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18/04/2023 | FRANCE | N°22/02121

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 3 - chambre 5, 18 avril 2023, 22/02121


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 3 - Chambre 5



ARRET DU 18 AVRIL 2023



(n° , 5 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/02121 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CFECT



Décision déférée à la Cour : Jugement du 02 décembre 2021 rendu par le tribunal judiciaire de PARIS - RG n° 18/12657





APPELANTE



Madame [R] [U] épouse [Z] née le 18 mars 1936

à Tambohorano (Madagascar)



chez M. [L] [W]

[Adresse 2]

[Localité 4]



représentée par Me Olinda PINTO, avocat au barreau de PARIS, toque : E0168





INTIME



LE MINISTÈRE...

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 3 - Chambre 5

ARRET DU 18 AVRIL 2023

(n° , 5 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/02121 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CFECT

Décision déférée à la Cour : Jugement du 02 décembre 2021 rendu par le tribunal judiciaire de PARIS - RG n° 18/12657

APPELANTE

Madame [R] [U] épouse [Z] née le 18 mars 1936 à Tambohorano (Madagascar)

chez M. [L] [W]

[Adresse 2]

[Localité 4]

représentée par Me Olinda PINTO, avocat au barreau de PARIS, toque : E0168

INTIME

LE MINISTÈRE PUBLIC pris en la personne de MONSIEUR LE PROCUREUR GÉNÉRAL près la cour d'appel de Paris - Service nationalité

[Adresse 1]

[Localité 3]

représenté à l'audience par Madame BOUCHET-GENTON, substitut général

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 2 mars 2023, en audience publique, l' avocat de l'appelante et le ministère public ne s'y étant pas opposés, devant Mme Marie-Catherine GAFFINEL, conseillère, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Hélène FILLIOL, présidente de chambre

M. François MELIN, conseiller,

Mme Marie-Catherine GAFFINEL, conseillère

Greffier, lors des débats : Mme Mélanie PATE

ARRET :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Mme Hélène FILLIOL, présidente de chambre et par Mme Mélanie PATE, greffière présente lors de la mise à disposition.

Vu le jugement rendu le 2 décembre 2021 par le tribunal judiciaire de Paris qui a déclaré l'instruction close, constaté le respect des formalités de l'article 1043 du code de procédure civile, jugé que Mme [R] [U], se disant née le 18 mars 1936 à Tambohorano (Madagascar) n'est pas de nationalité française, ordonné la mention prévue par l'article 28 du code civil et l'a condamnée aux dépens ;

Vu la déclaration d'appel du 26 janvier 2022 de Mme [R] [U] ;

Vu les dernières conclusions notifiées le 1er décembre 2022 par Mme [R] [U] qui demande à la cour de la recevoir en son appel, l'a déclarer recevable et fondée, en conséquence, annuler le jugement rendu le 2 décembre 2021 par le tribunal judiciaire de Paris, statuant à nouveau, juger que Mme [R] [U], née le 18 mars 1936 à Tambohorano (Madagascar), est française depuis sa naissance en vertu des dispositions des articles 23 à 25 du code de la nationalité française dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 19 octobre 1945, juger que les dispositions du code de la nationalité française prévalent sur les dispositions de l'article 2 du décret du 24 février 1953 et du 6 septembre 1933 et les en écarter pour être contraire à la loi qui lui est supérieure, juger les dispositions de l'article 2 du décret du 24 février 1953 et celles du décret du 6 septembre 1933 discriminatoires et contraires aux articles 8 et 14 de la Convention européenne des droits de l'homme en ce qu'elles privent les ressortissants originaires de Madagascar de se prévaloir des règles attributives de nationalité française à l'origine en raison de la naissance en France instituant ainsi un traitement différencié dans l'application des fondements du double droit du sol, ordonner les mentions prévues à l'article 28 du code civil, infirmer le jugement en ce qu'il a condamné Mme [R] [U] aux entiers dépens en application de l'article 696 du code de procédure civile, condamner l'Etat à payer à Mme [R] [U] la somme de 1.800 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et condamner l'Etat aux entiers dépens qui seront recouvrés par Maître Olinda PINTO dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile ;

Vu les conclusions notifiées le 17 juin 2022 par le ministère public qui demande à la cour de constater que le récépissé prévu par l'article 1043 du code de procédure civile a été délivré, confirmer le jugement de première instance, dire et juger que Mme [R] [U], née le 18 mars 1936 à Tambohorano (Madagascar) n'est pas française et ordonner la mention prévue par l'article 28 du code civil ;

Vu l'ordonnance de clôture rendue le 13 décembre 2022 ;

MOTIFS

Il est justifié de l'accomplissement de la formalité prévue par l'article 1043 du code de procédure civile dans sa version applicable à la présente procédure, par la production du récépissé délivré le 22 mars 2022 par le ministère de la Justice.

Sur le moyen tendant à voir écarter les dispositions du décret du 24 février 1953

Moyens des parties

Mme [R] [U] soutient que le jugement est entaché de nullité pour avoir fait prévaloir des dispositions « décrétales » sur des dispositions législatives, méconnaissant ainsi la hiérarchie des normes. Elle considère que l'article 2 du décret du 24 février 1953 qui impose la démonstration préalable de la nationalité française de l'un des deux parents au moins au moment de la naissance afin d'appliquer à Madagascar les articles 23, 24, 25, 44, 45 et 52 du code de la nationalité est contraire à ces articles.

Le ministère public rappelle que l'attribution de la nationalité française par double naissance sur le territoire de Madagascar a été exclue par le décret du 7 février 1897 qui a rendu applicable outre-mer la loi du 26 juin 1889 sur la nationalité à compter du 19 avril 1897 et que le décret du 5 novembre 1928, applicable à Madagascar le 28 janvier 1929, a introduit l'attribution de la nationalité par double droit du sol et l'acquisition de la nationalité française à la majorité pour les personnes nées après le 28 janvier 1908 et avant le 19 novembre 1912. Il en déduit que l'attribution de la nationalité française par la double naissance à Madagascar et l'acquisition automatique à majorité par naissance et résidence en France a été possible uniquement pour les personnes nées entre 1908 et 1912.

Réponse de la cour

Force est de constater que le moyen invoqué par Mme [R] [U] n'est pas un moyen tendant à l'annulation du jugement mais tendant à sa réformation.

Il n'est pas contesté que Mme [R] [U] étant née le 18 mars 1936 relève pour l'attribution de la nationalité française des dispositions du code de la nationalité française, issu de la rédaction de l'ordonnance du 19 octobre 1945, tel que rendue applicable outre-mer par le décret du 24 février 1953 déterminant les modalités d'application du code de la nationalité française dans les territoires d'outre-mer.

L'article 2 de ce décret dispose qu'à Madagascar, les articles 23, 24, 25, 44, 45, 47 et 52 du code de la nationalité française ne sont applicables qu'aux personnes dont l'un des parents au moins avait déjà la nationalité française ou la qualité de citoyen de l'Union française prévue à l'article 81 de la Constitution.

Il ressort de l'article 13 de l'ordonnance du 19 octobre 1945 que devaient être publiées à la suite du code de la nationalité française des textes relatifs à l'attribution, à l'acquisition et à la perte de nationalité française aux colonies. Ainsi, il ne peut être retenu que le décret du 24 février 1953 déterminant les modalités d'application du code de la nationalité française dans les territoires d'outre-mer contrevient au code de la nationalité issu de l'ordonnance du 19 octobre 1945 et c'est à juste titre que le tribunal a fait application du décret du 24 février 1953. Le moyen tendant à voir écarter les dispositions du décret du 24 février 1953 est rejeté.

Sur le fond

L'article 23 du code de la nationalité française, dans sa version issue de l'ordonnance du 19 octobre 1945, dispose que l'enfant légitime né en France d'un père qui y est lui-même né ou l'enfant naturel né en France lorsque celui de ses parents à l'égard duquel la filiation a d'abord été établie, est lui-même né en France est Français.

Comme l'a justement retenu le tribunal, il appartient à Mme [R] [U] de démontrer la nationalité française de l'un de ses parents au moment de sa naissance conformément à l'article 2 du décret du 24 février 1953.

L'état civil de Mme [R] [U] n'est pas contesté par le ministère public.

Il ressort de son acte de naissance qu'elle est née le 18 mars 1936 à Tambohorano de [M] [T] [Y], né le 23 mars 1911 à Fandriana (Madagascar) et de [O] [I], née le 1er janvier 1916 à Lajaky Ambositra (Madagascar), ses parents s'étant mariés le 21 décembre 1934.

En appel, Mme [R] [U] ne se prévaut plus de la nationalité française de son père par double naissance sur le sol français, mais soutient qu'il a acquis de façon automatique la nationalité française à sa majorité, en raison de sa naissance et de sa résidence en France.

La situation de [M] [T] [Y], né le 23 mars 1911 à Fandriana (Madagascar) est régie par le décret du 5 novembre 1928. Le ministère public reconnaît que ce texte qui prévoit notamment l'attribution de la nationalité française par la double naissance à Madagascar et l'acquisition automatique à majorité par naissance et résidence en France est applicable aux personnes nées entre le 28 janvier 1908 et le 19 novembre 1912.

[M] [T] [Y] étant né le 23 mars 1911 à Fandriana (Madagascar), ce texte lui est applicable.

Or, l'article 5 du décret du 5 novembre 1928 prévoit que devient français, à l'âge de 21 ans s'il est domicilié aux colonies, tout individu né en France ou aux colonies d'un étranger, à moins que, dans l'année qui suit sa majorité, il n'ait décliné la qualité de Français, en se conformant aux prescriptions de l'article 3.

Mme [R] [U] produit d'une part, l'acte de naissance de son père attestant qu'il est né à Madagascar et d'autre part, son acte de mariage avec [O] [I] indiquant qu'au jour du mariage, le 21 décembre 1934 [M] [Y], 23 ans, médecin de l'AM, était domicilié à Ampongavato (Madagascar). Il se déduit de ces actes que [M] [Y] est né à Madagascar et y résidait encore à 21 ans, deux ans avant son mariage. Il n'est pas allégué qu'il a décliné la qualité de Français dans l'année qui suit sa majorité. Il a donc acquis la nationalité française conformément à l'article 5 du décret du 5 novembre 1928.

Mme [R] [U] étant née à Madagascar d'un père qui y est lui-même né et était français au jour de sa naissance, était française à sa naissance.

Il convient donc de vérifier si Mme [R] [U] a conservé la nationalité française à l'indépendance de Madagascar le 26 juin 1960.

Les effets sur la nationalité de l'accession à l'indépendance des anciens territoires d'Afrique (hors Algérie, Mayotte et Territoire des Afars et des Issas), sont régis par la loi n° 60-752 du 28 juillet 1960 et par le chapitre VII du titre 1er bis du livre 1er du code civil. Il en résulte qu'ont conservé la nationalité française :

- les originaires du territoire de la République française tel que constitué le 28 juillet 1960,

- les personnes qui ont souscrit une déclaration de reconnaissance de la nationalité française,

- celles qui ne se sont pas vu conférer la nationalité de l'un des nouveaux Etats anciennement sous souveraineté française,

- enfin, celles, originaires de ces territoires, qui avaient établi leur domicile hors de l'un des Etats de la Communauté lorsqu'ils sont devenus indépendants.

Le domicile de nationalité s'entend du lieu de résidence effective, présentant un caractère stable et permanent et coïncidant avec le centre des occupations professionnelles et des attaches familiales.

Mme [R] [U] produit une attestation du préfet de l'Isère du 5 août 1970 indiquant qu'elle a résidé à [Localité 5] du mois d'octobre 1958 au mois d'octobre 1968 et différentes attestations et cartes d'étudiant démontrant qu'elle a poursuivi en France des études de 1958 à 1967. Mme [R] [U] démontre également qu'elle a été « fonctionnaire française » à la fondation française d'enseignement supérieur au Cameroun puis rattachée au ministère des affaires étrangères à Yaoundé de 1970 à 1975.

Il est donc établi qu'au jour de l'indépendance de Madagascar, Mme [R] [U] avait établi son domicile en France. Mme [R] [U] a conservé la nationalité française. Le jugement est infirmé.

Les dépens sont laissés à la charge du Trésor public. En équité, la nationalité française de Mme [R] [U], âgée de 87 ans et qui a été considérée comme française depuis 1970, ayant été contestée à tort, il convient de lui allouer la somme de 1000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Constate l'accomplissement de la formalité prévue à l'article 1043 du code de procédure civile,

Rejette le moyen tendant à voir écarter les dispositions du décret du 24 février 1953,

Infirme le jugement,

Statuant à nouveau,

Dit que Mme [R] [U], née le 18 mars 1936 à Tambohoranno (Madagascar) est de nationalité française,

Ordonne la mention prévue à l'article 28 du code civil,

Condamne le Trésor public à verser à Mme [R] [U] la somme de 1000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Laisse les dépens à la charge du Trésor public.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 3 - chambre 5
Numéro d'arrêt : 22/02121
Date de la décision : 18/04/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-04-18;22.02121 ?
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