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23/05/2023 | FRANCE | N°22/05030

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 3 - chambre 5, 23 mai 2023, 22/05030


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 3 - Chambre 5



ARRET DU 23 MAI 2023



(n° , 5 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/05030 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CFNU2



Décision déférée à la Cour : Jugement du 20 mai 2020 rendu par le tribunal judiciaire de PARIS - RG n° 17/17580





APPELANTE



Madame [U] [M] épouse [J] née le 26 juin 1996 à [Loca

lité 5] (Algérie),

[Adresse 7]

[Localité 1] - ALGERIE



représentée par Me Abderrazak BOUDJELTI, avocat au barreau de PARIS, toque : D0094



(bénéficie d'une AIDE JURIDICTIONNE...

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 3 - Chambre 5

ARRET DU 23 MAI 2023

(n° , 5 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/05030 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CFNU2

Décision déférée à la Cour : Jugement du 20 mai 2020 rendu par le tribunal judiciaire de PARIS - RG n° 17/17580

APPELANTE

Madame [U] [M] épouse [J] née le 26 juin 1996 à [Localité 5] (Algérie),

[Adresse 7]

[Localité 1] - ALGERIE

représentée par Me Abderrazak BOUDJELTI, avocat au barreau de PARIS, toque : D0094

(bénéficie d'une AIDE JURIDICTIONNELLE TOTALE numéro 2021/049312 du 16/02/2022 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de PARIS)

INTIME

LE MINISTÈRE PUBLIC pris en la personne de MONSIEUR LE PROCUREUR GÉNÉRAL près la cour d'appel de Paris - Service nationalité

[Adresse 2]

[Localité 3]

représenté à l'audience par Madame M.-D. PERRIN, substitut général

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 30 mars 2023, en audience publique, l' avocat de l'appelante et le ministère public ne s'y étant pas opposés, devant Mme Marie-Catherine GAFFINEL, conseillère, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Hélène FILLIOL, présidente de chambre

M. François MELIN, conseiller,

Mme Marie-Catherine GAFFINEL, conseillère

Greffier, lors des débats : Mme Mélanie PATE

ARRET :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Mme Hélène FILLIOL, présidente de chambre et par Mme Mélanie PATE, greffière présente lors de la mise à disposition.

Vu le jugement rendu le 20 mai 2020 par le tribunal judiciaire de Paris qui a constaté que les formalités de l'article 1043 du code de procédure civile ont été respectées, déclaré Mme [U] [M], née le 26 juin 1996 à [Localité 5] (Algérie), irrecevable à faire la preuve qu'elle a, par filiation, la nationalité française, jugé que Mme [U] [M] est réputée avoir perdu la nationalité française le 4 juillet 2012, ordonné la mention prévue par l'article 28 du code civil et a condamné Mme [U] [M] aux dépens ;

Vu la déclaration d'appel en date du 7 mars 2022 de Mme [U] [M] ;

Vu les conclusions notifiées le 12 avril 2022 par Mme [U] [M] qui demande à la cour de, en la forme, dire que son appel est parfaitement recevable dès lors qu'il est justifié de l'accomplissement des formalités prévues par l'article 1043 du code de procédure civile, au fond, le dire fondé, en conséquence, infirmer le jugement dont appel, statuant de nouveau, dire et juger que Mme [U] [M] est française par filiation, ordonner la mention prévue par l'article 28 du code civil et condamner l'État (le Trésor) aux entiers dépens ;

Vu les conclusions notifiées le 6 juillet 2022 par le ministère public qui demande à la cour, à titre principal, de dire que Mme [U] [M], se disant née le 26 mai 1984 à [Localité 5] (Algérie), n'est pas de nationalité française, la débouter de ses demandes tendant à la dire de nationalité française, à titre subsidiaire, confirmer le jugement rendu le 20 mai 2020 qui a déclaré Mme [U] [M], née le 26 mai 1984 non admise à faire la preuve qu'elle a par filiation la nationalité française, dire qu'elle est réputée avoir perdu la nationalité française le 4 juillet 2012, la débouter de ses demandes tendant à reformer le jugement et à la dire de nationalité française, en toute hypothèse, ordonner la mention prévue par l'article 28 du code civil et condamner Mme [U] [M] aux entiers dépens ;

Vu l'ordonnance de clôture rendue le 5 janvier 2023 ;

MOTIFS

Il est justifié de l'accomplissement de la formalité prévue par l'article 1043 du code de procédure civile dans sa version applicable à la présente procédure, par la production du récépissé délivré le 31 mars 2022 par le ministère de la Justice. La déclaration d'appel n'est donc pas caduque.

Mme [U] [M], se disant née le 26 mai 1984 à [Localité 5] (Algérie), indique que son grand-père, [N] [M], né le 10 janvier 1913 à [Localité 6] (départements français d'Algérie), a été admis à la qualité de citoyen français par un jugement du tribunal de première instance de Tizi-Ouzou (départements français d'Algérie) du 14 décembre 1938, et que son père, M. [D] [M], né le 15 juillet 1955 à [Localité 5], a été jugé français par un jugement du tribunal de grande instance de Paris du 22 mai 2014. Elle en déduit qu'elle est de nationalité française par filiation paternelle.

N'étant pas personnellement titulaire d'un certificat de nationalité française, il appartient à Mme [U] [M] en application de l'article 30 du code civil de rapporter la preuve qu'elle réunit les conditions requises par la loi pour l'établissement de sa nationalité française.

Si en première instance, le ministère public lui a opposé les dispositions de l'article 30-3 du code civil, il ne les invoque désormais qu'à titre subsidiaire. Toutefois, dès lors que l'article 30-3 empêche de rapporter la preuve de la transmission de la nationalité française par filiation, la désuétude invoquée doit être examinée en premier lieu.

En vertu dudit article « Lorsqu'un individu réside ou a résidé habituellement à l'étranger, où les ascendants dont il tient par filiation la nationalité sont demeurés fixés pendant plus d'un demi-siècle, cet individu ne sera plus admis à faire la preuve qu'il a, par filiation, la nationalité française si lui-même et celui de ses père et mère qui a été susceptible de la lui transmettre n'ont pas eu la possession d'état de Français.

Le tribunal doit dans ce cas constater la perte de la nationalité française dans les termes de l'article 23-6 du code civil en déterminant la date à laquelle la nationalité française a été perdue».

La présomption irréfragable de perte de la nationalité française par désuétude édictée par l'article 30-3 du code civil suppose que les conditions prévues par le texte précité soient réunies de manière cumulative.

L'application de l'article 30-3 du code civil est en conséquence, subordonnée à la réunion des conditions suivantes : l'absence de résidence en France pendant plus de 50 ans des ascendants français, l'absence de possession d'état de l'intéressé et de son parent, le demandeur devant en outre résider ou avoir résidé habituellement à l'étranger.

L'article 30-3 du code civil interdit, dès lors que les conditions qu'il pose sont réunies, de rapporter la preuve de la transmission de la nationalité française par filiation, en rendant irréfragable la présomption de perte de celle-ci par désuétude. Édictant une règle de preuve, l'obstacle qu'il met à l'administration de celle-ci ne constitue pas une fin de non-recevoir au sens de l'article 122 du code de procédure civile, de sorte qu'aucune régularisation sur le fondement de l'article 126 du même code ne peut intervenir (Civ 1ère, 13 juin 2019, pourvoi n°18-16.838).

En l'espèce, en ce qui concerne son père, Mme [U] [M] soutient que [D] [M] a nécessairement joui de la possession d'état de Français antérieurement au 4 juillet 2012 dès lors qu'il s'est « toujours considéré comme Français en sollicitant en vain la délivrance de documents d'identité français auprès du consulat général de France à [Localité 4] avant de solliciter dès 2005 la délivrance d'un certificat de nationalité française et d'essuyer un refus en date du 27 septembre 2007 » (conclusions p. 3).

Par ailleurs aux dires de l'appelante, la possession d'état de Français de son père résulterait également du jugement du 22 mai 2014 par lequel le tribunal de grande instance de Paris, saisi par [D] [M] en date du 2 avril 2013, l'a dit français. A cet égard il y aurait notamment lieu de tenir compte, selon elle, de la date du 21 mai 2012 à laquelle [D] [M] a sollicité l'aide juridictionnelle afin de pouvoir engager l'action déclaratoire ayant amené au prononcé dudit jugement, cette date étant antérieure à l'expiration le 3 juillet 2012 du délai cinquantenaire de l'article 30-3.

Enfin, en ce qui la concerne elle-même, l'intéressée affirme avoir joui de la possession d'état de Française comme étant née d'un père qui « est français » (conclusions p. 3), ainsi qu'il a été établi par ladite décision de 2014. Refuser de lui reconnaître cette possession d'état « par filiation » reviendrait selon elle à méconnaître les dispositions des articles 8 et 14 de la convention européenne des droits de l'Homme, applicables en matière de nationalité ainsi que la jugé la cour européenne des droits de l'homme dans son arrêt Genovese c. Malte (CEDH, 11 octobre 2011, req. n°53124/09).

Toutefois, ces arguments ne sauraient prospérer.

En effet d'une part, la circonstance que [D] [M] se soit considéré comme français n'est pas suffisante pour établir une possession d'état de Français qui suppose également la reconnaissance par les autorités françaises de la nationalité française de l'intéressé, de sorte que Mme [U] [M] ne peut pas sérieusement soutenir que le refus de ces autorités de délivrer à son père une carte d'identité française et un certificat de nationalité française constitue la preuve d'une possession d'état de Français.

D'autre part, le fait que son père ait été déclaré français le 22 mai 2014 par jugement est sans incidence sur l'acquisition de la désuétude, peu important qu'il ait demandé l'aide juridictionnelle afin de saisir le juge avant l'expiration du délai de 50 ans. En effet, un tel jugement, qui constitue un titre de nationalité, ne suffit pas à caractériser une possession d'état de Français durant la période antérieure au 4 juillet 2012. En outre, comme le souligne à juste titre le ministère public, la demande d'aide juridictionnelle a seulement pour effet d'interrompre le délai d'action (art 43 du décret du 28 dec 2020) qui n'existe pas en l'espèce.

Dès lors, Mme [U] [M] ne prouve pas que son père revendiqué a joui de la possession d'état de Français.

Pareillement, en ce qui la concerne elle-même, Mme [U] [M] n'apporte aucun élément susceptible de démontrer qu'elle aurait joui de cette possession d'état de Française au cours du délai cinquantenaire susmentionné.

Notamment, au rebours de ce qu'elle affirme, sa possession d'état de Française ne saurait en aucun cas être déduite du lien de filiation qu'elle revendique à l'égard d'[D] [M], dit français par jugement.

Si Mme [U] [M] se prévaut à cet égard des articles 8 et 14 de la convention européenne des droits de l'Homme, elle se borne toutefois à viser ces articles dans ses conclusions (page 3) sans toutefois fournir la moindre indication permettant de comprendre en quoi le refus de lui reconnaître ladite possession d'état de Française ou plus généralement l'application de l'article 30-3 du code civil porterait concrètement atteinte au droit au respect de sa vie privée et familiale que lui garantit la convention ou comporterait une discrimination à son égard dans la jouissance de cette prérogative par rapport aux autres membres de sa famille.

Par ailleurs, l'appelante n'allègue pas qu'elle ou son père auraient eu une résidence en France.

Les conditions de l'article 30-3 du code civil sont donc remplies concernant Mme [U] [M] ainsi que l'ont constaté à juste titre les premiers juges.

Le jugement sera cependant infirmé en ce qu'il l'a déclarée irrecevable à faire la preuve, qu'elle a par filiation, la nationalité française, l'article 30-3 du code civil n'édictant pas une fin de non-recevoir, et en ce qu'il a dit qu'elle est réputée avoir perdu la nationalité française à la date du 4 juillet 2012.

Il y a lieu de juger que Mme [U] [M] n'est pas admise à faire la preuve qu'elle a, par filiation, la nationalité française, qu'elle est réputée l'avoir perdue à la date du 4 juillet 2012 et de constater son extranéité.

Mme [U] [M], qui succombe à l'instance, est condamnée aux dépens.

PAR CES MOTIFS

Constate l'accomplissement de la formalité prévue à l'article 1043 du code de procédure civile;

Confirme le jugement en ce qu'il a constaté que les conditions de l'article 30-3 du code civil sont remplies à l'égard de Mme [U] [M] ;

L'infirme pour le surplus,

Statuant à nouveau :

Dit que Mme [U] [M], née le 26 mai 1984 à [Localité 5] (Algérie), n'est pas admise à faire la preuve qu'elle a, par filiation, la nationalité française ;

Dit que Mme [U] [M] est réputée avoir perdu la nationalité française le 4 juillet 2012;

Ordonne la mention prévue par l'article 28 du code civil,

Condamne Mme [U] [M] aux dépens.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 3 - chambre 5
Numéro d'arrêt : 22/05030
Date de la décision : 23/05/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-05-23;22.05030 ?
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