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25/05/2023 | FRANCE | N°18/00671

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 8, 25 mai 2023, 18/00671


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 8



ARRET DU 25 MAI 2023



(n° , 15 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/00671 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B4ZZV



Décision déférée à la Cour : Jugement du 17 Novembre 2017 -Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de PARIS - RG n° 15/04094





APPELANTE



SCM CENTRE IENA VISION (appelante dans le RG 18/00671

et intimée dans le RG 18/00677 ayant fait l'objet d'une jonction)

[Adresse 3]

[Localité 4]



Représentée par Me Paméla AZOULAY, avocat au barreau de SEINE-SAINT-DENIS, t...

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 8

ARRET DU 25 MAI 2023

(n° , 15 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/00671 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B4ZZV

Décision déférée à la Cour : Jugement du 17 Novembre 2017 -Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de PARIS - RG n° 15/04094

APPELANTE

SCM CENTRE IENA VISION (appelante dans le RG 18/00671 et intimée dans le RG 18/00677 ayant fait l'objet d'une jonction)

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représentée par Me Paméla AZOULAY, avocat au barreau de SEINE-SAINT-DENIS, toque : 196

INTIMÉS

Monsieur [U] [K] (intimé dans le RG 18/00671 et appelant dans le RG 18/00677 ayant fait l'objet d'une jonction)

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représenté par Me Isabelle SAMAMA-SAMUEL, avocat au barreau de SEINE-SAINT-DENIS, toque : BOB196

Madame [N] [R] (intimé dans le RG 18/00671 et le RG 18/00677 ayant fait l'objet d'une jonction)

[Adresse 2]

[Localité 6]

Représentée par Me Jacques BELLICHACH, avocat au barreau de PARIS, toque : G0334

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 30 Mars 2023, en audience publique, les avocats ne s'étant pas opposés à la composition non collégiale de la formation, devant Madame Nathalie FRENOY, Présidente, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Madame Nathalie FRENOY, présidente

Madame Nicolette GUILLAUME, présidente

Madame Emmanuelle DEMAZIERE, vice-présidente placée

Greffier, lors des débats : Mme Nolwenn CADIOU

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- signé par Madame Nathalie FRENOY, présidente et par Madame Nolwenn CADIOU, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

Madame [N] [R] a été engagée par Monsieur [U] [K], ophtalmologiste, sans contrat écrit, à compter du 16 février 2009 en qualité d'assistante.

Elle a été victime d'un accident de travail et son contrat de travail a été suspendu du 2 décembre 2010 au 28 février 2011.

Le 1er septembre 2011, la société SCM Centre Iéna Vision, créée par le Dr [K], a engagé Madame [R] par contrat à durée indéterminée en qualité de directrice administrative, statut cadre de la convention collective des cabinets médicaux.

A la lecture des bulletins de salaire produits, son temps de travail a été partagé à concurrence de 70% pour le Centre Iéna Vision et de 30% pour le Dr [K].

Madame [R] a placée en arrêt maladie du 27 janvier 2012 au 14 mars 2014.

Souhaitant obtenir la résiliation judiciaire de son contrat de travail, elle a saisi le 12 décembre 2012 le conseil de prud'hommes de Paris.

Le 8 avril 2014, le médecin du travail a constaté son inaptitude à son poste de travail au sein du Centre Iéna Vision.

Madame [R] a été convoquée à un entretien préalable fixé au 28 juillet 2014.

Par courrier du 31 juillet 2014, la société Centre Iéna Vision lui a notifié son licenciement pour inaptitude.

Le 4 septembre 2014, le médecin du travail l'a déclarée inapte à son poste de travail en qualité d'assistante de Monsieur [K].

Par courrier du 29 septembre 2014, elle a été convoquée à un entretien préalable fixé au 6 octobre suivant.

Par courrier du 9 octobre 2014, Madame [R] a été licenciée pour inaptitude et refus de la proposition de reclassement.

Par jugement du 17 novembre 2017, le conseil de prud'hommes de Paris a :

-ordonné la jonction des procédures enrôlées sous les numéros de RG 15/04094 et 15/04906,

-débouté Madame [R] de ses demandes au titre des heures supplémentaires et de toutes les demandes qui en découlent,

-débouté Madame [R] de ses demandes de rappel de salaires au titre de la reprise d'ancienneté,

-prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail liant Madame [R] à Monsieur [K],

-dit que cette résiliation prend effet à compter du 9 octobre 2014,

-dit que cette résiliation produit les effets d'un licenciement nul,

-prononcé la résiliation judiciaire du contrat liant Madame [R] à la SCM Centre Iéna Vision,

-dit que cette résiliation prend effet à compter du 31 juillet 2014,

-dit que la résiliation produit les effets d'un licenciement nul,

-débouté Madame [R] de sa demande au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés,

-condamné Monsieur [K] à payer à Madame [R] les sommes de':

-3 118,22 euros au titre du rappel de salaires sur la période de mars à septembre 2014,

-3 474,60 euros au titre de l'indemnité de préavis (3 mois selon l'article 25 de la convocation collective applicable),

-347,46 euros au titre des congés payés y afférents,

-436 euros au titre du reliquat de l'indemnité légale de licenciement,

-10 000 euros de dommages et intérêts pour licenciement nul,

-condamné la SCM Centre Iéna Vision à payer à Madame [R] les sommes de:

-8 154 euros au titre de l'indemnité de préavis,

-815,40 euros au titre des congés payés y afférents,

-1 087,20 euros au titre du reliquat de l'indemnité légale de licenciement,

-20 000 euros de dommages et intérêts pour licenciement nul,

-dit qu'il y a lieu de déduire du montant de ces condamnations la somme de 1 337,26 euros déjà versée par la SCM Centre Iéna Vision,

-dit que les condamnations à caractère salarial porteront intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de la convocation en bureau de conciliation et celles à caractère indemnitaire, à compter de la présente décision,

-ordonné la remise d'une attestation Pôle Emploi, d'un certificat de travail, et du solde de tout compte conformes à la décision, et ce dans le délai d'un mois à compter de sa notification, sous astreinte de 10 euros par jour de retard et par document pendant 60 jours,

-débouté la SCM Centre Iéna Vision de sa demande reconventionnelle au titre du trop perçu de congés payés,

-ordonné l'exécution provisoire,

-condamné Monsieur [K] à payer à Madame [R] la somme de 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

-condamné la SCM Centre Iéna Vision à payer à Madame [R] la somme de 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

-condamné Monsieur [K] et la SCM Centre Iéna Vision aux entiers dépens.

Par déclaration du 18 décembre 2017, la société Centre Iéna Vision et Monsieur [K] ont interjeté appel de ce jugement.

Par ordonnance du 23 octobre 2018, le conseiller de la mise en état a procédé à la jonction des dossiers numérotés au RG : 18/00671 et 18/00677.

Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 13 mars 2023, la société Centre Iéna Vision demande à la cour :

-de juger irrecevables toutes les conclusions régularisées par Madame [R] à l'égard de la SCM Centre Iéna Vision en application de l'arrêt rendu le 24 novembre 2021,

-de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

*débouté Madame [N] [R] de ses demandes au titre des heures supplémentaires et de toutes les demandes qui en découlent,

*débouté Madame [N] [R] de ses demandes de rappel de salaires au titre de la reprise d'ancienneté,

*débouté Madame [N] [R] de sa demande au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés,

-d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a':

*prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail liant Madame [N] [R] à la SCM Centre Iéna Vision,

*dit que cette résiliation prend effet à compter du 31 juillet 2014,

*dit que la résiliation produit les effets d'un licenciement nul,

*condamné la SCM Centre Iéna Vision à payer Madame [N] [R] les sommes de :

-8 154 euros au titre de l'indemnité de préavis,

-815,40 euros au titre des congés payés y afférents,

-1 087,20 euros au titre du reliquat de l'indemnité légale de licenciement,

-20 000 euros de dommages et intérêts pour licenciement nul,

*dit qu'il y a lieu de déduire du montant de ces condamnations la somme de 1 337,26 euros déjà versée par la société SCM Centre Iéna Vision,

*dit que les condamnations à caractère salarial porteront intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de la convocation en bureau de conciliation et celles à caractère indemnitaire, à compter de la décision,

*ordonné la remise d'une attestation Pôle Emploi, d'un certificat de travail et du solde de tout compte conforme à la décision, et ce dans le délai d'un mois à compter de sa notification, sous astreinte de 10 euros par jour de retard et par document pendant 60 jours,

*débouté la SCM Centre Iéna Vision de sa demande reconventionnelle au titre du trop-perçu de congés payés,

*condamné la SCM Centre Iéna Vision à payer à Madame [N] [R] la somme de 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

statuant à nouveau,

-de juger que la SCM Centre Iéna Vision n'a pas manqué à ses obligations contractuelles,

-de juger que Madame [R] n'a pas subi de faits de harcèlement moral,

-de débouter Madame [R] de sa demande de résiliation judiciaire et de l'ensemble de ses demandes financières et administratives en découlant,

-de juger le licenciement pour inaptitude de Madame [R] régulier et bien fondé,

-de condamner Madame [R] à restituer à la SCM Centre Iéna Vision la somme de 940 euros au titre du trop-perçu de congés payés,

à titre subsidiaire, si la Cour devait confirmer la résiliation judiciaire du contrat de travail liant Madame [R] au Centre Iéna Vision :

-de ramener à de plus justes proportions le montant des condamnations prononcées,

en tout état de cause,

-de débouter Madame [R] de l'ensemble de ses demandes,

-de condamner Madame [R] au paiement d'une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 13 mars 2023, Monsieur [K] demande à la cour :

-d'infirmer le jugement en ce qu'il a prononcé la résiliation du contrat de Madame [R] et en ce qu'elle a dit que cette résiliation produisait les effets d'un licenciement nul,

statuant à nouveau,

-de débouter Madame [R] de sa demande de résiliation judiciaire,

-de constater que le licenciement pour inaptitude de Madame [R] est régulier et bien fondé,

en conséquence :

-de déclarer Madame [R] irrecevable ou mal fondée en l'ensemble de ses demandes,

-de la débouter de l'ensemble de ses demandes à toutes fins qu'elles procèdent,

-de déclarer irrecevable l'appel incident de Madame [R],

à titre subsidiaire

-de confirmer le jugement du conseil en ce qu'il a débouté Madame [R] de ses demandes,

-de débouter Madame [R] de l'intégralité de ses demandes formant appel incident,

-de condamner Madame [R] au règlement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 2 octobre 2020, Madame [R] demande à la cour :

-de confirmer la décision du conseil de prud'hommes en date du 17 novembre 2017 en ce qu'elle a :

*ordonné la jonction des procédures enrôlées sous les numéros RG 15/04094 et 15/04096,

*prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail liant Madame [N] [R] à Monsieur [U] [K],

*dit que cette résiliation prend effet à compter du 9 octobre 2014,

*dit que la résiliation produit les effets d'un licenciement nul,

*prononcé la résiliation judiciaire du contrat liant Madame [R] à la SCM Centre Iéna Vision,

*dit que cette résiliation prend effet à compter du 31 juillet 2014,

*dit que la résiliation produit les effets d'un licenciement nul,

*condamné le Docteur [K] à payer à Madame [R] la somme de 3 118,22 euros au titre de rappel de salaire sur la période de mars à septembre 2014,

*dit que les condamnations à caractère salarial porteront intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de la convocation en bureau de conciliation, et celles à caractère indemnitaire à compter de la décision de première instance,

*ordonné la remise d'une attestation Pôle Emploi, d'un certificat de travail, du solde de tout compte, conformes à la présente décision, et ce dans le délai d'un mois à compter de sa notification, sous astreinte de 10 euros par jour de retard et par document pendant 60 jours,

*débouté la SCM Centre Iéna Vision de sa demande reconventionnelle au titre du trop-perçu de congés payés,

*condamné le Docteur [K] à payer la somme de 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

*condamné la SCM Centre Iéna Vision à payer la somme de 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

*condamné le Docteur [K] et le Centre Iéna Vision aux entiers dépens,

-d'infirmer le jugement de première instance pour le surplus,

et statuant à nouveau,

-de condamner le Docteur [K] à régler à Madame [R] les sommes suivantes :

-5 216,58 euros bruts à titre de rappel de prime d'ancienneté,

-3761,88 euros bruts à titre de rappel de salaire sur les heures supplémentaires,

-376 euros bruts au titre des congés payés sur rappel d'heures supplémentaires,

-7 434 euros d'indemnité pour travail dissimulé,

-2 000 euros à titre d'indemnité du préjudice moral consécutif au non respect de la durée maximale de travail,

-conséquence de la rupture abusive du contrat de travail :

-662 euros bruts de reliquat d'indemnité légale de licenciement,

-4 956,24 euros bruts d'indemnité de préavis,

-495,60 euros bruts de congés payés sur préavis,

-14 868 euros de dommages et intérêts pour licenciement nul,

-de condamner le Docteur [K] à remettre à Madame [R] les bulletins de salaire modifiés, avec suppression des indemnités Vauban, pour les mois de janvier 2013, mai 2012, août 2012, octobre 2012, novembre 2012 et mai 2013,

-de condamner la SCM Centre Iéna Vision à régler à Madame [R] les sommes suivantes :

-5 368,77 euros brut de rappel de prime d'ancienneté,

-3 761,88 euros brut de rappel de salaire sur les heures supplémentaires,

-376 euros brut de congés payés sur rappels d'heures supplémentaires,

-17 436 euros d'indemnité pour travail dissimulé,

-2 000 euros d'indemnisation du préjudice moral consécutif au non-respect de la durée maximale de travail,

-conséquence de la rupture abusive du contrat de travail :

-3 024,84 euros brut de reliquat d'indemnité légale de licenciement,

-11 632,24 euros brut d'indemnité de préavis,

-1 163 euros brut de congés payés sur préavis,

-3 501,42 euros de reliquat indemnité de congés payés,

-34 896 euros de dommages-intérêts pour licenciement nul,

-de condamner solidairement le Docteur [K] et la SCM Centre Iéna Vision à régler à Madame [R] les sommes :

-3 761,88 euros bruts de rappel de salaire sur les heures supplémentaires,

-376 euros bruts de congés payés sur rappel d'heures supplémentaires,

-17 436 euros d'indemnité pour travail dissimulé,

-2 000 euros d'indemnisation du préjudice moral consécutif au non respect de la durée maximale de travail,

-de condamner solidairement le Docteur [K] et la SCM Centre Iéna Vision à régler à Madame [R] la somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 14 mars 2023 et l'audience de plaidoiries a été fixée au 30 mars 2023.

Il convient de se reporter aux énonciations de la décision déférée pour plus ample exposé des faits et de la procédure antérieure, ainsi qu'aux conclusions susvisées pour l'exposé des moyens des parties devant la cour.

MOTIFS DE L'ARRET

Sur l'irrecevabilité des conclusions et pièces de l'intimée:

Comme l'invoque à juste titre le Centre Iéna Vision, la cour d'appel de Paris (Pôle 6 chambre 1) a, par arrêt du 24 novembre 2021, déclaré irrecevables les conclusions et pièces de Madame [R] à l'égard de la SCM Centre Iéna Vision.

Madame [R] est donc réputée ne pas avoir conclu à l'encontre de la SCM Centre Iéna Vision, et s'approprier les motifs du jugement entrepris à son sujet.

Selon l'article 472 du code de procédure civile, si le défendeur ne comparaît pas, il est néanmoins statué sur le fond.

Le juge ne fait droit à la demande que dans la mesure où il l'estime régulière, recevable et bien fondée.

Ce principe doit être appliqué à l'intimé qui, en cause d'appel, est assimilé au défendeur, évoqué par l'article 472.

La cour examinera par conséquent, au vu des prétentions et moyens d'appel de la SCM Centre Iéna Vision, la pertinence des motifs par lesquels le conseil de prud'hommes s'est déterminé au titre des demandes présentées à son encontre.

Sur la résiliation judiciaire du contrat de travail:

Les appelants contestent la décision de première instance qui a prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail de Madame [R], respectivement avec chacun d'eux.

Il est de principe qu'en cas d'action en résiliation judiciaire suivie, avant qu'il ait été définitivement statué, d'un licenciement, il appartient au juge d'abord de rechercher si la demande de résiliation judiciaire était justifiée et seulement ensuite le cas échéant de se prononcer sur le licenciement notifié par l'employeur.

Le salarié est admis à demander la résiliation judiciaire du contrat de travail en cas d'inexécution par l'employeur des obligations découlant du contrat.

Les manquements de l'employeur susceptibles de justifier la résiliation judiciaire à ses torts doivent être établis par le salarié et d'une gravité suffisante pour empêcher la poursuite du contrat de travail.

La gravité des faits reprochés s'apprécie non à la date d'introduction de la demande de résiliation judiciaire mais en fonction de leur persistance jusqu'au jour du licenciement.

Madame [R] invoque au soutien de la résiliation judiciaire de son contrat de travail un harcèlement moral, le non-paiement des primes d'ancienneté, des retards répétés dans le versement de son salaire, l'absence de visite médicale de reprise à l'issue de son accident de travail et de son arrêt pour longue maladie.

Sur le harcèlement moral :

La société Centre Iéna Vision et Monsieur [K] réfutent tout harcèlement moral.

Madame [R] invoque avoir subi un harcèlement moral ; elle souligne qu'ayant été débauchée d'un précédent emploi par Monsieur [K] qui avait accepté son éloignement géographique, ce dernier l'a surchargée de tâches au motif qu'il ne pouvait contrôler son travail, sans mettre en place de solutions pour vérifier son amplitude de travail et garantir la préservation de sa santé, la culpabilisant de travailler depuis son domicile à [Localité 6]. Elle affirme avoir dû se rendre à [Localité 7] deux à trois jours par semaine, travaillant au domicile de son employeur avant la création du Centre Iéna Vision, s'occupant des tâches administratives, de la logistique du cabinet médical mais également des projets personnels de son employeur qui n'hésitait pas à lui demander d'exécuter des prestations purement médicales comme le calibrage d'implants oculaires, occasionnant chez elle un grand stress puisqu'elle n'avait pas la formation requise. Elle se plaint également de l'attitude tyrannique, de l'intransigeance de son employeur sur les tâches à mener à bien, malgré leur grand nombre, de ses demandes de comptes rendus écrits de 20 à 30 lignes tous les matins et tous les soirs, des sollicitations constantes qu'elle recevait par courriels ou par téléphone à toute heure, les week-ends et même pendant ses arrêts maladie.

Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

En vertu de l'article L. 1154-1 du code du travail dans sa version applicable au litige, lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En ce qui concerne la relation de travail avec le Docteur [K] :

Madame [R] verse aux débats un agenda professionnel listant ses déplacements à [Localité 7] et montrant sa présence irrégulière sur son lieu de travail, le plus souvent deux jours par semaine, parfois moins, parfois plus, presque toutes les semaines jusqu'en juin 2011, puis de façon plus intermittente ensuite ; cependant, le sms (sms adressé à Monsieur [K], non daté et faisant état de son arrivée 'chez toi') et le message électronique (en date du 15 juillet 2009) qu'elle produit ne sauraient établir une prestation de travail - sauf ponctuelle - au domicile de l'employeur.

En revanche, la salariée verse aux débats différents courriels - dont certains à des horaires non ouvrés habituellement - contenant la liste de ses attributions pour la journée ou la semaine, liste généralement longue et correspondant globalement aux attributions qui avaient été définies dans un contrat de travail qui n'a jamais été signé par la salariée, à savoir 'l'encadrement de l'organisation des activités médicales et scientifiques du Docteur [K]' comprenant l'analyse de l'activité, des coûts de structure et de fonctionnement, la gestion des relations avec les patients et correspondants hors consultation, la gestion des ressources humaines de l'équipe du Docteur [K], 'participer au rayonnement professionnel du cabinet d'ophtalmologie de l'[Adresse 5] et des autres sites d'exercice du Docteur [K] ' avec notamment la création et la mise à jour des supports de communication adaptés, la planification et la coordination des actions de communication, la gestion des sites Internet, l'organisation des congrès, l'organisation des actions d'information et de formation, l'organisation de la stratégie de développement de l'activité médicale et scientifique, l'organisation de l'échange d'informations avec le Docteur [K].

Sont produits à titre d'illustrations des nombreuses attributions de la salariée des courriels évoquant l'organisation par elle de réunions de médecins ou colloque ('Le traiteur livrera entre 18 heures et 19 heures pour 70 pers' (mail du 10 décembre 2010)), établissant l'état de la trésorerie et le prévisionnel 2011 (courriel du 17 décembre 2010), faisant état de la gestion de rendez-vous médicaux (courriel en date du 18 janvier 2011), des plannings, des remises de chèques, des rapprochements bancaires, de demande de devis pour la gestion comptable, de l'organisation de la participation du Docteur [K] à des congrès à l'étranger (Rajasthan), de la gestion du site Internet (courriel du 25 janvier 2011), de la rédaction des contrats de travail, mais également de la gestion de projets touchant au patrimoine de son employeur, à savoir la cession de biens immobiliers, l'assurance d'un prêt, l'envoi d'un compromis, la location d'un véhicule 'durant les vacances de Pâques' (cf le courriel du 14 mai 2011) notamment.

La salariée verse aux débats, se plaignant également d'avoir dû effectuer des tâches purement médicales ne relevant pas de ses fonctions et source de stress pour elle, un courriel (du 24 mai 2011) indiquant ' merci de m'avoir appris à calculer les implants je les ai tous calculés pour la semaine prochaine, je bloque sur deux patients'.

Sont versés également des courriels (du 3 mars 2011 par exemple) par lesquels la salariée liste les 'points à traiter ce jour', contenant une vingtaine de rubriques - dont une 'divers-, se conformant ainsi à la directive de son employeur exigeant le compte rendu journalier des choses à faire et des choses faites, outre plusieurs courriels montrant les difficultés de la salariée à se connecter, ou à joindre son employeur par téléphone.

Enfin, sont versés différents courriels du Docteur [K], restant l'employeur de Madame [R] concomitamment avec la SCM Centre Iéna Vision, lui reprochant la qualité de son travail ( cf son courriel du 14 octobre 2011 'Ce n'est pas suffisamment détaillé ni pertinent[']tu ne maîtrises pas ton sujet. Il faut prévoir une formation plus approfondie pour toi'' « je te rappelle que le debriefing de ta journée avec les allocations horaires précises est impératif'Ne pas me rendre compte de ton emploi du temps malgré mes demandes répétées est une faute grave à mon sens » ou « la brochure presbytie est totalement inadaptée, vite faite, mal faite, alors que c'est un projet catégorisé « urgent » depuis plus de 2ans !!! » ( courriel du 8 septembre 2011) ou « tu ne PEUX PAS enchaîner les fautes lourdes les unes après les autres. Tu dois impérativement améliorer ton sens des responsabilités » ( courriel du 23 novembre 2011).

La salariée démontre également qu'il lui a été reproché la commission de fautes graves voire lourdes, mais aussi qu'elle a été destinataire de mails pointant 'un défaut d'organisation de (sa) part ' et ayant constaté la nécessité d'une 'coordination plus rigoureuse du travail en équipe' lui demandant 'de façon répétée et insistante :

' de me joindre par téléphone tous les matins à 8:30 pour faire le point des urgences et priorités à régler dans la journée,

' de m'envoyer par mail un compte rendu de 10 à 20 lignes tous les soirs à 18h30 afin de préciser ce qui a été accompli,

' d'accuser réception de tous les documents et mails qui te parviennent', la sollicitant le 1er février 2012 , concomitamment à sa seconde période d'arrêt de travail par un mail intitulé 'urgent (si ton état de santé le permet)' lui reprochant de ne pas avoir formé les secrétaires 'comme demandé à plusieurs reprises' et listant les différents problèmes en suspens ( feuilles de paye des salariés, contact de l'expert-comptable, dossiers administratifs des patients pour des greffes de cornée, code de connexion au portail Web des distributeurs d'implants spéciaux).

Elle verse également une attestation de paiement des indemnités journalières - payées par son employeur- du 2 décembre 2010, date de son accident de travail, au 28 février 2011, ainsi que des courriels de Monsieur [K] la sollicitant en cours d'arrêts maladie, ayant conduit à la réponse du 28 février de la salariée expliquant ses différentes interventions sur les missions qui lui étaient imparties depuis le 5 février précédent.

Dans son courrier du 29 février 2012, la salariée se plaint des conditions psychologiques difficiles dans lesquelles elle travaille, de sa désorientation compte tenu de la multiplicité et de la diversité des tâches qui lui étaient demandées ( 'je m'occupe de vos finances, de votre comptabilité, de vos plannings, des patients, du calcul des implants, de l'organisation des blocs de chirurgie, des congrès et de tâches multiples pour le centre mais également de vos acquisitions d'appartements, de voitures, de rendez-vous personnels [...]')

Enfin, outre ses avis d'arrêt de travail, Madame [R] se prévaut de son inaptitude constatée par le médecin du travail 'alors qu'elle pourrait occuper un emploi similaire dans un autre contexte' et le certificat médical du docteur [H], psychiatre à [Localité 6], faisant état du traitement psychotrope dont elle a bénéficié pour des symptômes dépressifs.

Ces différents éléments, pris dans leur ensemble, permettent de retenir une charge importante de travail pour Madame [R], même pendant ses arrêts de travail, en raison des sollicitations nombreuses de Monsieur [K], avec des attributions ne relevant pas de ses compétences professionnelles, charge de travail qui s'est progressivement accrue par des demandes pressantes de l'employeur en vue d'obtenir en outre des comptes-rendus écrits, journaliers et détaillés de son emploi du temps précis, faisant ainsi peser sur elle la mise en 'uvre de remèdes à son impossibilité de contrôler son temps de travail lorsqu'il était accompli depuis son domicile, dans des conditions ponctuées de reproches sur la qualité des prestations.

Madame [R] établit donc des faits laissant présumer l'existence d'un harcèlement moral à son encontre.

Le Docteur [K] conteste tout harcèlement moral, faisant valoir que Madame [R] n'a pas dénoncé de faits de cette nature avant, ni concomitamment à son arrêt de travail, lequel n'est intervenu qu'à la suite de la dénonciation de ses nombreux manquements professionnels, soulignant le ton libre usité entre les parties ainsi que la grande liberté d'action et d'organisation de la salariée notamment du fait de sa domiciliation à [Localité 6], ce qui la mettait en mesure de faire toutes doléances qu'elle souhaitait, le cas échéant. Il réfute toute surcharge de travail, Madame [R] ayant travaillé pour lui à temps plein jusqu'au 1er septembre 2011, puis ayant vu son temps partagé au profit de la société SCM Centre Iéna Vision ensuite, n'ayant fait que des déplacements limités, inférieurs à ses engagements lors de son embauche et ayant dû faire face à des tâches correspondant à son statut de cadre, la longueur des listes de missions à accomplir ne pouvant être prise en compte dans la mesure où certaines s'avéraient rapidement exécutées, sans travail de fond. Il conteste l'accomplissement de tâches purement médicales et relève la mauvaise foi de la salariée à qui le calcul des implants n'était pas demandé dans la mesure où cette tâche nécessite l'intervention de plusieurs professionnels spécialisés. Il fait valoir que Madame [R] ne répondait quasiment jamais au téléphone, effectuait ses tâches à l'issue de ses autres occupations et de façon désinvestie de plus en plus souvent, commettant de nombreuses fautes rendant l'employeur légitime à lui faire des remarques sur la qualité de son travail, pour l'améliorer.

Monsieur [K] produit ainsi des courriels de salariés faisant état de la grande confiance que leur employeur faisait à leur collègue, Madame [R], mais également se plaignant de ses manquements, restés parfois sans réponse de l'intéressée autre que 'encore une pénible' à l'adresse d'une patiente, l'attestation de plusieurs professionnels travaillant avec l'intimée et faisant état de sa présence limitée sur son lieu de travail, à savoir les locaux du [Adresse 3], ou de ses carences dans l'exécution de ses tâches, 'les salaires des employés n'étaient jamais faits correctement et surtout jamais en temps et en heure', du nombre d'erreurs commises et des problèmes suite à son 'inconscience', de la difficulté que ses collègues ou les médecins associés avaient à la joindre, occasionnant les plaintes de tous, patients et fournisseurs, ainsi que plusieurs courriels adressés à la salariée pour lui montrer ses errements à l'occasion d'une commande d'implant non effectuée, d'erreurs dans la gestion des dossiers et projets dont elle avait la charge.

Il verse également aux débats des éléments sur la formule de calcul des implants pour montrer la technicité requise pour ces opérations, que ne possédait pas la salariée, des courriels contenant des éléments positifs sur le travail effectué, ou des éléments critiques formulés sans excès.

Toutefois, ces pièces ne permettent pas de vérifier la compatibilité des tâches données à Madame [R] avec le temps de travail qui lui était rémunéré, ni avec ses compétences techniques, l'organisation du travail - qui incombe à l'employeur- ne pouvant au surplus justifier les pressions répétées faites par ce dernier sur la salariée, pas plus que les critiques acerbes faisant peser sur elle un risque de rupture de la relation de travail, pas plus que l'accroissement de la charge de travail qui en est résulté, sans faire l'objet d'une quelconque mesure ou quantification.

Le jugement de première instance qui a retenu un harcèlement moral de la part de Monsieur [K] doit donc être confirmé.

En ce qui concerne la relation avec la société SCM Centre Iéna Vision :

Il convient d'examiner la pertinence de la décision entreprise, au vu des moyens de la société appelante.

La structure se défend de tout harcèlement moral, les tâches de la salariée ayant été réparties entre ses deux temps partiels (70% pour elle et 30% pour le Dr [K]), sans augmenter de volume, les relations de travail étant restées cordiales et empreintes de confiance. Elle souligne que les derniers échanges au sujet de l'absence de Madame [R] à compter du 27 janvier 2012 sont justifiés par son absence de réponse pendant plusieurs jours avant la production d'un arrêt de travail, que les sollicitations en cours de suspension du contrat de travail n'ont été que ponctuelles et liées au fonctionnement de la structure.

La SCM Centre Iéna Vision verse aux débats notamment plusieurs attestations de salariés et de la comptable de la société faisant ressortir la grande confiance de l'employeur envers l'intimée et souligne le caractère d'urgence et la nature très ponctuelle du mail du 1er février 2012 sollicitant divers codes et numéros de téléphone, mail lié aux circonstances et à son impossibilité de poursuivre son activité, la demande étant faite à la condition que l'état de santé de l'intimée lui permette de répondre.

Toutefois, il a été vu que la sollicitation par mail de la salariée le 1er février 2012 , concomitamment à sa seconde période d'arrêt de travail, ne se limite pas à une simple demande de code mais contient le reproche de ne pas avoir formé les secrétaires 'comme demandé à plusieurs reprises' et liste les différents problèmes en suspens.

Alors que le jugement de première instance a constaté une charge de travail augmentée à compter de janvier 2012, des tâches médicales ne relevant pas des fonctions de la salariée, de nombreux courriels de reproches au sujet de sa compétence et de la qualité du travail, des instructions données pendant l'arrêt maladie ( mail du 1er février 2012), mais aussi des constats d'un état dépressif manifestement en lien avec les conditions de travail et son inaptitude à son poste, les éléments produits par la société appelante ne permettent pas d'infirmer la décision rendue.

Sur le non-paiement des primes d'ancienneté :

L'article 14 de la convention collective nationale du personnel des cabinets médicaux prévoit qu' 'une prime d'ancienneté est accordée au personnel ; elle est appliquée et calculée dans les conditions suivantes :

- majoration immédiate :

4% après 3 ans

7% après 6 ans [...]

Le personnel qui change de cabinet au cours de sa carrière bénéficie dans le nouveau cabinet de la moitié de l'ancienneté acquise dans le cabinet précédent pour un emploi analogue ou plus élaboré. Le personnel en fonction de la mise en application de la présente convention bénéficiera de la carrière d'ancienneté prévue ci-dessus'.

Madame [R] produit différents bulletins de salaire, un relevé de carrière et un certificat de travail, justifiant d'une période de travail au sein de la société Vision Future du 1er octobre 2002 au 5 février 2007 en qualité de directrice, statut cadre ( cf sa pièce 97), au sein de la sarl Nicexcelvision du 1er octobre 2007 au 13 février 2009 en qualité d'attachée commerciale, statut cadre, au sein de la sarl Dr Ghenassia en qualité d'attachée commerciale, qualification cadre, du 1er avril 2008 au 13 février 2009.

Dans la mesure où Madame [R] a assuré des fonctions d'assistante auprès du Docteur [K], l'analogie de fonctions et de statut (cadre) permet de retenir le bien-fondé de la demande de prime d'ancienneté, à hauteur de 5 216,58 €.

En revanche, en l'état de l'irrecevabilité des conclusions et pièces de la salariée à l'encontre de la SCM Centre Iéna Vision, le jugement de première instance doit être confirmé relativement à la demande de prime d'ancienneté présentée contre cet employeur.

Sur les retards de paiement des indemnités journalières :

Madame [R] justifie de sa saisine de l'inspection du travail relativement au non-paiement de ses indemnités journalières correspondant aux mois de novembre et décembre 2012, alors qu'il y avait subrogation, comme en atteste le document de la CPAM produit aux débats.

Cependant, Monsieur [K] et la SCM Centre Iéna Vision justifient par plusieurs pièces que Madame [R] n'a pas répondu dans le délai imparti à la demande d'information de l'organisme de prévoyance Humanis, entraînant le refus de prise en charge par Klesia, mais a été toutefois remplie de ses droits à ce sujet.

En l'état des régularisations intervenues, il convient donc de constater l'absence de manquement de chacun des employeurs à ce titre, dans le cadre de la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail.

Sur l'absence de visite médicale de reprise :

L'article R. 4624-22 du code du travail, dans sa version applicable au litige, dispose :

"le salarié bénéficie d'un examen de reprise du travail par le médecin du travail :

1 Après un congé de maternité ;

2 Après une absence pour cause de maladie professionnelle ;

3 Après une absence d'au moins trente jours pour cause d'accident du travail, de maladie ou d'accident non professionnel."

L'article R.4624-23 du code du travail dispose :

"l'examen de reprise a pour objet :

1 De délivrer l'avis d'aptitude médicale du salarié à reprendre son poste ;

2 De préconiser l'aménagement, l'adaptation du poste ou le reclassement du salarié ;

3 D'examiner les propositions d'aménagement, d'adaptation du poste ou de reclassement faites par l'employeur à la suite des préconisations émises par le médecin du travail lors de la visite de pré reprise.

Dès que l'employeur a connaissance de la date de la fin de l'arrêt de travail, il saisit le service de santé au travail qui organise l'examen de reprise dans un délai de huit jours à compter de la reprise du travail par le salarié."

Il n'est pas justifié par le Docteur [K] d'une visite médicale de reprise après l'accident du travail dont Madame [R] été victime en décembre 2010, l'absence de réclamation ou de doléances de l'intéressée ne pouvant entrer en ligne de compte.

En ce qui concerne la suspension du contrat de travail se terminant le 14 mars 2014, la salariée - qui prouve l'envoi d'un courriel à son employeur en vue d'obtenir l'organisation d'une visite de reprise - justifie au surplus d'une relance à ce sujet par courriel du 17 avril 2014; la situation a cependant été régularisée en août et septembre 2014 par deux visites de reprise.

Il est justifié par la SCM Centre Iéna Vision de l'organisation d'une visite médicale de reprise à l'issue du congé maladie de Madame [R], laquelle a été déclarée inapte à son poste au sein de la structure CIV à l'occasion de la deuxième visite médicale de reprise en date du 8 avril 2014.

Sur le paiement des salaires:

La lecture des bulletins de paie émis par Monsieur [K] permet de vérifier qu'il a suspendu le versement des salaires pendant une période concomitante à la fin de l'arrêt de travail ( mars 2014) et postérieurement.

Il est constant que l'employeur est tenu d'organiser la visite de reprise dans la mesure où le salarié a effectivement repris son travail, a manifesté sa volonté de le reprendre ou sollicité l'organisation d'une visite de reprise.

En l'espèce, Madame [R] justifie avoir sollicité l'organisation d'une visite de reprise de la part de Monsieur [K] par courriel du 5 mars 2014, puis par mail du 17 avril 2014, n'obtenant gain de cause que plusieurs mois plus tard. L'employeur ne saurait donc valablement arguer de la suspension du contrat de travail pour s'abstenir du paiement des salaires pendant cette période.

Le jugement de première instance doit être confirmé en ce qu'il a condamné Monsieur [K] à payer à la salariée un rappel de salaire à hauteur de 3 118,22 € à ce titre, pour la période comprise entre mars et septembre 2014.

***

Les manquements qui viennent d'être relevés sont suffisamment graves pour entraîner la résiliation du contrat de travail aux torts de chacun des employeurs, résiliation qui aura les effets d'un licenciement nul eu égard à l'existence d'un harcèlement moral, par confirmation du jugement entrepris, lequel a fixé à juste titre la date de la résiliation au jour de la rupture de chacune des relations de travail.

En l'état de la prime d'ancienneté due à Madame [R], il convient d'accueillir la demande d'indemnité compensatrice de préavis - laquelle est de trois mois, selon les dispositions conventionnelles - à hauteur de 3 717,18 €, ainsi que les congés payés y afférents.

Il en va de même la demande relative au rappel d'indemnité de licenciement, à hauteur de 404,30 €.

En ce qui concerne les dommages-intérêts au titre du licenciement nul, les éléments produits permettent de fixer à 7 500 € la juste réparation de la rupture du lien contractuel avec Monsieur [K] et à 17'500 € celle relative à la rupture du contrat de travail avec la SCM Centre Iéna Vision.

Sur les congés payés :

Le jugement de première instance, qui n'est pas critiqué par la SCM Centre Iéna Vision relativement au rejet de la demande de congés payés présentée par Madame [R], doit être confirmé en l'état.

Nonobstant l'existence de deux employeurs distincts pour Madame [R], la modification de son contrat de travail avec Monsieur [K] et la reprise d'une partie de son temps de travail par la société nouvellement créée, Centre Iéna Vision, ne pouvaient avoir pour conséquence une amputation de ses droits congés payés acquis ; la demande présentée à ce titre par la SCM Centre Iéna Vision ne saurait prospérer.

Sur les heures supplémentaires :

La société Centre Iéna Vision, comme Monsieur [K], indique que Madame [R] ne démontre pas la réalisation de prétendues heures supplémentaires.

Au contraire, Mme [R] affirme avoir réalisé l'ensemble des heures supplémentaires dont elle revendique le paiement. L'intimée soutient apporter la preuve de la réalisation de ces heures. Elle précise que le travail réalisé pour Monsieur [K] et pour la société Centre Iéna Vision était totalement imbriqué de sorte qu'aucune distinction ne peut être réalisée entre les heures effectuées pour l'un ou l'autre de ses employeurs.

En l'état de l'irrecevabilité de ses conclusions et pièces, le jugement doit être confirmé en ce qu'il a rejeté la demande à l'encontre de la SCM Centre Iéna Vision.

En ce qui concerne la demande dirigée contre Monsieur [K], il résulte des dispositions des articles L. 3171-2, alinéa 1, L. 3171-3 du code du travail , dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, et L. 3171-4 du code du travail, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments.

Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

Madame [R] réclame la somme de 3 761,88 € à titre de rappel d'heures supplémentaires et liste dans ses conclusions les semaines au cours desquelles des heures supplémentaires ont été réalisées, produisant outre ses bulletins de salaire, un tableau de ses horaires de travail du 2 novembre 2011 au 27 janvier 2012, ainsi que quelques courriels émis à des horaires tardifs.

La salariée présente ainsi, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures supplémentaires alléguées.

Monsieur [K] critique les pièces produites par son adversaire qui a reconstitué fictivement son temps de travail jusqu'à des heures de réception de courriels, sans justification de la continuité de la prestation de travail, insiste sur la liberté d'organisation de Madame [R] mais également sur l'attestation de sa comptable indiquant n'avoir jamais reçu les fiches de temps mensuelles sur lesquelles la salariée aurait pu mentionner d'éventuelles heures supplémentaires. Il fait valoir également que l'intimée était très difficilement joignable pendant la journée, comme en attestent plusieurs de ses collègues.

Toutefois, l'employeur ne produit aucun élément permettant de vérifier la réalité exacte du temps de travail de Madame [R].

En l'état des éléments produits quant aux missions exécutées par l'intéressée, quant à sa disponibilité et à sa liberté d'organisation, il convient de fixer à 386,39 € le rappel d'heures supplémentaires qui lui est dû de la part de Monsieur [K].

En revanche, le nombre d'heures supplémentaires retenues ne saurait induire un quelconque dépassement de la durée maximale de travail; la demande à ce titre doit être rejetée, par confirmation du jugement entrepris de ce chef.

Enfin, la demande d'indemnité pour travail dissimulé étant liée à la seule mention d'un nombre inférieur d'heures sur les bulletins de salaire, à défaut de toute preuve de l'élément intentionnel de l'employeur, il convient de la rejeter, par confirmation du jugement entrepris de ce chef.

Sur les intérêts :

Conformément aux dispositions des articles 1153, 1153-1 (anciens), 1231-6 et 1231-7 (nouveaux) du Code civil et R1452-5 du code du travail, les intérêts au taux légal courent sur les créances de sommes d'argent dont le principe et le montant résultent du contrat ou de la loi ( rappels de salaire, indemnités compensatrices de préavis et de congés payés sur préavis, indemnité de licenciement) à compter de l'accusé de réception de la convocation de l'employeur devant le bureau de conciliation, sur les créances indemnitaires confirmées à compter du jugement de première instance et sur les autres sommes à compter du présent arrêt.

Sur la remise de documents :

Le jugement de première instance doit être confirmé en ce qu'il a ordonné la remise d'une attestation Pôle Emploi, d'un certificat de travail et d'un solde de tout compte, mais doit être infirmé en ce qu'il a prévu une astreinte, aucun élément laissant craindre une résistance des employeurs n'étant versé au débat.

Par ailleurs, il convient d'accueillir la demande de remise d'un bulletin de salaire rectificatif, conforme à la teneur du présent arrêt et ne comportant pas la mention des indemnités de prévoyance (ou 'indemnités Vauban'), pour les mois sollicités par la salariée.

La demande d'astreinte doit être rejetée toutefois, en l'absence d'éléments quant à une résistance de Monsieur [K] dans la délivrance de ce document.

Sur les dépens et les frais irrépétibles :

Les employeurs, qui succombent, doivent être tenus aux dépens de première instance, par confirmation du jugement entrepris, et d'appel.

L'équité commande de confirmer le jugement de première instance relativement aux frais irrépétibles, de faire application de l'article 700 du code de procédure civile également en cause d'appel et d'allouer à ce titre la somme de 1 500 € à Madame [R], à la charge de Monsieur [K].

PAR CES MOTIFS

La Cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe à une date dont les parties ont été avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

CONFIRME le jugement déféré, sauf en ses dispositions relatives :

-concernant Monsieur [K]: à la prime d'ancienneté, aux heures supplémentaires, aux congés payés y afférents, à l'astreinte et aux montants de l'indemnité compensatrice de préavis, des congés payés y afférents, du reliquat d'indemnité de licenciement et des dommages-intérêts au titre de la rupture du contrat de travail,

-concernant la SCM Centre Iéna Vision: au montant des dommages-intérêts au titre de la rupture du contrat de travail et à l'astreinte,

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

CONDAMNE Monsieur [U] [K] à payer à [N] [R] les sommes de

- 5 216,58 € à titre de rappel de prime d'ancienneté,

- 386,39 € à titre de rappel d'heures supplémentaires,

- 38,63 € au titre des congés payés y afférents,

- 3 717,18 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 371,71 € au titre des congés payés y afférents,

- 404,30 € à titre de reliquat d'indemnité de licenciement,

- 7 500 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul,

- 1 500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la SCM Centre Iéna Vision à payer à [N] [R] la somme de

17 500 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul,

DIT que les intérêts au taux légal sont dus à compter de l'accusé de réception de la convocation de l'employeur devant le bureau de conciliation pour les créances de sommes d'argent dont le principe et le montant résultent du contrat ou de la loi, à compter du jugement de première instance pour les sommes indemnitaires confirmées et à compter du présent arrêt pour le surplus,

ORDONNE la remise par Monsieur [K] à Madame [R] d'un bulletin de salaire récapitulatif conforme à la teneur du présent arrêt, au plus tard dans le mois suivant son prononcé,

REJETTE les autres demandes des parties,

CONDAMNE Monsieur [K] et la SCM Centre Iéna Vision aux dépens d'appel.

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 8
Numéro d'arrêt : 18/00671
Date de la décision : 25/05/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-05-25;18.00671 ?
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