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19/01/2023 | FRANCE | N°18/08971

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 8, 19 janvier 2023, 18/08971


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 8



ARRET DU 19 JANVIER 2023



(n° , 12 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/08971 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B6EEO



Décision déférée à la Cour : Jugement du 14 Juin 2018 -Conseil de Prud'hommes - Formation de départage d'EVRY - RG n° 18/00075





APPELANTE



SARL TOPRAK FRANCE

[Adresse 1]

[Localité

3]



Représentée par Me Alexis FACHE, avocat au barreau de PARIS, toque : D0897





INTIMÉE



Madame [G] [H]

[Adresse 2]

[Localité 4]



Représentée par Me Carol AIDAN, avocat au ...

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 8

ARRET DU 19 JANVIER 2023

(n° , 12 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/08971 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B6EEO

Décision déférée à la Cour : Jugement du 14 Juin 2018 -Conseil de Prud'hommes - Formation de départage d'EVRY - RG n° 18/00075

APPELANTE

SARL TOPRAK FRANCE

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Alexis FACHE, avocat au barreau de PARIS, toque : D0897

INTIMÉE

Madame [G] [H]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par Me Carol AIDAN, avocat au barreau de PARIS, toque : D0021

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 22 Novembre 2022, en audience publique, les avocats ne s'étant pas opposés à la composition non collégiale de la formation, devant Madame Nathalie FRENOY, Présidente, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Madame Nathalie FRENOY, présidente

Madame Corinne JACQUEMIN, conseillère

Madame Emmanuelle DEMAZIERE, vice-présidente placée

Greffier, lors des débats : Mme Nolwenn CADIOU

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- signé par Madame Nathalie FRENOY, présidente et par Madame Nolwenn CADIOU, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

Madame [G] [H] a été engagée par la société Toprak France - exerçant l'activité d'import et d'export de produits en céramique, en fonte, en acrylique etc...- par contrat à durée indéterminée du 1er septembre 2001 en qualité de comptable junior.

Le 17 septembre 2007, Mme [H] a été nommée gérante de la société Toprak France à la place de son époux, démissionnaire, devenu gérant d'une société H.W. à qui les locaux de l'entreprise ont été sous-loués.

Lors de l'assemblée générale du 15 juin 2014, la démission de Mme [H] en sa qualité de gérante a été acceptée.

Par courrier non daté, elle a été mise à pied à titre conservatoire et convoquée à un entretien préalable fixé au 6 février 2015.

Par lettre du 25 février 2015, la société Toprak France lui a notifié son licenciement pour faute grave.

Contestant la rupture de la relation de travail, Mme [H] a saisi le 6 mai 2015 le conseil de prud'hommes d'Evry qui, par jugement du 14 juin 2018, a :

-dit que le contrat de travail conclu le 1er septembre 2001 entre Madame [H] et la sarl Toprak France a été suspendu entre le 17 septembre 2007 et le 15 juin 2014,

-dit que le contrat de travail conclu le 1er septembre 2001 entre Madame [H] et la sarl Toprak France a repris ses effets à la date du 15 juin 2014,

-requalifié le licenciement pour faute grave prononcé le 5 mars 2015 à l'encontre de Madame [H] en licenciement sans cause réelle et sérieuse,

-dit que le salaire de Madame [H], en dernier état, était de 3 601 euros,

-condamné la sarl Toprak France, en la personne de son représentant légal, à payer à Madame [H] les sommes suivantes :

-7 202 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

-720,20 euros au titre des congés payés afférents,

-3 601 euros au titre de la mise à pied conservatoire,

-360 euros au titre des congés payés afférents,

-13 200 euros au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement,

-21 606 euros au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

-1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

-ordonné à la sarl Toprak France, en la personne de son représentant légal, de remettre à Madame [H] une attestation Pôle Emploi conforme au jugement dans le délai d'un mois suivant sa notification,

-débouté Madame [H] du surplus de ses demandes,

-débouté la sarl Toprak France de l'ensemble de ses demandes reconventionnelles,

-mis les entiers dépens à la charge de la partie défenderesse.

Par déclaration du 16 juillet 2018, la société Toprak France a interjeté appel de ce jugement.

Par ordonnance de jonction du 26 octobre 2018, le conseiller de la mise en état a procédé à la jonction des dossiers numérotés 18/08971 et 18/11297.

Dans ses dernières conclusions notifiées et déposées au greffe par voie électronique le 12 octobre 2018, la société Toprak France demande à la cour :

in limine litis :

-de joindre la procédure avec la procédure enrôlée sous le numéro 18/04146 et que l'affaire se poursuive sous le numéro RG 18/08971,

à titre principal,

-de confirmer le jugement en ce qu'il a reconnu que le contrat de travail de Madame [H] a été suspendu du 17 septembre 2007 au 15 juin 2014,

-d'infirmer le jugement en ce qu'il a dit que le contrat de travail a repris ses effets à la date du 15 juin 2014 et,

statuant de nouveau,

-de dire que le contrat a été suspendu pour la période postérieure au 15 juin 2014,

en conséquence,

-de condamner Madame [H] au remboursement des salaires indûment perçus, soit la somme de 24 512,69 euros,

à titre subsidiaire,

-d'infirmer le jugement en ce qu'il a dit que le licenciement pour faute grave prononcé le 5 mars 2015 à l'encontre de Madame [G] [H] était sans cause réelle et sérieuse,

-d'infirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Toprak France aux sommes de :

-7 202 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

-720 euros au titre des congés payés afférents,

-3 601 euros au titre de la mise à pied conservatoire,

-360 euros au titre de congés payés afférents,

-13 200 euros au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement,

-21 606 euros au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse,

statuant de nouveau,

-de dire que le licenciement est causé par une faute grave,

à titre infiniment subsidiaire,

-d'infirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Toprak à la somme de 13 200 € au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement,

-de dire que l'indemnité de licenciement serait fixée à la somme de 2 880 euros,

en tout état de cause,

-d'infirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Toprak à la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

-de condamner Madame [H] à la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

-de débouter Madame [H] de l'intégralité de ses demandes.

Dans ses dernières conclusions notifiées et déposées au greffe par voie électronique le 4 novembre 2022, Mme [H] demande à la cour :

-de la recevoir en ses conclusions et les déclarant bien fondées,

-d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a jugé que le contrat de travail en date du 1er septembre 2001 a été suspendu entre le 17 septembre 2007 et le 15 juin 2014,

statuant à nouveau,

-de juger que le contrat de travail en date du 1er septembre 2001 n'a jamais été suspendu,

-de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit et jugé que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse, et condamné la société Toprak France à verser à Madame [H] les sommes suivantes :

-3 601 euros au titre de la mise à pied conservatoire,

-360 euros au titre des congés payés y afférents,

-13 200 euros à titre d'indemnité de licenciement conventionnelle,

à titre principal,

-d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a retenu des quantums inférieurs à ceux demandés par Madame [H] et

statuant à nouveau :

-de condamner la société Toprak France à verser à Madame [H] les sommes de :

-10 803 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

-1 080 euros à titre de congés payés y afférents,

-64 818 euros nets à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

à titre subsidiaire,

-de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société Toprak France à verser à Madame [H] les sommes suivantes :

-7 202 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

-720,20 euros au titre des congés payés afférents,

-21 606 euros au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

-d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté la demande de Madame [H] au titre des rappels de salaire,

et statuant à nouveau,

-de juger que la société Toprak France était redevable des salaires mis à sa charge par la Cour d'Appel de Paris le 10 décembre 2015 soit la somme de 27 000 euros au titre de la période du 15 juin 2014 au 1er février 2015 et par voie de conséquence,

-de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société Toprak France de sa demande de remboursement de la somme de 24 512,69 euros,

-de donner acte à Madame [H] que sur la condamnation prononcée par la Cour d'appel de Paris le 10 décembre 2015 une somme de 3 132, 49 euros n'a pas été payée,

-de condamner la société Toprak au paiement des sommes de :

-9 000 euros au titre de la période du 1er avril 2014 au 15 juin 2014,

-3 601 euros au titre du mois de février 2015,

soit 12 611 euros,

-d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté Madame [H] de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice moral et statuant à nouveau,

-de condamner la société Toprak France à la somme de 21 606 euros à titre de préjudice moral,

-de condamner la société Toprak à produire les documents de fin de contrat conformes,

-d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté Madame [H] de ses demandes d'astreinte et statuant à nouveau,

-d'ordonner sous astreinte de 50 euros par jour de retard, la délivrance d'une attestation Pôle Emploi (documents de fin de contrat) conformes, et le paiement de la somme de 3 132,49 euros sous astreinte de 100 euros par jour à compter de la date du 22 mars 2018, jusqu'au paiement effectif de cette somme,

-d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté Madame [H] de sa demande de dommages et intérêts à hauteur de 3 600 euros pour préjudice moral pour retard dans la délivrance des documents de fin de contrat et statuant à nouveau,

-de condamner la société Toprak France à la somme de 3 600 euros de dommages et intérêts pour préjudice moral,

-d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a fixé à la somme de 1 000 euros la condamnation de la société Toprak France au titre de l'article 700 du code de procédure civile et statuant à nouveau,

-de condamner la société Toprak France à la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

à titre subsidiaire,

-de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société Toprak France à la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens d'instance,

-de condamner la société Toprak France à verser à Madame [H] la somme de 6 000 euros à titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 8 novembre 2022 et l'audience de plaidoiries a été fixée au 22 novembre 2022.

Il convient de se reporter aux énonciations de la décision déférée pour plus ample exposé des faits et de la procédure antérieure, ainsi qu'aux conclusions susvisées pour l'exposé des moyens des parties devant la cour.

MOTIFS DE L'ARRET

Sur la jonction:

La société Toprak France demande la jonction de la présente procédure avec celle enrôlée sous le numéro 18/04146 ; cependant la jonction des deux dossiers relatifs à cette affaire a déjà été prononcée par le conseiller de la mise en état et le dossier portant le numéro 18/04146 ne concerne pas la présente instance.

Il convient donc de rejeter la demande.

Sur la suspension du contrat de travail :

La société Toprak France qui soutient que Mme [H] n'a pas cumulé son statut de salariée et son mandat social, le contrat de travail ayant été suspendu dès qu'elle a été nommée gérante, fait valoir que l'intéressée n'a accompli aucune fonction technique distincte de son mandat social, n'a été placée sous aucun lien de subordination et n'a pas fait l'objet d'une rémunération distincte.

Elle estime que le contrat de travail n'a jamais repris ses effets à l'issue du mandat social de Mme [H], laquelle n'a pas repris ses tâches salariales, n'a été placée sous aucun lien de subordination et ne devait pas percevoir de salaires au cours de cette période.

Mme [H] affirme que son contrat de travail n'a jamais été suspendu et qu'elle a cumulé les deux statuts, ayant continué de travailler en qualité de salariée, placée sous la subordination d'un actionnaire tant dans son emploi qu'à l'occasion de son mandat et que le contrat de travail s'est poursuivi à l'issue dudit mandat social.

Le cumul valide d'un contrat de travail et d'un mandat social suppose que l'emploi exercé conserve un caractère réel et sérieux et réponde aux conditions suivantes :

- l'exercice de fonctions techniques distinctes du mandat social,

- le lien de subordination maintenu,

- une rémunération distincte.

La reconnaissance d'un contrat de travail suppose l'existence de fonctions techniques correspondant à des attributions spécifiques, qui se différencient des fonctions de représentation et de gestion découlant du mandat social.

En l'espèce, il résulte des pièces produites que la société Toprak France, structure de très petite taille n'ayant pas d'autre salarié que Mme [H], engagée par contrat de travail à compter du 1er septembre 2001, a nommé cette dernière aux fonctions de gérante sans prévoir le maintien de son contrat de travail, ni de rémunération distincte.

La réalité de la situation, telle qu'elle ressort d'une part de différents courriers de la Direction Générale des Finances Publiques d'avril, août et novembre 2012 sollicitant l'accomplissement de diverses opérations non effectuées et la remise de documents comptables non établis ou notifiant des amendes et d'autre part d'échanges entre Mme [H] et le représentant de la société holding, montre que diverses carences ont été constatées relativement à la tenue de la comptabilité au cours des exercices pendant lesquels l'intimée était mandataire sociale, cette dernière n'exerçant pas, au moins en partie, les tâches qui lui étaient dévolues dans le cadre de son contrat de travail.

Pour les tâches qui ont été exécutées, elles l'ont été dans le cadre du mandat social - qui les a en quelque sorte absorbées-, dans la mesure où il n'est pas justifié que Mme [H] exerçait, concurremment à ses fonctions de gérante, des fonctions salariées d'ordre «technique», à défaut de toute pièce permettant d'objectiver qu'elle avait repris, comme elle l'affirme, les fonctions de la responsable logistique ainsi que celles de préparatrice des commandes et des livraisons.

En ce qui concerne le lien de subordination, qui se caractérise par le pouvoir de l'employeur de donner des ordres, des directives et de sanctionner le salarié, il ne doit pas être confondu avec les directives que peut recevoir le mandataire de la part des associés ou du conseil d'administration et qui sont la conséquence logique de son mandat.

En l'espèce, il est manifeste que Mme [H] disposait dans le cadre de son mandat social d'un pouvoir de représentation, de direction et de gestion de la société Toprak France vis-à-vis des tiers et donc d'une autonomie et d'une indépendance certaine dans l'exercice de ses fonctions, pouvoirs et autonomie lui ayant permis de conclure un contrat de sous-location avec une société tierce, dans des conditions ensuite décriées.

Si différents courriels échangés avec les représentants de la société-mère se terminent par 'je me soumets à vos instructions' ou contiennent des sollicitations de l'intimée quant à ses dates de congés ou à des actes relevant de la gestion de la société Toprak France, ils s'inscrivent dans le cadre du mandat social et des directives nécessaires à la cohérence de fonctionnement d'un groupe, sans refléter un quelconque lien de subordination.

Il résulte d'ailleurs du courriel du 24 novembre 2014 adressé au représentant de la société-mère par Mme [H] que cette dernière estimait pouvoir agir seule dans le cadre de son mandat social, indiquant 'concernant l'utilisation de l'entrepôt, conformément aux lois françaises, je n'avais pas besoin de la résolution du Conseil d'Administration. En tant que Directeur Général, je peux même décider la vente de l'immeuble. Toutefois, en raison de ma personnalité, j'ai toujours laissé la décision aux administrateurs de Tmsl ou Toprak. Vous pouvez consulter l'avocat français de votre choix pour avoir la confirmation que le Directeur Général est la seule personne compétente et responsable').

Enfin, la lecture des bulletins de salaire permet de vérifier que la rémunération de Mme [H], s'élevant à 10'000 F initialement, a été augmentée à compter du mandat social, pour atteindre la somme de 3601,14 euros bruts en fin de mandat, sans cependant qu'une rémunération distincte ne lui soit versée par ailleurs.

Par conséquent, comme l'a relevé à juste titre le conseil de prud'hommes, les conditions de validité du cumul d'un mandat social et d'un contrat de travail ne sont pas réunies en l'espèce. Le statut de salariée de Mme [H] s'est donc trouvé suspendu à compter du 17 septembre 2007, jusqu'à sa démission emportant cessation de son mandat social.

En l'absence de toute novation ayant eu lieu en l'espèce - et ce d'autant que la novation ne se présume pas-, le contrat de travail, qui n'a été que suspendu pendant la durée du mandat social, a repris ses effets à l'issue, soit à compter du 15 juin 2014, comme l'a d'ailleurs conçu l'employeur lui-même en notifiant à Mme [H] son licenciement, peu important le ton employé par la salariée ou ses réclamations, ou la date de la procuration bancaire.

Au surplus, différents courriels sont produits permettant de vérifier la réalité de l'activité de Mme [H], après sa démission de son mandat social ( cf notamment le courriel du 18 septembre 2014 relatif au paiement de la prestation de l'expert-comptable).

La demande présentée par la société Toprak France, tendant au remboursement des salaires perçus pour la période du 15 juin 2014 au 1er février 2015 ne saurait donc être accueillie. Le jugement de première instance doit être confirmé de ce chef.

Sur le licenciement :

La lettre de licenciement adressée à Mme [H] contient les motifs suivants, strictement reproduits :

« Je fais suite à votre entretien préalable qui s'est tenu le 6 février 2015 et au cours duquel je vous ai fait part des griefs que j'avais à votre encontre dont notamment le fait que vous ayez:

' inexécuté vos tâches salariales (absence de tenue de comptabilité au titre de l'année 2014, absence de facturation, absence de déclaration TVA etc...) ;

' perfidement tenté de vous faire licencier pour motif économique ;

' menacé de nuire au bon fonctionnement de la société ;

' déstabilisé la société.

Les manquements à votre obligation de loyauté et vos obligations salariales sont incompatibles avec vos fonctions et ont eu pour effet d'ébranler fortement le fonctionnement de notre société.

Les explications que vous avez bien voulu me fournir ne m'ont pas permis de modifier mon appréciation à ce sujet.

Compte tenu de la gravité des faits, votre maintien dans l'entreprise s'avère impossible, y compris pendant la durée de votre préavis. »

La société Toprak France soutient que le licenciement pour faute grave de Mme [H] est fondé sur les nombreux manquements commis par cette dernière, qui a initié une procédure de licenciement pour motif économique pour elle-même afin de bénéficier d'indemnités significatives à l'occasion du contrat de sécurisation professionnelle, comportement dont l'employeur n'a eu connaissance que tardivement, le 19 janvier 2015, alors que les conditions légales de cette procédure faisaient défaut. Elle lui reproche son intention de nuire puisqu'elle avait déjà indiqué avoir un repreneur pour l'entreprise, en la personne de la société HW, dont son mari était le représentant légal. Elle invoque également l'inexécution des tâches salariales, eu égard aux nombreuses injonctions de la Direction Générale des Finances Publiques pour défaut de production de documents comptables, au vu de l'audit qui a été réalisé et en considération de l'absence de toute facturation de loyers pour l'année 2014.

Mme [H] soutient que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse, la faute grave n'étant pas établie et les motifs du licenciement étant prescrits, inopérants et non justifiés.

La faute grave, qui seule peut justifier une mise à pied conservatoire, résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputable au salarié qui constitue une violation des obligations du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise; il appartient à l'employeur d'en rapporter la preuve.

En l'espèce, relativement à l'organisation d'un licenciement économique à l'insu du nouveau dirigeant, il résulte d'un courriel du 19 janvier 2015 échangé avec son conseil que l'employeur a découvert à cette date la spécificité de la procédure de licenciement envisagée. Aucune prescription ne saurait donc être encourue en l'espèce.

Par ailleurs, les pièces versées aux débats permettent de vérifier que des modèles de courrier de convocation à entretien préalable en vue d'un licenciement économique ainsi que divers conseils quant aux modalités à mettre en 'uvre pour ce faire ont été adressés par la société d'expertise-comptable au représentant de la société Toprak, la fiche d'étude préalable à un licenciement pour motif économique, versée aux débats partiellement renseignée, n'étant pas démontrée comme émanant de la salariée.

Ce grief ne saurait donc valablement être reproché à la salariée, pas plus que celui très proche, tiré de la menace de nuire au bon fonctionnement de l'entreprise ou de sa déstabilisation, qui n'est pas documenté.

En outre, ne peuvent en principe justifier un licenciement les faits qui se sont produits durant l'exercice d'un mandat social alors que le contrat de travail était suspendu, sauf en cas de manquement à l'obligation de loyauté, à laquelle le salarié reste tenu malgré la suspension du contrat de travail.

En l'espèce, il est en outre reproché à Mme [H] de ne pas avoir exécuté ses tâches salariales au titre de l'année 2014.

Alors que l'employeur se réfère aux courriers et injonctions de la Direction Générale des Finances Publiques, lesquels datent des 3 avril 2012, 1er août 2012, 8 novembre 2012, 17 juin 2014 et au courrier de la Banque de France en date du 2 juin 2014, ce grief ne saurait être retenu, puisqu'il concerne la période couverte par le mandat social, pendant laquelle le contrat de travail était suspendu.

En ce qui concerne les éléments postérieurs, à savoir le courrier du 20 novembre 2014 de la Direction Générale des Finances Publiques visant la carence de la salariée dans l'établissement de la taxe sur la valeur ajoutée, carence reprochée également par un courrier du 23 décembre 2014 de l'administration des impôts, ou l'amende notifiée par courrier du 6 janvier 2015 pour défaut de production de déclaration dans les délais (concernant la TVA d'août, septembre, octobre et novembre 2014, ayant dû faire l'objet d'un dépôt respectivement avant les 21 septembre 2014, 21 octobre, 21 novembre et 21 décembre 2014), ils permettent de vérifier l'inexécution des missions dévolues à Mme [H] dans le cadre de son contrat de travail.

Cependant, la preuve de la volonté de nuire dans l'inexécution de ces tâches ou d'une passivité fautive de la salariée n'est pas rapportée et ce, alors qu'il n'est pas justifié de réponse à différents courriels de l'intéressée réclamant diverses pièces pour établir des documents comptables ou faisant état du non-paiement de ses salaires depuis plusieurs mois.

Au surplus, les avis d'arrêt de travail produits aux débats permettent de vérifier la suspension de son contrat de travail pour cause de maladie à compter du 25 novembre 2014.

Dans ces conditions, même si l'inexécution de tâches peut constituer une cause réelle et sérieuse de rupture d'un contrat de travail, le grief retenu à l'encontre de Mme [H] en l'espèce ne saurait suffire à justifier le licenciement décidé par l'employeur.

Il convient donc, en l'absence de toute contestation quant aux montants retenus en première instance, de confirmer le jugement entrepris relativement à l'indemnité compensatrice de préavis, aux congés payés y afférents, au rappel de salaire au titre de la mise à pied conservatoire, ainsi qu'aux congés payés y afférents.

En ce qui concerne l'indemnité de licenciement, l'article 15 de la convention collective nationale des entreprises de commission, de courtage et de commerce intracommunautaire et d'importation - exportation prévoit qu' « à partir d'un an d'ancienneté dans l'entreprise, il sera alloué aux salariés licenciés, sauf pour faute grave ou lourde, une indemnité distincte du préavis tenant compte de leur ancienneté dans l'entreprise et calculée comme suit :

- jusqu'à 10 années d'ancienneté dans l'entreprise : un quart de mois par année d'ancienneté,

- après 10 ans d'ancienneté dans l'entreprise : un quart de mois par année d'ancienneté pour les 10 premières années et un tiers de mois par année d'ancienneté à partir de la 11ème année ».

En l'état de la suspension du contrat de travail pendant la durée du mandat social, c'est-à-dire du 17 septembre 2007 au 15 juin 2014, et de sa reprise à l'issue, l'ancienneté de Mme [H] est de 6 ans et demi (la suspension du contrat pour maladie non professionnelle ne devant pas entrer en ligne de compte).

Par conséquent, sur la base d'un salaire de 3 601 €, la salariée a droit à une indemnité conventionnelle de licenciement de 5 851,62 euros

Tenant compte de l'âge de la salariée (46 ans) au moment de la rupture, de son ancienneté, de la justification de l'ouverture de ses droits à l'allocation d'aide au retour à l'emploi à compter du 1er mars 2016, il y a lieu de confirmer le jugement de première instance qui a fixé la juste réparation de ce licenciement sans cause réelle et sérieuse, par application de l'article L 1235-3 du code du travail dans sa version applicable au litige.

Sur le rappel de salaire :

Mme [H] considère que l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 10 décembre 2015 n'a pas condamné son employeur à l'intégralité des sommes qui lui sont dues à titre de rappel de salaire. Elle indique n'avoir pas perçu ses salaires entre avril 2014 et février 2015, souligne qu'elle n'était pas rémunérée au titre de son mandat de gérante, et affirme qu'elle devait bénéficier du maintien de son salaire au titre de la convention collective pendant son arrêt maladie alors qu'elle n'a perçu qu'une somme de 1193,26 € au titre des indemnités journalières de sécurité sociale.

Elle demande qu'il lui soit donné acte de ce que sur la condamnation prononcée par la cour d'appel de Paris le 10 décembre 2015 une somme de 3 132,49 € n'a pas été payée, qu'une astreinte de 100 € par jour de retard soit prononcée, ainsi que la condamnation de la société Toprak France à lui payer 9 000 € pour la période comprise entre le 1er avril et le 15 juin 2014 et 3 601 € au titre du mois de février 2015.

La société Toprak France conclut au rejet de la demande.

Par arrêt du 10 décembre 2015, la cour d'appel de Paris a condamné la société Toprak France à verser à Mme [H] , à titre provisionnel, la somme de 27'000 € à valoir sur les salaires du 15 juin 2014 au 1er février 2015.

Dans la mesure où le statut salarial de l'intimée a été suspendu pendant son mandat social, la demande de rappel de salaire présentée pour la période d'avril à juin 2014 ne saurait être accueillie.

Par ailleurs, en l'état du rappel de salaire - fixé en première instance et confirmé - pour la période de mise à pied, la somme de 3601 € au titre du mois de février 2015 ne saurait être allouée à la salariée, qui ne peut être doublement rémunérée pour la même période.

Il convient donc de confirmer le jugement de première instance qui a rejeté la demande de rappel de salaire, la salariée disposant déjà d'un titre exécutoire pour les rémunérations lui restant encore dues, le cas échéant.

Sur les documents de fin de contrat :

Mme [H] indique qu'elle a dû solliciter ses documents de fin de contrat par l'intermédiaire de son conseil le 20 mai 2015 et attendre février 2016 pour les obtenir, ce qui ne lui a pas permis de s'inscrire comme demandeur d'emploi pendant cette période. Faisant état de son nécessaire préjudice et du fait qu'elle est restée sans revenu pendant un an et demi, puisqu'elle n'a été admise à percevoir des allocations de Pôle Emploi qu'en janvier 2020 - rétroactivement pour le 1er mars 2016-, elle réclame 3600 € en réparation de son préjudice moral.

La société Toprak France conclut au rejet de la demande et à la confirmation du jugement entrepris.

Toute demande d'indemnisation suppose, pour être accueillie, la démonstration d'une faute, d'un préjudice et d'un lien de causalité entre eux.

Si Mme [H] justifie avoir relancé son employeur, par conseils interposés, pour obtenir ses documents de fin de contrat, l'échange de courriels à ce sujet en date du 20 mai 2015 reflète de la part de l'entreprise des difficultés de correspondance depuis ou vers son siège social.

Par ailleurs, la salariée affirme être restée sans revenu mais ne le démontre par aucune pièce.

Elle dispose au surplus d'un titre exécutoire, à savoir l'arrêt de la Cour d'appel de Paris en date du 10 décembre 2015, lui octroyant des dommages-intérêts au titre du défaut de remise des documents de fin de contrat.

En l'absence de démonstration d'un préjudice distinct ou plus ample, la référence à un préjudice nécessaire ne pouvant suffire, il convient de rejeter la demande.

Sur le préjudice moral :

La salariée affirme avoir subi des pressions lors de l'entretien préalable et avoir souffert au travail, comme précisé dans le compte rendu d'entretien préalable ; elle sollicite la somme de 21'606 € à titre de dommages-intérêts pour le préjudice moral ainsi subi.

La société Toprak France conclut au rejet de la demande.

Il résulte du compte rendu d'entretien préalable établi et signé par le conseiller de la salariée que l'avocat de l'employeur est intervenu, en langue turque, auprès de Mme [H], laquelle est revenue 'le visage défait ', indiquant avoir été l'objet d'intimidations.

Toutefois, comme le relève à juste titre le conseiller du salarié qui ne parle pas le turc, il n'a pu être témoin des propos tenus à Mme [H] dans cette langue.

En outre, alors que le conseiller relève que l'employeur 'était tout à fait prêt à l'application d'une solution conciliante', les éléments versés aux débats pouvant, le cas échéant, permettre de retenir une intimidation de l'intimée sont relatifs à un tiers, qui n'est pas dans la cause.

Par ailleurs, si l'avis d'arrêt de travail du 27 décembre 2014 porte mention d'un 'syndrome anxiodépressif ', aucun élément reliant, de façon objective, ce constat aux conditions de travail ou à la sphère professionnelle de Mme [H] n'est produit.

Il convient donc de rejeter la demande, par confirmation du jugement entrepris de ce chef.

Sur la remise de documents :

La demande de remise d'une attestation Pôle Emploi, d'un certificat de travail, dont la salariée a déjà bénéficié en exécution du jugement entrepris, confirmé relativement à la qualification du jugement, à la condamnation de l'employeur aux indemnités compensatrices de préavis, de congés payés sur préavis, ne sauraient prospérer.

En revanche, un bulletin de salaire rectificatif conforme à la teneur du présent arrêt s'impose sans qu'il y ait lieu de prévoir une astreinte, aucun élément n'étant versé au débat laissant craindre une résistance de la société Toprak France, qui a retrouvé le libre accès à ses locaux.

Sur le remboursement des indemnités de chômage :

Les dispositions de l'article L 1235-4 du code du travail permettent, dans le cas d'espèce, le licenciement de Mme [H] étant sans cause réelle et sérieuse, d'ordonner le remboursement par la société Toprak France des indemnités chômage perçues par l'intéressée, dans la limite de trois mois d'indemnités.

Le présent arrêt devra, pour assurer son effectivité, être porté à la connaissance de Pôle Emploi, conformément aux dispositions de l'article R 1235-2 alinéas 2 et 3 du code du travail.

Sur les dépens et les frais irrépétibles :

L'employeur, qui succombe, doit être tenu aux dépens de première instance, par confirmation du jugement entrepris, et d'appel.

L'équité commande de confirmer le jugement de première instance relativement aux frais irrépétibles, de faire application de l'article 700 du code de procédure civile également en cause d'appel et d'allouer à ce titre la somme de 2 000 € à Mme [H].

PAR CES MOTIFS

La Cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

CONFIRME le jugement déféré, sauf en ses dispositions relatives au montant de l'indemnité conventionnelle de licenciement,

Statuant à nouveau du chef infirmé et y ajoutant,

CONDAMNE la société Toprak France à payer à Mme [G] [H] les sommes de :

- 5 851,62 € à titre d'indemnité de licenciement,

- 2 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

ORDONNE la remise par la société Toprak France à Mme [H] d'un bulletin de salaire récapitulatif conforme à la teneur du présent arrêt, au plus tard dans le mois suivant son prononcé,

ORDONNE le remboursement par la société Toprak France aux organismes sociaux concernés des indemnités de chômage éventuellement payées à Mme [H] dans la limite de trois mois d'indemnité,

ORDONNE l'envoi par le greffe d'une copie certifiée conforme du présent arrêt, par lettre simple, à la Direction Générale de Pôle Emploi,

REJETTE les autres demandes des parties,

CONDAMNE la société Toprak France aux dépens d'appel.

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 8
Numéro d'arrêt : 18/08971
Date de la décision : 19/01/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-01-19;18.08971 ?
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