Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 8
ARRET DU 02 FÉVRIER 2023
(n° , 12 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 17/09604 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B3YUN
Décision déférée à la Cour : Jugement du 02 Juin 2017 -Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de PARIS - RG n° F 13/12208
APPELANT
Monsieur [Z] [O]
[Adresse 2]
[Localité 5]
Représenté par Me Olivier PLACKTOR, avocat au barreau de PARIS, toque : D2036
INTIMÉE
SOCIÉTÉ SAS SPECIFIC MEDIA, placée en liquidation judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Paris le 4 mai 2018
PARTIES INTERVENANTES
SELARL FIDES prise en la personne de Me [C] [K] ès qualités de mandataire liquidateur de la société SPECIFIC MEDIA
[Adresse 3]
[Localité 4]
Représentée par Me Sophie LEYRIE, avocat au barreau de PARIS, toque : P159
Association UNEDIC DÉLÉGATION AGS CGEA IDF OUEST
[Adresse 1]
[Localité 6]
Représentée par Me Hélène NEGRO-DUVAL, avocat au barreau de PARIS, toque : L0197
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 06 Décembre 2022, en audience publique, les avocats ne s'étant pas opposés à la composition non collégiale de la formation, devant Madame Nathalie FRENOY, Présidente, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Madame Nathalie FRENOY, présidente
Madame Corinne JACQUEMIN, conseillère
Madame Emmanuelle DEMAZIERE, vice-présidente placée
Greffier, lors des débats : Mme Nolwenn CADIOU
ARRÊT :
- CONTRADICTOIRE
- mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,
- signé par Madame Nathalie FRENOY, présidente et par Madame Nolwenn CADIOU, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE
Monsieur [Z] [O] a été engagé par la société Adviva Media, devenue Specific Media France, par contrat à durée indéterminée du 8 septembre 2006, en qualité de directeur des éditeurs, statut cadre de la convention collective des cadres, techniciens et employés de la publicité française.
Par courrier du 4 juin 2013, il a été convoqué à un entretien préalable fixé au 17 juin suivant.
M. [O] a adhéré au contrat de sécurisation professionnelle. Son contrat de travail a été rompu le 9 juillet 2013.
Contestant son licenciement pour motif économique, il a saisi le 2 août 2013 le conseil de prud'hommes de Paris qui, par jugement du 2 juin 2017, a :
-condamné la société Specific Media France à lui payer les sommes suivantes :
-10 166 euros à titre d'indemnité pour irrégularité de procédure,
-4 696 euros à titre de rappel de rémunération variable pour l'année 2013,
-1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
-rappelé que les condamnations de nature contractuelle et/ou conventionnelle produisent intérêts à compter de la réception par l'employeur de la convocation devant le bureau de conciliation et celles de nature indemnitaire à compter de la présente décision,
-ordonné la remise à M. [O] de bulletins de salaire, d'un certificat de travail ainsi qu'une attestation Pôle Emploi rectifiés conformément à la décision,
-ordonné l'exécution provisoire de la décision,
-dit que la moyenne des trois derniers salaires est fixée à la somme de 10 166 euros,
-débouté M. [O] du surplus de ses demandes,
-condamné la société Specific Media France aux entiers dépens de l'instance.
Par déclaration du 7 juillet 2017, M. [O] a interjeté appel de ce jugement.
Par jugement du tribunal de commerce de Paris du 4 mai 2018, la société Specific Media France a été placée en liquidation judiciaire et la selarl Fides a été désignée ès qualités de mandataire liquidateur.
Dans ses dernières conclusions notifiées et déposées au greffe par voie électronique le 3 octobre 2022, M. [O] demande à la cour :
-d'infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions contraires aux demandes du dispositif,
-de confirmer la condamnation de la société Specific Media France,
-de fixer au passif de la procédure de liquidation de la société Specific Media France la créance de Monsieur [Z] [O] aux sommes de :
-10 166 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect de la procédure de licenciement,
-4 696 euros à titre de rappel de salaire sur part variable,
-1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
y ajoutant et statuant à nouveau :
à titre principal :
-de dire et juger le licenciement pour motif économique notifié par la société Specific Media France à Monsieur [Z] [O] dépourvu de cause réelle et sérieuse,
en conséquence,
-de fixer la créance de Monsieur [Z] [O] au passif de la procédure de liquidation de la société Specific Media France comme suit :
-120 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
-11 667 euros à titre de rappel de la part variable de sa rémunération 2013,
-14 346,40 euros à titre de rappel de salaire de base,
-2 049,16 euros à titre de rappel d'heures supplémentaires afférant au salaire de base rectifié,
-43 637,94 euros à titre de rappel de d'heures supplémentaires,
-9 514 euros au titre des jours RTT non pris (soit 17 jours RTT sur la période juillet 2010 à mars 2012),
-10 000 euros au titre de la perte du bénéfice de ses stock-options,
subsidiairement :
-de fixer la créance de Monsieur [Z] [O] au passif de la procédure de licenciement de la société Specific Media France aux sommes de :
-120 000 euros à titre dommages et intérêts pour le préjudice résultant du non-respect de l'ordre des licenciements,
-11 667 euros à titre de rappel de la part variable de sa rémunération 2013,
-14 346,40 euros à titre de rappel de salaire de base,
-2 049,16 euros à titre de rappel d'heures supplémentaires afférant au salaire de base rectifié,
-43 637,94 euros à titre de rappel de d'heures supplémentaires,
-9 514 euros au titre des jours RTT non pris (soit 17 jours RTT sur la période juillet 2010 à mars 2012),
-10 000 euros au titre de la perte du bénéfice de ses stock-options,
très subsidiairement :
-de fixer au passif de la procédure de liquidation de la société Specific Media France la créance de Monsieur [Z] [O] comme suit :
-20 399,85 euros au titre des heures supplémentaires effectuées en semaine,
en toute hypothèse :
-d'ordonner la remise d'une attestation Pôle Emploi, d'un certificat de travail, et des bulletins de salaire conformes sous astreinte de 100 euros par jour de retard,
-de fixer la créance de Monsieur [Z] [O] au passif de la société Specific Media France à la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
-de dire que la décision à intervenir sera opposable à l' AGS (CGEA d'IDF OUEST),
-de dire et juger que les conditions, limites et plafonds de la garantie légale subsidiaire des AGS ne sont pas applicables,
-de condamner la société Specific Media France aux entiers dépens.
Dans ses dernières conclusions notifiées et déposées au greffe par voie électronique le 23 septembre 2022, la selarl Fides ès qualités de mandataire liquidateur, représentant la société Specific Media France demande à la cour :
-de juger que la société Specific Media France a parfaitement respecté l'ensemble des obligations qui lui incombaient,
-de juger que la société a été contrainte de procéder au licenciement de Monsieur [O],
en conséquence :
-de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté Monsieur [O] de ses demandes au titre du licenciement pour motif économique,
-d'infirmer le jugement sur les autres demandes,
-de condamner Monsieur [O] aux dépens,
dans l'hypothèse où la Cour croirait devoir fixer des sommes au passif de la liquidation judiciaire de la société Specific Media France
-de juger que l'intervention de l'AGS n'est pas conditionnée à l'absence de disponibilité de la liquidation judiciaire de la société Specific Media France.
Dans ses dernières conclusions notifiées et déposées au greffe par voie électronique le 9 septembre 2022, le CGEA AGS d'Ile de France Ouest demande à la cour :
-de confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a débouté M. [O] de ses demandes,
-d'infirmer pour le surplus,
-de débouter M. [O] de ses demandes, fins et conclusions,
-de rejeter les demandes de fixation de créances qui ne sont ni fondées dans leur principe ni justifiées dans leur montant et en tout état de cause, réduire aux seuls montants dûment justifiés les créances susceptibles d'être fixées,
-de donner acte à la concluante des conditions d'intervention de l'AGS dans le cadre des dispositions du code de commerce rappelées ci-dessus, et des conditions, limites et plafonds de la garantie subsidiaire de l'AGS prévus notamment par les articles L.3253-6 à L.3253-17, L.3253-19 à L.3253-20 du code du travail,
-de rejeter toute demande contraire dirigée à l'encontre de l'AGS,
-de dire en tout état de cause que la décision à intervenir de fixation de créances ne sera opposable à l'AGS que dans les conditions, limites et plafonds de sa garantie légale subsidiaire,
-de dire que l'AGS ne devra procéder à l'avance des créances visées aux articles L.3253-8 et suivants du code du travail que dans les termes et conditions résultant de ces dispositions, limitées au plafond de garantie applicable, en vertu des articles L.3253-17 et D.3253-5 du code du travail, et payable sur présentation d'un relevé de créances par le mandataire judiciaire, et sur justification par ce dernier de l'absence de fonds disponibles entre ses mains pour procéder à leur paiement en vertu de l'article L.3253-20 du code du travail.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 4 octobre 2022 et l'audience de plaidoiries a été fixée au 6 décembre 2022.
Il convient de se reporter aux énonciations de la décision déférée pour plus ample exposé des faits et de la procédure antérieure, ainsi qu'aux conclusions susvisées pour l'exposé des moyens des parties devant la cour.
MOTIFS DE L'ARRET
Sur le licenciement :
Selon l'article L1233-3 du code du travail dans sa version applicable au litige, 'constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques.'
Les difficultés économiques doivent être réelles et constituer la véritable raison du licenciement. Elles s'apprécient au moment de la rupture du contrat de travail et au niveau de l'entreprise ou, si celle-ci fait partie d'un groupe, au niveau du secteur d'activité du groupe dans lequel elle intervient. Le périmètre du groupe à prendre en considération à cet effet est l'ensemble des entreprises unies par le contrôle ou l'influence d'une entreprise dominante dans les conditions définies à l'article L. 2331-1 du code du travail, sans qu'il y ait lieu de réduire le groupe aux entreprises situées sur le territoire national.
À la lecture des documents comptables fournis, la baisse du chiffre d'affaires de la société Specific Média France, amorcée en 2011, s'est accentuée en 2012 et encore plus nettement en 2013, le résultat d'exploitation ( ou EBITDA), en chute, s'avérant négatif en 2013. C'est par conséquent à juste titre, après avoir constaté cette situation baissière concomitante au licenciement, mais en outre durable et ayant abouti à la liquidation amiable puis judiciaire de la société, que le jugement de première instance a relevé la réalité des difficultés économiques invoquées dans la lettre de licenciement ainsi que dans une note explicative affichée le 5 juin 2013 dans les locaux de l'entreprise.
Par ailleurs, dans la mesure où l'objet social de la société Specific Media France, ayant une activité de régie publicitaire ciblée, et celui de Myspace, qui consiste en un réseau social, sont différents l'intégration de ce dernier dans le groupe, ainsi que les chiffres en progrès de l'activité correspondante ne sauraient entrer dans la comparaison.
Or, il est justifié, par diverses pièces comptables, organigrammes et registres du personnel notamment, des mêmes difficultés rencontrées au sein des filiales européennes (Specific Media Europe, Specific Media International Ltd , Specific Media UK Ltd et Specific Media Germany GmbH), à savoir de fortes baisses de résultat et la nécessaire réduction des effectifs, ainsi qu'au niveau mondial, au vu des documents comptables produits par la société Interactive Media Holding Inc., montrant, eu égard aux résultats détériorés et aux pertes accrues, l'atteinte du secteur d'activité du groupe en son entier, rendant nécessaire la réorganisation de la société.
En ce qui concerne la suppression du poste du salarié, différentes pièces dont le registre unique du personnel permettent de retenir qu'elle a été effective, 11 postes de cadre ayant été supprimés sur un effectif total de 25, et que M. [O] n'a pas été remplacé.
L'article L1233-4 du code du travail dans sa version applicable au litige prévoit que le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé ne peut être opéré dans l'entreprise ou dans les entreprises du groupe auquel l'entreprise appartient.
Le reclassement du salarié s'effectue sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu'il occupe ou sur un emploi équivalent assorti d'une rémunération équivalente. A défaut, et sous réserve de l'accord exprès du salarié, le reclassement s'effectue sur un emploi d'une catégorie inférieure. Les offres de reclassement proposées au salarié sont écrites et précises.
Il est justifié, en l'espèce, à ce titre, par le représentant de la société Specific Media France que cette dernière a contacté l'ensemble des sociétés du groupe Interactive Media Holding Inc. pour obtenir la localisation et le descriptif des postes disponibles en vue du reclassement de M. [O], lequel - ayant fait état dans un questionnaire de mobilité qu'il acceptait un reclassement au Bénélux- a reçu notification de ce qu'aucun poste disponible correspondant à cette demande n'avait été repéré.
C'est par conséquent à juste titre, constatant l'impossibilité de reclassement du salarié, que le jugement de première instance a dit le licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse, de nature économique.
Sur l'ordre des licenciements :
M. [O] considère qu'il n'était pas le seul dans sa catégorie professionnelle et que la société Specific Media France devait appliquer les critères d'ordre des licenciements qu'elle avait retenus. Il invoque un préjudice de ce chef et la nécessité d'une indemnisation à hauteur de 120'000 €, compte tenu de son ancienneté de 6 ans et 10 mois.
Le représentant de la société Specific Media France souligne que M. [O], en sa qualité de directeur des éditeurs, était le seul à occuper ces fonctions au sein de l'entreprise et que l'ordre des licenciements n'avait pas à être mis en 'uvre à son égard.
Le CGEA d'Île-de-France Ouest se rapporte expressément à l'argumentaire du mandataire liquidateur à ce sujet.
L'article L1233-5 du code du travail dans sa version applicable au litige dispose que 'lorsque l'employeur procède à un licenciement collectif pour motif économique et en l'absence de convention ou accord collectif de travail applicable, il définit les critères retenus pour fixer l'ordre des licenciements, après consultation du comité d'entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel.
Ces critères prennent notamment en compte :
1° Les charges de famille, en particulier celles des parents isolés ;
2° L'ancienneté de service dans l'établissement ou l'entreprise ;
3° La situation des salariés qui présentent des caractéristiques sociales rendant leur réinsertion professionnelle particulièrement difficile, notamment celle des personnes handicapées et des salariés âgés ;
4° Les qualités professionnelles appréciées par catégorie.'
En l'espèce, M. [O] invoque son appartenance à une catégorie professionnelle partagée par d'autres salariés ainsi qu'un préjudice, mais n'en démontre pas la réalité.
L'organigramme de la société Specific Media France permet de vérifier le caractère unique du poste de directeur des éditeurs ; les critères d'ordre de licenciement apparaissent donc inapplicables.
Sur la part variable 2013 :
M. [O] invoque les stipulations de son contrat de travail pour réclamer, en l'absence de fixation d'objectifs pour la part variable de sa rémunération en 2013, la somme de 11'667 € à ce titre.
La société Specific Media par l'intermédiaire de son représentant, souligne que le contrat de travail rend possible une rémunération annuelle variable ('le salarié peut bénéficier d'une rémunération annuelle variable'), rappelle que l'intéressé reconnaît avoir reçu sa rémunération variable pour le premier trimestre 2013, souligne qu'il a également perçu une somme en juillet 2013 à ce titre, à savoir 6 971 €, et que sa demande est donc sans objet. Elle s'interroge aussi sur le fait qu'il n'ait pas été destinataire des objectifs de 2013 et qu'elle ne soit pas susceptible de produire les 'bonus plans' de M. [O], alors qu'elle peut produire ceux des autres salariés licenciés en 2013.
À titre subsidiaire, elle fait valoir que l'intéressé ne pourrait avoir droit qu'à la somme de 2 666 € à ce titre.
Le CGEA d'Île-de-France Ouest se rapporte expressément à l'argumentaire du mandataire liquidateur et conclut au rejet de la demande.
L'article IV ' rémunération' du contrat de travail prévoit une rémunération fixe et stipule aussi que 'le SALARIE pourra également percevoir une rémunération annuelle brute d'un montant maximum de 30 000,00 euros et dont le versement semestriel sera conditionné à la réalisation d'objectifs quantitatifs et qualitatifs réalisés communiqués trimestriellement par ADVIVA MEDIA et dont le mode de calcul est prévu en annexe 1.'
Il n'est pas justifié par la société Specific Media France de la fixation des objectifs de M. [O] pour l'année 2013 ; il convient donc de considérer qu'il a droit, pour le premier semestre 2013, à la rémunération antérieurement perçue à ce titre, soit la somme de 17 030 €.
Toutefois, à la lecture du bulletin de salaire de juillet 2013, versé aux débats par le liquidateur de la société, portant mention de la somme de 6 971 € - dont l'effectivité du paiement n'a pas été contestée en son temps par l'intéressé- et du versement de la somme de 5 363 € perçue fin avril 2013, toutes deux au titre de la rémunération variable , il convient de confirmer le jugement de première instance qui a fixé à 4 696 € le reliquat dû au salarié.
Sur le rappel de salaire :
L'appelant soutient que sa rémunération de base a été réduite de 7 175 € à 6 278,35 € et qu'une somme de 14'346,40 € lui est donc due à ce titre de mars 2012 à juillet 2013.
Le représentant de la société Specific Media France conclut au rejet de la demande, rappelant que les heures supplémentaires effectuées par M. [O] ont été totalement intégrées à sa rémunération mensuelle et qu'il n'a jamais formé la moindre demande à ce titre avant le présent litige.
Le CGEA d'Île-de-France Ouest sollicite la confirmation du jugement entrepris, reprenant les motifs développés par le mandataire liquidateur.
Si, à la lecture des bulletins de salaire, la rémunération de base versée à M. [O] a été modifiée dans sa structure, passant de 7 000 € à 6 278,35 € (salaire de base), outre 896,65 € (heures supplémentaires à 125 %), cependant, comme l'a relevé le jugement de première instance, cette modification s'est faite lors du passage de la durée du travail à 35 heures, sans modifier toutefois la valeur du travail accompli par le salarié, la somme de 7000 € initialement prévue correspondant, selon les stipulations du contrat de travail, à 39 heures (cf l'article VI dudit contrat).
Il convient donc de rejeter la demande de rappel de salaire à ce titre.
Sur la procédure de licenciement :
Alors que la société Specific Media France reconnaît n'avoir pas mis en place les représentants du personnel au sein de la structure et qu'aucun procès-verbal de carence n'a été établi, ce manquement, impactant la régularité de la procédure de licenciement, doit être sanctionné.
Selon l'article L 1235-15 du code du travail dans sa version applicable au litige 'est irrégulière toute procédure de licenciement pour motif économique dans une entreprise où le comité d'entreprise ou les délégués du personnel n'ont pas été mis en place alors qu'elle est assujettie à cette obligation et qu'aucun procès-verbal de carence n'a été établi.
Le salarié a droit à une indemnité à la charge de l'employeur qui ne peut être inférieure à un mois de salaire brut, sans préjudice des indemnités de licenciement et de préavis.'
En l'état des éléments de rémunération versés aux débats et notamment de ceux relatifs à la rémunération variable de M. [O], il convient de confirmer le jugement de première instance qui a fixé à 10'166 € l'indemnité pour irrégularité de procédure.
Sur le forfait-jours :
Critiquant le forfait-jours auquel il a été soumis jusqu'en mars 2012, l'appelant relève qu'aucune modalité de détermination de ce forfait n'était prévue par un accord collectif d'entreprise, ni par un accord de branche, ni par la convention collective de la publicité. Il estime que ce forfait est nul.
Le représentant de la société Specific Media France ne conclut pas sur ce point.
La mise en place d'une convention individuelle de forfait en heures ou en jours est subordonnée d'une part, à la conclusion d'un accord collectif déterminant notamment le nombre d'heures ou de jours dans le forfait, et les règles de suivi de la charge de travail des salariés, ainsi que la période de référence du forfait et d'autre part, à la conclusion d'une convention individuelle de forfait formalisée par écrit.
Alors qu'en l'espèce, le contrat de travail prévoit une rémunération forfaitaire 'indépendante du temps passé par le salarié à remplir ses fonctions', en son article IV, il n'est justifié ni d'un accord collectif prévoyant un dispositif propre à assurer la garantie du respect des durées raisonnables de travail et la prise de repos, ni de mesures particulières destinées à assurer la protection de la sécurité et de la santé de M. [O]. Il convient de dire, comme le sollicite l'intéressé, que cette convention de forfait est nulle.
Sur les heures supplémentaires :
M. [O], en l'état de la nullité du forfait-jours auquel il était soumis, s'estime en droit de solliciter paiement des heures supplémentaires qu'il a accomplies. Il fait valoir que ses horaires de travail étaient en semaine de 9h45 à 19h15 avec une heure de pause déjeuner, soit 8h30 par jour et qu'en l'état des 218 jours travaillés par année, il a accompli 246 heures supplémentaires par an. Il réclame donc la somme de 43'637,94 € de rappel de salaire à ce titre sur les trois dernières années.
Le représentant de la société Specific Media France relève que le salarié pense pouvoir invoquer le caractère irrégulier de son forfait-jours pour obtenir mécaniquement le paiement d'heures supplémentaires et conclut au rejet de la demande.
Le CGEA d'Île-de-France Ouest conclut de même.
L'article L 3171-4 du code du travail prévoit qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié . Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié au soutien de sa demande, le juge forge sa conviction, après avoir ordonné en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.
Il résulte de ces dispositions, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées.
En l'espèce, alors que la lecture du bulletin de salaire de décembre 2011 produit aux débats montre que M.[O] était initialement soumis à un ' forfait- jours' relativement à sa durée de travail, son contrat de travail stipulant une rémunération ' indépendante du temps passé à remplir ses fonctions', le salarié invoque le décompte établi dans ses conclusions et ci-dessus repris, soit une durée de travail correspondant à une amplitude horaire de 9h45 à 19h15 chaque jour ouvré.
Nonobstant le raisonnement par analogie du salarié sur toute la période considérée, ce décompte est suffisamment précis pour étayer sa demande et permettre à l'employeur d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments relatifs aux heures de travail effectuées.
La société Specific Media France, régulièrement représentée, ne produit aucune pièce relative à la durée du travail de M. [O], se limitant à souligner que ce dernier n'apporte pas d'éléments justifiant de sa durée réelle de travail et que les heures supplémentaires alléguées n'étaient pas autorisées.
Il n'est pas établi non plus que l'employeur, qui ne justifie pas avoir procédé au décompte du temps de travail comme il en avait l'obligation, n'avait pas donné son accord implicite pour que M. [O] exécute des heures supplémentaires afin de répondre aux missions et responsabilités qui étaient les siennes en sa qualité de directeur des éditeurs.
En l'état, la cour a la conviction, au sens de l'article L 3171-4 du code du travail, que M. [O] a accompli des heures supplémentaires qui n'ont pas été rémunérées, et ce même après la prise en compte de 17,33 heures supplémentaires sur ses bulletins de salaire à compter de décembre 2012.
Cependant, les limites du raisonnement du salarié, qui procède par analogie et systématisation d'une durée de travail-type tout au long de l'année, ainsi que la considération par l'employeur de certaines heures supplémentaires mentionnées sur les bulletins de salaire permettent de retenir un rappel de salaires à hauteur de la somme de 5 783,39 €, ainsi que les congés payés y afférents.
Le jugement de première instance doit donc être infirmé de ce chef.
Sur le rappel de jours de RTT non pris :
M. [O] affirme n'avoir pu bénéficier des jours de RTT qui sont mentionnés sur les bulletins de paie et réclame la somme de 10'073,34 € au titre des 18 jours non pris à ce titre.
Le représentant de la société Specific Media France fait valoir que le salarié n'apporte aucun commencement de preuve et que les jours RTT n'ont jamais été une pratique de l'entreprise. Il souligne qu'aucun jour RTT ne figure sur les bulletins de salaire de M. [O] et que cette rubrique n'apparaît sur les bulletins de salaire qu'en raison du modèle de fiche de paie utilisé par le cabinet comptable, sans que cela puisse ouvrir un droit à ce titre à l'intéressé.
Le CGEA d'Ile de France Ouest fait sienne l'argumentation du liquidateur.
La convention de forfait à laquelle le salarié était soumis étant nulle, le paiement des jours de réduction du temps de travail accordés en exécution de ladite convention est indu, pour la durée de la période concernée.
La demande doit donc être rejetée, par confirmation du jugement entrepris.
Sur les stock-options:
Alors qu'il avait été informé par courrier du 3 octobre 2008 de son éligibilité au plan de stock-options, M. [O] soutient qu'il n'a pas pu exercer, du fait de son licenciement, ses options de souscription d'actions, que la société Specific Media France n'a pas fourni d'éléments actualisés de valorisation de ces stock-options et réclame la somme de 10'000 € à titre d'indemnité pour perte de leur bénéfice.
Le mandataire liquidateur de la société Specific Media France rappelle que M. [O] s'est vu attribuer 15000 options d'actions au prix d'achat proposé de 2,24 $ l'action, que le calendrier d'exerçabilité de ces options a couru du 1er mars 2009 jusqu'au 1er mars 2012 et qu'au jour du licenciement, l'ensemble des options de souscription était exerçable par l'intéressé, qui n'a pas émis la volonté de le faire avant le litige. Ce choix ne lui étant pas imputable, la société intimée régulièrement représentée estime qu'aucune indemnisation n'est due puisque le licenciement n'a pas fait perdre de chance à M. [O] à ce titre.
Le mandataire liquidateur fait valoir en outre que la valeur de l'action au jour du licenciement était très inférieure à sa valeur d'attribution, ce qui faisait perdre tout intérêt à une levée d'option, d'autant que la cession d'actions de gré à gré reste aléatoire.
Le CGEA d'Île-de-France Ouest adopte l'argumentaire du mandataire liquidateur.
Il est constant que le salarié qui n'a pu, du fait de son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, lever les options sur titres ou de souscription d'actions, peut obtenir réparation du préjudice qu'il démontre, notamment sur le fondement de la perte d'une chance.
En l'espèce, le licenciement étant fondé sur une cause réelle et sérieuse et alors au surplus qu'aucune perte de chance n'est démontrée, ni aucun autre préjudice subi par M. [O], qui avait eu l'opportunité avant son licenciement de bénéficier du plan de stock-options, la demande d'indemnisation doit être rejetée, par confirmation du jugement entrepris de ce chef.
Sur la remise de documents:
La remise d'une attestation Pôle Emploi et d'un bulletin de salaire rectificatif conformes à la teneur du présent arrêt s'impose sans qu'il y ait lieu de prévoir une astreinte, aucun élément laissant craindre une résistance du représentant de la société Specific Media France n'étant versé au débat.
La demande relative d'un certificat de travail doit en revanche être rejetée.
Sur la garantie de l'AGS :
Il convient de rappeler que l'obligation du C.G.E.A, gestionnaire de l'AGS, de procéder à l'avance des créances visées aux articles L 3253-8 et suivants du code du travail doit se faire dans les termes et conditions résultant des dispositions des articles L 3253-19 et L 3253-17 du code du travail, limitées au plafond de garantie applicable, en vertu des articles L 3253-17 et D 3253-5 du code du travail, et payable sur présentation d'un relevé de créance par le mandataire judiciaire.
En cas de liquidation judiciaire, l'article L 3253-20 alinéa 1 du code du travail dispose que le mandataire judiciaire demande, sur présentation des relevés, l'avance des fonds nécessaires, et ce 'si les créances ne peuvent être payées en tout ou partie sur les fonds disponibles avant l'expiration des délais prévus par l'article L 3253 -19' du même code.
Le principe de subsidiarité s'applique quel que soit le type et le stade de la procédure collective en cours, le recours à la garantie étant subordonné à la vérification préalable de l'absence ou de l'insuffisance des fonds disponibles dans l'entreprise pour couvrir le montant des créances salariales impayées, seule l'étendue de la garantie de l'AGS différant selon le type et le stade de procédure collective.
Le présent arrêt devra être déclaré opposable à l'AGS et au CGEA d'Ile de France Ouest.
Sur les intérêts:
Il convient de rappeler que le jugement d'ouverture de la procédure collective de la société Specific Media France a opéré arrêt des intérêts légaux et conventionnels (en vertu de l'article L. 622-28 du code de commerce).
Sur les dépens:
Le jugement de première instance doit être confirmé relativement aux dépens.
La liquidation judiciaire de la société Specific Media France, succombant, devra les dépens d'appel.
L'équité commande de confirmer le jugement de première instance relativement aux frais irrépétibles, mais de rejeter la demande présentée à ce titre en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
CONFIRME le jugement de première instance, sauf en ses dispositions relatives aux heures supplémentaires et aux congés payés y afférents,
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
FIXE au passif de la société Specific Media France la créance de M. [Z] [O] à hauteur de :
- 5 783,39 € à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires,
- 578,33 € au titre des congés payés y afférents,
RAPPELLE que le jugement d'ouverture de la procédure collective de la société Specific Media France a opéré arrêt des intérêts légaux et conventionnels,
ORDONNE la remise par le mandataire judiciaire, représentant la société Specific Media France, à Monsieur [O] d'un bulletin de salaire et d'une attestation Pôle Emploi conformes à la teneur du présent arrêt, et ce dans le mois suivant sa mise à disposition,
DIT la présente décision opposable au CGEA-AGS d Île-de-France Ouest,
DIT que l'AGS ne devra procéder à l'avance des créances visées aux articles L3253-8 et suivants du code du travail que dans les termes et conditions résultant des dispositions des articles L3253-19 et L3253-17 du code du travail, limitées au plafond de garantie applicable, en vertu des articles L3253-17 et D3253-5 du code du travail, et payable sur présentation d'un relevé de créances par le mandataire judiciaire, et sur justification par ce dernier de l'absence de fonds disponibles entre ses mains pour procéder à leur paiement en vertu de l'article L3253-20 du code du travail,
DÉBOUTE les parties de leurs autres demandes,
LAISSE les dépens d'appel à la charge de la liquidation judiciaire de la société Specific Media France.
LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE