La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

09/02/2023 | FRANCE | N°20/00611

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 8, 09 février 2023, 20/00611


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 8



ARRET DU 09 FEVRIER 2023



(n° , 10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/00611 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CBJJT



Décision déférée à la Cour : Jugement du 18 Décembre 2019 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LONGJUMEAU - RG n° 18/00150





APPELANTE



SASU FRIGO TRANSPORTS 91

[Adresse 2]


[Localité 4]



Représentée par Me Cécile GUITTON, avocat au barreau de QUIMPER





INTIMÉE



Madame [Y] [Z]-[N]

[Adresse 1]

[Localité 3]



Représentée par Me Savine BERNARD, ...

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 8

ARRET DU 09 FEVRIER 2023

(n° , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/00611 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CBJJT

Décision déférée à la Cour : Jugement du 18 Décembre 2019 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LONGJUMEAU - RG n° 18/00150

APPELANTE

SASU FRIGO TRANSPORTS 91

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par Me Cécile GUITTON, avocat au barreau de QUIMPER

INTIMÉE

Madame [Y] [Z]-[N]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Savine BERNARD, avocat au barreau de PARIS, toque : C2002

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 09 Janvier 2023, en audience publique, les avocats ne s'étant pas opposés à la composition non collégiale de la formation, devant Madame Emmanuelle DEMAZIERE, vice-présidente placée, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Madame Sophie GUENIER-LEFEVRE, présidente

Madame Nicolette GUILLAUME, présidente

Madame Emmanuelle DEMAZIERE, vice-présidente placée, rédactrice

Greffier, lors des débats : Mme Nolwenn CADIOU

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- signé par Madame Sophie GUENIER-LEFEVRE, présidente et par Madame Nolwenn CADIOU, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

Mme [Z] épouse [N] a été engagée par la société BSA en qualité de conditionneuse dans le cadre d'un contrat à durée déterminée à effet du 1er août 1994, la relation s'étant ensuite poursuivie dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée, la salariée ayant alors été affectée à un poste de standardiste.

La convention collective applicable à la relation de travail est celle du transport routier de marchandises et activités auxiliaires.

A compter de 2005, Mme [Z] a été élue en qualité de membre titulaire du comité d'entreprise et de déléguée du personnel.

En juillet 2008, son contrat de travail a été transféré à la société Frigo transports 91.

Par avenant à effet du 24 janvier 2011, la salariée a été affectée à un poste d'employée S.A.V.

Par avenant du 24 septembre 2018, la relation contractuelle s'est poursuivie dans le cadre d'un contrat de travail à un temps partiel.

Souhaitant obtenir la résiliation judiciaire de son contrat de travail, Mme [Z] a sais le conseil des prud'hommes de Longjumeau le 22 mars 2018, pour faire valoir ses droits.

Par jugement du 18 décembre 2019, le conseil de prud'hommes de Longjumeau a :

-condamné la SASU Frigo Transports 91, prise en la personne de son représentant légal à payer à Mme [Z] les sommes suivantes :

*5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral et exécution déloyale du contrat de travail,

*15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour discrimination,

*500 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect de son obligation de prévention,

-prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail de Mme [Z] aux torts exclusifs de la SASU Frigo transports 91,

-dit et jugé que cette résiliation judiciaire produira les effets d'un licenciement nul,

-condamné en conséquence la SASU Frigo Transports 91, prise en la personne de son représentant légal, à payer à Mme [Z] les sommes suivantes :

*69 336 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,

*57 782 euros à titre de dommages et intérêts pour violation du statut protecteur,

*4 237 euros au titre de l'indemnité de préavis et des congés payés afférents,

*14 060 euros à titre d'indemnité légale de licenciement,

*2 839 euros à titre d'indemnité de congés payés,

*1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

-ordonné à la SASU Frigo Transports 91, prise en la personne de son représentant légal, de remettre à Mme [Z] un bulletin de paie, un certificat de travail et une attestation Pôle emploi conformes à la décision sous astreinte de 150 euros par jour de retard, passé un délai d'un mois à compter de la notification du jugement, cette astreinte courant sur une période maximale de trois mois,

-dit que les sommes allouées produiront des intérêts au taux légal à compter du 23 mars 2018 (date de la réception par la société de sa convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation) pour les créances à caractère salarial et à compter du prononcé du présent jugement pour les créances à caractère indemnitaire en application des dispositions des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil,

-dit que les intérêts échus depuis une année entière produiront eux-mêmes des intérêts en application des dispositions de l'article 1343-2 du code civil,

-prononcé l'exécution provisoire du présent jugement dans toutes ses dispositions en application de l'article 515 du code de procédure civile,

-condamné la SASU Frigo Transports 91, prise en la personne de son représentant légal, aux entiers dépens de l'instance, y compris ceux afférents aux actes et procédures éventuels de la présente instance ainsi que ceux d'exécution forcée par toute voie légale de la présente décision.

Par déclaration du 20 janvier 2020, la société Frigo Transports 91 a interjeté appel de ce jugement.

Dans ses dernières conclusions, notifiées et déposées au greffe par voie papier le 12 octobre 2020, la société Frigo transports 91 demande à la cour :

-de dire recevable et bien fondé son appel en ce que le conseil de prud'hommes :

*a dit et jugé que le harcèlement moral et l'exécution déloyale du contrat de travail sont constitués et l'a condamnée à des dommages et intérêts de 5 000 euros,

*a dit et jugé que Mme [Z] a été victime de discrimination syndicale et l'a condamnée à des dommages et intérêts fixés à 15 000 euros,

*a jugé qu'elle n'a pas respecté son obligation de prévention et l'a condamnée à des dommages et intérêts fixés à 500 euros,

*a prononcé la résiliation judiciaire de son contrat de travail à ses torts exclusifs à la date du prononcé du jugement, soit le 18 décembre 2019 et a en conséquence dit que cette résiliation judiciaire produit les effets d'un licenciement nul et qu'il l'a condamnée à des dommages et intérêts pour licenciement nul fixé à 69 336 euros,

*l'a condamnée à verser à Mme [Z] des dommages et intérêts pour 57 782 euros pour violation du statut protecteur,

* l'a condamné à verser à Mme [Z] une somme de 3 852 euros au titre de l'indemnité de préavis outre 385 euros au titre des congés payés afférents,

* a fait droit à sa demande au titre de l'indemnité légale de licenciement et l'a condamnée en conséquence à lui verser la somme de 14 060 euros à ce titre,

* a fait droit à la demande de congés payés formée par Mme [Z] et l'a condamnée à lui verser la somme de 2 839 euros à ce titre,

*l'a condamnée à verser à Mme [Z] une somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

* lui a ordonné, de remettre à Mme [Z] un bulletin de paie, un certificat de travail et une attestation Pôle emploi conformes à la décision sous astreinte de 150 euros par jour de retard, passé un délai d'un mois à compter de la notification du présent jugement, cette astreinte courant sur une période maximale de trois mois,

*dit que les sommes allouées produiront des intérêts au taux légal à compter du 23 mars 2018 (date de la réception par la société de sa convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation) pour les créances à caractère salarial et à compter du prononcé du jugement pour les créances à caractère indemnitaire en application des dispositions des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil,

*dit que les intérêts échus depuis une année entière produiront eux-mêmes des intérêts en application des dispositions de l'article 1343-2 du code civil,

*prononcé l'exécution provisoire du présent jugement dans toutes ses dispositions en application de l'article 515 du code de procédure civile,

*l'a condamnée aux entiers dépens de l'instance, y compris ceux afférents aux actes et procédures éventuels de la présente instance ainsi que ceux d'exécution forcée par toute voie légale de la présente décision,

dès lors,

-d'infirmer le jugement dont appel en toutes ses dispositions,

en conséquence,

-de débouter Mme [Z] de toutes ses demandes, fins et conclusions contraires,

-de débouter Mme [Z] de son appel incident,

-de condamner Mme [Z] à lui verser la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions, notifiées et déposées au greffe par voie électronique le 9 juillet 2020, Mme [Z] demande à la cour :

-de confirmer le jugement en ce qu'il a :

*condamné la Société pour harcèlement moral et exécution déloyale du contrat de travail, discrimination syndicale et non-respect de l'obligation de prévention des risques

*prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail de Madame [Y] [Z] aux torts exclusifs de la Société Frigo Transports 91,

*dit et jugé que la résiliation judiciaire produira les effets d'un licenciement nul,

*condamné en conséquence la Société à payer les sommes suivantes :

-69 336 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,

-57 782 euros à titre de dommages et intérêts pour violation du statut protecteur,

-4 237 euros à titre de l'indemnité de préavis et des congés payés afférents,

-14 060 euros à titre d'indemnité légale de licenciement,

-2 839 euros à titre d'indemnité de congés payés,

-1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

*ordonné à la Société de remettre un bulletin de paie, un certificat de travail et une attestation Pôle Emploi conformes à la présente décision sous astreinte de 150 euros par jours de retard, passé un délai d'un mois à compter de la notification du présent jugement, cette astreinte courant sur une période maximale de trois mois,

*dit que les sommes allouées produiront des intérêts au taux légal à compter du 23 mars 2018 (date de la réception par la société de sa convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation) pour les créances à caractère salarial et à compter du prononcé du présent jugement pour les créances à caractère indemnitaire en application des dispositions des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil,

*dit que les intérêts échus depuis une année entière produiront eux même des intérêts en application des dispositions de l'article 1343-2 du code civil,

*condamné la Société aux entiers dépens,

-d'infirmer le jugement dans ses quantums en ce qu'il a :

*condamné la Société à lui payer les sommes suivantes :

-5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral et exécution déloyale du contrat,

-15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour discrimination,

-500 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect de son obligation de prévention,

et rejugeant à nouveau :

-de condamner la Société Frigo Transports 91 à lui verser les sommes suivantes :

*100 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral et exécution déloyale du contrat,

*50 000 euros à titre de dommages et intérêts pour discrimination,

*30 000 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect de son obligation de prévention,

*de condamner la société Frigo Transports 91 aux entiers dépens et à lui verser la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 3 janvier 2023 et l'audience de plaidoiries a été fixée au 9 janvier 2023.

Il convient de se reporter aux énonciations de la décision déférée pour plus ample exposé des faits et de la procédure antérieure, ainsi qu' aux conclusions susvisées pour l'exposé des moyens des parties devant la cour.

MOTIFS

I- Sur l'exécution du contrat de travail

A- Sur le harcèlement moral

Le harcèlement moral s'entend aux termes de l'article L 1152-1 du code du travail, d'agissements répétés qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail du salarié, susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Par ailleurs, aux termes de l'article 1154-1 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, lorsque survient un litige au cours duquel le salarié évoque une situation de harcèlement moral, celui-ci doit présenter des éléments de faits laissant supposer l'existence d'un harcèlement, l'employeur devant prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En l'espèce, la salariée fait valoir que la quasi intégralité des tâches qui lui étaient confiées lui ont été retirées, qu'elle a été mise à l'écart, que l'employeur a refusé de lui rémunérer ses heures supplémentaires, a durci ses consignes sur ses heures d'arrivée et sa possibilité de compensation, que sa supérieure hiérarchique l'a méprisée, qu'elle a subi des pressions pour partir et été menacée de licenciement.

Au soutien de ce moyen, elle produit aux débats :

- les témoignages de plusieurs collègues de travail indiquant que certaines tâches lui ont été retirées courant 2017 comme la vérification des factures de sous traitance et le standard (et plus précisément en mai et juin 2017 selon le témoignage de Mme [X]) et que, contrairement à ses collègues travaillant dans d'autres services, elle ne pouvait pas récupérer ses horaires de travail à sa convenance (témoignages de Mmes [D], [X] et de M.[G] : pièces 23, 24 et 25) ;

- la lettre qui lui a été adressée par son employeur le 10 août 2017 par laquelle il lui a indiqué que si elle souhaitait arriver plus tôt (7h30 au lieu de 8 h), le temps compris entre son heure d'arrivée et sa prise de poste ne donnerait pas lieu à rémunération (pièce 11) ;

- le témoignage de Mme [U], assistante de direction, daté du 9 octobre 2017 indiquant qu'il lui avait été demandé de ne plus mentionner les heures supplémentaires que Mme [Z] effectuait en arrivant plus tôt le matin, que depuis plus d'un an la responsable hiérarchique de celle-ci l'ignorait et ne lui disait pas bonjour et qu'elle n'avait plus rien à faire à part attendre les appels entrants sur le standard (pièce 26) ;

-les courriers qu'elle a adressés à son employeur, à l'inspection du travail, au CHSCT et au délégués du personnel pour dénoncer le comportement de l'employeur à son égard (pièce 12, 14, 16, 17 et 21 ) ;

- des annotations relatives à la simulation du coût de son licenciement avec une sortie envisagée au 30 septembre 2017 (pièce 19) ;

- le témoignage de M.[G] précisant que lors d'un entretien privé pendant une réunion syndicale avec un délégué CGT, celui-ci a indiqué que la direction souhaitait se séparer de Mme [Z] (pièce 25) ;

- une photographie d'un vaste bureau dans lequel la salariée indique avoir été seule à partir de février 2018 dés lors que les postes de travail de ses collègues de bureau avaient été déménagés (pièce 27).

Ces éléments, pris dans leur ensemble, laissent supposer que Mme [Z] a subi des agissements répétés ayant consisté notamment à lui retirer les tâches qui lui étaient confiées, à supprimer la souplesse dont elle bénéficiait dans l'organisation de son temps de travail et à l'isoler et qu'elle a ainsi subi une dégradation de ses conditions de travail ayant notamment compromis son avenir professionnel.

Si l'employeur fait valoir que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des raisons d'organisation et d'efficience des services, il n'établit pas pour autant que ces motifs l'autorisait à isoler Mme [Z] de ses collègues de travail en la laissant seule dans un vaste espace dans lequel il y avait auparavant plusieurs bureaux et à lui retirer les tâches qu'elle effectuait alors qu'elle fait valoir, sans être contredite, qu'il l'a ainsi privée de la quasi intégralité des tâches qui lui étaient confiées.

A cet égard, et si l'employeur fait également valoir que les problèmes de santé que la salariée rencontrait en lien avec sa pathologie (polyarthrite rhumatoïde) l'ont contraint à des aménagements de poste et notamment à une adaptation du matériel mis à sa disposition (pièce 23 et 24 de l'employeur), il ne justifie pas que cette pathologie était incompatible avec les fonctions dont la salariée a été déchargée courant 2017 à savoir plus précisément, selon les témoignages produits, la vérification des factures de sous traitance et le standard alors qu'au contraire, il résulte de l'avis du médecin du travail du 21 décembre 2017 que ses tâches étaient compatibles avec son état de santé (pièce 17 de l'employeur).

En outre, si la société Frigo Transports 91 justifie avoir envisagé de confier de nouvelles tâches à la salariée compatibles avec son état de santé selon courriel adressé au médecin du travail en janvier 2018 (pièce 18 et 19), elle n'apporte aucun élément pour établir avoir effectivement fourni du travail à Mme [Z] lorsqu'elle l'a privée des tâches qui lui étaient confiées en mai et juin 2017, ni par la suite.

L'employeur soutient aussi que c'est suite à la demande de la salariée qu'il a établi une simulation relative au coût de son licenciement. Cependant le courrier de l'intéressée proposant 'un arrangement' est daté du 7 novembre 2017 (pièce 26 de l'employeur) et donc postérieurement à la simulation effectuée par la société aux termes de laquelle est envisagée une sortie au 30 septembre 2017.

S'il est également allégué le fait qu'après que la salariée se soit plainte de sa situation, a été effectuée une enquête, il résulte du rapport produit au débat que cette enquête n'a pas été établie par un expert indépendant mais menée en interne par le directeur des ressources humaines après audition de la salariée, de la responsable des ressources humaines du site, du responsable qualité et des membres du service facturation collectivement (pièce 12 de l'employeur) et que s'il en ressort que des critiques ont été émises sur la qualité du travail de Mme [Z] et des observations faites sur la nécessité de modifier le mode de traitement de certaines tâches, ces critiques et observations ne justifient pas de la décision aboutissant à isoler l'intéressée et à la priver de la quasi totalité de ses tâches.

L'enquête du CHSCT diligentée en décembre 2017, n'apporte pas en elle même de justification objective quant à la dégradation des conditions de travail de la salariée mais confirmé la réalité de de cette dégradation, le rapport d'enquête mentionnant que le travail auparavant confié à Mme [Z] a été réattribué au service facturation, qu'elle a été déchargée du standard et qu'elle est exposée à un risque psycho-social (pièce 13 de l'employeur).

Aussi, l'employeur ne démontre pas que ses agissements ne sont pas constitutifs de harcèlement et que ses décisions étaient justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Il y a donc lieu par confirmation du jugement entrepris, de reconnaître le harcèlement moral.

Au regard de l'intensité et de la durée des faits ci-dessus retenus, le préjudice subi a été justement évalué par le conseil de prud'hommes à la somme de 5000 euros.

Le jugement sera donc également confirmé sur ce point.

B- Sur l'exécution déloyale du contrat de travail

Les faits ci avant rappelé et notamment le retrait des tâches confiées à la salariée et son isolement géographique caractérisent également une exécution déloyale du contrat de travail.

A défaut de préjudice distinct en résultant, c'est par une exacte appréciation que le conseil de prud'hommes a alloué une indemnisation globale à la salariée au titre du harcèlement moral et de l'exécution déloyale du contrat de travail.

C-Sur la demande de dommages et intérêts au titre du non respect de l'obligation de sécurité

L'article L. 4121-2 du Code du Travail détermine les principes généraux de prévention sur le fondement desquels ces mesures doivent être mises en oeuvre.

Il en résulte que constitue une faute contractuelle engageant la responsabilité de l'employeur le fait d'exposer un salarié à un danger sans avoir pris toutes les mesures prévues par les textes susvisés, alors que l'employeur doit assurer l'effectivité de l'obligation de sécurité qui lui incombe en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dans l'entreprise.

En l'espèce, il résulte des développements qui précèdent que l'employeur a manqué à son obligation de sécurité en s'abstenant de prendre des mesures adaptées alors que la salariée avait dénoncé par écrit subir des faits de harcèlement (cf lettre de la salariée 5 octobre 2017 et du 27 novembre 2017).

Toutefois, Mme [Z] ne démontre pas avoir ainsi subi un préjudice distinct de celui résultant des faits de harcèlement qu'elle a dénoncés.

Aussi, par infirmation du jugement, elle sera déboutée de la demande de dommages et intérêts distincte qu'elle forme à ce titre.

D- Sur la discrimination syndicale

L'article 1132-1 du code du travail inclus dans le chapitre 2 fixant les règles sur le principe de non-discrimination et inclus dans le titre III intitulé 'Discriminations', prohibe toute mesure discriminatoire directe ou indirecte du salarié, à raison notamment de ses activités syndicales et l'article 1134-1 du même code aménage les règles de preuve pour celui qui s'estime victime de discrimination au sens du chapitre 2, l'intéressé devant alors seulement présenter 'des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte', la partie défenderesse devant 'prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination', et le juge formant 'sa conviction après avoir ordonné en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

En l'espèce, au soutien de ce moyen, Mme [Z] justifie que le 2 janvier 2017, elle a été mandatée par le syndical Force Ouvrière pour négocier et signer le protocole préélectoral et qu'en février 2017, elle a été élue membre suppléante au comité d'entreprise (pièces 8 et 9).

Elle justifie également, conformément aux pièces produites au débat telles que ci avant rappelées, que dans un temps voisin, ses conditions de travail se sont trouvées dégradées et qu'ainsi la quasi totalité des tâches qu'elle effectuait lui ont été retirées, elle n'a plus bénéficié de la souplesse horaire dont elle bénéficiait tandis que parallèlement son licenciement était envisagé.

Ces éléments de fait laissent supposer une discrimination.

Or, si l'employeur conteste toute discrimination en faisant valoir que la salariée avait déjà précédemment exercé des mandats de déléguée du personnel, Mme [Z] fait observer qu'elle n'était pas alors mandatée par le syndicat FO.

En outre et s'il fait valoir qu'il a diligenté des enquêtes, il convient d'observer qu'au même titre que concernant les faits de harcèlement, ces enquêtes ne permettent pas d'établir que ses décisions et notamment celle de priver la salariée la quasi totalité de ses tâches, reposent sur des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

Néanmoins et par infirmation du jugement entrepris, au regard des éléments le caractérisant, il y a lieu d'indemniser le préjudice résultant de la discrimination à hauteur de 5000 euros.

E -Sur la demande au titre des congés payés

L'employeur demande l'infirmation du jugement en ce qu'il alloué à la salariée une somme de 2839 euros à titre d'indemnité de congés payés, mais il n'articule aucun moyen au soutien de sa demande.

Le jugement sera donc confirmé sur ce point.

II- Sur la rupture du contrat de travail

A- Sur la résiliation du contrat de travail

Par application combinées des articles 1217, 1224, 1227 et 1228 du Code civil, tout salarié reprochant à son employeur des manquements graves à l'exécution de son obligation de nature à empêcher la poursuite du contrat peut obtenir le prononcé de la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de son employeur.

En outre, toute disposition intervenue en méconnaissance des dispositions précitées relatives au harcèlement moral est nul au même titre que toute disposition intervenue en méconnaissance des dispositions relatives à la discrimination ( articles L.1132- 4 et L. 1152-3 du code du travail).

Il est en conséquence admis que la résiliation judiciaire fondée sur la discrimination ou le harcèlement moral produit les effets d'un licenciement nul .

En l'espèce, le harcèlement moral et la discrimination syndicale, lesquels ont été retenus par la cour, sont des manquements graves justifiant que la résiliation judiciaire du contrat de travail de Mme [Z] soit prononcée aux torts de l'employeur et produise en conséquence les effets d'un licenciement nul.

Il y a donc lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société appelante à verser à la salariée 4 237 euros au titre de l'indemnité de préavis et des congés payés afférents et 14 060 euros à titre d'indemnité de licenciement, condamnations dont les montants, conformes aux droits de la salariée, ne sont pas strictement contestés.

En outre, compte tenu de l'ancienneté de la salariée (25 ans à la date à laquelle la résiliation judiciaire) , de son salaire moyen (1926,30 euros), de son âge (55 ans), de ses problèmes de santé et de ses difficultés à retrouver un emploi comme il en est justifié par la production du justificatif de la déclaration de sa situation auprès de Pôle Emploi, il convient de lui allouer une somme de 55 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement nul.

B- Sur la violation du statut protecteur

Il est admis que le salarié protégé dont la demande de résiliation judiciaire est accueillie a droit, au titre de la violation de son statut protecteur, à une indemnité égale à la rémunération qu'il aurait dû percevoir jusqu'à l'expiration de la période de protection en cours au jour de la demande.

Il est également admis que la résiliation est fixée au jour de la décision qui la prononce, dès lors que le contrat n'a pas été rompu avant cette date et que le salarié est resté au service de son employeur et ce, à moins que l'exécution du contrat se poursuive après cette décision.

En l'espèce, le résiliation judiciaire a été prononcée par jugement du 18 décembre 2019 et la salariée a précisé dans ses écritures que son contrat s'est poursuivie jusqu'au 17 janvier 2020, date de son dernier jour travaillé.

Elue comme membre suppléante du comité d'entreprise en février 2017, elle était protégée par son mandat pendant 4 ans et demi à compter de cette date soit jusqu'en août 2021.

Aussi, conformément à ce qu'indique l'employeur dans ses conclusions et par infirmation du jugement, son indemnité à ce titre doit être ramenée à 20 mois de salaire soit à la somme de 38 526 euros.

III- Sur le remboursement des allocations de chômage

Les conditions d'application de l'article L 1235 - 4 du code du travail étant réunies, il convient d'ordonner le remboursement des allocations de chômage versées au salarié dans la limite de 6 mois d'indemnités.

IV- Sur les autres demandes

En raison des circonstances de l'espèce, il apparaît équitable d'allouer à Mme [Z] une indemnité en réparation de tout ou partie de ses frais irrépétibles dont le montant sera fixé au dispositif.

La société intimée qui succombe sera en outre condamnée aux dépens.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

CONFIRME le jugement entrepris en ce qu'il a :

- prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail de Mme [Z] et dit qu'elle produira les effets d'un licenciement nul

- condamné la société Frigo Transport 91 à lui verser :

-5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement et exécution déloyale du contrat de travail,

- 14 060 euros à titre d'indemnité de licenciement

- 4 237 euros au titre de l'indemnité de préavis et des congés payés afférents

- 2 839 euros à titre d'indemnité de congés payés,

- débouté la société Frigo Transport 91 de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile

L'INFIRME pour le surplus,

Statuant à nouveau des chefs infirmés :

CONDAMNE la société Frigo Transport 91 à verser à Mme [Z] les sommes de :

-5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour discrimination

- 55 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement nul

- 38 526 euros à titre d'indemnité pour violation du statut protecteur

- 2 500 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel

DIT que les sommes à caractère salarial produiront intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de sa convocation en conciliation, et que les sommes à caractère indemnitaire confirmées produiront intérêts au taux légal à compter du jugement et du présent arrêt pour le surplus avec capitalisation dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil,

DIT que l'employeur sera tenu de présenter au salarié un bulletin de paie récapitulatif, un certificat de travail et une attestation Pôle Emploi conformes aux termes de cette décision dans le délai de deux mois suivant la signification du présent arrêt,

DEBOUTE Mme [Z] de sa demande de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité,

ORDONNE le remboursement à l'organisme les ayant servies, des indemnités de chômage payées à Mme [Z] au jour du présent arrêt dans la limite de 6 mois d'indemnités,

CONDAMNE la société Frigo Transport 91 aux dépens.

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 8
Numéro d'arrêt : 20/00611
Date de la décision : 09/02/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-02-09;20.00611 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award