [Localité 4] appartenant personnellement à Mme [X] [N] [W] et sollicitait la condamnation de celle-ci au paiement de la somme de 191 125,90 euros, renvoyant les parties à procéder aux opérations de compte, liquidation et partage de leur intérêts matrimoniaux.
Les parties n'ont pas interjeté appel concernant les dispositions du jugement du 4 février 2021 portant sur la demande en paiement de la somme de 191 125,90 euros de sorte qu'elles sont devenues définitives.
Par acte d'huissier en date du 20 juillet 2021, M. [Z] [Y] a fait assigner Mme [X] [N] [W] devant le juge aux affaires familiales du tribunal judiciaire de Paris aux fins de voir cette dernière condamnée à lui payer la somme de 191 125,90 euros avec les intérêts du jour de la demande outre 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens et a sollicité que soit ordonnée l'exécution provisoire.
Par ordonnance du 22 mars 2022, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris a statué dans les termes suivants :
-rejette l'ensemble des fins de non recevoir soulevées par Mme [X] [N] [W],
-déclare recevable la demande en condamnation en paiement formée au fond par M. [Z] [Y],
-ordonne l'exécution provisoire de la présente décision,
-condamne Mme [X] [N] [W] à verser à M. [Z] [Y] la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
-renvoie l'affaire à l'audience de mise en état du 10 mai 2022 à 14 heures (audience dématérialisée) et invitons les parties à conclure au fond,
-condamne Mme [N] [W] aux dépens.
Mme [X] [N] [W] a interjeté appel de cette ordonnance par déclaration du 13 avril 2022.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 14 avril 2023, Mme [X] [N] [W], appelante, demande à la cour de :
-dire et juger recevable et fondée Mme [X] [N] [W] en son appel,
-infirmer l'ordonnance du juge de la mise en état du 22 mars 2022 en toutes ses dispositions,
en conséquence,
-dire et juger irrecevable M. [Z] [Y] en ses demandes,
-débouter M. [Z] [Y] de sa demande tendant à voir déclarer irrecevable et mal fondée Mme [X] [N] [W] en son appel,
-condamner Monsieur [Z] [Y] au paiement de la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
-condamner Monsieur [Z] [Y] aux entiers dépens de l'incident de première instance et d'appel dont distraction au profit de Me Maryline Lugosi, avocat, en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 2 mai 2023, M. [Z] [Y], intimé, demande à la cour de :
-déclarer Mme [X] [N] [W] tant irrecevable que mal fondée en son appel et le rejeter,
-confirmer au visa des articles 214 et 1479 alinéa 1er du code civil, l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a jugé M. [Z] [Y] recevable en son action en remboursement,
-déclarer irrecevables en preuve les prétendus témoignages communiqués par Mme [X] [N] [W] en cause d'appel, (pièces 11,12,13,14) insusceptibles de preuve contraire,
-condamner Mme [X] [N] [W] à payer à M. [Z] [Y] 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Pour un plus ample exposé des moyens développés par les parties au soutien de leurs prétentions, il sera renvoyé à leurs écritures susvisées conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 9 mai 2023.
L'affaire a été appelée à l'audience du 17 mai 2023.
MOTIFS DE LA DECISION
Par jugement en date du 4 février 2021, le divorce des époux [Y] a été prononcé et la résidence de l'enfant fixée au domicile de la mère.
Ce même jugement déboutait Monsieur [Z] [Y] de sa demande reconventionnelle aux termes de laquelle, se prétendant créancier de son épouse pour avoir financé les travaux sur le bien, sis à [Adresse 5], il sollicitait la condamnation de Madame [X] [N] [W] au paiement de la somme de 191.125,90€.
Pour débouter Monsieur [Z] [Y] de cette demande reconventionnelle, le tribunal dans son jugement du 4 février 2021 retient :
« Il convient de rappeler qu'en application de l'article 267 du code civil, le juge du divorce statue sur les demandes de liquidation et de partage des intérêts patrimoniaux dans les conditions fixées aux articles 1361 à 1378 du code de procédure civile, s'il est justifié par tous moyens des désaccords subsistant entre les parties, notamment en produisant une déclaration commune d'acceptation d'un partage judiciaire, indiquant les points de désaccord entre les époux, ou encore le projet établi par le notaire désigné sur le fondement du 10° de l'article 255.
Selon l'article 1116 du code de procédure civile, les demandes visées au deuxième alinéa de l'article 267 du code civil ne sont recevables que si les parties justifient par tous moyens de leurs désaccords subsistants et si cette justification intervient au moment de l'introduction de l'instance.
Or, en l'espèce, les parties ne justifient par aucun élément de leurs désaccords subsistants. En conséquence, Monsieur [Y] sera débouté de sa demande de restitution de la somme de 191.125,90 euros au titre du solde des frais avancés, et sera renvoyé aux opérations de liquidation de son régime matrimonial. »
A réception du jugement, Monsieur [Z] [Y] a dans le même temps :
-1/ interjeté appel dudit jugement limitant son appel aux conséquences financières relatives à la pension alimentaire pour l'enfant du couple : cette procédure est instruite devant la Chambre 3-2 de la cour d'appel sous le numéro RG : 21/05062.
- 2/ saisi le juge aux affaires familiales de la demande tendant à voir condamner Madame
[X] [N] [W] au paiement de la somme de 191.125,90€ au titre du remboursement d'un prêt consenti à son épouse pour la réalisation de travaux sur le bien appartenant en propre à celle-ci sis [Adresse 5] à [Localité 4] où elle demeure aujourd'hui.
Madame [X] [N] [W] a saisi le juge de la mise en état d'un incident tendant à voir déclarer la demande irrecevable aux motifs qu'il s'agit d'une demande isolée au titre d'une prétendue créance alors que les parties ont été renvoyées aux opérations de liquidation de leur régime matrimonial, qu'elle est contraire à la volonté des parties telle qu'exprimée dans les clauses de leur contrat de mariage.
Le juge de la mise en état a rejeté la fin de non recevoir aux motifs que, quand bien même un appel a été formé contre la décision du 4 février 2021, les dispositions relatives à la liquidation du régime matrimonial et au paiement de la somme de 191 125,90€ sont devenues définitives de sorte que M. [Y] est recevable à agir contre Madame [N] [W] en paiement et que les dépenses effectuées sur le bien ne constituaient pas des charges du mariage du fait de l'absence de destination familiale du bien, les clauses du contrat de mariage ne trouvant pas dès lors à s'appliquer.
A l'appui de son appel, Madame [N] [W] fait valoir que lorsqu'une décision de divorce définitive a ordonné la liquidation des intérêts pécuniaires des époux, cette liquidation englobe tous les rapports pécuniaires existant entre les parties, en ce compris une éventuelle créance entre les époux de sorte qu'un époux ne peut faire valoir sa créance que dans le cadre de cette liquidation, sans pouvoir en poursuivre le paiement isolé et qu'une telle demande est irrecevable.
Elle se prévaut par ailleurs de la clause 3 du contrat de mariage posant une présomption irréfragable de contribution aux charges du mariage interdisant tout recours entre les parties et soutient que son bien était bien destiné à l'usage de la famille.
Monsieur [Y] répond que la clause du contrat de mariage n'est qu'une clause de style et qu'il est parfaitement recevable à contester la présomption tenant à ce que les règlements effectués seraient réputés avoir été faits à titre de contribution aux charges du mariage, parce qu'en l'espèce ils excèdent ses facultés financières courantes, ainsi que les dépenses familiales quotidiennes et n'ont pu être réalisés que grâce au capital qu'il a reçu pour la vente de son bien propre, la villa des palmiers, le 12 août 2010 pour environ 1 million d'€ ; qu'il a prêté des fonds à son épouse qui ne lui en a remboursé qu'une partie.
Il se prévaut de dispositions de l'article 1479 du code civil.
Les parties ne se sont pas opposées à ce que le juge de la mise en état statue sur la fin de non-recevoir qui nécessite que soit tranchée au préalable une question de fond.
Le juge de la mise en état a considéré que M. [Y] sollicite à titre principal le remboursement d'un prêt fait à Mme [N] [W] durant leur union ce qui doit s'analyser comme une demande de créance entre époux tendant à une condamnation en paiement et que le règlement des créances entre époux séparés de biens est indépendant des opérations de partage liées à la liquidation du régime matrimonial et que par ailleurs, Mme [N] [W] ne fait pas état de l'existence d'une indivision et de la nécessité de procéder à des opérations de partage.
En matière de divorce contentieux, lorsqu'une décision de divorce passée en force de chose jugée a ordonné la liquidation des intérêts pécuniaires des époux, cette liquidation englobe alors tous les rapports pécuniaires existant entre les parties. Un époux ne peut faire valoir sa créance que dans le cadre de cette liquidation sans pouvoir en poursuivre le paiement isolé et la liquidation des intérêts patrimoniaux des époux séparés de biens doit donc, en pareil cas, s'insérer obligatoirement dans le cadre des opérations de liquidation partage ordonnées par le tribunal.
Si le jugement qui prononce le divorce ordonne habituellement la liquidation et le partage du régime matrimonial des époux et commet un notaire pour y procéder, en l'espèce, le jugement de divorce renvoie les parties à procéder aux opérations de compte, liquidation et partage de leur intérêts matrimoniaux et, en cas de litige, à saisir le juge aux affaires familiales.
Le jugement, contrairement à ce que soutient l'appelante, n'a donc pas ordonné l'ouverture d'un partage judiciaire mais renvoyé les parties à procéder à l'amiable et n'a pas statué au fond sur la demande en paiement.
Il résulte de l'article 1543 du code civil que les règles de l'article 1479 sont applicables aux créances que l'un des époux peut avoir à exercer contre l'autre et de l'article 1479 du même code que les créances personnelles que les époux ont à exercer l'un contre l'autre ne donnent pas lieu à prélèvement et ne portent intérêt que du jour de la sommation et que sauf convention contraire des parties, elles sont évaluées selon les règles de l'article 1469 troisième alinéa, dans les cas prévus par celui-ci ; les intérêts courent alors du jour de la liquidation.
Par suite, le règlement des créances entre époux séparés de biens ne constitue pas une opération de partage et la créance de l'ex-mari à l'encontre de son ex-épouse au titre des deniers ayant servi au financement de l'acquisition des immeubles personnels à celle-ci peut être liquidée et l'ex-épouse condamnée au paiement des sommes dont elle est débitrice envers son conjoint et peu importe que les opérations de partage n'aient pas commencé et ce d'autant qu'il n'est justifié de l'existence d'aucune indivision entre les ex-époux.
Le premier moyen d'irrecevabilité exposé par Madame [N] [W] pour absence de mise en 'uvre des opérations de liquidation et partage des intérêts patrimoniaux des ex-époux est donc écarté.
Il n'est pas contesté que l'immeuble dans lequel les travaux que M. [Z] [Y] prétend avoir supportés est un bien acquis par Mme [N] [W] seule de sorte qu'il s'agit d'un bien personnel à cette dernière et que des versements de sommes d'argent ont été effectués par M. [Y] sur le compte bancaire de Mme [N] [W] pour régler des travaux.
L'article 3 du contrat de mariage prévoit: « Les futurs époux contribueront aux charges du mariage en proportion de leurs facultés respectives conformément aux dispositions des articles 214 et 1537 du Code civil.
Chacun d'eux sera réputé avoir fourni au jour le jour sa part contributive, en sorte qu'aucun compte ne sera fait entre eux à ce sujet et qu'ils n'auront pas de recours l'un contre l'autre pour les dépenses de cette nature. »
Selon l'appelante, la présomption de contribution aux charges du mariage apportée par cette clause est irréfragable alors que selon l'intimé, il peut contester cette présomption dès lors que les règlements qu'il a effectués ont excédé ses facultés contributives.
Cependant et en tout état de cause, M. [Y] a contribué au financement des travaux grâce au capital d'environ 1 million d'€, perçu lors de la vente de sa villa de [Localité 3], et sauf convention contraire des époux, l'apport en capital de fonds personnels, réalisé par un époux séparé de biens pour financer l'amélioration d'un bien personnel appartenant à l'autre, même affecté à l'usage familial, ne participe pas de l'exécution de son obligation de contribuer aux charges du mariage.
Il est d'ailleurs relevé que Mme [N] [W] a partiellement remboursé les fonds prêtés par M . [Y] et s'est engagée à rembourser le solde au plus vite.
La clause contractuelle ne trouve donc pas à s'appliquer et le second moyen d'irrecevabilité exposé par Madame [N] [W] est donc écarté.
Il y a donc lieu de confirmer l'ordonnance entreprise .
Sur les demandes accessoires
L'équité commande de faire droit à la demande de l'intimé présentée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ; l'appelante est condamnée à lui verser à ce titre la somme visée au dispositif de la présente décision.
Partie perdante, l'appelante ne saurait prétendre à l'allocation de frais irrépétibles et doit supporter les dépens.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Statuant publiquement par décision contradictoire et en dernier ressort,
Confirme l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions ;
Condamne Madame [X] [N] [W] à payer à M. [Z] [Y] une indemnité de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne Madame [X] [N] [W] aux dépens de l'appel.
Le Greffier, Le Président,