Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 8
ARRÊT DU 2 MARS 2023
(n° / 2023, 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/13650 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CCMUO
Décision déférée à la Cour : Jugement du 09 Juin 2020 - Tribunal Judiciaire de CRETEIL - RG n° 19/01930
APPELANTE
Madame [X] [I] [P] épouse [M]
Née le [Date naissance 2] 1964 à [Localité 10] (IRAN)
De nationalité française
Demeurant [Adresse 6]
[Localité 7]
Représentée et assistée de Me Majda REGUI, avocate au barreau de PARIS, toque : D0453,
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2020/019051 du 31/08/2020 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de PARIS)
INTIMÉ
Monsieur [R] [M]
Né le [Date naissance 1] 1953 à [Localité 9] ( ALGERIE)
De nationalité française
Demeurant [Adresse 5]
[Localité 8]
Représenté par Me Nathalie BRUNONI, avocate au barreau de VAL-DE-MARNE, toque : PC 11,
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 14 Mars 2022, en audience publique, devant la Cour, composée de :
Madame Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, Présidente de chambre, chargée du rapport,
Madame Anne-Sophie TEXIER, conseillère,
Madame Florence DUBOIS-STEVANT, conseillère,
qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Madame Liselotte FENOUIL
ARRÊT :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, Présidente de chambre et par Liselotte FENOUIL, greffière, présente lors de la mise à disposition.
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* *
FAITS ET PROCÉDURE:
Mme [I] [P] et M.[M] se sont mariés le [Date mariage 4] 1993 sous le régime de la communauté légale réduite aux acquêts.
Par acte sous seing privé du 21 décembre 2004, M.[R] [M] a constitué, avec son frère [D] et leur cousine, la SCI Myriam [Adresse 11] ayant pour objet l'acquisition et la gestion d'un appartement situé [Adresse 3]. M.[R] [M], qui, suite à son apport en numéraires de 1.050 euros, détenait 105 parts sur les 300 composant le capital social, a été désigné gérant.
Les époux [M]-[I] [P] se séparés en octobre 2011 et sur requête en divorce déposée le 6 mars 2012 par M.[M], le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Créteil a rendu une ordonnance de non conciliation le 8 mars 2013.
Le 27 septembre 2012, M. [R] [M] a cédé ses parts sociales dans la SCI Myriam [Adresse 11] à son frère, moyennant le prix de 1.050 euros.
Par arrêt du 22 octobre 2019, la cour d'appel de Paris a confirmé le jugement du 8 juin 2016, en ce qu'il a prononcé le divorce des époux [M]-[I] [P] et reporté ses effets en ce qui concerne leurs biens au 1er novembre 2011.
Mme [I] [P] indique s'être pourvue en cassation contre cet arrêt, le 27 novembre 2019.
Considérant que cette cession était intervenue en fraude des droits de la communauté, Mme [I] [P] a, par acte du 31 octobre 2014, fait assigner
M.[R] [M] devant le tribunal de grande instance de Créteil aux fins d'annulation de cette cession de parts.
Par jugement avant dire droit du 7 juin 2016, le tribunal a ordonné une expertise en écriture portant sur l'attestation du 20 décembre 2014 dans laquelle Mme [I] [P] indiquait renoncer à toute participation dans le SCI Myriam [Adresse 11].
Le rapport d'expertise en écritures a été déposé le 6 octobre 2016, l'expert concluant que Mme [I] [P] n'était pas la signataire de la copie du document intitulé 'Attestation' daté du 20 décembre 2004.
Par jugement du 9 juin 2020, le tribunal judiciaire de Créteil a déclaré irrecevables comme étant prescrites les demandes de Mme [I] [P].
Mme [I] [P] a relevé appel de cette décision le 28 septembre 2020.
Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 12 mai 2021, Mme [I] [P] demande à la cour de :
- infirmer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de sa demande in limine litis de voir juger que son action n'est pas prescrite, de sa demande d'annulation de la cession des 105 parts sociales de la SCI Myriam [Adresse 11] détenues par M. [M] à M. [D] [M] intervenue le 27 septembre 2012, de sa demande de voir juger que cette nullité est opposable aux tiers avec toutes les conséquences de droit, notamment les restitutions réciproques entre les parties à la cession aux fins de les replacer dans leur état d'origine, de sa demande de voir juger que toute cession ultérieure de 105 parts sociales appartenant à M.[M] dans la SCI Myriam [Adresse 11] et financée par des deniers communs ne pourra se faire sans le consentement préalable de Mme [I] [P] et sans valorisation préalable des parts par un expert judiciaire, de sa demande de voir condamner M.[M] à une amende civile et à lui verser la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice subi en raison du faux en écriture constitué par la pièce n° 36 en application de l'article 295 du code de procédure civile, de sa demande de voir juger que ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter de la décision à intervenir conformément à l'article 1231-7 du code civil et de sa demande d'anatocisme sur le fondement de l'article 1343-2 du code civil, de sa demande de voir condamner M.[M] aux entiers dépens comprenant l'intégralité des frais d'expertise et d'exécution de la décision à intervenir,
-In limine litis, juger non prescrite l'action en nullité de la cession des parts sociales, dire qu'elle a introduit son action dans le délai de deux ans de sa connaissance de la cession litigieuse soit le 4 décembre 2012, juger recevable et bien-fondée sa demande de nullité de la cession des parts sociales intervenue le 27 septembre 2012, juger qu'elle a introduit son action dans le délai de deux ans de la date de la dissolution de la communauté tel que prévu par les articles 1427 et 262-1 du code civil, soit le 8 mars 2013, qu'elle est recevable et bien-fondée en sa demande de nullité de la cession des parts sociales intervenue le 27 septembre 2012, débouter M.[M] de ses demandes, fins et conclusions.
- Sur le fond, juger que la cession des 105 parts sociales détenues par M. [M] dans la SCI Myriam [Adresse 11] à M. [D] [M] est intervenue en fraude des droits de ses droits, au moyen de fonds communs, au préjudice de la communauté, juger nulle la cession des 105 parts sociales détenues par M. [M] dans la SCI Myriam [Adresse 11] à M. [D] [M] intervenue le 27 septembre 2012 pour un montant de 1.050 euros avec toutes conséquences de droit, dire que cette nullité sera opposable aux tiers avec toutes conséquences de droit, ordonner les restitutions réciproques entre les parties à la cession aux fins de les replacer dans leur état d'origine, juger qu'aucune cession ultérieure des 105 parts sociales détenues par M.[M] dans la SCI Myriam [Adresse 11] et financées par des deniers communs ne pourra intervenir sans l'accord de Mme [I] [P], ordonner la valorisation préalable des 105 parts sociales par un expert judiciaire, désigner tel expert judiciaire qu'il plaira à la cour pour procéder à l'expertise de la valorisation des 105 parts sociales, condamner M.[M] à lui payer la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la cession frauduleuse, à la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi en raison du faux en écritures (article 295 du code civil), condamner M.[M] au paiement d'une amende civile (article 295 du code civil), juger que M. [M] devra verser ces sommes dans un délai d'un mois à compter de l'arrêt sous astreinte de 300 euros par jour de retard avec intérêt au taux légal, 'ordonner l'exécution provisoire', juger que ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter de l'arrêt outre capitalisation des intérêts, débouter M.[M] de ses demandes, fins et conclusions, juger qu'il serait inéquitable que le Trésor d'une part, et son conseil d'autre part, financent sa défense alors que son ex-époux est en capacité de faire face aux honoraires et frais non compris dans les dépens que la concluante devrait supporter si elle n'avait pas eu le bénéfice de l'aide juridictionnelle, en conséquence, vu l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, fixer à 3.000 euros la somme due par la 'société', somme qui est soumise au régime fiscal de la TVA aux taux de 20 % de sorte qu'il conviendra de condamner 'la société' au paiement de 3.600 euros à titre d'indemnité qualifiée d'honoraires et frais non compris dans les dépens auprès de Maître Regui, condamner M.[M] aux entiers dépens de l'instance y compris aux frais de l'expertise graphologique.
Dans ses conclusions notifiées par voie électronique le 16 février 2021,
M. [M] demande à la cour de:
- confirmer le jugement en toutes ses dispositions notamment en ce qu'il a déclaré prescrite l'action en nullité de cession des parts,
- subsidiairement, à défaut de constater la prescription, débouter Mme [I] [P] de l'intégralité de ses demandes, dire que les parts sociales antérieurement détenues par M.[M] revêtent la qualité de biens propres et n'entrent pas en communauté,
- à titre infiniment subsidiaire, dire que seule la valeur des parts cédées d'un montant de 1.050 euros sera réintégrée à la masse commune à partager.
- en tout état de cause, condamner Mme [I] [P] à payer à Maître Brunoni la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens d'instance qui seront recouvrés directement par Maître Brunoni selon les dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
SUR CE
- Sur la fin de non recevoir tirée de la prescription
M.[M] reprend à hauteur d'appel la fin de non recevoir tirée de la prescription de l'action en nullité de cession des parts, faisant valoir que Mme [I] [P] n'a pas agi dans le délai de deux ans prévu par l'article 1427 du code civil. Il conteste toute dissimulation à son épouse de l'existence de cette SCI qui a été constituée avec des membres de sa famille pour le compte de son frère [D] alors en difficulté, dans l'unique but de lui conserver l'usage de cet appartement. Il soutient que toute précaution avait été prise lors de la création de cette SCI, Mme [I] [P] ayant signé une attestation selon laquelle elle renonçait à tout droit sur cette SCI, que cette attestation n'est aucunement un faux et que son ex-épouse ne peut pertinemment soutenir avoir découvert par hasard en décembre 2014 l'existence de cette société et de cette cession.
Mme [I] [P] conteste toute prescription, arguant que son ex-époux a agi en fraude de ses droits, lui a dissimulé l'existence de cette SCI et de la cession du 27 septembre 2012, qu'elle ne les a découvertes que par hasard le 4 décembre 2012 à l'occasion de recherches sur infogreffe, qu'eu égard au pourvoi en cours contre l'arrêt du 22 octobre 2019, la date de dissolution de la communauté à prendre en compte est celle de l'ordonnance de non conciliation du 8 mars 2013, de sorte qu'elle a bien agi en annulation de cession de parts dans le délai de deux ans prévu par l'article 1427 du code civil.
Mme [I] [P] a assigné le 31 octobre 2014 M.[M] en nullité de la cession des parts de la SCI Myriam [Adresse 11] intervenue le 27 septembre 2012, au visa de l'article 1427 du code civil, arguant que les parts de la SCI ont été acquises avec des fonds présumés communs et que son époux les a cédées sans son accord, en fraude de ses droits.
Il résulte de l'article 1427 du code civil que ' Si l'un des époux a outrepassé ses pouvoirs sur les biens communs, l'autre, à moins qu'il n'ait ratifié l'acte, peut en demander l'annulation./ L'action en nullité est ouverte au conjoint pendant deux années à partir du jour où il a eu connaissance de l'acte, sans jamais pouvoir être intentée plus de deux ans après la dissolution de la communauté.'
Mme [I] [P] soutient que le délai de deux ans pour agir a couru à compter du 4 décembre 2012, date à laquelle elle a découvert par hasard l'existence de cette SCI et de l'acte de cession.
Cependant, indépendamment de la date à laquelle le conjoint demandeur à la nullité a eu connaissance de l'acte litigieux, l'article 1427 alinéa 2 du code civil enferme l'action en nullité, dans un délai maximum de deux ans courant à compter de la date de dissolution de la communauté, de sorte qu'il convient de rechercher à quelle date est intervenue la dissolution de la communauté ayant existé entre les époux [M]-[I] [P].
Aux termes de l'article 262-1 du code civil, le jugement de divorce prend effet entre les époux en ce qui concerne leurs biens, lorsqu'il est prononcé pour altération définitive du lien conjugal, à la date de l'ordonnance de non conciliation. A la demande de l'un des époux, le juge peut toutefois fixer les effets du jugement à la date à laquelle ils ont cessé de cohabiter et de collaborer.
En l'occurrence le jugement du 8 juin 2016 ayant prononcé le divorce des époux [M]-[I] [P] pour altération définitive du lien conjugal, faisant application du dernier alinéa de l'article 262-1 du code civil, tel que demandé par M.[M], a reporté la date des effets du divorce au 1er novembre 2011. Cette disposition a été confirmée par la cour d'appel dans son arrêt du 22 octobre 2019.
Mme [I] [P] soutient qu'ayant formé un pourvoi contre l'arrêt du 22 octobre 2019, il y a lieu en l'état de la procédure de considérer que le jugement de divorce a pris effet dans les rapports entre les époux, en ce qui concerne leurs biens à la date de l'ordonnance de non conciliation rendue le 8 mars 2013.
Toutefois, s'il est constant que Mme [I] [P] s'est opposée devant la cour d'appel au report des effets du divorce, elle ne justifie pas que cet arrêt a été cassé, ni même formellement d'un pourvoi en cours. Elle ne communique en effet en pièce 14 qu'un reçu du bureau d'aide juridictionnelle de la Cour de cassation daté du 27 novembre 2019 attestant du dépôt à cette date par Mme [I] [P] de diverses pièces à l'appui d'une demande d'aide juridictionnelle.
Il ne s'agit pas du reçu du pourvoi lui-même.
En tout état de cause, ni à l'audience de plaidoiries devant la présente cour, ni en cours de délibéré, Mme [I] [P] n'a produit d'indication sur la procédure devant la Cour de cassation, en dépit du délai écoulé.
En conséquence, il doit être retenu que la date de dissolution de la communauté est celle du 1er novembre 2011, de sorte que l'assignation en nullité de la cession a été délivrée plus de deux ans après cette dissolution.
Si ce délai butoir de deux ans courant à compter de la dissolution de la communauté ne peut avoir pour effet de priver le conjoint du droit d'agir en nullité pendant les deux années qui suivent la réalisation de l'acte, force est de constater en l'espèce que plus de deux ans séparent également l'acte de cession du 27 septembre 2012 de l'assignation en nullité, et ce quelle que soit la date à laquelle Mme [I] [P] a eu connaissance de l'acte.
L'action en nullité pour dépassement par l'un des époux des pouvoirs sur les biens communs ou présentés comme tel, relève exclusivement de l'article 1427 du code civil, quand bien même il est allégué que M.[M] aurait agi de façon frauduleuse.
Il s'ensuit que Mme [I] [P] n'a pas exercé l'action en nullité dans le délai de deux ans fixé par l'article 1427 du code civil. Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il a déclaré irrecevables les demandes de Mme [I] [P] comme étant prescrites.
- Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
Mme [I] [P], partie perdante sera condamnée aux dépens d'appel, lesquels seront recouvrés comme en matière d'aide juridictionnelle.
Il n'y a pas lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile.
Le jugement sera confirmé de ces chefs.
PAR CES MOTIFS,
Confirme le jugement en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Déboute les parties de leurs demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne Mme [I] [P] aux dépens d'appel, qui seront recouvrés comme en matière d'aide juridictionnelle, avec recouvrement direct par Maître Brunoni selon les dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
La greffière,
Liselotte FENOUIL
La Présidente,
Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT