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14/02/2023 | FRANCE | N°21/09381

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 3 - chambre 5, 14 février 2023, 21/09381


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 3 - Chambre 5



ARRET DU 14 FEVRIER 2023



(n° , 11 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/09381 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CDV4F



Décision déférée à la Cour : Jugement du 12 avril 2021 rendu par le tribunal judiciaire d'AUXERRE RG n° 14/01205





APPELANTE



Madame [X] [Y] épouse épouse [I] née le 20 avril 1962 à [Localité 7] [Localité 1]


comparante



[Adresse 12]

[Localité 9]



représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat postulant du barreau de PARIS, toque : C2477

assistée de...

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 3 - Chambre 5

ARRET DU 14 FEVRIER 2023

(n° , 11 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/09381 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CDV4F

Décision déférée à la Cour : Jugement du 12 avril 2021 rendu par le tribunal judiciaire d'AUXERRE RG n° 14/01205

APPELANTE

Madame [X] [Y] épouse épouse [I] née le 20 avril 1962 à [Localité 7] [Localité 1]

comparante

[Adresse 12]

[Localité 9]

représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat postulant du barreau de PARIS, toque : C2477

assistée de Me Pascal Alexis LUCIANI, avocat plaidant du barreau de GRASSE

INTIMES

Monsieur [G] [T] né le 06 décembre 1966 à [Localité 7] ([Localité 11]) ès-qualités d'ayant droit de Mme [K] [W] veuve [Y], décédée le 29 novembre 2021

[Adresse 4]

[Localité 10]

représenté par Me Hervé MOYNARD de la SELARL MOYNARD, avocat au barreau d'AUXERRE

Monsieur [U] [T] né le 8 décembre 1959 à [Localité 7] ([Localité 11]) ès-qualités d'ayant droit de Mme [K] [W] veuve [Y], décédée le 29 novembre 2021

[Adresse 2]

[Localité 8]

représenté par Me Hervé MOYNARD de la SELARL MOYNARD, avocat au barreau d'AUXERRE

Monsieur [X] [T] né le 26 avril 1957 à [Localité 7] ([Localité 11]) ès-qualités d'ayant droit de Mme [K] [W] veuve [Y], décédée le 29 novembre 2021

[Adresse 5]

[Localité 7]

représenté par Me Hervé MOYNARD de la SELARL MOYNARD, avocat au barreau d'AUXERRE

LE MINISTERE PUBLIC pris en la personne de Monsieur LE PROCUREUR GENERAL

[Adresse 3]

[Localité 6]

représenté à l'audience par Mme Laure de CHOISEUL PRASLIN, avocat général, magistrat honoraire

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 13 décembre 2022, en chambre du conseil, devant la Cour composée de :

M. François MELIN, conseiller, faisant fonction de président lors des débats

Mme Marie-Catherine GAFFINEL, conseillère

Mme Sylvie LEROY, conseillère, magistrat de permanence appelée pour compléter la cour

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme Mélanie PATE

ARRET :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par François MELIN, conseiller, faisant fonction de président et par Mme Mélanie PATE, greffière présente lors de la mise à disposition.

FAITS ET PROCEDURE

[O], [S], [C], [Y], né le 18 mars 1929 à [Localité 13] (92), s'est uni en premières noces avec Mme [N] [H], le 29 février 1954 à [Localité 7] (89). Ils ont divorcé selon jugement du tribunal de grande instance d'Auxerre rendu le 26 avril 1961.

Le 11 avril 1962 à [Localité 7], [O] [Y] s'est marié en secondes noces avec [J] [R], laquelle est décédée le 05 janvier 2004.

De leur union est issue Mme [X] [Y] épouse [I].

[O] [Y] s'est marié en troisièmes noces avec [K], [A] [W] veuve [T], née le 19 juin 1934 à [Localité 16] (89), le 25 novembre 2011 à [Localité 7].

Le 20 décembre 2011, Mme [X] [Y] a déposé plainte devant les services de gendarmerie d'[Localité 7] à l'encontre de [K] [W] du chef d'abus de faiblesse commis au préjudice de son père, [O] [Y]. Cette plainte a été classée sans suite le 7 août 2014 par le parquet du tribunal de grande instance d'Auxerre.

A la requête de Mme [X] [Y], par jugement du 20 mars 2012, le juge des tutelles près le tribunal d'instance d'Auxerre a ordonné la mise sous tutelle de [O] [Y] pour une durée de cinq ans. M. [E] [L], mandataire judiciaire à la protection des majeurs, a été désigné en qualité de tuteur.

Par acte d'huissier du 2 octobre 2014, Mme [X] [Y] a assigné M. [L] en sa qualité de tuteur de [O] [Y], et [K] [W] devant le tribunal de grande instance d'Auxerre aux fins de voir prononcer la nullité de leur mariage célébré le 25 novembre 2011.

Le 19 mai 2015, Mme [X] [Y] a déposé plainte avec constitution de partie civile devant le doyen des juges d'instruction du tribunal de grande instance d'Auxerre, du chef d'abus de faiblesse. Par un arrêt du 18 décembre 2018, la chambre de l'instruction près la cour d'appel de Paris a notamment confirmé l'ordonnance de non-lieu rendue le 30 janvier 2018 par le juge d'instruction d'Auxerre.

[O] [Y] est décédé le 14 février 2016 à [Localité 7].

Par ordonnance du 13 juillet 2018, le juge de la mise en état près le tribunal de grande instance d'Auxerre a rejeté la nouvelle demande déposée par Mme [X] [Y] tendant à ce qu'il soit sursis à statuer dans l'instance civile en cours dans l'attente des suites de l'affaire pénale.

Par jugement contradictoire du 12 avril 2021, le tribunal judiciaire d'Auxerre a :

- Prononcé la mise hors de cause de M. [E] [L], pris en sa qualité de tuteur de M. [O] [Y],

- Dit que l'action de nullité du mariage engagée par Mme [X] [Y] est recevable,

- Débouté Mme [X] [Y] de sa demande en nullité du mariage intervenu entre M. [O] [Y] et Mme [K] [W], le 25 novembre 2011 à [Localité 7],

- Débouté Mme [X] [Y] de sa demande de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral et de son préjudice financier,

- Débouté [K] [W] de sa demande reconventionnelle de dommages et intérêts pour procédure abusive,

- Condamné Mme [X] [Y] à payer à [K] [W] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- Débouté Mme [X] [Y] de sa demande au titre des frais irrépétibles,

- Condamné Mme [X] [Y] aux entiers dépens, dont distraction au profit de la SELARL Moynard, avocat à Auxerre, pour ceux des dépens dont elle aurait fait l'avance sans avoir reçu provision conformément à l'article 699 du code de procédure civile,

- Ordonné l'exécution provisoire de la présente décision.

Le 18 mai 2021, Mme [X] [Y] a relevé appel de ce jugement.

[K], [A] [W] est décédée le 29 novembre 2021 à [Localité 7].

Par ordonnance rendue le 16 décembre 2021, la cour d'appel de Paris a constaté l'interruption de l'instance en raison du décès de [K] [W] le 29 novembre 2021 et a renvoyé l'affaire pour reprise d'instance par ses ayants-droits.

Par ordonnance sur incident rendue le 7 avril 2022, le conseiller de la mise en état a déclaré recevable l'intervention de Messieurs [G] [T], [U] [T] et [X] [T] (ci-après désignés les consorts [T]) ainsi que la demande de Mme [X] [Y], rejeté la demande d'expertise formée par cette dernière, l'a condamnée à verser à Messieurs [G] [T], [U] [T] et [X] [T], à chacun la somme de 600 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, renvoyé l'affaire au 09 juin 2022 pour clôture et au 18 octobre 2022 pour les plaidoiries et condamné Mme [X] [Y] aux dépens.

Par conclusions récapitulatives notifiées 2 juin 2022, Mme [X] [Y] demande à la cour d'appel de :

- La déclarer recevable et bien fondée en son appel,

- Recevoir favorablement Messieurs [G] [T], [U] [T] et [X] [T], ayants droit de feue [K] [W], en leur intervention volontaire,

- Infirmer la décision entreprise en ce qu'elle l'a :

-Déboutée de sa demande en nullité du mariage intervenu entre [O] [Y] et [K] [W], le 25 novembre 2011 a' [Localité 7] (89) ;

-Déboutée de sa demande de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral et de son préjudice financier ;

-Condamnée a' payer a' [K] [W] la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

-Déboutée de sa demande au titre des frais irrépétibles ;

-Condamnée aux entiers dépens, dont distraction au profit de la Selarl Moynard, avocat a' Auxerre, pour ceux des dépens dont elle aurait fait l'avance sans avoir reçu provision conformément a' l'article 699 du code de procédure civile ;

-Et a ordonne' l'exécution provisoire de la présente décision,

- Confirmer la décision entreprise en toutes ses autres dispositions,

Statuant a' nouveau,

- Prononcer la nullité de l'union célébrée entre [O] [Y] et [K] [W] le 25 novembre 2011,

- Déclarer que toute mention afférente a' cette union apposée en marge des actes d'état civil de [K] [W] et de [O] [Y] sera réputée non écrite,

- Déclarer qu'aucun acte d'état civil, extrait ou copie ou' figurerait la transcription de cette union, ne pourra être délivre' sans que mention du jugement d'annulation a' venir n'y figure,

- Condamner Messieurs [G], [U] et [X] [T] au paiement de dommages et intérêts a' hauteur de la somme de 15.000 euros au titre de la réparation du préjudice moral et financier,

- Les condamner a' lui verser la somme de 10.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- Les condamner aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître Matthieu Boccon-Gibod, avocat, en application de l'article 699 du code de procédure civile. 

Par conclusions récapitulatives notifiées le 7 juin 2022, MM. [G] [T], [U] [T] et [X] [T], ès qualités d'ayants-droits de [K] [W] veuve [Y], demandent à la cour de :

« Les recevoir en toutes leurs écritures,

- Juger Mme [X] [Y] irrecevable, a' tout le moins mal fondée en toutes ses demandes, fins et prétentions,

Au principal, la débouter de son appel,

- Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a déboutée de l'ensemble de ses demandes,

-bAprès avoir débouté la demanderesse de l'intégralité de ses prétentions, recevoir feue [K] [W] veuve [Y], agissant par ses héritiers, en son appel incident et les en dire bien-fondés,

-bReformer le jugement entrepris en ce qu'il l'avait déboutée de sa demande de réparation du préjudice moral subi,

- Statuant a' nouveau, condamner reconventionnellement Mme [X] [Y] a' leur payer la somme de 15 000 euros, soit 5 000 euros chacun a' titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi par la défunte et le harcèlement opéré par la demanderesse a' son encontre,

- La condamner ensuite a' leur payer chacun la somme de 4 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, - La condamner a' leur payer chacun la somme de 1 500 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral subi par eux,

- La condamner enfin aux entiers dépens dont distraction au profit de la Selarl Moynard, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile. »

Par un avis notifié le 10 décembre 2021, le ministère public conclut à la confirmation de la décision de première instance.

La clôture a été prononcée le 23 juin 2022.

MOTIFS

Sur l'intervention volontaire

Par ordonnance sur incident rendue le 7 avril 2022, le conseiller de la mise en état a déclaré recevable l'intervention de Messieurs [G] [T], [U] [T] et [X] [T]. Il n'y a donc pas lieu de statuer à nouveau.

Sur la nullité du mariage pour absence d'intention matrimoniale de Mme [W]

Moyens des parties

Mme [X] [Y] soutient que l'union de [O] [Y] et [K] [W] encourt la nullité pour défaut d'intention matrimoniale de [K] [W] dont la seule intention était d'obtenir des avantages financiers et d'ordre patrimonial, notamment des droits dans la succession de [O] [Y].

Elle souligne l'âge de [K] [W] au jour du mariage face à celui plus avancé de [O] [Y] dont l'espérance de vie était nécessairement limitée au regard de son état de santé, et soutient que cette dernière l'a manipulé sans avoir jamais eu l'intention de fonder un foyer ni de porter son nom. Elle ajoute que [K] [W] s'est désintéressée de son époux lorsque celui-ci a été hospitalisé en février 2014 puis admis en maison de retraite à [Localité 7].

Elle expose que le patrimoine de [O] [Y] a été valorisé à hauteur de 365 000 euros, qu'après le mariage, d'importants retraits ont été effectués sans justification sur les comptes de son père dont elle avait la gestion depuis le décès de sa mère en 2004, que ces comptes sont devenus des comptes-joints et que les procurations dont elle bénéficiait jusqu'alors, lui ont été retirées.

Les intimés contestent les allégations de défaut d'intention matrimoniale de leur mère dans un intérêt strictement pécuniaire rappelant que [O] [Y] et [K] [W] ont vécu ensemble pendant cinq années ce qui démontre une véritable intention matrimoniale, qu'ils partageaient une passion commune, la danse, et que leur mère s'est toujours occupée de [O] [Y], avant et après son entrée dans une maison spécialisée. Ils rappellent que leur mère était autonome financièrement avant son mariage et qu'en se mariant, elle a notamment renoncé à la pension de réversion qu'elle percevait du fait de son veuvage.

En ce qui concerne les comptes bancaires, ils indiquent que [K] [W] ne bénéficiait pas de procurations sur les comptes de son époux, le couple disposant seulement d'un compte-joint à la BNP, ouvert à la suite de leur mariage et que Mme [X] [Y] a fait pression sur leur mère afin que cette dernière renonce au bénéfice des assurances-vie.

Ils soutiennent que Mme [X] [Y], dès qu'elle a été informée du mariage de son père, a multiplié les procédures afin de s'interposer entre les époux ce qui explique, selon eux, que [O] [Y] ne l'ait pas préalablement informée de son mariage.

Réponse de la cour

Aux termes de l'article 146 du code civil, il n'y a pas de mariage lorsqu'il n'y a point de consentement.

Il n'est pas contesté par Mme [X] [Y] que son père et [K] [W] ont vécu ensemble avant leur mariage ce qui est confirmé par les différentes attestations d'amis du couple produites par les consorts [T]. Il en ressort également que [O] [Y] et [K] [W] entretenaient une relation sentimentale et se rendaient ensemble à des thés dansants.

Il est également établi par les différents certificats médicaux, qu'avant même leur mariage, [K] [W] accompagnait régulièrement [O] [Y] à ses rendez-vous médicaux. Le médecin de ce dernier confirme que [K] [W] prenait soin de son époux lequel portait une tenue soignée.

Les propos de Mme [Z] qui indique que [K] [W] s'occupait peu de son époux, placé dans un EHPAD, sont contredits par les attestations produites par les consorts [T]. De même, il ne saurait être tiré aucune conséquence des constatations de Mmes [Z] et [D] selon lesquelles [K] [W] n'avait pas apporté de gerbe de fleurs à l'enterrement de [O] [Y].

Par ailleurs, il n'est pas établi que [K] [W] a profité du vivant de [O] [Y] de ses revenus alors qu'elle disposait d'un revenu personnel et avait un logement.

Si [K] [W], en qualité de conjointe, a été bénéficiaire des assurances-vie, il ne saurait s'en déduire qu'elle ne s'est mariée qu'à des fins successorales.

En conséquence, Mme [X] [Y] échoue à démontrer que [K] [W] s'est mariée en vue d'atteindre un résultat étranger à l'union matrimoniale.

Sur la nullité du mariage pour absence de consentement de [O] [Y]

Moyens des parties

Sollicitant l'infirmation de la décision de première instance, Mme [X] [Y] fait valoir que son père en raison de son âge et de la maladie d'Alzheimer dont il souffrait et dont le diagnostic a été établi dès le mois de mars 2009, n'a pas pu valablement consentir à son mariage le 25 novembre 2011. Elle s'appuie sur les constatations médicales du docteur [B] qui a examiné son père en mars 2009, puis en 2010, sur le certificat médical du médecin traitant de son père, le docteur [V], établi le 20 décembre 2011 et enfin sur le certificat médical établi le 19 décembre 2011 par le Docteur [F], psychiatre-expert, attestant de l'existence de troubles entraînant l'altération intellectuelle et psychique de ses facultés. Elle considère que si son père n'était pas en mesure de se prononcer sur l'opportunité d'un placement sous mesure de protection judiciaire, comme l'a relevé le psychiatre, il ne pouvait, en tout état de cause, valablement exprimer son consentement pour son mariage, « quelques jours » avant. Elle ajoute que son père au mois de décembre 2011 n'a pas été en mesure de lui indiquer la date de son mariage, intervenu quelques semaines avant et l'identité de son témoin.

Si elle conteste l'ordonnance de non-lieu du 30 janvier 2018, elle relève néanmoins que le juge d'instruction a retenu la vulnérabilité de son père et la connaissance par Mme [W] de cet état dès lors qu'elle le fréquentait depuis le décès de sa précédente épouse en 2004.

Les intimés font valoir que Mme [X] [Y] ne rapporte pas la preuve de l'absence de consentement de son père au jour de la célébration du mariage de sorte que la décision de première instance doit être confirmée.

Ils soutiennent que la maladie d'Alzheimer de [O] [Y] n'a pas été diagnostiquée en mars 2009 mais a simplement été évoquée en mars 2010, sans certitude, en raison de l'apparition de troubles mnésiques sans altération significative de ses facultés, avant d'être confirmée par le docteur [V], le 13 décembre 2011.

Ils allèguent que le placement sous tutelle n'est pas intervenu « quelques jours » après la célébration du mariage mais plus de quatre mois après, [O] [Y] et [K] [W] ayant vécu deux ans ensemble avant leur union maritale.

Ils considèrent que [O] [Y] et [K] [W] s'entendaient bien, étaient amoureux et que leur mère s'est toujours occupée avec soin et bienveillance de [O] [Y].

Le ministère public considère que si [O] [Y] présentait des troubles de mémoire dans les semaines qui ont précédé et suivi le mariage, le diagnostic de la maladie d'Alzheimer n'avait pas été posé avec certitude à cette date et que les certificats médicaux produits, établis à la demande de Mme [X] [Y] et dans le cadre de la procédure de placement sous tutelle portent sur la capacité de [O] [Y] à gérer ses biens et effectuer les actes de la vie quotidienne, non pas sur une altération de son discernement au jour de son mariage. Il ajoute que le placement sous tutelle a été rendu nécessaire par l'état de santé de [O] [Y] mais également par l'existence d'un conflit familial qui affectait ce dernier. Il en conclut que Mme [X] [Y] ne démontre pas que le consentement de son père ait été altéré au jour de son mariage, de sorte que sa demande doit être rejetée.

Réponse de la cour

Il résulte des dispositions de l'article 146 du code civil qu'« il n'y a pas de mariage lorsqu'il n'y a point de consentement. »

L'article 184 du même code précise que tout mariage contracté en contravention aux dispositions contenues aux articles 144, 146, 146-1, 147, 161, 162 et 163 peut être attaqué, dans un délai de trente ans à compter de sa célébration, soit par les époux eux-mêmes, soit par tous ceux qui y ont intérêt, soit par le ministère public.

A titre liminaire, il est rappelé que l'ordonnance de non-lieu confirmée par la cour d'appel prononcée à l'égard de [K] [W], témoin assistée du chef d'abus de faiblesse à l'égard de [O] [Y], ne lie pas cette cour quant à l'appréciation de l'existence ou non du consentement réel et sérieux de [O] [Y] au sens de l'article 146 du code civil.

Contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, Mme [X] [Y], sur qui repose la charge de la preuve, établit que [O] [Y] n'était pas en capacité de consentir à son mariage le 25 novembre 2011.

En premier lieu, il ne peut être retenu, comme le soutient le ministère public, que certains certificats médicaux ne seraient pas probants pour analyser le consentement de [O] [Y] dès lors qu'ils ont été établis à la demande de Mme [X] [Y] et dans le cadre d'une mesure de protection judiciaire. D'une part, il n'est pas allégué que ces certificats sont de complaisance ou que les médecins qui les auraient rédigés n'étaient pas en capacité de le faire. Au contraire, le certificat médical établi le 19 décembre 2011 l'a été par le docteur [G] [F], psychiatre, expert, en vue de l'ouverture d'une mesure de protection. Ce dernier était ainsi parfaitement en mesure d'établir un diagnostic et de décrire l'état de santé de [O] [Y]. D'autre part, les comptes rendus médicaux antérieurs au mariage (2009 et 2010) ont souvent été effectués en présence de [K] [W] et non de Mme [X] [Y].

En second lieu, les différentes pièces médicales produites par Mme [X] [Y] établissent que [O] [Y] était déjà atteint d'importants troubles cognitifs au jour de son mariage, nonobstant les déclarations des témoins et de l'officier d'état civil dans le cadre de l'enquête pénale qui ont indiqué qu'il ne s'agissait pas d'un mariage « forcé » et que [O] [Y] avait librement consenti à cette union.

En effet, le docteur [G] [F], psychiatre à [Localité 14], qui a reçu [O] [Y] le 19 décembre 2011 à son cabinet « dans le cadre d'une demande de mesure de protection des biens » indique que « [O] [Y]  présente de très importants troubles de la mémoire, avec un oubli à mesure et une certaine indifférence à ces manifestations. La mémoire des faits anciens est aussi altérée mais dans une moindre mesure. Il confond ou ne se souvient pas des prénoms (enfant, femme amie) et se montre peu attentif ; il n'est pas repéré dans le temps (ne connaît pas la date) et semble peu attentif à l'actualité. Il n'existe pas de confusion ou de manifestation d'obnubilation mais il ne peut dire où il est au moment de l'examen. ['] il existe un important ralentissement, une incapacité à l'anticipation et une indifférence affective évoquant une atteinte frontale avec détachement et perte du sens critique. Les actes de décisions sont entravés avec manifestation d'anxiété et ou d'évitement. Il n'existe pas de troubles du comportement, [O] [Y] se présentant comme un homme gentil et très coopérant même s'il ne sait pas vraiment pourquoi il est venu me voir aujourd'hui. Il semble qu'un examen médical pratiqué en 2009 ait évoqué des troubles qui pourraient s'inscrire dans le début de l'évolution d'un trouble cognitif de type Alzheimer. Actuellement, [O] [Y] présente les manifestations d'une telle atteinte. Ces troubles hypothèquent considérablement l'expression de la volonté de [O] [Y]. Ces troubles empêchent [O] [Y] de pourvoir seul à ses intérêts patrimoniaux et personnels. » Le médecin conclut que « [O] [Y] présente un déclin intellectuel et psychique qui touche sa mémoire, ses capacités de réflexion, qu'il n'existe pas de troubles du langage, que les praxies et gnosies sont encore préservées mais ses capacités d'organisation et de gestion quotidiennes sont entravées et assumées par un tiers depuis plusieurs mois. [O] [Y] est dans l'incapacité totale de prendre des décisions adaptées au circonstances et nécessités quotidiennes. Il présente de ce fait une vulnérabilité certaine. Ces difficultés sont de nature à empêcher considérablement l'expression éclairée de la volonté de [O] [Y]. »

Il ressort ainsi clairement des conclusions précises et circonstanciées de cet examen que [O] [Y], âgé de 82 ans, qui ne pouvait ni prénommer sa fille et sa nouvelle épouse, ni se repérer pas dans le temps, était atteint de troubles cognitifs importants qui l'empêchaient de prendre toute décision importante. Contrairement à ce qu'on retenu les premiers juges, même si ce médecin ne s'est pas prononcé expressément sur la capacité de [O] [Y] à consentir à son mariage, il a clairement affirmé qu'il n'était plus, le 19 décembre 2011, capable de prendre des décisions importantes le concernant, qu'il était dépourvu de sens critique, présentait des troubles hypothéquant considérablement l'expression de sa volonté, était dans l'incapacité totale de prendre des décisions adaptées aux circonstances et qu'il ne pouvait plus pourvoir seuls à ses intérêts personnels. Il se déduit de ces affirmations, qu'au 19 décembre 2011, [O] [Y] était dans l'incapacité de consentir à son mariage. Le psychiatre préconisait en sus de la mesure de protection de type tutelle aux biens et à la personne le retrait du droit de vote, confirmant ainsi l'absence totale de capacité de discernement de [O] [Y].

Contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, au regard des certificats et comptes rendus médicaux des années antérieures et de la maladie dont souffrait [O] [Y] depuis 2009, il doit être considéré que l'état de santé de ce dernier au jour de son mariage, le 25 novembre 2011, était identique à celui constaté par le docteur [F] le 19 décembre 2011.

En effet, les certificats et comptes rendus médicaux des années antérieures établissent que [O] [Y] souffrait déjà de troubles cognitifs, de type Alzheimer, depuis 2009. Si le certificat établi le 20 décembre 2011 par le docteur [V] n'est pas très précis et indique que [O] [Y] « semble présenter des troubles de mémoire depuis novembre 2009, qu'il a bénéficié d'un bilan de mémoire et des fonctions cognitives en mars 2010 qui s'est révélé déficitaire et qu'on a évoqué le diagnostic de la maladie d'Alzheimer », le compte-rendu médical établi le 10 mars 2010 par le docteur [M] [B], praticien au centre hospitalier d'[Localité 7] qui a reçu [O] [Y] avec [K] [W], relate que [O] [Y] se plaignait de perte de mémoire depuis le mois de novembre 2009, que « l'évaluation MMS montre un score à 18/30, [que] les déficits constatés se situent principalement au niveau du rappel des 3 mots avec un score de 0/3, [que] l'épreuve de l'attention basée sur le calcul est également déficitaire avec un score de 2/5 chez ce patient qui a cependant été commerçant et habitué à manipuler les comptes, [que] quant à l'orientation avec un score de 6/10, le déficit porte essentiellement sur les dates, l'année et la saison, qu'à l'item du langage, le patient ne s'en sort pas si mal avec un score de 7/8, qu'au niveau des praxies constructives (l'épreuve du dessin), le patient semble éprouver quelques difficultés, que cependant il est curieux de constater que l'épreuve de l'horloge qui semble parfois discriminante a été plutôt bien réalisée avec un score de 7/7. » Ce médecin préconisait une IRM cérébrale et prescrivait un traitement de Réminyl 8mg pendant 4 semaines avant de passer à la dose de 16 mg. Le dossier médical de [O] [Y] tenu par le docteur [P], fait état, le 4 mai 2010, du renouvellement du médicament Réminyl mais à 16 mg, confirmant la prise d'un traitement pour lutter contre la maladie d'Alzheimer, comme en atteste la fiche du médicament extraite du livre Vidal. Le docteur [P] a également noté que le 3 août 2010 [O] [Y], qui revenait de [Localité 15] en voiture, avait du mal à régler la consultation, confondait les billets et cherchait sa monnaie.

Ces éléments démontrent que les capacités cognitives de [O] [Y] étaient déjà altérées en mars 2010, puis en août 2010, excluant une dégradation subite et un changement radical, plus d'un an après, entre la célébration du mariage le 25 novembre 2011 et les constatations du psychiatre le 19 décembre 2011.

Au regard de ces éléments, il doit être retenu que les capacités cognitives de [O] [Y] étaient déjà altérées le jour de la célébration du mariage et qu'il n'a pas pu consentir à son mariage, peu important les sentiments existants entre lui et [K] [W].

En conséquence, le mariage de [O] [Y] et [K] [W] est annulé. Le jugement est infirmé.

Sur les demandes de dommages et intérêts

Moyens des parties

Mme [X] [Y] soutient que [K] [W] a fait preuve de mauvaise foi du fait de sa connaissance de l'état de vulnérabilité de [O] [Y] au jour de leur mariage et ce, dès lors que la relation qu'ils entretenaient de longue date ne nécessitait pas d'union civile emportant des conséquences patrimoniales par le seul effet de la loi.

Elle affirme n'avoir eu aucune intention de nuire à [K] [W] ou à ses ayants-droits, ni d'abuser de son droit d'ester en justice et qu'en l'espèce, les intimés ne démontrent pas l'existence d'une faute intentionnelle permettant de la condamner sur ce fondement.

Les intimés sollicitent, quant à eux, la condamnation de l'appelante à des dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi par leur mère au regard du harcèlement exercé par Mme [X] [Y] à son encontre ainsi qu'au titre de leur propre préjudice moral. Ils soulignent l'acharnement procédural que leur mère a subi, accentué par des accusations et affirmations inexactes de complaisance, ce qui caractérise une véritable intention de lui nuire.

Réponse de la cour

Aux termes de l'article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

La cour ayant fait droit à la demande de Mme [X] [Y], les consorts [T] sont déboutés de leur demande de dommages-intérêts.

S'il ressort des pièces produites que [K] [W] ne pouvait ignorer l'état de vulnérabilité de [O] [Y] au jour de la célébration de leur mariage, compte tenu de son âge, de la vie commune du couple et de l'attention qu'elle portait à [O] [Y], il ne peut, pour autant, être retenu qu'elle a agi de mauvaise foi et commis une faute. Mme [X] [Y] est déboutée de sa demande.

Le jugement est confirmé en ce qu'il a rejeté les demandes de dommages-intérêts.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

Le jugement en ce qu'il a condamné Mme [X] [Y] à verser à [K] [W] la somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et mis à sa charge les dépens est infirmé.

Les consorts [T], qui succombent à l'instance, sont condamnés aux dépens dont distraction au profit de Maître Matthieu Boccon-Gibod, avocat, en application de l'article 699 du code de procédure civile. Toutefois, en équité, compte tenu de la nature du litige, il n'y a pas lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Infirme le jugement sauf en ce qu'il a rejeté les demandes de dommages-intérêts,

Statuant à nouveau

Annule le mariage de [O], [S], [C], [Y], né le 18 mars 1929 à [Localité 13] (92) et décédé le 14 février 2016 à [Localité 7] et de [K], [A] [W], née le 19 juin 1934 à [Localité 16] (89) et décédée le 29 novembre 2021 à [Localité 7], célébré le 25 novembre 2011 à [Localité 7],

Ordonne la transcription de cet arrêt sur les actes d'état civil de [O], [S], [C], [Y], né le 18 mars 1929 à [Localité 13] (92) et décédé le 14 février 2016 à [Localité 7] et de [K], [A] [W], née le 19 juin 1934 à [Localité 16] (89) et décédée le 29 novembre 2021 à [Localité 7], et sur leur acte de mariage, célébré le 25 novembre 2011 à [Localité 7],

Rejette les demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne Messieurs [G] [T], [U] [T] et [X] [T] aux dépens dont distraction au profit de Maître Matthieu Boccon-Gibod.

LA GREFFIERE LE MAGISTRAT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 3 - chambre 5
Numéro d'arrêt : 21/09381
Date de la décision : 14/02/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-02-14;21.09381 ?
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