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13/04/2023 | FRANCE | N°21/06168

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 3 - chambre 3, 13 avril 2023, 21/06168


Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 3 - Chambre 3



ARRET DU 13 AVRIL 2023



(n° 2023/ , 12 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/06168 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CDNE4



Décision déférée à la Cour : Jugement du 09 Mars 2021 -Juge aux affaires familiales de CRETEIL - RG n° 20/00277



APPELANTE



Madame [K] [I]

née le 08 Février 1975 à Rouen (76)

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 4]



Représentée par Me Guillaume MIGAUD de la SELARL ABM DROIT ET CONSEIL AVOCATS E.BOCCALINI & MIGAUD, avocat au barreau de V...

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 3 - Chambre 3

ARRET DU 13 AVRIL 2023

(n° 2023/ , 12 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/06168 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CDNE4

Décision déférée à la Cour : Jugement du 09 Mars 2021 -Juge aux affaires familiales de CRETEIL - RG n° 20/00277

APPELANTE

Madame [K] [I]

née le 08 Février 1975 à Rouen (76)

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Guillaume MIGAUD de la SELARL ABM DROIT ET CONSEIL AVOCATS E.BOCCALINI & MIGAUD, avocat au barreau de VAL-DE-MARNE, toque : PC430, avocat postulant

Représentée par Me Evelyne BOCCALINI, avocat au barreau de VAL-DE-MARNE, toque : PC 129, avocat plaidant

INTIME

Monsieur [S] [T]

né le 16 Novembre 1970 à Paris 12ème (75)

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 3]

Présent et Représenté par Me Sophie TASSEL, avocat au barreau de PARIS, toque : A0173

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 02 Mars 2023, en chambre du conseil, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Béatrice BAUDIMENT, Conseillère, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Mariella LUXARDO, Présidente de chambre

Mme Murielle VOLTE, Conseillère

Mme Béatrice BAUDIMENT, Conseillère

Greffier, lors des débats : Mme Céline DESPLANCHES

ARRÊT :

- Contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Mariella LUXARDO, Présidente de chambre et par Céline DESPLANCHES, greffier présent lors du prononcé.

Mme [K] [I], née le 8 février 1975 à Rouen (76), et M. [S] [T], né le 16 novembre 1970 à Paris (75), tous deux de nationalité française, se sont mariés le 21 juin 2014 à Port Louis (Ile Maurice) suivant contrat de mariage préalable reçu le 12 juin 2014 devant Me [Z], notaire à [Localité 5], sous le régime de la séparation de biens.

Par acte authentique du 13 juin 2014, alors qu'ils étaient sous le régime de l'indivision dans le cadre d'un pacte de solidarité, conclu le 19 mai 2014, ils ont acquis, à concurrence de la moitié chacun en pleine propriété un bien immobilier sis à [Adresse 1] au prix de 430 000 euros.

Par acte notarié du 29 janvier 2015, M. [T] a consenti une donation à hauteur de 50% en pleine propriété de cet immeuble au profit de Mme [A].

Par requête enregistrée au greffe le 25 juin 2015, M. [T] a saisi le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Créteil afin de solliciter le divorce.

Par jugement du 19 juillet 2018, le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Créteil a notamment :

- prononcé le divorce aux torts partagés des époux,

- constaté la révocation des donations et avantages matrimoniaux que les époux ont pu se consentir à l'exception de la donation en date du 29 janvier 2015.

Par acte d'huissier du 12 décembre 2019, M. [T] a fait assigner Mme [I] aux fins de voir fixer sa créance à l'encontre de cette dernière à la somme de 208 999 euros.

Par jugement du 9 mars 2021, le juge aux affaires familiales du tribunal judiciaire de Créteil a notamment :

- rejeté comme irrecevable le moyen tiré de l'incompétence du juge aux affaires familiales,

- dit que la demande est recevable comme non prescrite,

- dit que M. [T] dispose d'une créance à l'encontre de Mme [I] d'un montant de 198 715,11 euros, et en tant que de besoin condamné Mme [I] à lui verser cette somme avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation et capitalisation des intérêts,

- dit que les dépens seront supportés par les parties à proportion de leurs droits dans l'indivision,

- dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Par déclaration du 31 mars 2021, Mme [I] a interjeté appel de ce jugement en ce qu'il a :

- rejeté comme irrecevable le moyen tiré de l'incompétence du juge aux affaires familiales,

- dit que la demande est recevable comme non prescrite,

- dit que M. [T] dispose d'une créance à l'encontre de Mme [I] d'un montant de 198 715,11 euros, et en tant que de besoin condamné Mme [I] à lui verser cette somme avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation et capitalisation des intérêts.

L'intimé a constitué avocat le 21 avril 2021.

L'appelante a transmis ses premières conclusions le 23 avril 2021.

Par ses premières conclusions transmises le 20 juillet 2021, l'intimé a formé appel incident et demande à la cour de :

- recevoir M. [T] en ses demandes,

- le déclarer bien-fondé,

- confirmer le jugement en date du 9 mars 2021 en ce qu'il a retenu le principe d'une créance détenue par M. [T] à l'encontre de Mme [I],

- l'infirmer sur le montant de la créance de M. [T],

Et statuant à nouveau,

- fixer la créance de M. [T] à l'encontre de Mme [I] à la somme de 221 576 euros,

- condamner Madame Mme [I] à verser cette somme à M. [T],

- confirmer le jugement du 9 mars 2021 en ce qu'il a assorti la condamnation au paiement des intérêts au taux légal à compter de la date de l'assignation, soit le 12 décembre 2019,

- le confirmer en ce qu'il a dit que les intérêts dus pour une année entière produiraient eux-mêmes intérêts conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil,

- débouter Mme [I] de toutes ses demandes plus amples ou contraires,

- condamner Mme [I] à verser à M. [T] la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles et sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- la condamner en tous les dépens de première instance et d'appel.

Par ses conclusions d'incident transmises le 17 février 2023, M. [T] demande à la cour de :

- le recevoir en ses conclusions d'incident,

- le déclarer bien-fondé,

- dire et juger que les pièces adverses n°28 à 40 ont été tardivement versées aux débats,

- constater que le principe du contradictoire a ainsi été violé,

En conséquence,

- les écarter purement et simplement des débats.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 21 février 2023.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Par conclusions transmises le 6 février 2023, Mme [I] demande à la cour de :

- infirmer le jugement dont appel en toutes ses dispositions et statuant de nouveau,

A titre principal

- constater, dire et juger que M. [T] ne détient à l'encontre de Mme [I] aucune créance,

- juger M. [T] tant irrecevable que mal fondé en ses demandes en paiement de créance à l'encontre de Mme [I],

Subsidiairement et si par impossible la cour considérait que M. [T] peut revendiquer une créance à l'encontre de Mme [I],

- constater, dire et juger que M. [T] a eu au bénéfice de Mme [I] une intention libérale,

- juger M. [T] tant irrecevable que mal fondée en ses demandes en paiement de créance à l'encontre de Mme [I],

En tout état de cause

- condamner M. [T] au paiement de la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner M. [T] au paiement des entiers dépens tant de première instance que d'appel.

Par conclusions transmises le 7 janvier 2022, M. [T] demande à la cour de :

- le recevoir en ses conclusions,

- le déclarer bien-fondé,

- confirmer le jugement en date du 9 mars 2021 en ce qu'il a retenu le principe d'une créance détenue par M. [T] à l'encontre de Mme [I],

- l'infirmer sur le montant de la créance de M. [T],

Et statuant à nouveau,

- fixer la créance de M. [T] à l'encontre de Mme [I] à la somme de 219 772 euros,

- condamner Mme [I] à verser cette somme à M. [T],

- confirmer le jugement du 9 mars 2021 en ce qu'il a assorti la condamnation au paiement des intérêts au taux légal à compter de la date de l'assignation, soit le 12 décembre 2019,

- le confirmer en ce qu'il a dit que les intérêts dus pour une année entière produiraient eux-mêmes intérêts conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil,

- débouter Mme [I] de toutes ses demandes plus amples ou contraires,

- condamner Mme [I] à verser à M. [T] la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles et sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- la condamner en tous les dépens de première instance et d'appel.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur l'étendue de la saisine de la cour

En application de l'article 562 du code de procédure civile, l'appel défère à la cour la connaissance des chefs de jugement qu'il critique expressément et de ceux qui en dépendent. La dévolution ne s'opère pour le tout que lorsque l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible.

L'article 901, 4° de ce code dispose que la déclaration d'appel est faite par acte contenant, outre les mentions prescrites par les 2° et 3° de l'article 54 (...) les chefs du jugement expressément critiqués auxquels l'appel est limité, sauf si l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible. 

En l'espèce, aux termes de la déclaration d'appel et des dernières conclusions des parties, la cour est saisie de l'appel portant sur la créance due entre anciens époux, les dépens et ajoutant au jugement les frais irrépétibles.

Sur la recevabilité des pièce n°28 à 40 de Mme [I]

Selon l'article 136 du code de procédure civile, le juge peut écarter du débat des pièces qui n'ont pas été communiquées en temps utile.

La jurisprudence a établi que les pièces produites aux débats doivent l'être en temps utile pour permettre à la partie adverse de conclure. En effet, la communication tardive de pièces ne doit pas faire obstacle à l'instauration d'un débat contradictoire à leur sujet.

En l'espèce, l'avis de fixation du conseiller de la mise en état a été adressé aux parties le 25 mars 2022. Il était annoncé une clôture de l'instruction de l'affaire au 7 février 2023 et des plaidoiries au 2 mars 2023.

La clôture de l'instruction du dossier fixée initialement au 7 février 2023 a été reportée au 21 février 2023. Les conclusions d'incident de M. [T] sur la recevabilité des pièces nouvelles datent du 17 février 2023.

Les conclusions récapitulatives de Mme [I] et le bordereau de communication des pièces numérotées de 1 à 40 ont été transmis par le réseau privé virtuel entre avocats le 6 février 2023 à 17h27. L'envoi était donc tardif puisque correspondant à la veille de la date initiale de clôture.

Un report de la clôture était accordé, celle-ci étant désormais fixée au 21 février 2023.

Néanmoins, les nouvelles pièces n°28 à 40 ont été transmises de manière effective le 17 février 2023 à 10h51, soit tardivement et sans explication sur le retard, après que le conseil de M. [T] les ait réclamées le 10 février 2023 (pièces n°29 et 30 de M. [T]).

Il est considéré en conséquence que le principe du contradictoire n'a pas été respecté, M. [T] n'ayant pas eu le temps de prendre des nouvelles pièces adverses d'y répondre par conclusions s'il l'estimait nécessaire, étant précisé que la clôture ayant déjà été révoquée, l'octroi d'un nouveau report n'aurait pas été accordé, sans un motif grave.

En conséquence, à défaut du principe du respect du contradictoire les pièces n° 28 à 40 de Mme [I], communiquées trop tardivement, sont déclarées irrecevables et doivent être écartées des débats.

Sur la créance à l'encontre de Mme [I]

L'article 515-5-1 du code civil dispose que les partenaires peuvent, dans la convention initiale ou dans une convention modificative, choisir de soumettre au régime de l'indivision les biens qu'ils acquièrent, ensemble ou séparément, à compter de l'enregistrement de ces conventions. Ces biens sont alors réputés indivis par moitié, sans recours de l'un des partenaires contre l'autre au titre d'une contribution inégale.

L'article 515-5-2 du même code dispose que, toutefois, demeurent la propriété exclusive de chaque partenaire :

1° Les deniers perçus par chacun des partenaires, à quelque titre que ce soit, postérieurement à la conclusion du pacte et non employés à l'acquisition d'un bien ;

2° Les biens créés et leurs accessoires ;

3° Les biens à caractère personnel ;

4° Les biens ou portions de biens acquis au moyen de deniers appartenant à un partenaire antérieurement à l'enregistrement de la convention initiale ou modificative aux termes de laquelle ce régime a été choisi ;

5° Les biens ou portions de biens acquis au moyen de deniers reçus par donation ou succession ;

6° Les portions de biens acquises à titre de licitation de tout ou partie d'un bien dont l'un des partenaires était propriétaire au sein d'une indivision successorale ou par suite d'une donation.

L'emploi de deniers tels que définis aux 4° et 5° fait l'objet d'une mention dans l'acte d'acquisition. A défaut, le bien est réputé indivis par moitié et ne donne lieu qu'à une créance entre partenaires.

L'article 515-7 du code civil, dans sa version en vigueur en l'espèce, indique que le pacte civil de solidarité se dissout également par déclaration conjointe des partenaires ou décision unilatérale de l'un d'eux.

Les partenaires procèdent eux-mêmes à la liquidation des droits et obligations résultant pour eux du pacte civil de solidarité. A défaut d'accord, le juge statue sur les conséquences patrimoniales de la rupture, sans préjudice de la réparation du dommage éventuellement subi.

Sauf convention contraire, les créances dont les partenaires sont titulaires l'un envers l'autre sont évaluées selon les règles prévues à l'article 1469. Ces créances peuvent être compensées avec les avantages que leur titulaire a pu retirer de la vie commune, notamment en ne contribuant pas à hauteur de ses facultés aux dettes contractées pour les besoins de la vie courante.

L'article 1469 du code civil précise que la récompense est, en général, égale à la plus faible des deux sommes que représentent la dépense faite et le profit subsistant.

Elle ne peut, toutefois, être moindre que la dépense faite quand celle-ci était nécessaire.

Elle ne peut être moindre que le profit subsistant, quand la valeur empruntée a servi à acquérir, à conserver ou à améliorer un bien qui se retrouve, au jour de la liquidation de la communauté, dans le patrimoine emprunteur. Si le bien acquis, conservé ou amélioré a été aliéné avant la liquidation, le profit est évalué au jour de l'aliénation ; si un nouveau bien a été subrogé au bien aliéné, le profit est évalué sur ce nouveau bien.

Mme [I] demande à la cour de constater que M. [T] ne détient aucune créance sur elle et que subsidiairement il existait une intention libérale de la part de M. [T], le rendant non fondé à agir en paiement contre elle.

L'appelante explique que par acte notarié du 19 mai 2014, elle a conclu un pacte civil de solidarité (PACS) avec M. [T] et qu'ils ont opté pour le régime de l'indivision. Elle ajoute que par acte notarié du 13 juin 2014, le couple a acquis sous le régime de l'indivision et à concurrence de la moitié chacun en pleine propriété, un bien immobilier à savoir les lots n°11 et 12 de l'immeuble en copropriété, situé [Adresse 1], pour un prix de 426 000 euros et 4 000 euros de frais de repris pour le mobilier. Leur mariage a été célébré par la suite le 21 juin 2014, sous le régime de la séparation de biens. Mme [I] mentionne la donation faite par M. [T] à son bénéfice le 29 janvier 2015 de 50% de la pleine propriété de l'immeuble susmentionné. L'appelante précise que la donation est assortie d'une clause d'interdiction d'aliéner et d'hypothéquer. Mme [I] indique que la requête en divorce a été introduite par M. [T] le 25 juin 2015. Elle rappelle que le jugement de divorce prononcé le 19 juillet 2018 a constaté la révocation des donations et avantages matrimoniaux, à l'exception de la donation du 29 janvier 2015.

Mme [I] ajoute que le bien immobilier acquis est réputé indivis par moitié sans recours d'un partenaire contre l'autre au titre d'une contribution inégale, par application de l'article 515-5-1 du code civil. Mme [I] explique qu'aux termes de la convention de PACS l'utilisation des fonds personnels faite sans déclaration d'emploi ou de remploi ouvre droit à créance si les deniers ont été perçus avant la conclusion du PACS ou s'ils ont été reçus postérieurement au PACS au titre d'une donation ou d'une succession.

Selon elle, M. [T] doit démontrer avoir reçu les fonds au plus tard le 19 mai 2014 date de conclusion du PACS ou les avoir reçus postérieurement à cette date mais à titre de donation ou de succession. Le prix d'achat du bien a été financé avec les fonds de M. [T] d'après Mme [I] mais le plan de financement présenté par l'intimé pour obtenir un prêt relais ne correspond pas aux sommes mentionnées dans ses conclusions. Mme [I] explique également que le décompte du notaire fait apparaitre que des sommes ont été prêtées par la mère et la tante de M. [T] (145 000 euros), que 171 000 euros ont été prêtés par la mère de ce dernier, que 101 896,85 euros proviennent de la vente d'un bien propre et que la somme de 44 350 euros correspond à un prêt souscrit par M. [T].

Mme [I] ajoute que la somme de 20 000 euros invoquée par l'intimé ne figure pas sur le décompte du notaire et que la nature propre de l'origine de ces fonds n'est pas démontrée.

Selon elle la donation de 95 000 euros par la mère de M. [T] n'est pas prouvée, l'attestation produite mentionnant un autre montant et une autre date, et le formalisme de l'article 931 du code civil n'ayant pas été respecté. L'appelante indique qu'il n'existe pas de créance sur la somme de 101 896,85 euros car ce montant, bien propre, a été employé à l'acquisition d'un bien immobilier postérieurement à la signature d'un PACS.

L'appelante conteste également la validité de la donation de 50 000 euros de la tante de M. [T], le formalisme n'étant pas respecté et des divergences de montants, de dates et de personnes à l'origine des virements étant observées.

Elle indique que le prêt de 171 000 euros de la mère de M. [T] est postérieur au PACS et a servi à l'acquisition d'un bien immobilier. Il ne peut donc pas faire l'objet d'une récompense.

Subsidiairement, Mme [I] explique qu'elle a pris en charge le remboursement des échéances du prêt de 45 000 euros. Elle indique que M. [T] ne prouve pas que les autres sommes versées pour acquérir le bien ne l'ont pas été avec une intention libérale. Selon Mme [I], M. [T] a toujours su qu'elle ne pouvait acquérir seule le bien, qu'il a procédé à une donation notariée le 13 juin 2014, sa demande de créance n'étant formulée la première fois que le 8 juillet 2015. Elle observe l'absence de clause de remploi dans l'acte d'acquisition, et le fait que M. [T] savait qu'elle était mère célibataire avec très peu de revenus.

Mme [I] explique avoir subi la jalousie et l'extrême violence de M. [T], la mettant en danger ainsi que leurs enfants en voiture lors d'une crise, la donation s'inscrivant dans un contexte où l'intimé voulait se faire pardonner. Elle observe que M. [T] a effectué une ultime donation, lui faisant bénéficier du reliquat des frais correspondant à 1 371,26 euros.

M. [T] demande la confirmation du jugement qui a fixé sa créance mais demande d'en porter le montant à la somme de 219 772 euros, avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation et la capitalisation des intérêts.

L'intimé indique que la tentative de liquidation amiable a échoué. Il ajoute que l'emprunt de 45 000 euros contracté par Mme [I] pour financer partiellement l'acquisition du bien immobilier a été remboursé par l'appelante à l'exception des deux premières échéances.

M. [T] invoque l'application de l'article 2 du PACS. Il explique que le bien immobilier a été acquis pour un montant de 430 000 euros, outre les frais s'élevant à 32 800 euros et la commission d'agence d'un montant de 20 000 euros. M. [T] indique avoir financé 437 986,86 euros ainsi :

- 20 000 euros d'indemnité d'immobilisation, somme virée avant le PACS de son compte personnel sur celui du notaire séquestre

- 95 000 euros provenant d'une donation de sa mère et versée sur son compte les 20 mai et 4 juin 2014

- 101 086,86 euros correspondant au prix de vente d'un bien propre

- 50 000 euros provenant d'un don manuel de sa famille maternelle

-171 000 euros correspondant à une somme prêtée par sa mère à lui seul.

M. [T] indique que le formalisme de l'article 931 du code civil n'a pas à être respecté s'agissant d'un don manuel, que la nature propre des deniers provenant de la donation de sa mère est incontestable, que la donation soit antérieure ou postérieure au PACS. Selon lui, il en est de même de la somme de 101 986,85 euros qui provient de la vente d'un immeuble dont il était nu-propriétaire à la suite du décès de son père.

Le montant de 50 000 euros correspond selon M. [T] à une donation de sa tante Mme [M] [W] le 26 mai 2014, à hauteur de 30 000 euros, de sa grand-mère Mme [C] [P] [V] le 28 mai 2014 pour 10 000 euros et de sa tante Mme [C] [E] [W] à raison de 10 000 euros à la même date. Pour M. [T], ces donations sont personnelles quel que soit leur date.

Enfin, s'agissant de la somme de 171 000 euros, M. [T] explique que ce montant lui a été prêté par sa mère avant le PACS, au regard de l'enregistrement par les services fiscaux le 8 avril 2014 et qu'il la rembourse seul.

M. [T] indique que la valeur actuelle du bien est de 540 000 euros.

Il affirme que Mme [I] détient une créance en raison du prêt qu'elle a remboursé d'un montant de 25 061,50 euros et qu'après compensation avec la somme due par l'appelante (244 834 euros), sa créance s'élève à 219 772 euros, outre les intérêts.

L'intimé ajoute que l'intention libérale doit s'apprécier à la date de l'apport des fonds propres lors de l'acquisition soit le 13 juin 2014. Il met en cause la validité de l'attestation de la fille de Mme [I], âgée de 12 ans en 2014. Il précise que la clause de remploi des fonds n'est pas une obligation ni une renonciation implicite à faire valoir une créance. Il observe que Mme [I] a fixé un délai à M. [T] afin qu'il quitte le logement en mai 2015 et évoque le fait d'avoir été sous l'emprise de Mme [I].

En l'espèce, l'article 2 de la convention du pacte civil de solidarité stipule que les parties ont décidé d'opter pour le régime de l'indivision, celle-ci comprenant automatiquement les biens acquis à titre onéreux après la conclusion du PACS, indépendamment du financement réel effectué par chacun, et que les partenaires ne pourront avoir l'un contre l'autre de recours au titre d'une contribution inégalitaire dans la mesure où le financement a été assuré au moyen de leurs gains, salaires ou revenus.

La convention précise en outre que l'utilisation de fonds personnels tels que définis à l'article 515-5-2 du code civil, faite sans déclaration d'emploi ou de remploi donnera lieu à une créance entre partenaire qui sera réglé lors de la liquidation de l'indivision.

Le financement d'un acquêt indivis par un partenaire ne donne pas lieu à créance, sauf lorsque les fonds employés étaient personnels au partenaire qui les a reçus à titre gratuit ou perçus antérieurement à l'enregistrement du PACS, ou par donation ou succession.

Il résulte des pièces n°9-5 et 20 produites aux débats par M. [T] que la somme de 20 000 euros virée par M. [T] à titre d'indemnité d'immobilisation le 5 février 2014, soit avant la signature du PACS, de son compte personnel sur celui du notaire séquestre, correspond à des deniers appartenant à M. [T] antérieurement à l'enregistrement de la convention et sont considérés personnels par application de l'article 515-5-2 4°du code civil. Cette somme doit donc être prise en compte dans le calcul de la créance.

Par ailleurs, la somme de 95 000 euros provient d'une donation de la mère de M. [T] et versée sur le compte de ce dernier les 20 mai et 4 juin 2014. Le formalisme de l'article 931 du code civil n'a pas été respecté puisqu'aucun acte notarié n'a été passé pour prouver cette donation. Toutefois, en application d'une jurisprudence constante relative aux dons manuels, Mme [T] s'est de manière effective dépossédée de la somme de 95 000 euros afin de la donner à son fils et les virements sur les comptes bancaires en attestent. Le virement de fonds a opéré dessaisissement du donateur et tradition au bénéficiaire, permettant l'accomplissement d'un don manuel.

Il en est de même, avec les donations des sommes de 30 000 euros, 10 000 euros et 10 000 euros émanant des tantes et grand-mère maternelle de M. [T] et versées les 26 mai, et 28 mai 2014 (pièce n°9 de l'intimé).

Le fait que ces donations aient été versées postérieurement à la signature du pacte civil de solidarité est sans incidence sur leur caractère personnel.

Il n'est pas contestable que la somme de 101 086,86 euros finançant partiellement l'acquisition de l'appartement à Maison Alfort correspond à la valeur de la nue-propriété du bien immobilier dans le cadre de la succession du père de M. [T], le-dit bien démembré, étant vendu et la somme revenant à M. [T] étant un bien propre (pièce n°13 de l'intimé).

Enfin, la somme de 171 000 euros correspondant à une somme prêtée par sa mère à M. [T] seul. Ce prêt a été enregistré auprès des services fiscaux le 8 avril 2014. Mme [I] ne conteste pas que ce prêt est remboursé uniquement par M. [T]. Il donne droit à récompense de la même manière que l'emprunt de 45 000 euros contracté par Mme [I], et dont elle règle les échéances.

En conséquence, il y a lieu de constater qu'il existe une créance en faveur de M. [T] due par son ancienne partenaire.

Cette créance sera évaluée par application de l'article 1469 du code civil auquel renvoie l'article 515-7 du même code.

Ainsi, la créance de M. [T] sera calculée en fonction de la dépense qu'il a engagée (437 800 euros), le bien ayant été acquis pour la somme totale de 482 800 euros, frais inclus. La valeur actuelle du bien selon les dernières estimations remises est de 540 000 euros (pièce n°26 de l'intimé). L'estimation de valeur actualisée retenue par le premier juge (497 000 euros) datait de 2019 au moment de la tentative de règlement amiable. Il est observé que la plus récente attestation de valeur (en 2021 selon M. [T]) a été réalisée par une des agences immobilières qui avait rédigé une des attestations de valeur en 2019 (pièce n°15 de l'intimé). Mme [I] ne conteste pas la dernière estimation et ne produit pas de nouvelles évaluations de la maison.

Le calcul est le suivant : dépense engagée 437 800 euros/ valeur d'acquisition 482 800 euros X valeur du bien au jour du partage 540 000 euros/ 2 = 244 834,29 euros.

Mme [I] qui a remboursé seule l'emprunt de la somme de 45 000 euros a droit à une récompense. M. [T] a calculé que la récompense due à Mme [I] s'élève à 25 061,50 euros. La somme issue du calcul opéré, n'est pas critiquée par l'appelante et sera donc retenue.

Par compensation des deux créances, il est constaté que M. [T] est créancier de la somme de 219 772 euros.

A titre subsidiaire, Mme [I] demande qu'il soit considéré que M. [T] a procédé au versement des sommes permettant le financement de la maison avec une intention libérale et qu'il n'est donc pas recevable à en réclamer le remboursement.

Il résulte des pièces produites aux débats que M. [T] a réalisé une donation de la moitié de la pleine propriété de l'immeuble, le 29 janvier 2015, démontrant ainsi clairement quelle était son intention libérale vis-à-vis de Mme [I].

Il ressort également des pièces produites aux débats que la relation entre les deux parties a été complexe et émaillée de mains-courantes, dépôts de plainte et médiation pénale. Néanmoins, contrairement à ce qu'affirme Mme [I], M. [T] n'est pas le seul responsable des difficultés conjugales et c'est pour cette raison que le divorce a été prononcé aux torts partagés le 19 juillet 2018, décision qui n'a pas fait l'objet d'un recours et est donc devenue définitive (pièce n° 7 de Mme [I]).

Il ne peut donc pas être considéré malgré l'envoi de messages écrits de la part de M. [T] marqués par un ton de culpabilité, au surplus postérieurs à l'acquisition du bien, cque son intention d'offrir la totalité de la propriété de la maison à sa compagne, soit caractérisée.

L'absence de clause de remploi des fonds apportés dans l'acte d'acquisition n'implique pas une intention libérale de la part de M. [T]. Cette clause n'est pas obligatoire d'une part. D'autre part, comme il a été examiné ci-dessus, le financement du bien par M. [T] provenait en grande partie d'apports personnels (donations, suite d'une succession), donnant lieu par principe à une créance. L'acte notarié ne devait donc pas comporter nécessairement de dispositions à ce sujet.

Le souhait pour M. [T] d'acheter une maison pour la famille recomposée qu'il avait formé avec Mme [I] ne signifie pas pour autant sa volonté de donner l'entière propriété du logement en cas de séparation du couple. Les modalités de financement du bien par M. [T], largement aidé par sa famille, démontrent que l'intéressé ne dispose pas de fonds lui permettant de céder la totalité du bien gracieusement à Mme [I], sans se placer lui-même dans une situation financière très délicate.

En conséquence, l'intention libérale de M. [T] n'est pas établie par Mme [I] et il convient d'écarter ce moyen.

Il y a donc lieu de faire droit à la demande de condamnation à récompense d'un montant de 219 772 euros, avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation du 12 décembre 2019 sur la somme alors réclamée de 208 999 euros.

Par application de l'article 1154 du code civil devenu l'article 1343-2 du code civil, les intérêts dus pour une année entière produiront intérêt.

En conséquence le jugement ayant fixé le principe d'un droit à créance pour M. [T] est confirmé.

En revanche, le montant de ladite créance est modifié au regard notamment de l'actualisation de la valeur du bien acquis.

Sur les dépens et les frais irrépétibles.

Partie succombante, Mme [I] est condamnée aux dépens d'appel, ceux de première instance restant supportés comme dit au jugement entrepris.

L'équité ne commande pas de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en la cause. Les demandes de ce chef sont donc rejetées.

PAR CES MOTIFS :

La cour,

Statuant dans les limites de sa saisine, par arrêt contradictoire mis à disposition,

Déclare irrecevables les pièces n°28 à 40 de Mme [I] et les écarte des débats ;

Confirme le jugement rendu le 9 mars 2021 par le juge aux affaires familiales du tribunal judiciaire de Créteil en ce qu'il a fixé un droit à créance en faveur de M. [T] ;

Infirmant le jugement sur le montant de la créance ;

Dit que M. [T] dispose d'une créance à l'encontre de Mme [I] d'un montant de 219 772 euros, et en tant que de besoin condamne Mme [I] à lui verser cette somme avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation du 12 décembre 2019 sur la somme alors réclamée de 208 999 euros, et ce avec capitalisation des intérêts ;

Rejette le surplus des demandes et notamment celles fondées sur l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne Mme [I] aux dépens.

La Greffière La Présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 3 - chambre 3
Numéro d'arrêt : 21/06168
Date de la décision : 13/04/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-04-13;21.06168 ?
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