Copies exécutoires République française
délivrées aux parties le : Au nom du peuple français
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 8
ORDONNANCE DU 3 JANVIER 2023
(n° / 2023 , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/19121 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CGV5G
Décision déférée à la Cour : Jugement du 29 Octobre 2021 Tribunal de Commerce de PARIS - RG n° 2021027859
Nature de la décision : Contradictoire
NOUS, Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, Présidente de chambre, agissant par délégation du Premier Président de cette Cour, assistée de Liselotte FENOUIL, greffière.
Vu l'assignation en référé délivrée les 10 et 15 novembre 2022 à la requête de :
DEMANDEURS
S.A. GROUPE PARTOUCHE, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège,
Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de PARIS sous le numéro 588 801 464,
Dont le siège social est situé [Adresse 3]
[Localité 7]
La société D'EXPLOITATION DU CASINO DE FORGES LES EAUX, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège,
Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de DIEPPE sous le numéro 898 626 676,
Dont le siège social est situé [Adresse 8]
[Localité 13]
Représentées par Me David NABETH de la SELARL DOM & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque D0025,
à
DÉFENDEURS
S.A. SOCIÉTÉ FORGES THERMAL, représentée par Me [N] de la SCP CAVIGLIOLI-[N]-FOUQUIE, en qualité de mandataire ad'hoc de la SA FORGES THERMAL, domicilié [Adresse 1],
Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de DIEPPE sous le numéro 775 699 986,
Dont le siège social est situé [Adresse 17]
[Adresse 11]
[Localité 13]
Représentée par Me Clément WIERRE de la SELAS PELTIER JUVIGNY MARPEAU & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque L099,
Madame [O] [L] [Z]
Née le [Date naissance 4] 1956 à [Localité 14] ( Syrie)
De nationalité française
Demeurant [Adresse 5]
[Localité 6]
Monsieur [R] [L]
Né le [Date naissance 2] 1957 à [Localité 14] ( Syrie)
De nationalité libanaise
Demeurant [Adresse 16]
[Adresse 15]
[Localité 9]
LIBAN
La société FIRST FAMILY HOLDING S.A.L., prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège, société de droit libanais,
Dont le siège social est situé C/O Cabinet Maître Michel KHATTAR
[Adresse 12]
[Localité 10]
LIBAN
La société WORLD MEDIA HOLDING S.A.L., prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège, société de droit libanais,
Dont le siège social est situé C/O Cabinet Maître Michel KHATTAR
[Adresse 12]
[Localité 10]
LIBAN
Représentés par Me Aurélie PATRELLE, avocate au barreau de PARIS, toque : T12,
Et après avoir appelé les parties lors des débats de l'audience publique du 05 Décembre 2022 :
ORDONNANCE rendue par Madame Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, Présidente de chambre, assistée de Madame Liselotte FENOUIL, greffière présente lors du prononcé de l'ordonnance au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
***
FAITS ET PROCÉDURE :
La SA Forges Thermal est détenue majoritairement par la SA Groupe Partouche et à hauteur de 38,5% par M.Mme [L] et les sociétés World Media Holding S.A.L et First Family Holding S.A.L. Elle exploitait jusqu'au 31 octobre 2021 le casino de [Localité 13], en vertu d'une délégation de service public arrivant à expiration le 31 octobre 2021.
En février 2021, la ville de [Localité 13] a ouvert une procédure en vue du renouvellement de cette délégation de service public.
Le conseil d'administration de la société Forges Thermal a voté le 19 février 2021 une résolution validant l'absence de candidature de la société ForgesThermal au renouvellement de la délégation de service public, puis le 22 mars 2021 une résolution autorisant le dirigeant de la société à conclure avec la société Groupe Partouche un contrat de bail portant sur l'immeuble abritant le casino, ainsi qu'à vendre à cette dernière les biens mobiliers nécessaires à l'exploitation du casino. Le bail a été signé le 27 mars 2021 entre la société Forges Thermal et la SA Groupe Partouche avec faculté de se substituer sa filiale la société SECF et la vente du mobilier le 1er avril 2021.
La société d'Exploitation du Casino de [Localité 13] (SECF) s'est substituée à la société Groupe Partouche et a obtenu une nouvelle délégation de service public autorisant l'exploitation du casino.
Les consorts [L] et les sociétés World Media Holding S.A.L et First Family Holding S.A.L.étant en désaccord avec la décision du conseil d'administration et la signature du bail ont, par acte du 10 juin 2021, fait assigner à bref délai devant le tribunal de commerce de Paris les sociétés Groupe Partouche et Forges Thermal pour voir juger que les délibérations votées par le conseil d'administration de ForgesThermal les 19 février et 22 mars 2021 portaient atteinte à l'objet social et recélaient un excès de pouvoir du conseil d'administration, en conséquence voir annuler l'ensemble des délibérations votées par le conseil d'administration lors des réunions des 19 février et 22 mars 2021, les contrats de bail et de cession de biens mobiliers.
Par jugement du 29 octobre 2021, non assorti de l'exécution provisoire, le tribunal de commerce de Paris, a annulé les délibérations du conseil d'administration du 22 mars 2021, ainsi que les contrats de bail et de cession des biens mobiliers conclus entre les sociétés Forges Thermal et Groupe Partouche.
Le 4 novembre 2021, les sociétés Groupe Partouche et ForgesThermal ont relevé appel de cette décision. Le président de la chambre a orienté l'affaire en circuit court.
Par ordonnance du 14 avril 2022, le premier président de la cour d'appel de Paris, faisant droit à la requête des actionnaires minoritaires, a désigné Maître [M] [N] de la SCP CBF Associés en qualité de mandataire ad hoc de la société ForgesThermal avec pour mission de prendre connaissance des actes de procédure et pièces régularisées dans le cadre de l'instance RG 21-19282 pendante devant le pole 5 chambre 8 de la cour d'appel de Paris, de représenter la société dans le cadre de cette instance, en désignant l'avocat de son choix.
Par acte du 10 novembre 2022, la société Groupe Partouche et la société d'exploitation du casino de Forges les Eaux (SECF) ont fait assigner en référé devant le délégataire du premier président Mme [O] [L] [Z], M.[R] [L], la société de droit libanais World Media Holding SAL, la société de droit libanais First Family Holding et la société Forges Thermal, au visa de l'article 956 du code de procédure civile pour voir ordonner aux défendeurs au référé de communiquer sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de la décision: le second rapport de M.[I] [T] daté du 20 juillet 2022, les conclusions n°2 des consorts [L] visées dans les conclusions du mandataire ad hoc, plus généralement toutes les pièces communiquées au mandataire préalablement à la régularisation de ses conclusions n°1 dans l'intérêt de la société Forges Thermal le 24 août 2022, et condamner solidairement les consorts [L] à payer aux sociétés SECF et Groupe Partouche une somme de 10.000 euros chacune au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
Mme [L], M.[L] et les sociétés World Media Holdin et First Family Holding sollicitent le rejet de la demande de production forcée des pièce et la condamnation des sociétés Groupe Partouche et SECF à verser aux actionnaires minoritaires 30.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
La société ForgesThermal, représentée par la SCP CBF Associés, en la personne de Maître [N], ès qualités de mandataire ad hoc désigné à cette fonction par ordonnance du 14 avril 2022, demande au délégataire du premier président de débouter les sociétés Groupe Partouche et SECF de leur demande de communication forcée des documents couverts par la confidentialité des correspondances entre avocats, et en tout état de cause, de condamner la société Groupe Partouche et la société SECF à lui payer 5.000 euros en application de l'article 700 du code civil ainsi qu'aux entiers dépens.
Par avis notifié par RPVA le 30 novembre 2022, le ministère public indique s'en rapporter à la sagesse de la cour sur la demande présentée.
SUR CE,
Il résulte de l'article 956 du code de procédure civile, que dans tous les cas d'urgence, le premier président peut ordonner en référé, en cas d'appel, toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend.
Le référé a pour objet la production forcée de pièces par les défendeurs, intimés au fond, à savoir le second rapport de M.[I] [T] daté du 20 juillet 2022, les conclusions n°2 des consorts [L] visées dans les conclusions du mandataire ad hoc, plus généralement toutes les pièces communiquées à ce mandataire avant qu'il régularise des conclusions n°1 dans l'intérêt de la société Forges Thermal le 24 août 2022.
Les sociétés Groupe Partouche et SECF exposent que l'urgence est caractérisée par le fait que la procédure au fond devait être clôturée le 6 décembre 2022 en vue d'être plaidée devant la cour d'appel le 13 mars 2023, que les sommations de communiquer sont restées sans effet, qu'il existe un risque d'atteinte au principe du contradictoire et aux droits de la défense, les consorts [L] ayant communiqué des conclusions et pièces en dehors de la procédure. Elles font valoir qu'en application du droit à la preuve et des articles 11, 138, 139 et 142 du code de procédure civile le juge peut à la requête d'une partie, ordonner la production de pièces détenues par une autre partie, que le litige au fond portant sur une demande indemnitaire fondée sur la première version du rapport de M.[T], la production du second rapport qui diminue de près d'un tiers le montant réclamé revêt une importance particulière pour la solution du litige, que dans ses premières conclusions le mandataire ad hoc a renvoyé au second rapport de M.[T] et à 9 nouvelles pièces des consorts [L],que cette demande de communication ne concerne pas des échanges intervenus entre avocats couverts par le secret professionnel, ces pièces ayant cessé d'être couvertes par la confidentialité dès lors que les conclusions du mandataire ad hoc s'y référent, peu important que le mandataire ad hoc ait notifié ensuite des conclusions qui annulent et remplacent ses premières écritures. Elles en déduisent qu'il n'existe aucune contestation sérieuse permettant de s'opposer à la production sollicitée.
Les défendeurs au référé s'opposent à cette communication, invoquant la confidentialité des correspondances entre avocats laquelle ne souffre aucune exception, la protection du secret professionnel, l'absence d'utilité de ces documents pour la solution du litige, l'absence d'application du principe du contradictoire dès lors qu'il ne s'agissait que d'un projet de conclusions des consorts [L] accompagné des pièces qui n'avaient pas vocation à être communiquées au juge.
La société ForgesThermal, représentée par son mandataire ad hoc, a notifié par RPVA le 24 août 2022 en fin de matinée, des conclusions qui, au paragraphe 72, se référent à des 'conclusions n°2" des actionnaires minoritaires évoquant notamment un rapport complémentaire de M.[I] [T], établi en réponse à celui du cabinet Mazars, rapport qui selon les écritures du mandataire ad hoc, procède à un nouveau calcul du manque à gagner invoqué par les minoritaires (à la baisse) après intégration des dépenses d'investissement. La citation de ce rapport est accompagnée d'une note en bas de page 'pièce 65 des actionnaires minoritaires: second rapport de M.[I] [T] en date du 20 juillet 2022". Ce rapport détenu par les consorts [L] ne figure pas dans le bordereau de communication des pièces du mandataire ad hoc. Il est constant qu'il n'a pas été communiqué aux sociétés Groupe Partouche et SECF.
Le même jour à 16H07, la société ForgesThermal a notifié des conclusions qui annulent et remplacent ses précédentes écritures. Son conseil explique cette rectification par le fait que son envoi initial comportait des références à des éléments reçus des avocats des intimés dans le cadre d'échanges couverts par la confidentialité entre avocats.
Les consorts [L] ont, quant à eux régularisé dans le cadre de la procédure d'appel des
conclusions n°2 par RPVA le 2 septembre 2022, qui n'évoquent pas le rapport complémentaire de
M. [T], donc dans une version différente de celles qui avaient été antérieurement transmises aux conseils du mandataire ad hoc.
L'article 66-5 de la loi 70-1130 du 31 décembre 1971 prévoit en toutes matières, notamment que les correspondances échangées entre l'avocat et ses confrères à l'exception de celle portant la mention 'officielle' sont couvertes par le secret professionnel. La violation de ce secret est pénalement sanctionnée.
Par ailleurs, l'article 3.1 du Réglement Intérieur de la Profession d'Avocat dispose que tous échanges entre avocats, verbaux ou écrits quelqu'en soit le support sont par nature confidentiels. Les correspondances entre avocats, quel qu'en soit le support, ne peuvent en aucun cas être produites en justice, ni faire l'objet d'une levée de confidentialité.
En l'espèce, les 'conclusions n°2" des consorts [L] auxquelles se référent les premières conclusions du mandataire ad hoc notifiées le 24 août 2022 sont procéduralement inexistantes devant la cour puisqu'elles n'ont jamais été déposées au greffe, ni notifiées par RPVA. D'un point de vue procédural, les conclusions n°2 des consorts [L] sont celles qui ont été notifiées par RPVA le 2 septembre 2022, donc postérieurement aux conclusions du mandataire ad hoc.
Les conclusions n°2 visées dans les premières écritures du mandataire ad hoc ne constituaient donc qu'un projet de conclusions accompagné de pièces, transmis au conseil du mandataire ad hoc dans le cadre d'un échange entre avocats.
Il n'est pas établi que cet échange entre avocats est intervenu avec la mention 'officielle' de sorte que cet échange de projet et des pièces qui l'accompagnaient est nécessairement couvert par la confidentialité.
La circonstance qu'il soit fait mention de ce projet de conclusions et des pièces l'accompagnant dans les premières écritures notifiées par le mandataire ad hoc, ne saurait avoir pour effet de conférer à celles-ci un caractère officiel, contre la volonté du conseil des consorts [L] à l'origine de cet échange, étant en outre rappelé que ces écritures ont été annulées et remplacées quelques heures plus tard par un nouveau jeu de conclusions et que la cour n'aura à se prononcer que sur les dernières conclusions notifiées par les parties.
Le principe du contradictoire en vertu duquel chaque partie doit avoir connaissance et pouvoir débattre des pièces communiquées au juge, n'implique pas l'obligation pour chacune d'elles de communiquer à son contradicteur des éléments ou documents qu'elle détient, dès lors qu'ils n'ont pas été présentés au juge. Le principe du contradictoire ne s'appliquant pas aux échanges confidentiels entre avocats, le moyen pris de ce que ces pièces ont été portées à la connaissance du conseil de l'une des parties est inopérant, ces pièces n'étant pas aux débats devant la cour.
La demande de communication de pièces présentée par les sociétés Groupe Partouche et SECF se heurte au principe de la confidentialité des échanges entre avocats et sera en conséquence rejetée.
Les dépens du référé seront supportés in solidum par les sociétés Groupe Partouche et SCEF. Parties perdantes, les sociétés Groupe Partouche et SCEF ne peuvent prétendre au paiement d'une indemnité procédurale. Elles seront en revanche condamnées in solidum à payer une indemnité de 3.500 euros à la société ForgesThermal et de 3.500 euros à M.Mme [L] et aux sociétés World Media Holding et First Family Holding pris en ensemble, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
Déboutons les sociétés Groupe Partouche et SCEF de toutes leurs demandes,
Condamnons in solidum les sociétés Groupe Partouche et SCEF aux dépens du référé et à payer une indemnité de 3.500 euros à la société ForgesThermal, et de 3.500 euros à M.Mme [L] et aux sociétés World Media Holding et First Family Holding pris en ensemble.
La greffière,
Liselotte FENOUIL
La Présidente,
Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT