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23/05/2023 | FRANCE | N°22/18610

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 3 - chambre 5, 23 mai 2023, 22/18610


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 3 - Chambre 5



ARRET DU 23 MAI 2023



(n° , 6 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/18610 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CGUPK



Décision déférée à la Cour : Jugement rendu le 14 février 2019 rendu par le tribunal de grande instance de Paris confirmé par arrêt rendu le 15 décembre 2020 de la cour d'appel de Paris.

Par arrêt rendu le 28 septembre 2022, la Cour de cassation a

cassé et annulé, en toutes ses dispositions, l'arrêt du 15 décembre 2020, et a remis l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt...

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 3 - Chambre 5

ARRET DU 23 MAI 2023

(n° , 6 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/18610 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CGUPK

Décision déférée à la Cour : Jugement rendu le 14 février 2019 rendu par le tribunal de grande instance de Paris confirmé par arrêt rendu le 15 décembre 2020 de la cour d'appel de Paris.

Par arrêt rendu le 28 septembre 2022, la Cour de cassation a cassé et annulé, en toutes ses dispositions, l'arrêt du 15 décembre 2020, et a remis l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt, les a renvoyées devant la cour d'appel de Paris autrement composée

APPELANTE

Madame [E] [C] [Y] née le 10 octobre 1985 à [Localité 6] (Cameroun)

[Adresse 2]

[Localité 3]

représentée par Me Denis WOMASSOM TCHUANGOU, avocat au barreau de PARIS

INTIME

LE MINISTERE PUBLIC pris en la personne de MADAME LE PROCUREUR GENERAL - SERVICE CIVIL

[Adresse 1]

[Localité 4]

représenté à l'audience par Mme Anne BOUCHET-GENTON, substitut général

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 28 mars 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Hélène FILLIOL, présidente de chambre

Mme Elisabeth IENNE-BERTHELOT, conseillère, magistrat de permanence appelée pour compléter la cour

Mme Alexandra GRILL, conseillère, magistrat de permanence appelée pour compléter la cour

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme Mélanie PATE

ARRET :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Mme Hélène FILLIOL, présidente de chambre et par Mme Mélanie PATE, greffière présente lors de la mise à dispsosition.

Par jugement rendu le 14 février 2019, le tribunal de grande instance de Paris a jugé que le certificat de nationalité française n° 191/2005 délivré le 15 avril 2005 par le greffier en chef du tribunal d'instance de Courbevoie à Mme [E] [C] [Y], se disant née le 10 octobre 1985 à [Localité 6] (Cameroun) l'a été à tort, jugé que Mme [E] [C] [Y] n'est pas de nationalité française, débouté Mme [E] [C] [Y] de sa demande tendant à voir ordonner la transcription de son acte de naissance sur les registres du service central de l'Etat civil, ordonné la mention prévue par l'article 28 du code civil et l'a condamnée aux dépens.

Par arrêt rendu le 15 décembre 2020, la cour d'appel de Paris a confirmé le jugement du 14 février 2019, ordonné la mention prévue par l'article 28 du code civil, rejeté la demande formée par Mme [E] [Y] au titre de l'article 700 du code de procédure civil, et condamné Mme [E] [Y] à payer les dépens.

Par arrêt rendu le 28 septembre 2022, la Cour de cassation a cassé et annulé, en toutes ses dispositions, l'arrêt du 15 décembre 2020, a remis l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt, les a renvoyées devant la cour d'appel de Paris autrement composée, a laissé les dépens à la charge du Trésor public et a rejeté la demande présentée en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Pour statuer ainsi, la Cour de cassation a retenu que :

- Il résulte des articles 455 et 954 du code de procédure civile que, si elle n'expose pas succinctement les prétentions respectives des parties et leurs moyens la cour d'appel, qui ne peut statuer que sur les dernières conclusions déposées, doit viser celles-ci avec l'indication de leur date,

- Pour dire que l'acte de naissance de Mme [Y] est dépourvu de valeur probante et accueillir l'action du ministère public, l'arrêt se prononce au visa des conclusions notifiées par celle-ci le 10 juillet 2019,

- En statuant ainsi, alors qu'il ressort des productions que Mme [Y] avait déposé le 9 octobre 2020 des conclusions développant une argumentation complémentaire, la cour d'appel, qui ne les a pas visées et qui s'est prononcée par des motifs dont il ne résulte pas qu'elle les aurait prises en considération, a violé les textes susvisés.

Par déclaration du 27 octobre 2022, Mme [E] [C] [Y] a saisi la cour d'appel de Paris.

Par ses dernières conclusions notifiées le 14 mars 2023, Mme [E] [C] [Y] demande à la cour de :

- Infirmer l'arrêt attaqué en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau ;

- Constater que l'acte de naissance n°26687/85 du 12 octobre 1985 de Mme [E] [Y] n'a pas été dressé conformément à l'article 16 de l'ordonnance du 29 juin 1981;

- Constater que la correction des actes irrégulièrement dressés a été prévue par l'ordonnance n°81-02 du 29 juin 1981 portant organisation de l'état civil camerounais ;

- Constater que l'acte de naissance reconstitué n'a pas le même numéro que l'acte de naissance irrégulier, mais a le même contenu ;

- Dire et juger que Mme [E] [Y] n'est pas responsable de la mauvaise tenue des registres d'état civil camerounais ;

- Dire et juger que l'acte de naissance de Mme [E] [Y] irrégulièrement établi a été corrigé par le jugement du 5 septembre 2019 ;

- Dire et juger que l'acte de naissance portant le n°2020/CE/100/N/104 dressé le 21 avril 2020 en exécution du jugement du 5 septembre 2019 a un effet rétroactif et remplace l'acte de naissance n°26687/85 dressé le 12 octobre 1985 ;

- Dire et juger que la manifestation de volonté exprimée par M. [V] [Y] dans l'acte de reconnaissance du 31 juillet 2003 ne saurait être remise en cause car la reconstitution d'un acte de naissance en raison de la mauvaise tenue du registre d'état civil n'a aucun effet sur la filiation ;

- Dire et juger que la filiation de Mme [E] [Y] à l'égard de M. [V] [Y] n'a jamais été contestée encore moins l'acte de reconnaissance du 31 juillet 2003;

- Dire et juger que le jugement du 5 septembre 2019 ne modifie pas la date de naissance de Mme [E] [Y] ;

- Dire et juger que l'acte de naissance de Mme [E] [C] [Y] est authentique ;

- Dire et juger que l'acte de naissance de Mme [E] [C] [Y] est pourvu de la valeur probante au sens de l'article 47 du code civil ;

- Dire et juger que Mme [E] [C] [Y] est de nationalité française ;

- Condamner l'intimé à payer à Mme [E] [C] [Y] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner l'intimé aux entiers frais et dépens d'instance et d'appel dont le recouvrement sera poursuivi par Maître Denis WOMASSOM TCHUANGOU, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;

Par ses dernières conclusions notifiées le 7 mars 2023, le ministère public demande à la cour de :

- Confirmer le jugement de première instance en tout son dispositif ;

- Ordonner la mention prévue par l'article 28 du code civil ;

- Condamner Mme [E] [Y] aux entiers dépens.

La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance en date du 16 mars 2023

MOTIFS :

Il est justifié de l'accomplissement de la formalité prévue par l'article 1043 du code de procédure civile dans sa version applicable au litige par la production du récépissé délivré par le ministère de la Justice le 22 décembre 2020.

Mme [E] [C] [Y], se disant née le 10 octobre 1985 à [Localité 6] (Cameroun), de [V] [Y] né le 25 juillet 1960 en Guadeloupe et de Mme [M] [R], née le 25 septembre 1952 à [Localité 5] (Cameroun), soutient que son père est français, qu'il l'a reconnue le 31 juillet 2003 alors qu'elle était mineure, qu'un certificat de nationalité française lui a été délivré le 15 avril 2005, qu'elle dispose d'une carte nationalité d'identité et d'un passeport français, que son acte de naissance dressé au Cameroun a été transcrit le 18 octobre 2018 sur les registres de l'état civil français et que le tribunal a dès lors retenu à tort qu'elle n'est pas de nationalité française.

Mme [E] [Y] est titulaire d'un certificat de nationalité française délivré le 15 avril 2005 par le greffier en chef du tribunal d'instance de Courbevoie.

Le ministère public, qui soutient que ce certificat de nationalité française a été délivré à tort à l'intéressée doit en apporter la preuve en application de l'article 30 du code civil. La force probante d'un certificat de nationalité française dépend des documents qui ont servi à l'établir et si le ministère public prouve que ce certificat a été délivré à tort ou sur la base d'actes erronés, ce certificat perd toute force probante.

En l'espèce, le ministère public fait valoir que l'acte de naissance n° 26687/85 de Mme [E] [Y] du registre de l'année 1985, sur la base duquel a été délivré le certificat de nationalité française n° 191/2005 en date du 15 avril 2005, n'a pas été dressé conformément à la loi camerounaise et figure dans un registre de complaisance.

Afin d'en rapporter la preuve, il verse aux débats deux courriers datés du 7 mars 2017 par lesquels l'ambassadeur de France à [Localité 6] a alerté le ministère de la Justice et le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Nantes sur le caractère apocryphe de l'acte de naissance n° 26687/85 de Mme [E] [Y] (pièces n°14 et 21 du ministère public). Ces courriers sont accompagnés des photocopies de cinq pages du registre des actes de naissance du centre d'état civil de [Localité 6] reproduisant les souches des actes n°26679/85 à 26688/85 (pièces n°15 à 19 du ministère public).

Au vu de ces pièces, force est de constater que l'acte de naissance n°26687/85 de l'intéressée n'est pas fiable au sens de l'article 47 du code civil.

En effet, les courriers susmentionnés expliquent que cet acte a fait l'objet d'une authentification in situ par les autorités françaises le 26 juillet 2016 auprès de la communauté urbaine de [Localité 6] et qu'il est apocryphe car inséré entre plusieurs actes du 30 novembre 1985.

Ils précisent à cet égard que les actes de naissance n° 26679 et 26680 ont été dressés le 30 novembre 1985, que les actes n° 26681 à 26686 sont inexistants au registre, que l'acte de naissance de Mme [E] [C] [Y] porte le numéro 26687 et est daté du 12 octobre 1985, qu'un acte n° 26687 bis a été dressé le 30 novembre 1985 et que l'acte n°26688 a été dressé le 2 décembre 1985, ces différentes dates d'établissement correspondant à celles qui figurent sur les photocopies des souches des actes concernés, versées en pièces n°15 à 18 du ministère public. Il se déduit de ces constatations que l'acte de naissance n°26687, daté du 12 octobre 1985, de Mme [E] [C] [Y] qui a été inséré entre des actes du 30 novembre 1985 en violation des exigences de l'article 16 de l'ordonnance 81-02 du 29 juin 1981 portant organisation de l'état civil camerounais (pièce n°20 du ministère public), qui dispose que les actes d'état civil sont inscrits sur le registre de suite sans blanc et numérotés dans l'ordre de leur inscription, la même série de numéros étant conservée dans chaque centre d'état civil pour l'année civile entière, est apocryphe.

En outre, comme le soutient le ministère public, la circonstance que l'acte de naissance étranger de l'intéressée ait été transcrit par une autorité consulaire n'a pas pour effet de rendre les dispositions de l'article 47 du code civil inopérantes dès lors que la valeur probante de cette transcription est subordonnée à celle de l'acte étranger à partir duquel la transcription a été effectuée.

Contrairement à ce que soutient Mme [E] [C] [Y], aucune disposition ne fait obligation au ministère public d'agir en nullité de l'acte transcrit par l'officier d'état civil consulaire, préalablement à la contestation de la validité du certificat de nationalité française délivré au vu d'un acte dressé à l'étranger dont il est allégué qu'il est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité.

Il suffit au ministère public, comme c'est le cas en l'espèce d'établir que le certificat de nationalité française a été délivré à tort ou sur la base d'actes erronés, la transcription consulaire ne pouvant pas avoir plus de valeur que l'acte étranger au vu duquel elle a été faite et ne le purgeant ni de ses vices ni de ses irrégularités.

Enfin, les développements de l'appelante sur le fait que l'acte de naissance est simplement irrégulier mais qu'il a une valeur probante sont inopérants dès lors d'une part que les investigations de l'ambassade de France à [Localité 6] démontrent le caractère apocryphe de l'acte en cause et que d'autre part dans sa requête du 5 mai 2019 ci-dessous visée, devant le tribunal de grande instance de Yaoundé, elle reconnaît elle-même la non authenticité de son acte de naissance. Ainsi, le certificat de nationalité française délivré à Mme [E] [C] [Y] sur la base de son acte de naissance n° 26687/85, l'a été à tort.

Il appartient alors à l'intéressée de rapporter la preuve de sa nationalité française à un autre titre.

Pour soutenir qu'elle dispose désormais d'un état civil fiable, Mme [E] [C] [Y] explique avoir saisi le tribunal de grande instance de Yaoundé par requête du 5 mai 2019 qui a, après un transport judiciaire à la communauté urbaine de [Localité 6] le 19 juin 2019, prononcé le 5 septembre 2019 un jugement ordonnant la reconstitution de son acte de naissance et la transcription du jugement au verso de celui-ci.

Mme [E] [C] [Y] se prévaut ainsi d'un nouvel acte de naissance n°2020/CE 100 N 104 dressé le 21 avril 2020 à la suite du jugement supplétif d'acte de naissance rendu par le tribunal de grande instance du Mfoundi n°1001/CIVIL du 5 septembre 2019 (pièces n°15 et 11 de l'appelante).

Mais, comme le relève justement le ministère public, ce jugement n'est pas opposable en France en application de l'article 34 de l'accord de coopération en matière de justice entre la France et le Cameroun du 21 février 1974, en vertu duquel les décisions contentieuses ou gracieuses rendues en matière civile, sociale ou commerciale, par une juridiction siégeant en France ou au Cameroun, sont reconnues de plein droit sur le territoire de l'autre Etat si elles réunissent diverses conditions, dont notamment celle de ne rien contenir de contraire à l'ordre public de l'Etat où elle est invoquée ou aux principes de droit public applicables dans cet Etat (point f).

En effet, la décision camerounaise, qui a ordonné la reconstitution de l'acte de naissance apocryphe de l'intéressée, sur requête introduite par celle-ci le 5 mai 2019, figurant page 2 du jugement, aux termes de laquelle elle vise la non-authenticité de l'acte, a pour objet d'entériner un faux acte de naissance en régularisant une fraude et est ainsi contraire à la conception française de l'ordre public international au sens de l'article 34 point f de la convention franco-camerounaise.

Il s'ensuit que l'acte de naissance dressé en vertu de ce jugement dont il est indissociable n'est pas probant au sens de l'article 47 du code civil. Mme [E] [C] [Y] ne disposant d'aucune identité fiable et certaine ne peut se voir reconnaître à aucun titre la nationalité française, la reconnaissance effectuée par M. [V] [Y] ne pouvant produire aucun effet en matière de nationalité.

Il convient donc, en confirmant le jugement, de constater son extranéité.

Mme [Y] qui succombe doit être déboutée de sa demande présentée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et condamnée aux dépens.

PAR CES MOTIFS

Vu l'arrêt de la Cour de cassation en date du 28 septembre 2022,

Constate que le récépissé prévu par l'article 1043 du code de procédure civile a été délivré,

Confirme le jugement,

Ordonne la mention prévue par l'article 28 du code civil,

Rejette la demande présentée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne Mme [E] [C] [Y] aux dépens.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 3 - chambre 5
Numéro d'arrêt : 22/18610
Date de la décision : 23/05/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-05-23;22.18610 ?
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