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30/03/2023 | FRANCE | N°19/07197

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 8, 30 mars 2023, 19/07197


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 8



ARRET DU 30 MARS 2023



(n° , 9 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/07197 - N° Portalis 35L7-V-B7D-CAGQ4



Décision déférée à la Cour : Jugement du 14 Mai 2019 -Conseil de prud'hommes - Formation paritaire de MELUN - RG n° F18/00128





APPELANT



Monsieur [V] [M]

[Adresse 2]

[Adresse 2]
>[Adresse 2]



Représenté par Me Savine BERNARD, avocat au barreau de PARIS, toque : C2002





INTIMÉE



LA CAISSE DES FRANCAIS DE L'ETRANGER

[Adresse 1]

[Adresse 1]



Représentée par ...

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 8

ARRET DU 30 MARS 2023

(n° , 9 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/07197 - N° Portalis 35L7-V-B7D-CAGQ4

Décision déférée à la Cour : Jugement du 14 Mai 2019 -Conseil de prud'hommes - Formation paritaire de MELUN - RG n° F18/00128

APPELANT

Monsieur [V] [M]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représenté par Me Savine BERNARD, avocat au barreau de PARIS, toque : C2002

INTIMÉE

LA CAISSE DES FRANCAIS DE L'ETRANGER

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée par Me Didier SEBAN, avocat au barreau de PARIS, toque : P0498

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 16 Février 2023, en audience publique, les avocats ne s'étant pas opposés à la composition non collégiale de la formation, devant Madame Nathalie FRENOY, Présidente, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Madame Nathalie FRENOY, présidente

Madame Nicolette GUILLAUME, présidente

Madame Emmanuelle DEMAZIERE, vice-présidente placée

Greffier, lors des débats : Mme Nolwenn CADIOU

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

- signé par Madame Nathalie FRENOY, présidente et par Madame Nolwenn CADIOU, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

Monsieur [V] [M] a été engagé par la Caisse des Français de l'Etranger par contrat à durée indéterminée du 7 juin 2010 en qualité de responsable des systèmes d'information au sein du service informatique.

Il a ensuite été promu Directeur des Systèmes d'Information et Appui Métiers (DSIAM).

Le 1er décembre 2017, il a été convoqué à un entretien préalable fixé au 12 décembre suivant.

Par courrier du 12 janvier 2018, la Caisse des Français de l'Etranger lui a notifié son licenciement.

Contestant la rupture de son contrat de travail, M. [M] a saisi le 16 mars 2018 le conseil de prud'hommes de Melun qui, par jugement du 14 mai 2019, notifié aux parties par lettre du 28 mai 2019, a :

-constaté le bien fondé du licenciement pour cause réelle et sérieuse,

-pris acte que la CFE entend régulariser les périodes d'ancienneté à prendre en compte, soit la somme de 19 623,45 euros,

-débouté M. [M] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

-débouté la CFE de sa demande reconventionnelle,

-rejeté les demandes plus amples et contraires,

-laissé les dépens à la charge de M. [M].

Par déclaration du 14 juin 2019, M. [M] a interjeté appel de ce jugement.

Dans ses dernières conclusions notifiées et déposées au greffe par voie électronique le 14 décembre 2021, l'appelant demande à la cour :

-d'infirmer le jugement de première instance en ce qu'il a constaté le bien fondé pour cause réelle et sérieuse de son licenciement, l'a débouté de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions, a rejeté les demandes plus amples et contraires et a laissé les dépens à sa charge,

statuant à nouveau, il est demandé à la Cour :

-de condamner, sur le fondement des articles L. 1152-1 et L. 4121-1 du code du travail, la CFE à payer à Monsieur [M] à titre de dommages et intérêts la somme de 50 000 euros,

-de juger, à titre principal, sur le fondement des articles L. 1152-3 et L. 1121-1 du code du travail et de l'article 10-1 de la Convention européenne des droits de l'homme, que le licenciement de Monsieur [M] est nul,

en conséquence,

-de condamner la CFE à payer à Monsieur [M] au titre de l'indemnité pour licenciement nul la somme de 147 240 euros,

à titre subsidiaire :

-de juger, sur le fondement des articles L. 1235-1 et suivants, que le licenciement de Monsieur [M] est sans cause réelle et sérieuse,

en conséquence,

-de condamner la CFE à payer à Monsieur [M] au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse la somme de 139 060 euros,

-de condamner la CFE à payer à Monsieur [M] à titre de reliquat d'indemnité de licenciement impayée la somme de 46 770,93 euros,

-de condamner, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, la CFE à payer à Monsieur [M] la somme de 3 000 euros,

-d'ordonner à la CFE de remettre à Monsieur [M] un solde de tout compte, et un bulletin de paie pour juillet 2018 conformes, sous astreinte de 150 euros par jour de retard et par document que le Conseil se réservera le droit de liquider,

-de condamner la CFE au paiement des intérêts légaux avec anatocisme et aux entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions notifiées et déposées au greffe par voie électronique le 12 décembre 2019, la société Caisse des Français de l'Etranger demande à la cour :

à titre principal :

-de confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Melun en ce qu'il a :

*dit et jugé que le licenciement de Monsieur [M] est fondé sur une cause réelle et sérieuse,

*débouté Monsieur [M] de l'ensemble de ses demandes,

-de prendre acte que la CFE a régularisé les périodes d'ancienneté à prendre en compte au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement,

-de débouter Monsieur [M] de sa demande au titre du reliquat d'indemnité de licenciement,

à titre subsidiaire :

-de dire et juger, si par extraordinaire, la Cour considérait le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, que les dommages et intérêts soient ramenés à trois mois de salaire maximum,

-de dire et juger, si par extraordinaire la Cour considérait qu'un reliquat d'indemnité de licenciement doit être versé, qu'il conviendrait de ramener le montant de la somme à verser à Monsieur [M] à hauteur de 26 351, 49 euros,

-de dire et juger qu'aucune astreinte ne peut être ordonnée,

en tout état de cause :

-de débouter Monsieur [M] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

-d'infirmer le jugement de première instance en ce qu'il a débouté la CFE de sa demande reconventionnelle, à savoir la condamnation de Monsieur [M] à la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

-de confirmer le jugement de première instance en ce qu'il a laissé à la charge de Monsieur [M] les entiers dépens.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 24 janvier 2023 et l'audience de plaidoiries a été fixée au 16 février 2023.

Il convient de se reporter aux énonciations de la décision déférée pour plus ample exposé des faits et de la procédure antérieure, ainsi qu'aux conclusions susvisées pour l'exposé des moyens des parties devant la cour.

MOTIFS DE L'ARRET

Sur le harcèlement moral et le non-respect de l'obligation de prévention des risques :

M. [M] affirme avoir été victime d'une dégradation de ses conditions de travail constitutive de harcèlement moral. Il évoque sa surcharge de travail, des critiques injustifiées, des méthodes déloyales de sa hiérarchie visant à rendre impossible la poursuite de la relation de travail et l'annonce brutale de la rupture de son contrat pendant un arrêt maladie, agissements ayant dégradé son état de santé et compromis son avenir professionnel.

M. [M] soutient aussi que la Caisse des Français de l'Etranger a manqué à son obligation de sécurité et de prévention dans la mesure où elle n'a pris aucune mesure à la suite de ses multiples dénonciations du harcèlement moral. Il réclame 50 000 € de réparation à ces deux titres.

L'intimée, arguant de l'absence de tout harcèlement moral, conclut au rejet de la demande.

Sur le harcèlement moral :

Selon l'article L 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

L'article L1154-1 du même code dispose que 'lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement.

Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles'.

Au soutien de sa surcharge de travail, facteur de stress et de dégradation de ses conditions de travail, M. [M] verse aux débats le compte rendu du conseil d'administration des 12 et 13 décembre 2016 faisant le point sur l'activité SI, listant 43 projets prioritaires identifiés ainsi qu'une 'augmentation significative du portefeuille de projets pour répondre aux attendus', le compte rendu du comité de pilotage SI du 11 avril 2017 constatant la même augmentation du portefeuille de projets et insistant sur le risque pour la DSIAM à tenir ses engagements, certains des projets étant positionnés sur des délais très courts au sein d'un plan de charge déjà saturé, le compte rendu de pilotage SI du 13 juin 2017 dans lequel sont évoqués la fatigue des équipes ( et risques RH associés), 51 projets dans le portefeuille et des chantiers à reporter au-delà de 2017, la réalisation du portefeuille étant qualifiée de

' non tenable'.

M. [M] produit également, outre ses différentes alertes sur la situation, à l'occasion de comités de pilotage notamment,

-son compte rendu d'entretien d'évaluation et d'accompagnement en date du 10 mai 2017, évoquant sa forte charge de travail, 'une charge de travail très lourde dans un environnement parfois hostile' de la DSIAM ainsi que ses commentaires sur les risques importants identifiés ainsi que sur le coût humain de l'atteinte des objectifs à mi-année,

- son courrier du 24 décembre 2017 critiquant le modèle d'activité imposé à la DSI, contraire aux 'bonnes pratiques professionnelles', relevant l'augmentation en une année de plus de 50% de l'activité, un sous-effectif de 25 %, le départ du responsable technique et la mutation du directeur de projet, le blocage du recrutement d'un architecte technique et une très forte dépendance à des prestataires, comme le confirme le compte rendu de comité de direction du 3 octobre 2017 (pièce 3 du salarié),

-le courrier du 27 octobre 2017 du directeur, M [R], reconnaissant 'l'implication au profit de la CFE, jamais démentie' de M. [M].

Par ailleurs, l'appelant verse aux débats son courrier du 19 juin 2016 contenant ses réponses aux questions posées par le conseil d'administration au sujet de la refonte du système d'information, son courrier du 1er août 2016 à l'attention du directeur général dans lequel il indique avoir été 'lourdement interpellé' lors du conseil d'administration de la CFE des 13 et 14 juin 2016, son courrier consécutif à son entretien préalable, son courriel du 17 novembre 2017 au directeur général relativement à la sous-traitance, le courriel du 29 novembre 2017 de la direction lui reprochant de ne pas l'avoir informée d'une panne informatique.

Relativement à l'annonce brutale de la rupture de son contrat de travail pendant son arrêt maladie par M. [R], le salarié produit son courrier du 18 octobre 2017 ainsi que la réponse du directeur évoquant 'l'échange téléphonique que nous avons eu le 11 octobre'.

Il verse également aux débats différents avis d'arrêt de travail le concernant faisant mention de troubles anxio-dépressifs notamment, un certificat médical de son médecin traitant évoquant 'en sus des pathologies motivant les arrêts de travail un état d'épuisement psychologique intense' ainsi que plusieurs prescriptions médicamenteuses.

Sont donc recueillis des éléments relatifs à une augmentation significative des projets à mener, à une charge de travail importante, aux alertes adressées à la direction à ce sujet, à l'état d'épuisement psychologique intense du salarié, éléments de fait qui, pris dans leur ensemble, laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral.

La Caisse des Français de l'Etranger réfute tout harcèlement à l'encontre de M. [M] et souligne que les griefs invoqués ne sont pas établis, les éléments apportés par l'appelant ne mettant pas en exergue d'alertes relativement à une situation de stress personnel découlant de sa charge de travail. Elle précise qu'il ne lui a jamais été demandé de travailler le soir ou pendant ses congés, qu'aucune critique injustifiée n'est démontrée et que l'intéressé a été placé en arrêt de travail pour une maladie d'origine non professionnelle, à savoir une rachialgie ( douleurs du dos); elle conclut au rejet de la demande.

L'intimée établit par différentes pièces qu'à l'arrivée du nouveau directeur général en octobre 2016, en raison des inquiétudes ayant été exprimées sur l'obsolescence du système d'information de la CFE, l'audit mis en place pour 'déterminer la meilleure solution d'évolution' a permis de constater que les projets menés livraient des résultats peu visibles par les métiers, le partenariat étant déficient et un manque de stratégie existant. Le point d'étape du 30 septembre 2016, donné par le cabinet Yce Partners, préconise d'aligner 'stratégie métier et SI' et de 'délivrer dans les délais les projets SI' notamment en tirant profit des apports des nouvelles technologies et des solutions du marché, en anticipant, évaluant et conduisant le changement des opérations métier et en maîtrisant la relation avec les prestataires et éditeurs.

Il est établi par les éléments produits que la réorganisation de la DSIAM a été définie sur trois axes d'amélioration à court terme, dont l'accroissement de la maîtrise des activités c'ur et le renforcement du management.

Cette réorganisation et ces axes d'amélioration ont contribué à l'augmentation du nombre de projets en cours pour la DSIAM ; ils sous-tendent également certaines critiques qui ont été faites à [V] [M] sur son manque d'anticipation sur des points dépendant de sa responsabilité, comme la faiblesse des infrastructures dites de fondation.

Dans ce contexte de réorganisation et de restructuration de service, ces éléments permettent de retenir que les faits critiqués par le salarié étaient justifiés par des données objectives étrangères à tout harcèlement moral.

La demande d'indemnisation formulée à ce titre doit donc être rejetée, par confirmation du jugement entrepris.

Sur la prévention des risques:

En revanche, alors qu'en vertu des articles L4121-1 et L4121-2 du code du travail, l'employeur doit prévenir tout risque pour le salarié, mettre en place une organisation et des moyens adaptés et prendre toutes mesures notamment pour éviter une surcharge de travail ou un épuisement psychologique intense comme celui relevé par le médecin traitant de M. [M], les éléments du dossier ( tels que ceux précédemment cités) montrent à ce titre des manquements de l'employeur qui n'a pas respecté son obligation de sécurité, nonobstant les alertes lancées par l'intéressé à ce sujet.

Au surplus, alors qu'elle avait reçu plusieurs écrits dénonçant un harcèlement moral à l'encontre de l'appelant, il n'est justifié de la part de la Caisse des Français de l'Etranger d'aucune enquête, d'aucune audition, d'aucune mesure destinée à en vérifier la réalité et le cas échéant, à faire cesser le trouble ainsi mis au jour.

Eu égard à la durée et à l'intensité de ces manquements, il convient de réparer le préjudice démontré par M. [M] à hauteur de 5 000 €.

Sur la nullité du licenciement :

M. [M] considère que son licenciement est nul puisque fondé sur la dénonciation de faits de harcèlement moral effective dans son courrier du 18 octobre et dans un e-mail du 29 novembre 2017 et relève la concomitance entre cette dénonciation et le déclenchement de la procédure de licenciement, son employeur disant passer ainsi 'à une autre phase'. Il rappelle que la liberté d'expression étant un droit fondamental, la Caisse ne pouvait le licencier pour avoir fait des propositions ou émis un avis différent de celui de la direction et conclut à la nullité de son licenciement sans même qu'il soit nécessaire d'examiner les autres griefs.

Considérant que le licenciement est justifié par les insuffisances professionnelles de M. [M], la Caisse des Français de l'Etranger relève que la prétendue situation de harcèlement moral n'a été invoquée pour la première fois qu'à l'occasion de la rupture conventionnelle qui avait été proposée au salarié et que la rupture du lien contractuel avait donc été envisagée avant même une quelconque dénonciation.

L'intimée conteste également toute violation de la liberté d'expression de M. [M] et rappelle que le fait de ne pas retenir sa proposition ne peut constituer un reproche à son encontre et encore moins une violation de sa liberté d'expression. Elle conclut à un licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse.

Dans la lettre de licenciement qui lui a été adressée le 12 janvier 2018, M. [M] met en exergue le paragraphe suivant :

'Sur ces deux dossiers, vous m'avez fait le reproche d'avoir pris une décision qui s'écartait de vos attentes, y voyant une mise en cause personnelle et une marque de défiance. Vous êtes allé jusqu'à estimer que les questionnements que j'exerce sur des sujets relevant de votre compétence constituent une forme de harcèlement moral alors même que cela entre dans le cadre normal de l'exercice de mes fonctions de directeur.

Au regard des éléments et multiples insuffisances ci-dessus évoqués, j'estime que vous n'êtes plus en mesure d'exercer votre fonction à la CFE dans un cadre de confiance et de transparence suffisant et qu'une collaboration fructueuse ne me semble à cet égard plus possible. '

Ce reproche tiré de la dénonciation d'un harcèlement moral fait écho à celui contenu dans le courriel du directeur en date du 1er décembre 2017 indiquant 'vous mentionnez à presque chacun de vos écrits la notion de harcèlement moral, de manière totalement injustifiée, ce qui ne peut que me faire douter de la volonté d'aboutir à une solution négociée. Je vais donc passer à une autre phase'.

Si la Caisse des Français de l'Etranger verse aux débats le courrier du 18 octobre 2017 de M. [M] évoquant la dégradation continue de ses conditions de travail constitutive d'une 'forme de harcèlement moral', notion invoquée pour la première fois par l'intéressé, et ce, après l'annonce par l'employeur de son intention de négocier une rupture conventionnelle (comme l'indique le salarié lui-même dans son courrier du 25 janvier 2018) (cf sa pièce 45), toutefois, il est manifeste, non seulement à la lecture de la lettre de licenciement et du courriel de M. [R] du 1er décembre 2017 mais encore compte tenu de la chronologie de la procédure de licenciement déclenchée le même jour, que l'invocation par le salarié d'un harcèlement moral lui est reprochée au titre de la rupture du contrat de travail, comme un des griefs la justifiant.

En l'état, et sans même avoir à analyser les autres reproches, il convient de dire le licenciement nul.

Tenant compte de l'âge du salarié (51 ans) au moment de la rupture, de son ancienneté, de son salaire moyen mensuel brut, des justificatifs produits de sa situation de demandeur d'emploi après la rupture et des difficultés rencontrées pour retrouver une position professionnelle stable, il y a lieu de lui allouer la somme de 70'000 € à titre de dommages-intérêts, par application de l'article L.1235-3-1 du code du travail dans sa version applicable au litige.

Sur le reliquat d'indemnité de licenciement

M.[M], sur le fondement de l'article 55 la convention collective UNCANSS et de la reprise d'ancienneté au 8 août 1994 contractualisée à son embauche par la CFE, considère que son ancienneté est de 23 ans et 11 mois pour le calcul de son indemnité de licenciement et qu'un reliquat de 46'770,93 € lui est dû à ce titre, sur la base d'un salaire moyen mensuel de 8180 €.

La Caisse des Français de l'Etranger, rappelant que l'ancienneté de M. [M] doit être comptabilisée du 8 août 1994 au 21 janvier 2000 ( période correspondant à son emploi par la Caisse Primaire d'Assurance Maladie) et du 7 juin 2010 au 15 juillet 2018 (période de collaboration avec la CFE), souligne que l'indemnité de licenciement due est de 51'020,97 €, somme déjà obtenue par l'intéressé après rectification de l'erreur commise au moment du licenciement. Elle conclut au rejet de la demande.

À titre subsidiaire, elle sollicite que le salaire mensuel brut de référence (à savoir

6 728,04 euros) soit pris en considération pour le calcul du reliquat, lequel ne saurait être supérieur à 26'351,49 euros.

L'article 55 de la convention collective nationale du travail du personnel informaticien des organismes de sécurité sociale dispose que 'outre le délai congé, tout agent licencié, pour quelque cause que ce soit, à l'exclusion des cas prévus aux articles 48, 56 et 58, aura droit à une indemnité égale à la moitié du dernier traitement mensuel par année d'ancienneté dans les organismes, telle que cette ancienneté est déterminée par l'article 30 de la présente Convention, avec un maximum de treize mois.'

L'article 30 du même texte conventionnel prévoit que 'l'ancienneté est comptée du jour de l'entrée dans un organisme ou une entreprise visés par l'ordonnance du 2 novembre 1945 sur le reclassement, quels qu'aient été le mode et la date de titularisation dans un emploi'.

Le contrat de travail à durée indéterminée souscrit par M. [M] à compter du 7 juin 2010 stipule une 'date d'effet de l'ancienneté' au 8 août 1994.

Cette donnée contractualisée, nonobstant l'absence de la formule 'reprise d'ancienneté', signifie que les parties se sont accordées sur la comptabilisation d'une ancienneté à compter du 8 août 1994 pour M. [M].

Par conséquent, en l'état de l'ancienneté contractualisée, et par application de l'article 55 de la convention collective applicable, il convient d'accueillir la demande de reliquat présentée par M. [M] à hauteur du montant réclamé, le dernier traitement mensuel de l'intéressé s'élevant à 8 180 €, puisque les points de compétence font partie de la rémunération.

Sur les intérêts

Conformément aux dispositions des articles 1153, 1153-1 (anciens), 1231-6 et 1231-7 (nouveaux) du Code civil et R1452-5 du code du travail, les intérêts au taux légal, avec capitalisation dans les conditions de l'article 1343-2 du Code civil, courent sur les créances de sommes d'argent dont le principe et le montant résultent du contrat ou de la loi ( rappel d' indemnité de licenciement) à compter de l'accusé de réception de la convocation de l'employeur devant le bureau de conciliation, et sur les créances indemnitaires à compter du présent arrêt.

Sur la remise de documents

La remise d'une attestation Pôle Emploi, d'un certificat de travail et d'un bulletin de salaire rectificatif conformes à la teneur du présent arrêt s'impose sans qu'il y ait lieu de prévoir une astreinte, aucun élément laissant craindre une résistance de la Caisse des Français de l'Etranger n'étant versé au débat.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

L'employeur, qui succombe, doit être tenu aux dépens de première instance, par infirmation du jugement entrepris, et d'appel.

L'équité commande d'infirmer le jugement de première instance relativement aux frais irrépétibles, de faire application de l'article 700 du code de procédure civile également en cause d'appel et d'allouer à ce titre la somme de 3 000 € à M. [M].

PAR CES MOTIFS

La Cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

INFIRME le jugement déféré, sauf en ses dispositions rejetant la demande d'indemnisation d'un harcèlement moral et la demande au titre des frais irrépétibles présentée par la Caisse des Français de l'Etranger,

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

CONSTATE la nullité du licenciement de M. [V] [M],

CONDAMNE la Caisse des Français de l'Etranger à payer à M. [M] les sommes de :

- 5 000 € à titre de dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité,

- 46 770,93 € à titre de rappel d'indemnité de licenciement,

- 70 000 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul,

- 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

DIT que les intérêts au taux légal, avec capitalisation dans les conditions de l'article 1343-2 du Code civil, sont dus à compter de l'accusé de réception de la convocation de l'employeur devant le bureau de conciliation pour les créances de sommes d'argent dont le principe et le montant résultent du contrat ou de la loi et à compter du présent arrêt pour le surplus,

ORDONNE la remise par la Caisse des Français de l'Etranger à M. [M] d'une attestation Pôle Emploi, d'un certificat de travail et d'un bulletin de salaire récapitulatif conformes à la teneur du présent arrêt, au plus tard dans le mois suivant son prononcé,

REJETTE les autres demandes des parties,

CONDAMNE la Caisse des Français de l'Etranger aux dépens de première instance et d'appel.

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 8
Numéro d'arrêt : 19/07197
Date de la décision : 30/03/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-03-30;19.07197 ?
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