La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

08/12/2022 | FRANCE | N°19/07281

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 8, 08 décembre 2022, 19/07281


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 8



ARRET DU 08 DECEMBRE 2022



(n° , 11 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/07281 - N° Portalis 35L7-V-B7D-CAHBU



Décision déférée à la Cour : Jugement du 09 Avril 2019 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'EVRY - RG n° F17/00242





APPELANT



Monsieur [I] [F]

[Adresse 2]

[Localité 4]<

br>


Représenté par Me Julien AUTIN, avocat au barreau de PARIS, toque : B1186





INTIMÉE



SAS [Localité 5] TRUCKS

43 avenue du 8 mai 1945

[Localité 3]



Représentée par Me Maryli...

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 8

ARRET DU 08 DECEMBRE 2022

(n° , 11 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/07281 - N° Portalis 35L7-V-B7D-CAHBU

Décision déférée à la Cour : Jugement du 09 Avril 2019 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'EVRY - RG n° F17/00242

APPELANT

Monsieur [I] [F]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représenté par Me Julien AUTIN, avocat au barreau de PARIS, toque : B1186

INTIMÉE

SAS [Localité 5] TRUCKS

43 avenue du 8 mai 1945

[Localité 3]

Représentée par Me Maryline BUHL de la SELAFA AUDIT-CONSEIL-DEFENSE, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 20 Octobre 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Nathalie FRENOY, Présidente de chambre

Mme Corinne JACQUEMIN, Conseillère, rédactrice

Mme Emmanuelle DEMAZIERE, Vice-présidente placée

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Mme [Z] [B] dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme Nolwenn CADIOU

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- signé par Madame Nathalie FRENOY, présidente et par Madame Nolwenn CADIOU, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

Monsieur [I] [F] a été engagé par la société [Localité 5] Trucks par contrat à durée indéterminée à compter du 16 avril 2012 en qualité de chef après-vente.

La convention collective applicable à la relation de travail est celle du commerce et de la réparation de l'automobile, du cycle, du motocycle et des activités connexes.

Le 18 septembre 2014, M. [F] a été victime d'un accident de travail et son contrat de travail a été suspendu.

Souhaitant obtenir la résiliation judiciaire de son contrat de travail, il a saisi le 28 mars 2017 le conseil de prud'hommes d'Evry-Courcouronnes afin de faire valoir ses droits.

Le 16 novembre 2018, le médecin du travail l'a déclaré inapte définitivement à tout poste de l'entreprise, sans possibilité de reclassement.

Le 11 décembre 2018, la société [Localité 5] Trucks l'a convoqué à un entretien préalable fixé au 21 décembre suivant et le 31 décembre 2018, lui a notifié son licenciement pour inaptitude.

Par jugement du 9 avril 2019, notifié aux parties par lettre du 20 mai 2019, le conseil de prud'hommes d'Evry-Courcouronnes a :

- débouté M. [F] de l'ensemble de ses demandes,

- débouté la société [Localité 5] Trucks de sa demande reconventionnelle sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné M. [F] aux dépens.

Par déclaration du 19 juin 2019, M. [F] a régulièrement interjeté appel de cette décision.

Dans ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 17 septembre 2019, M. [F] demande à la cour d'infirmer le jugement querellé et, statuant à nouveau, de :

- constater les manquements graves commis à son égard par la société [Localité 5] Trucks,

- prononcer, en conséquence, à titre principal, la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts exclusifs de la société [Localité 5] Trucks ou, à titre subsidiaire, dire dépourvu de cause réelle et sérieuse son licenciement pour inaptitude pour non-respect de l'obligation de sécurité, et, en conséquence,

- condamner la société [Localité 5] Trucks à devoir lui verser la somme de 40 500 euros correspondant à dix mois de salaire, en réparation du préjudice subi par la rupture de son contrat de travail,

- dire nulle la convention individuelle de forfait-jours conclue entre les parties pour défaut d'entretien annuel et, en conséquence,

- condamner la société [Localité 5] Trucks à devoir lui verser la somme de 9 767 euros à titre de rappel d'heures supplémentaires,

- constater qu'aucun objectif à atteindre pour l'octroi de primes n'a été fixé par la société [Localité 5] Trucks à Monsieur [F] pour l'année 2014 et, en conséquence,

- condamner, à titre de réparation pour perte de chance, la société [Localité 5] Trucks à devoir lui verser la somme de 31 700 euros correspondant au montant global maximal des différentes primes qu'il aurait pu percevoir pour l'année 2014 si un objectif lui avait été assigné,

- condamner la société [Localité 5] Trucks à devoir lui verser les sommes de 18 100 euros et 13 100 euros correspondant au montant global maximal des primes prévues pour les 3 premiers et dernier trimestres pour l'année 2013,

- ordonner à la société [Localité 5] Trucks de remettre à Monsieur [F] un certificat de travail, un reçu pour solde de tout compte ainsi qu'une attestation Pôle Emploi et ses bulletins de paie en conformité avec l'arrêt à intervenir et ce, sous astreinte de 50 euros par jour de retard compter de la notification dudit arrêt,

- condamner la société [Localité 5] Trucks à devoir verser à Monsieur [F] la somme globale de  6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procéure civile et ce, pour les frais qu'il a dû engager afin d'assurer sa défense en première et en seconde instance ainsi qu'aux entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 13 décembre 2019, la société [Localité 5] Trucks demande à la cour de confirmer le jugement du 9 avril 2019 en toutes ses dispositions et de :

- dire et juger n'y avoir lieu à résiliation judiciaire du contrat de travail,

- dire et juger régulière et bien fondée la procédure de licenciement pour inaptitude,

- débouter Monsieur [F] de toutes ses demandes, fins et conclusions,

- condamner Monsieur [F] à verser à la société [Localité 5] Trucks la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 6 septembre 2022 et l'audience de plaidoiries a été fixée au 20 octobre 2022.

Il convient de se reporter aux énonciations de la décision déférée pour plus ample exposé des faits et de la procédure antérieure, ainsi qu'aux conclusions susvisées pour l'exposé des moyens des parties devant la cour.

SUR QUOI

Sur la convention de forfait en jours:

Par définition, la convention de forfait en jours sur l'année est exclusive de tout décompte du temps de travail, limitant le suivi de l'activité du salarié ayant accepté de travailler sous cette forme d'aménagement individuel du temps de travail, au nombre de jours sur la période de référence.

Le contrat de travail de l'espèce stipule que M. [F] a été embauché 'en qualité de chef après-vente catégorie cadre, fiche A.C.III, niveau III, degré A, pour exercer, sous l'égide d'un forfait-jours, ses fonctions au sein de l'établissement situé [Adresse 1] (91), lequel est notamment constitué d'un atelier (garage) destiné à la maintenance et/ou à la réparation des véhicules.'

Monsieur [F] soutient que la société [Localité 5] Trucks n'a pas mis en oeuvre le suivi du temps de travail, garantie conventionnelle obligatoire en cas de forfait-jours, ce qui prive d'effet la convention annuelle de forfait en jours.

Il indique pouvoir ainsi solliciter le paiement des heures supplémentaires qu'il a réalisées.

La société [Localité 5] Trucks se borne à affirmer que la convention de forfait en jours est valable sans répondre sur le moyen tiré de l'absence de contrôle du temps de travail de M. [F].

Selon les dispositions de l'article L.3121-46 du code du travail applicable à l'époque considérée (loi 2008-789 du 20 août 2008), un entretien annuel individuel est organisé par l'employeur, avec chaque salarié ayant conclu une convention de forfait en jours sur l'année. Il porte sur la charge de travail du salarié, l'organisation du travail dans l'entreprise, l'articulation entre l'activité professionnelle et la vie personnelle et familiale, ainsi que sur la rémunération du salarié.

Il est ainsi constant que le forfait annuel en jours doit comporter, ces conditions étant cumulatives :

- un contrôle du nombre de jours travaillés par le biais d'un document rempli par le salarié ou l'employeur ou établi conjointement ;

- un suivi régulier par l'employeur (ou supérieur hiérarchique) de l'organisation du travail et de la charge du travail du salarié ;

- un entretien annuel sur la charge et la répartition du travail du salarié.

Il appartient ainsi à l'employeur de mettre en place un système de contrôle effectif et régulier permettant de réagir assez rapidement en cas de difficulté quant au caractère raisonnable de l'amplitude et de la charge de travail, la bonne répartition du travail dans le temps, sans que tout repose uniquement sur une éventuelle action ou réaction du salarié.

En l'espèce, la société intimée ne justifie d'aucun suivi régulier de l'organisation du travail et de la charge du travail de M. [F] pendant la période où celui-ci a été soumis à un forfait annuel en jours, pas même d'un entretien annuel pour faire le point dans ce cadre, ni d'une information individuelle donnée sur le nombre de journées ou demi-journées de travail effectuées par le salarié pendant l'année.

Au regard des manquements de la société [Localité 5] Trucks en matière de suivi du forfait annuel en jours, la cour juge que la convention de forfait annuel en jours est privée d'effet et inopposable à M. [F].

Le jugement est infirmé de ce chef.

M. [F] peut dès lors revendiquer l'application des règles de droit commun de décompte et de rémunération des heures de travail.

Sur les heures supplémentaires :

La durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l'employeur et doit se conformer à ses directives sans pouvoir vaquer à des occupations personnelles.

En cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Il appartient toutefois au salarié demandeur de fournir préalablement au juge les éléments de nature à étayer ses prétentions.

Le demandeur doit donc produire des éléments suffisamment précis pour permettre à l'employeur de répondre en fournissant ses propres éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié, compte tenu, notamment, des dispositions des articles D. 3171-2 et D. 3171-8 du code du travail qui lui imposent d'afficher l'horaire collectif de travail ou, à défaut, de décompter la durée de chaque salarié par un enregistrement quotidien et l'établissement d'un récapitulatif hebdomadaire.

Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci.

En l'espèce, l'appelant verse aux débats un tableau comportant pour chaque jour travaillé, du 28 mars 2014 au 18 septembre 2014, une mention de 2,5 heures supplémentaires, soit 237,50 heures sur la période de 6 mois, expliquant qu'il respectait la plage horaire de l'atelier soit de 8 h à 12 h puis de 13 h30 à 18 heures mais qu'il réalisait aussi un temps complémentaire de 4 x 15 minutes de tournée pour le démarrage des ordinateurs, la fermeture des portes et baies de l'atelier, le « parquage » des camions, l'arrêt des appareillages et éclairage. Il ajoute qu'à partir du mois de mai, il occupait aussi le poste du chef d'équipe, qui était démissionnaire.

Ces éléments sont suffisamment précis quant aux horaires réalisés par M. [F] pour permettre à l'employeur d'y répondre et d'apporter des éléments de contradiction.

La société [Localité 5] Trucks soutient que M. [F] n'était pas obligé de rester après la fermeture du garage alors que le départ du collaborateur dont il fait état n'est intervenu que le 19 septembre 2014 et qu'il a été remplacé dès le 1er octobre 2014. Elle ajoute que M. [F] disposait d'une grande autonomie dans l'organisation de son temps de travail et qu'il n'a jamais sollicité le paiement d'un rappel de salaire à titre d'heures supplémentaires.

En premier lieu, ce dernier moyen est inopérant, seule une prescription, non invoquée en l'espèce, pouvant être opposable au salarié.

En second lieu, il résulte du dossier que l'employeur n'apporte aucun élément permettant de justifier des horaires effectivement réalisés par le salarié, se contentant de minorer le temps de travail que M. [F] affirme avoir effectué.

Sur ce point, il résulte de l'attestation de la secrétaire comptable de la société [Localité 5] Trucks, Mme G., qui commençait son travail à 9 heures et le terminait à 18 heures, que M. [F] arrivait parfois après elle et qu'il indiquait, pour justifier 'ses pannes de voitures ou ses retards ou le fait qu'il partait souvent avant la fermeture de l'atelier' qu'il ne pouvait être sanctionné du fait 'qu'il pouvait venir une heure dans l'entreprise et repartir'. Elle ajoute qu'elle restait parfois à 12 heures et voyait M. [F] faire sa pause de midi.

Monsieur Monsieur [E], réceptionnaire après-vente mentionne qu'il arrivait dans l'entreprise entre 8 heures et 8h30 avec Monsieur N., que les tâches étaient distribuées en cas d'absence du chef d'équipe et que M. [F] restait rarement à la fermeture de l'établissement car devait prendre son train.

Il ressort en conséquence des éléments du dossier que si l'employeur, en charge de la preuve, ne détermine ainsi pas l'exactitude des horaires de M. [F], la cour ,

appréciant souverainement la valeur et la portée des éléments de preuve produits de part et d'autre, estime que le salarié, qui a dû parfois dépasser ses horaires pour participer à la fermeture du garage, a accompli 4 heures supplémentaires par mois, correspondant, après application des majorations sur la période considérée, à la somme de 1150 euros brut, outre les congés payés afférents pour un montant de 115 euros.

Le jugement qui rejette cette demande sera infirmé.

Sur les primes sur objectifs:

M. [F] fait valoir que, contrairement aux stipulations de son contrat de travail, aucun objectif à atteindre ne lui a été fixé par l'employeur concernant l'année 2014 et qu'il a perdu une chance d'obtenir une prime, préjudice qu'il convient de réparer par l'octroi de la somme de 31 700 euros, correspondant au montant global maximal des différentes primes qu'il aurait pu percevoir pour l'année 2014 et les sommes de 18 100 euros et 13 100 euros correspondant au montant global maximum des primes prévu pour les premier et dernier trimestres de 2013.

La société [Localité 5] Trucks répond que l'appelant ne fournit aucune explication, ni décompte, sur le rappel de salaire qu'il revendique qui est donc injustifié, tant dans son principe que dans son quantum.

Le contrat de travail stipule en son article 5-1, au titre de la rémunération de M. [F], une somme de 4050 euros à laquelle 'pourra s'ajouter une prime annuelle variable correspondant à l'atteinte et au dépassement d'un objectif annuel de l'activité atelier dont le salarié assumera la responsabilité. Ces objectifs seront fixés chaque année'.

L'absence de définition des objectifs par l'employeur les rend inopposables au salarié qui est privé de la possibilité de les remplir et qui est fondé à solliciter le paiement de la prime sur objectifs comme s'il les avait entièrement atteints.

Il est par ailleurs de droit que lorsque le contrat de travail prévoit le versement au salarié d'une rémunération variable en fonction de la réalisation d'objectifs fixés chaque année et qu'aucun objectif n'a été déterminé pour un exercice donné, de fixer la rémunération variable du salarié pour l'exercice en cause par référence à celle de l'année précédente.

Or, la détermination des objectifs pour les années 2016 et 2017 n'est pas établie par les pièces versées au dossier.

Cette absence d'objectifs les rend inopposables à M. [F] qui est en droit par conséquent d'obtenir paiement d'une prime.

Toutefois, sur le quantum, il se borne - malgré les observations formulées par l'employeur depuis la première instance - à solliciter trois sommes sur lesquelles il ne fournit aucun calcul ni ne donne d'explications alors que pour les années 2013 et 2014, l'employeur justifie de l'absence de rentabilité de l'atelier (ses pièces n° 12 à 19).

La société [Localité 5] Trucks ne peut néanmoins -en l'absence d'objectifs définis au salarié- faire valoir, au vu des comptes d'exploitation produits, sur le tableau 40 et le tableau 50, que les résultats annuels obtenus sont inférieurs aux seuils de déclenchement des primes (pièces n° 17 et suivantes) et ne peut, en renversant la charge de la preuve, soutenir que M. [F] ne démontre pas que les critères donnant droit à prime ont été atteints.

Dans ces conditions, il convient de fixer, à défaut d'élément de comparaison avec l'année 2012 et au vu des éléments de la cause, le montant de la prime à la somme totale de 2 000 euros brut.

En conséquence, le jugement déféré est infirmé de ce chef.

Sur la résiliation judiciaire du contrat de travail:

Monsieur [F] soutient que sa demande de résiliation judiciaire est fondée sur des manquements graves de la société [Localité 5] Trucks, à savoir la violation de l'obligation de sécurité (à l'origine de son accident du travail), l'absence d'entretien annuel dans le cadre de sa convention de forfait en jours, la réduction de congés payés en violation de la convention collective, diverses atteintes discriminatoires et la violation des dispositions contractuelles sur la fixation des objectifs à atteindre pour l'octroi d'une prime.

La société [Localité 5] Trucks répond que les griefs allégués par Monsieur [F] ne sont pas établis par l'appelant alors en tout état de cause que le grief tenant à l'absence d'entretien annuel ne peut pas justifier une demande de résiliation judiciaire.

En application des articles 1226 et suivants du Code civil dans leur rédaction issue de l'ordonnance du 10 février 2016, le contrat de travail peut être résilié en cas de manquements graves de l'employeur dans l'exécution de ses obligations.

Il incombe au salarié de caractériser des manquements suffisamment graves de l'employeur pour empêcher la poursuite du contrat de travail et donc justifier la rupture du contrat de travail. C'est à la date où ils se prononcent que les juges doivent se placer pour apprécier si les griefs formulés sont suffisamment graves pour justifier la résiliation judiciaire du contrat de travail. La rupture produit alors les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Lorsqu'un salarié demande la résiliation judiciaire de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, tout en continuant à travailler à son service et que ce dernier le licencie ultérieurement pour d'autres faits survenus au cours de la poursuite du contrat, le juge doit d'abord rechercher si la demande de résiliation du contrat était justifiée, puis se prononcer sur le licenciement notifié par l'employeur dans le cas où la demande de résiliation n'est pas justifiée.

En l'espèce, relativement à la violation de l'obligation de sécurité à l'origine d'un accident de travail, il y a lieu de relever que le 18 septembre 2014, M. [F] est tombé dans l'une des fosses du garage au-dessus desquelles stationnent les véhicules et ce, afin de permettre aux mécaniciens d'y accéder par en-dessous (pièces 19 et 20 du dossier de l'appelant : photos de la fosse et déclaration d'accident du travail faite le lendemain).

Cet accident a été pris en charge par la Caisse Primaire d'Assurance Maladie (CPAM) au titre de la législation professionnelle 'AT/MP' (pièce n° 2 du même dossier).

Selon l'article L. 4121-1 du code du travail, l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

Ces mesures comprennent :

1) des actions de prévention des risques professionnels,

2) des actions d'information et de formation,

3) la mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.

L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.

L'article L. 4121-2 du code du travail détermine les principes généraux de prévention sur le fondement desquels ces mesures doivent être mises en oeuvre.

Il en résulte que constitue une faute contractuelle engageant la responsabilité de l'employeur le fait d'exposer un salarié à un danger sans avoir pris toutes les mesures prévues par les textes susvisés.

M. [F] fait valoir qu'il a chuté dans une fosse alors que l'installation des grilles de protection n'a eu lieu qu'au mois de septembre 2014 soit près de 2 ans après la date butoir fixée par le Service Risques Professionnels de la Sécurité Sociale.

L'employeur répond que M. [F] n'est pas tombé dans un trou de la fosse en y mettant malencontreusement le pied, faute de grille de protection, mais qu' il a glissé sur le bord des marches, où il restait un espace non couvert du fait du mauvais positionnement des caillebotis.

Il résulte du dossier que M. [F] impute à juste titre sa chute au fait qu'une partie de la fosse n'était pas recouverte de grilles de protection si bien qu'en reculant, il est tombé, ce qui n'est pas contesté et est d'ailleurs attesté par Monsieur N., présent sur les lieux (attestation pièce n°3); toutefois, il est également établi que l'appelant ne portait pas les chaussures de sécurité mises à sa disposition par l'employeur (attestations de Monsieur L. pièce n° 47 du dossier de l'intimée) et qu'il a glissé alors qu'il reculait pour prendre une photo de la fosse.

De plus, il résulte également de l'attestation précitée de Monsieur L. que M. [F], n'avait pas mis le caillebotis central, ce qui a laissé un espace en bord de fosse.

Or, il ressort de la déclaration d'accident qui a été établie au moment des faits :

- que l'activité de la victime lors de l'accident était la suivante : contrôle et vérification de la mise en place de caillebotis sur fosse extérieur de l'atelier avec prise de photos,

- que la nature de l'accident est précisée : M. [F] se tenait à l'entrée de la fosse, côté escalier, pour prendre des photos lorsqu'il a glissé sur une plaque d'huile et est tombé sur le dos sur les premières marches de la fosse.

Il résulte du dossier que l'installation de protections sur ces 2 fosses mécaniques a été réalisée en octobre 2013 et janvier 2014, conformément aux prescriptions de la CRAMIF, comme l'indique l'Inspection du travail dans son courrier du 27 novembre 2015 (pièce n°51 du dossier de l'intimée).

Pour la fosse extérieure de freinage - lieu de l'accident incriminé -, la pose d'une couverture rigide composée de plaques et de caillebotis était prévue le 18 septembre 2014.

Des caillebotis standards ont été commandés le 23 juillet 2014 à la société CIR (cf pièce n° 46) ; un caillebotis central spécifique, avec des protections à droite et à gauche, a été commandé à la société CODEGI le 29 juillet 2014.

Ce caillebotis central et ses protections ont été livrés le 15 septembre 2014 à l'atelier

d'[Localité 5] et facturés le 16 septembre 2014 (cf pièces n° 43, 44 et 45).

Ainsi, alors que l'employeur démontre qu'il avait satisfait à son obligation de prévention en matière de sécurité dans le cadre de la sécurisation de la fosse en commandant l'ensemble des dispositifs de protection et qu'aucune infraction n'a été relevée par l'Inspection du Travail (pièce n° 51 du dossier de la société [Localité 5] Trucks), le salarié n'a quant à lui pas mis en place les caillebotis avant de prendre les photos et de reculer sans prendre garde à l'espace ainsi laissé en bord de fosse.

De plus, en charge de l'observation des prescriptions en matière de sécurité, il avait également enfreint les règles de sécurité en ne portant pas de chaussures de sécurité.

Le moyen tiré de ce que l'employeur devait dès l'année 2012 poser ces grilles de protection et a agi tardivement est inopérant comme étant sans lien avec les circonstances de l'accident.

Le grief n'est par conséquent pas établi.

En ce qui concerne la réduction des congés payés, M. [F] soutient qu'en violation de l'article 1.15 §(c) de la convention collective applicable, l'employeur l'a obligé à ne poser que 14 jours de congés payés alors qu'il pouvait a minima en déposer 18, comme il l'avait sollicité.

La société [Localité 5] Trucks conteste formellement ce point, expliquant qu'au mois d'août 2014, le salarié a souhaité prendre 2 semaines plutôt que 3 demandées et a décalé une semaine de vacances en septembre 2014.

Au termes de l'article 1.15 § (c) de la convention collective nationale du commerce et de la réparation de l'automobile, du cycle, du motocycle et des activités connexes, applicable à M. [F], il est prévu que : « (') Ce congé principal, quand il est d'une durée supérieure à 18 jours, peut être fractionné par l'employeur avec l'agrément du salarié, en 2 ou plusieurs tranches, l'une d'entre elles devant être supérieure ou égale à 18 jours ouvrables. Dans ce cas, il sera attribué 2 jours ouvrables de congé supplémentaire lorsque le nombre de jours restant dus sera au moins égal à 5 et 1 seul lorsqu'il sera inférieur. Le salarié peut exiger de prendre la tranche de 18 jours entre le 1er mai et le 31 octobre de l'année en cours ».

Si M. [F] verse aux débats en pièce 32A une demande de congés payés du 4 août 2014 au 25 août 2014, l'employeur est fondé à se prévaloir de la deuxième demande de congés, remplie et signée de la main de l'appelant (même pièce n° 32A) par laquelle il est établi que le salarié a été en congés du 4 au 18 août 2014 puis du 15 au 17 septembre, tel qu'en atteste au surplus le calendrier des congés (pièces n° 41 et suivantes de l'employeur) qui démontre également que M. [F] a, pour la même année, bénéficié de congés du 10 au 19 février, du 22 avril au 5 mai (RTT cumulés) et du 10 au 16 juin, de sorte qu'il a été rempli de ses droits conformément à la convention collective.

Par ailleurs, l'appelant n'est pas fondé à faire valoir qu'il aurait été obligé de modifier ses vacances d'été 2014 pour prendre une semaine en septembre alors que, d'une part, il n'en justifie pas, et d'autre part, l'accord de l'employeur sur les dates de vacances relève, sauf abus- ici non démontré-, de son pouvoir de direction ; de plus, la convention collective prévoit expressément que le congé peut être fractionné par l'employeur avec l'agrément du salarié, en 2 ou plusieurs tranches.

Le grief n'est pas établi.

Relativement à la discrimination liée à l'état de santé, il résulte des articles L.1132-1 du code du travail qu'aucun salarié ne doit faire l'objet d'une mesure discriminatoire en raison notamment de son état de santé.

En cas de litige, le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte. Au vu de ces éléments, il incombe à l'employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

M. [F] expose les faits suivants :

- depuis son arrêt de travail du 18 septembre 2014 et jusqu'à la date de son licenciement pour inaptitude, soit pour les années 2014 à 2018, il n'a pas reçu, malgré sa demande, les chèques-cadeaux auxquels il avait droit ;

- il a été privé d'une augmentation générale des salaires de 2%, issue de négociations salariales, applicable à l'ensemble du personnel et effective à compter du 1er juin 2016.

Dès lors que l'appelant présente des éléments de fait touchant à ses avantages sociaux et à son salaire laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte, l'employeur est tenu d'y répondre et de justifier que sa décision est fondée sur des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

En premier lieu, l'employeur justifie avoir le 18 décembre 2015 répondu au courrier de M. [F] du 8 précédent que les chèques-cadeaux étaient attribués en fonction d'une condition de présence, non remplie en l'espèce ( pièces n° 9 et 10).

Contrairement à ce que soutient l'appelant, sans d'ailleurs étayer son moyen, cette mesure ne revêt pas de caractère discriminatoire à l'égard de M. [F] dès lors qu'elle est appliquée à une catégorie précise de salariés : tout salarié absent au moment de la commande des bons cadeaux.

En second lieu, il résulte du dossier que M. [F] a été embauché en 2012 au salaire de 4 050 euros et que sa rémunération a été portée à 4 111 euros en juin 2012 et à 4 173 euros en juillet 2014 (fiche individuelle du salarié en pièce n° 38 du dossier l'employeur).

S'il est exact qu'en juin 2016, l'ensemble du personnel a eu une augmentation de 2 %, force est de constater que M. [F] étant en arrêt de travail depuis septembre 2014, percevait des indemnités journalières de la sécurité sociale et des indemnités complémentaires de la prévoyance lorsque cette augmentation de salaire a été décidée.

Les indemnités perçues, conformément aux dispositions applicables en la matière, ont été calculées sur la base du salaire perçu par la victime pendant les douze derniers mois ayant précédé son arrêt de travail et l'augmentation de salaire de 2 %, pendant l'arrêt de travail, n'avait pas d'incidence sur son indemnisation alors, en tout état de cause, que cette augmentation ne pouvait être mise en 'uvre que lors de la reprise de son poste, après son arrêt de travail, ce qui n'a pas eu lieu du fait de son licenciement.

Concernant l'absence de fixation des objectifs et de paiement des primes, il a certes été jugé précédemment que ce reproche est fondé, toutefois, ce grief est insuffisant pour justifier, au vu des circonstances de l'espèce ci-dessus rappelées, la résiliation du contrat de travail de M. [F].

Quant à l'absence d'entretien annuel sur la charge de travail dans le cadre de la convention de forfait-jours, ce grief a également été reconnu comme établi.

S'il a été jugé que M. [F] pouvait obtenir de ce fait le paiement d'heures supplémentaires, le salarié ne justifie pas d'un préjudice qu'il aurait subi du fait de l'absence d'entretien sur l'application de la convention de forfait-jours, quant au respect de son temps de travail et de son temps de repos dès lors qu'il n'a pas justifié d'un nombre d'heures supplémentaires susceptible de constituer un dépassement du temps de travail raisonnable au niveau de l'amplitude et de la charge de travail ou de sa bonne répartition dans le temps.

Ce grief est également insuffisant pour motiver dans ces circonstances, la résiliation du contrat de travail.

Il résulte de ce qui précède que M. [F] ne justifie pas de manquements suffisamment graves de la société [Localité 5] Trucks pour justifier la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts et griefs de son employeur.

Le jugement est, par substitution de motifs dès lors qu'il n'avait retenu aucun manquement de la société [Localité 5] Trucks, confirmé du chef du rejet de la demande de résiliation judiciaire présentée par M. [F] ainsi que sur le débouté des demandes subséquentes du salarié sur ce fondement.

Sur le licenciement :

Monsieur [F] soutient que son licenciement pour inaptitude est dénué de cause réelle et sérieuse dans la mesure où l'inaptitude a été causée par un manquement préalable de l'employeur à son obligation de sécurité.

La société [Localité 5] Trucks souligne qu'elle a parfaitement respecté la procédure de licenciement pour inaptitude du salarié, lequel a été rempli de ses droits quant aux différentes indemnités versées. Elle fait valoir qu'elle n'a commis aucun manquement à son obligation de sécurité dans le cadre de l'accident du travail de M. [F] et qu'en conséquence, le licenciement est fondé.

Aucun manquement de l'employeur n'étant établi quant à son obligation de sécurité lors de l'accident du travail de M. [F], il convient, par confirmation du jugement déféré, de déclarer bien fondé le licenciement pour inaptitude de l'appelant et de débouter ce dernier des demandes présentées à ce titre.

Sur les autres demandes :

La remise d'une attestation Pôle Emploi et d'un bulletin de salaire rectificatif, conformément à la teneur du présent arrêt, s'impose sans qu'il y ait lieu de prévoir une astreinte, aucun élément laissant craindre une résistance de la société [Localité 5] Trucks n'étant versé au débat.

L'équité commande d'infirmer le jugement de première instance relativement aux frais irrépétibles, de faire application de l'article 700 du code de procédure civile également en cause d'appel et d'allouer à ce titre la somme de 2000 euros à M. [F].

La société [Localité 5] Trucks, qui succombe pour partie, doit être tenue aux dépens de première instance, par confirmation du jugement entrepris, et d'appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

CONFIRME le jugement de première instance, sauf en ce qu'il a débouté M. [I] [F] de ses demandes au titre :

- de l'opposabilité de la convention de forfait en jours,

- du paiement d'heures supplémentaires,

- des rappels de salaires concernant les primes sur objectifs,

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

DIT que la convention de forfait en jours est privée d'effet et inopposable à M. [I] [F],

DIT que l'absence d'objectifs fixés donne droit à M. [I] [F] à une prime sur objectifs pour les années 2013 et 2014,

CONDAMNE la société [Localité 5] Trucks à payer à M. [I] [F] les sommes de

- 1 150 euros brut à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires,

- 115 euros brut à titre de congés payés afférents,

- 2 000 euros à titre de rappel de salaire sur primes,

RAPPELLE que ces sommes porteront intérêts à compter de la réception par la société [Localité 5] Trucks de la convocation devant le conseil de prud'hommes,

ORDONNE la remise à M. [F] par la société [Localité 5] Trucks d'une attestation Pôle Emploi et d'un bulletin de salaire rectificatif, conformément à la teneur du présent arrêt, 

DIT n'y avoir lieu au prononcé d'une astreinte,

CONDAMNE la société [Localité 5] Trucks à payer à M. [F] la somme de 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la société [Localité 5] Trucks aux dépens de première instance et d'appel.

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 8
Numéro d'arrêt : 19/07281
Date de la décision : 08/12/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-12-08;19.07281 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award