RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 4 - Chambre 9 - A
ARRÊT DU 01 DECEMBRE 2022
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/02837 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CBOG6
Décision déférée à la Cour : Jugement du 5 mars 2018 - Tribunal d'Instance de PARIS (9ème) - RG n° 11-17-000388
APPELANT
Monsieur [O] [R]
né le [Date naissance 1] 1978 à [Localité 5] (34)
[Adresse 3]
[Adresse 3] (ROYAUME-UNI)
représenté par Me Carole LAWSON de l'ASSOCIATION LE BERRE ENGELSEN WITVOET, avocat au barreau de PARIS, toque : R218
substitué à l'audience par Me Benoit GRAFFIN de l'ASSOCIATION LE BERRE ENGELSEN WITVOET, avocat au barreau de PARIS, toque : R218
INTIMÉE
La société JOSEPHINE BLANCHE, société par actions simplifiée à associé unique
N° SIRET : 814 136 107 00012
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représentée par Me Philippe MARINO de la SCP DORVALD MARINO, avocat au barreau de PARIS, toque : P0143
substitué à l'audience par Me Françoise GICQUEL, avocat au barreau de PARIS, toque : D0247
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 5 octobre 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :
Mme Muriel DURAND, Présidente de chambre
Mme Fabienne TROUILLER, Conseillère
Mme Laurence ARBELLOT, Conseillère
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Mme Muriel DURAND, Présidente, dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.
Greffière, lors des débats : Mme Camille LEPAGE
ARRÊT :
- CONTRADICTOIRE
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Mme Muriel DURAND, Présidente et par Mme Camille LEPAGE, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Le 11 septembre 2017, M. [O] [R] a fait assigner la société Joséphine Blanche qui exploite l'hôtel Joséphine devant le tribunal d'instance du 9ème arrondissement de Paris soutenant avoir loué une chambre pour les nuits des 29 et 30 août 2016 et avoir déposé dans le coffre de sa chambre une somme de 9 700 euros en liquide remise par son père le 28 août 2016 et avoir fait l'objet d'un vol de cette somme dans la soirée du 30 août 2016 alors qu'il était allé dîner à l'extérieur avec sa compagne.
Par jugement contradictoire rendu le 5 mars 2018 auquel il convient de se reporter, le tribunal d'instance du 9ème arrondissement de Paris a débouté M. [R] de ses prétentions, dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile, et condamné M. [R] aux dépens.
Le tribunal a principalement considéré que ni la remise de la somme alléguée, ni son dépôt dans le coffre de l'hôtel, ni le dysfonctionnement de ce dernier ni la moindre carence relative à la sécurité imputable à l'hôtel n'étaient démontrés et que ce dernier n'avait pas formellement reconnu sa responsabilité.
Par une déclaration en date du 5 février 2020, M. [R] a relevé appel de cette décision.
Par ordonnance en date du 13 octobre 2020, le conseiller de la mise en état a ordonné un sursis à statuer dans l'attente de la remise par le tribunal judiciaire de Paris d'une copie du dossier pénal au conseil de M. [R].
Par ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 15 octobre 2021, M. [R] a repris l'instance et demande à la cour d'infirmer le jugement, de le recevoir comme bien fondé en son action à l'encontre de la société Joséphine Blanche et de condamner cette dernière à lui payer la somme de 9 700 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter de l'acte introductif d'instance, au titre de la responsabilité de plein droit qu'elle supporte en sa qualité d'hôtelier et une somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Visant les articles 1952,1953 et 1954 du code civil, l'appelant soutient que la société hôtelière est responsable de plein droit des objets apportés dans son établissement, indépendamment de toute faute. Il se prévaut d'une jurisprudence admettant que la preuve de la matérialité du dépôt se fasse par simple présomption en soulignant la nécessité de rester discret quant à la remise d'une telle somme.
Il soutient que l'attestation de son père portant sur le retrait de la somme quelques jours avant les faits, les attestations de ses proches et les extraits de conversations par messageries qu'il produit constituent un faisceau d'indices établissant une présomption de remise par son père de la somme litigieuse et que la retranscription d'une conversation avec la société Transferwise permet de présumer du dépôt de ladite somme dans le coffre de sa chambre.
Il ajoute que la plainte déposée pour vol permet d'établir la matérialité de celui-ci, relève qu'aucune imprudence ne lui est imputable et rappelle au visa de l'article 1954 du code civil qu'aucun événement assimilable à la force majeure n'est de nature à exonérer l'hôtelier de sa responsabilité de plein droit. Il soutient que l'hôtel souffrait de carences en termes de sécurité et que la police a identifié un suspect défavorablement connu à partir des traces laissées dans la chambre. Il soutient n'avoir commis aucune imprudence et qu'à supposer que détenir une telle somme en liquide en soit une, ce qu'il n'a pas choisi de faire s'agissant d'une surprise de son père, ceci n'exonère pas l'hôtelier de sa responsabilité. Il soutient en outre que la société Joséphine Blanche a manifesté l'intention de le rembourser.
Par ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 24 novembre 2021, la société Joséphine Blanche demande à la cour de confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté les demandes de M. [R], de débouter ce dernier de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions à son encontre et de le condamner à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
L'intimée vise les articles 1353 du code civil et 9 du code de procédure civile pour soutenir que la matérialité des faits allégués n'est pas établie et soutient que la preuve d'un retrait fait 5 jours plus tôt n'est pas la preuve de la remise de l'argent, et encore moins de sa conservation au jour des faits, ni du dépôt dans la chambre et que la seule plainte ne suffit pas à démontrer l'existence d'un vol. Il soutient que les prétendues carences de sécurité ne sont pas établies et que l'incertitude et le doute subsistant à la suite de la production d'une preuve doivent être nécessairement retenus au détriment de celui qui en a la charge.
Elle conteste enfin avoir reconnu sa responsabilité et explique ne s'être engagée qu'à déclarer le sinistre à son assureur.
Elle vise enfin l'article 1953 du code civil pour indiquer qu'aucun dépôt n'a eu lieu « entre ses mains » et qu'en tout état de cause sa responsabilité est limitée à 100 fois le prix de la location, soit tout au plus 7 920 euros.
Pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétentions des parties, il est renvoyé aux écritures de celles-ci conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 28 juin 2022 et l'affaire a été appelée à l'audience le 5 octobre 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Il résulte de la facture produite par la société Joséphine Blanche que M. [R] a séjourné à l'hôtel Joséphine dans la chambre 203 prévue pour 2 personnes du lundi 29 août au mardi 30 août et du mardi 30 août au mercredi 31 août 2016, le montant de la nuit étant de 79,20 euros outre la taxe de séjour.
L'article 1952 du code civil dispose que les aubergistes ou hôteliers répondent, comme dépositaires, des vêtements, bagages et objets divers apportés dans leur établissement par le voyageur qui loge chez eux, le dépôt de ces sortes d'effets doit être regardé comme un dépôt nécessaire.
L'article 1953 les rend responsables du vol ou du dommage de ces effets, soit que le vol ait été commis ou que le dommage ait été causé par leurs préposés, ou par des tiers allant et venant dans l'hôtel, de manière illimitée, nonobstant toute clause contraire, au cas de vol ou de détérioration des objets de toute nature déposés entre leurs mains ou qu'ils ont refusé de recevoir sans motif légitime mais de manière limitée à cent fois le prix de location du logement par journée, sauf lorsque le voyageur démontre que le préjudice qu'il a subi résulte d'une faute de celui qui l'héberge ou des personnes dont ce dernier doit répondre. L'article 1954 exclut leur responsabilité pour les vols ou dommages qui arrivent par force majeure, ou si la perte résulte de la nature ou d'un vice de la chose, à charge pour eux de démontrer le fait qu'ils allèguent.
M. [R] produit une attestation de son père M. [W] [R] du 31 janvier 2018 régulière en la forme qui indique que suite à la vente de son local professionnel, un cabinet de cardiologue à [Localité 4], il a remis à chacun de ses enfants une somme de 10 000 euros et que concernant M. [R] il a fait un retrait au LCL à [Localité 4] le jeudi 25 août 2016 qu'il lui a remis en espèces le dimanche en surprise et pour éviter des frais inutiles lors de sa venue à [Localité 4]. Il verse également aux débats le justificatif du retrait d'espèces. Il produit également une attestation de sa mère Mme [Z] [T] du 31 janvier 2018 régulière en la forme qui atteste que son fils avait cette somme en sa possession lorsqu'il a pris le train le lundi pour se rendre à [Localité 6] et qu'il l'avait mise sur lui à l'intérieur d'une poche boutonnée et était inquiet d'avoir une telle somme sur lui.
Il verse aussi aux débats un mail de la société Transfertwise qui lui indique retranscrire la conversation du 30 août 2016 à 2h42 PM et dont il résulte que M. [R] s'est renseigné auprès de cette société sur la manière de lui déposer des euros en cash reçus de sa famille en vue d'un transfert en GPB (livres sterling) ce à quoi il lui est répondu que la seule option est de faire un transfert bancaire via une banque en ligne ou de faire le paiement par le biais d'une carte de débit/crédit mais que Transfertwise n'accepte pas de dépôt de liquide ni de chèques en vue d'un transfert.
Il dispose également d'une attestation régulière en la forme de Mme [V] [R] du 1er février 2018 qui est son épouse au moment de la rédaction de l'attestation et qui indique avoir voyagé pour rejoindre son mari à [Localité 6] le 29 août pour de courtes vacances, qu'à [Localité 6] il lui avait montré qu'il avait 10 000 euros de son père, qu'il avait pris 300 euros pour sortir dîner et qu'il avait déposé le reste dans le coffre de la chambre à 19h avant de partir et qu'ils étaient revenus vers 23 h, que le code du coffre ne fonctionnait plus comme s'il avait été changé, qu'il avait dû appeler la réception pour avoir de l'aide mais qu'ils ne savaient pas comment faire, qu'il avait alors regardé sur Youtube pour savoir comment ouvrir le coffre et qu'il y était parvenu mais que le coffre était vide, et que l'enveloppe qui contenait l'argent avait disparu, et qu'il avait alors appelé la police.
Il produit un procès-verbal de police du 31 août 2016 dans lequel il explique avoir déposé une somme de 9 700 euros au coffre individuel de la chambre protégé par un code composé par ses soins, être sorti avec sa compagne [V] [M], avoir voulu vérifier le contenu du coffre à son retour vers 23h mais que le code ne fonctionnait plus et que la réception contactée n'ayant été d'aucune aide, il avait trouvé sur internet que le coffre pouvait s'ouvrir avec le code 000000 ce qui avait fonctionné mais que le coffre était vide et qu'il déposait plainte.
Il produit des copies d'écran tirés d'une vidéo Youtube qui montrent comment ouvrir un coffre en composant le numéro 000000.
Il verse également aux débats un procès-verbal de police du 31 août 2016 dont il résulte :
- que la police a fait un essai sur le coffre de la chambre 303, a composé un code de verrouillage 6509 et a ensuite verrouillé le coffre puis l'a ouvert en composant le code 000000, et qu'ayant répété la man'uvre avec un nouveau code de verrouillage, le coffre s'est de nouveau ouvert avec le code 000000 ;
- que le gérant a indiqué que le client de la chambre 202 avait eu un comportement suspect ayant effectué une réservation pour 2 jours mais n'y avait pas séjourné et que son temps de présence dans l'hôtel correspondait à l'absence de la victime et d'une employée stagiaire qui a expliqué que le 30 août 2016, un homme était venu entre 14h30 et 15h souhaitant réserver une chambre, qu'il avait demandé à visiter plusieurs types de chambres et qu'elle lui en avait montrées 4 différentes, qu'il avait réservé la chambre 202 pour 2 nuits et versé 80 euros en espèces sur le total de 156 euros, qu'il avait quitté l'établissement pour y revenir à 18h et avait commandé une bouteille de champagne, qu'il avait indiqué attendre deux personnes mais qu'une seule était venue, qu'ils étaient restés jusqu'à 21h sans consommer de champagne et que celui qui n'avait pas réservé la chambre était monté pendant une trentaine de minutes pendant que l'autre était au téléphone.
Il produit enfin un procès-verbal de police du 28 novembre 2019 dont il résulte que les prélèvements opérés en chambre 202 avaient permis d'identifier un certain [X] [F] fiché au FNAEG et que la procédure avait été classée par suites de recherches infructueuses.
Ces pièces établissent de manière suffisante que M. [R] avait reçu une somme en liquide de son père, qu'il en disposait encore le 30 août 2016 après midi, ayant voulu transférer ces fonds ce qui s'était avéré impossible par le moyen qu'il avait initialement choisi, qu'il avait cette somme en sa possession dans sa chambre et que le coffre présentait une faille de sécurité constatée par la police. La plainte et les recherches effectuées comme les déclarations du gérant de l'hôtel montrent que 2 personnes avaient eu un comportement suspect, l'une restant au niveau de la réception où se trouvait la réceptionniste stagiaire avec un téléphone pouvant lui permettre de communiquer avec l'autre qui montait dans les étages au cas où celle-ci serait montée et que l'une de ces personnes était fichée.
Le vol est donc suffisamment établi.
Dans la mesure où le coffre présentait une faille de sécurité permettant une ouverture avec un code générique qu'il était facile de retrouver sur internet, la société Joséphine Blanche ne peut opposer la limitation de responsabilité.
De son côté M. [R] n'a commis aucune imprudence de nature à limiter ses droits, le seul fait de disposer d'une telle somme en liquide alors même que la société Joséphine Blanche mettait à sa disposition un coffre censé lui permettre de garder ses biens de valeurs auxquels est assimilée une somme en liquide n'étant pas constitutif d'une faute.
Dès lors le jugement doit être infirmé et la société Joséphine Blanche doit être condamnée à payer à M. [R] la somme de 9 700 euros avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation du 11 septembre 2017 à titre de dommages et intérêts permettant de compenser la perte financière résultant de la privation de ladite somme depuis cette date.
La société Joséphine Blanche qui succombe doit supporter la charge des dépens et d'appel et il apparaît équitable de lui faire en outre supporter les frais irrépétibles engagés par M. [R] à hauteur de 2 000 euros.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Statuant par arrêt contradictoire en dernier ressort,
Infirme le jugement ;
Condamne la société Joséphine Blanche à payer à M. [O] [R] la somme de 9 700 euros avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation du 11 septembre 2017 à titre de dommages et intérêts supplémentaires et celle de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société Joséphine Blanche aux dépens de première instance et d'appel.
La greffière La présidente