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18/04/2023 | FRANCE | N°21/19687

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 3 - chambre 5, 18 avril 2023, 21/19687


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 3 - Chambre 5



ARRET DU 18 AVRIL 2023



(n° , 6 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/19687 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CEU3V



Décision déférée à la Cour : Jugement du 27 octobre 2021 rendu par le tribunal judiciaire de PARIS - RG n° 20/01416 (exequatur)





APPELANTE



S.A. GECINA

prise en la person

ne de ses représentants légaux



[Adresse 1]

[Adresse 1]



représentée par Me Luca DE MARIA de la SELARL PELLERIN - DE MARIA - GUERRE, avocat postulant du barreau de PARIS, toque : ...

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 3 - Chambre 5

ARRET DU 18 AVRIL 2023

(n° , 6 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/19687 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CEU3V

Décision déférée à la Cour : Jugement du 27 octobre 2021 rendu par le tribunal judiciaire de PARIS - RG n° 20/01416 (exequatur)

APPELANTE

S.A. GECINA

prise en la personne de ses représentants légaux

[Adresse 1]

[Adresse 1]

représentée par Me Luca DE MARIA de la SELARL PELLERIN - DE MARIA - GUERRE, avocat postulant du barreau de PARIS, toque : L0018

assistée de Me MUDRY, avocat plaidant du barreau de PARIS, toque : P454

INTIMEE

Société ABANCA CORPORACION BANCARIA

prise en la personne de ses représentants légaux

C/ [Adresse 3]

[Adresse 3]

ESPAGNE

représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat postulant au barreau de PARIS, toque : C2477

assistée de Me Emilie VASSEUR, avocat plaidant du barreau de Paris, toque : L0009

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 28 février 2023, en audience publique, les avocats des parties et le ministère public ne s'y étant pas opposés, devant M. François MELIN, conseiller, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Hélène FILLIOL, présidente de chambre

M. François MELIN, conseiller,

Mme Marie-Catherine GAFFINEL, conseillère

Greffier, lors des débats : Mme Mélanie PATE

LE MINISTÈRE PUBLIC pris en la personne de MONSIEUR LE PROCUREUR GÉNÉRAL près la cour d'appel de Paris

[Adresse 2]

[Adresse 2]

représenté à l'audience par Madame de CHOISEUL PRASLIN, avocat général, magistrat honoraire

ARRET :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Mme Hélène FILLIOL, présidente de chambre et par Mme Mélanie PATE, greffière présente lors de la mise à disposition.

La société Abanca Corporacion Bancaria est un établissement bancaire de droit espagnol.

La société Gecina est une société foncière française.

Par un jugement du 21 mai 2019, le tribunal de première instance de Madrid a condamné la société Gecina à payer à la société Abanca Corporacion Bancaria la somme de 48.713.649,96 euros avec intérêts au taux légal à compter du 5 septembre 2014 en exécution de trois lettres de confort émises les 3 décembre 2008, 29 juin 2009 et le 3 décembre 2009 par la société Gecina en cas de défaut de remboursement des prêts souscrits par les sociétés Immopark et Immobiliaria.

Par un acte d'huissier du 9 décembre 2019, la société Gecina a assigné la société Abanca Corporacion Bancaria devant le tribunal de grande instance de Paris pour s'opposer à la reconnaissance de ce jugement en France.

Par un arrêt du 7 septembre 2020, la cour d'appel de Madrid a confirmé la décision de première instance.

Par un jugement du 27 octobre 2021, le tribunal judiciaire de Paris a :

- Débouté la société Gecina de sa demande de refus de reconnaissance du jugement rendu par le tribunal de première instance n°69 de Madrid (Espagne) le 21 mai 2019,

-Débouté la société Gecina de sa demande de refus de reconnaissance de l'arrêt confirmatif rendu par la Cour d'appel de Madrid (Espagne) en date du 7 septembre 2020,

- Condamné la société Gecina à verser à la société Abanca Corporacion Bancaria la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamné la société Gecina aux entiers dépens de l'instance.

Le 12 novembre 2021, la société Gecina a formé appel.

Par ses conclusions notifiées le 3 octobre 2022, la société Gecina demande à la cour de :

Infirmer le jugement rendu le 27 octobre 2021 de ses chefs suivants : « Déboute la société Gecina de sa demande de refus de reconnaissance du jugement rendu par le tribunal de première instance n°69 de Madrid (Espagne) le 21 mai 2019 » ; « Déboute la société Gecina de sa demande de refus de reconnaissance de l'arrêt confirmatif rendu par la Cour d'appel de Madrid (Espagne) en date du 7 septembre 2020 » ; « Condamne la société Gecina à verser à la société Abanca Corporacion Bancaria la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile » ; « Condamne la société Gecina aux entiers dépens de l'instance ».

Statuant de nouveau :

- Refuser la reconnaissance de l'arrêt rendu par le tribunal de Madrid le 21 mai 2019,

- Refuser la reconnaissance de l'arrêt rendu par la cour d'appel de Madrid le 7 septembre 2020,

- Condamner la société Abanca Corporacion Bancaria SA à lui verser la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

En tout état de cause :

- Rejeter la demande formulée par la société Abanca Corporacion Bancaria tendant à lui verser 100 000 euros au titre de la procédure abusive,

- Rejeter la demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par ses conclusions notifiées le 1er juillet 2022, la société Abanca Corporacion Bancaria demande à la cour de :

- Confirmer le jugement du tribunal judiciaire de Paris du 27 octobre 2021 en toutes ses dispositions,

- Débouter la société Gecina de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

Et y ajoutant,

- Condamner la société Gecina sur le fondement de l'article 1240 du code civil à verser la somme de 100 000 euros en réparation du préjudice résultant des procédures abusivement engagées à son encontre,

- Condamner la société Gecina à verser la somme de 50 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamner la société Gecina aux entiers dépens,

- Dire que ceux d'appel seront recouvrés par Me Matthieu Boccon Gibod, SELARL Lexavoué Paris Versailles conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Par une ordonnance du conseiller de la mise en état en date du 5 janvier 2023, la clôture a été prononcée.

MOTIFS

Sur la demande tendant au refus de reconnaissance des décisions espagnoles

L'article 45 du règlement, dit Bruxelles I bis, n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale dispose que :

« 1. À la demande de toute partie intéressée, la reconnaissance d'une décision est refusée :

a) si la reconnaissance est manifestement contraire à l'ordre public de l'État membre requis ;

b) dans le cas où la décision a été rendue par défaut, si l'acte introductif d'instance ou un acte équivalent n'a pas été notifié ou signifié au défendeur en temps utile et de telle manière qu'il puisse se défendre, à moins qu'il n'ait pas exercé de recours à l'encontre de la décision alors qu'il était en mesure de le faire ;

c) si la décision est inconciliable avec une décision rendue entre les mêmes parties dans l'État membre requis ;

d) si la décision est inconciliable avec une décision rendue antérieurement dans un autre État membre ou dans un État tiers entre les mêmes parties dans un litige ayant le même objet et la même cause, lorsque la décision rendue antérieurement réunit les conditions nécessaires à sa reconnaissance dans l'État membre requis ; (') ».

La société Gecina se fonde sur ces dispositions pour demander à la cour de refuser de reconnaître le jugement et l'arrêt espagnols, en distinguant deux moyens.

Sur le premier moyen de la société Gecina

Moyens des parties

En premier lieu, la société Gecina soutient que les décisions espagnoles violent l'ordre public international français au sens de l'article 45, § 1, a), du règlement. Elle indique que la société Abanca Corporacion Bancaria est visée en France par deux procédures pénales ouvertes devant le tribunal judiciaire de Paris, l'une pour complicité et recel d'abus de pouvoirs sociaux, l'autre pour escroquerie au jugement, qui sont toutes les deux en cours et dont l'issue fait obstacle à la reconnaissance de l'arrêt espagnol. Elle ajoute que son ancien dirigeant, [N] [M], décédé en septembre 2016, qui avait signé les trois lettres de confort émises les 3 décembre 2008, 29 juin 2009 et le 3 décembre 2009 sans en avoir le pouvoir, a été condamné par un jugement du tribunal de grande instance de Paris du 11 mars 2015 à une peine d'emprisonnement et au paiement d'une somme de 208 769 461, 58 euros à son profit et que ce jugement a été confirmé par un arrêt de la cour d'appel de Paris du 5 décembre 2018. Or, selon la société Gecina, « la reconnaissance et l'exécution de la décision du Tribunal de Madrid et a fortiori de l'arrêt d'appel avant la clôture de l'information pénale et de ses suites éventuelles heurte manifestement l'ordre public français ».

La société Abanca Corporacion Bancaria répond que la société Gecina invoque en définitive une litispendance ou un risque de contrariété entre les décisions espagnoles et françaises, que ces moyens ne relèvent toutefois pas de l'exception d'ordre public invoquée par cette société, et que l'existence d'une procédure pendante en France l'interdit pas la reconnaissance des décisions espagnoles.

Réponse de la cour

Dans ce cadre, la cour relève que la société Gecina a invoqué devant le juge espagnol l'existence de procédures pénales en France et que celui-ci a retenu, en substance, qu'au regard des dispositions de l'article 40 de la loi espagnole de procédure civile, il lui était possible de statuer sur le fond, sans surseoir à statuer, dès lors qu'un jugement définitif a déjà été rendu en France en matière pénale, à savoir le jugement du 11 mars 2015 (arrêt de la cour d'appel de Madrid, page 6).

Or, le moyen de la société Gecina développé devant la cour d'appel de Paris tend en définitive à contester l'appréciation retenue par le juge espagnol de la nécessité ou non de surseoir à statuer dans l'attente d'éventuelles décisions française en matière pénale.

La société Gecina n'indique toutefois pas à quel principe relevant de l'ordre public international française la reconnaissance de l'arrêt espagnol porterait atteinte, se bornant à invoquer, sans autre précision à ce sujet, l'article 45, § 1, a), du règlement.

En réalité, comme l'indique la société Abanca Corporacion Bancaria, le moyen de la société Gecina tend à contester la décision prise, sur le fond, par le juge espagnol. Or, l'article 52 du règlement dispose qu' « en aucun cas, une décision rendue dans un Etat membre ne peut faire l'objet d'une révision au fond dans l'Etat membre requis ».

Sur le second moyen de la société Gecina

Moyens des parties

En second lieu, la société Gecina soutient que le litige jugé en Espagne trouve son origine dans les trois lettres de confort émises, au bénéfice de la société Abanca Corporacion Bancaria, les 3 décembre 2008, 29 juin 2009 et le 3 décembre 2009 par [N] [M], son ancien dirigeant, qui n'avait pourtant pas le pouvoir de les émettre. Elle ajoute que le juge espagnol a « reconnu que la loi française devait être appliquée pour déterminer les pouvoirs de M. [M] ». Or, selon elle, il résulte des articles L 225-35 et R 225-28 du code de commerce français que [N] [M] n'avait pas le pouvoir, en particulier, de signer la lettre de confort du 3 décembre 2009 faute d'avoir reçu une autorisation préalable du conseil d'administration de la société Gecina et qu'en conséquence cette lettre de confort est inopposable à la société. La société Gecina en déduit que le juge espagnol n'a pas tiré du fait que [N] [M] n'avait pas reçu cette autorisation les conséquences qui s'imposaient sur la validité des lettres de confort (conclusions p. 17). La société Gecina précise par ailleurs que la société Abanca Corporacion Bancario avait de surcroît indiqué en 2012, soit trois ans après la signature des lettres de confort, qu'elle n'avait aucune position active ou passive contre la société Gecina.

La société Abanca Corporacion Bancaria répond que les articles L 225-35 et R 225-28 du code de commerce français ne sont pas applicables et ne sont pas en tout état de cause des dispositions relevant de l'ordre public international français et que le moyen développé par la société Gecina tend en réalité à une révision des décisions espagnoles.

Réponse de la cour

La société Gecina, sans contester la décision du juge espagnol quant à la détermination de la loi applicable, critique l'appréciation qu'il a fait des pouvoirs de [N] [M] d'engager la société Gecina.

Son moyen tend donc à la révision au fond de la décision espagnole.

Or, ainsi qu'il l'a été déjà relevé, l'article 52 du règlement interdit une telle révision au fond, étant précisé que la société Gecina, qui se borne à affirmer que les articles L 225-35 et R 225-28 du code de commerce seraient d'ordre public international, n'explique pas en quoi la reconnaissance, elle-même, de la décision espagnole serait, au sens de l'article 45, § 1, a), du règlement, manifestement contraire à l'ordre public international français.

Le jugement du tribunal judiciaire de Paris du 27 octobre 2021 est donc confirmé.

Sur la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive

La société Abanca Corporacion Bancaria demande la condamnation de la société Gecina à lui payer la somme de 100 000 euros pour procédure abusive, car son action a été engagée, avec une intention de nuire, dans un objectif de harcèlement judiciaire, sans qu'aucun moyen nouveau sérieux ne soit développé.

Elle procède toutefois par une simple affirmation générale, sans établir la réalité de l'abus ou de l'intention de nuire qu'elle invoque.

Sa demande est donc rejetée.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

La société Gecina, qui succombe, est condamnée à payer la somme de 50.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile. Sa demande formée au titre de ce même article 700 est donc rejetée.

Elle est par ailleurs condamnée aux dépens.

PAR CES MOTIFS

Confirme le jugement ;

Rejette la demande formée par la société Abanca Corporacion Bancaria de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

Condamne la société Gecina à payer la somme de 50.000 euros à la société Abanca Corporacion Bancaria au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Rejette la demande formée par la société Gecina au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société Gecina aux dépens, les dépens d'appel pouvant être recouvrés par Maître Matthieu Boccon-Gibod, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 3 - chambre 5
Numéro d'arrêt : 21/19687
Date de la décision : 18/04/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-04-18;21.19687 ?
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