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16/11/2022 | FRANCE | N°20/11987

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 4 - chambre 8, 16 novembre 2022, 20/11987


Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 8



ARRÊT DU 16 NOVEMBRE 2022



(n° 2022/ 162 , 11 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/11987 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CCIGD



Décision déférée à la Cour : Jugement du 01 Juillet 2020 -Tribunal de Commerce de Paris - RG n° 2018030472





APPELANTE



S.A.R.L. EUROMC, prise en la personne de gérant<

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[Adresse 2]

[Localité 5]

N° SIRET : 389 441 445



représentée et assistée de Me Matthieu HUE de la SELEURL AUGURE AVOCAT, avocat au barreau de PARIS, toque : G746





INTIM...

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 8

ARRÊT DU 16 NOVEMBRE 2022

(n° 2022/ 162 , 11 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/11987 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CCIGD

Décision déférée à la Cour : Jugement du 01 Juillet 2020 -Tribunal de Commerce de Paris - RG n° 2018030472

APPELANTE

S.A.R.L. EUROMC, prise en la personne de gérant

[Adresse 2]

[Localité 5]

N° SIRET : 389 441 445

représentée et assistée de Me Matthieu HUE de la SELEURL AUGURE AVOCAT, avocat au barreau de PARIS, toque : G746

INTIMÉES

S.A. GENERALI IARD

[Adresse 3]

[Localité 4]

Immatriculée au RCS de PARIS sous le numéro 552 062 663

représentée par Me Philippe-Gildas BERNARD de l'AARPI NGO JUNG & PARTNERS, avocat au barreau de PARIS, toque : R013

assistée de Me Pierre VIZZAINO, avocat plaidant, NGO JUNG ET PARTNERS, avocat au barreau de Paris, toque R 013

S.A.R.L. SOLEAS, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 9]

N° SIRET : 382 77 0 4 36

représentée par Me Arnaud GUYONNET de la SCP AFG, avocat au barreau de PARIS, toque : L0044

assistée de Me Agnès GOLDMIC, SELAS BCGA, avocat au barreau de Paris , toque K13

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 19 Septembre 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant Mme Laurence FAIVRE, Présidente de chambre, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Béatrice CHAMPEAU-RENAULT, Présidente de chambre

Mme Laurence FAIVRE, Présidente de chambre

M Julien SENEL, Conseiller

Greffier, lors des débats : Madame Laure POUPET

ARRÊT : Contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par, Mme Béatrice CHAMPEAU-RENAULT, Présidente de chambre et par Laure POUPET, greffière, présente lors de la mise à disposition.

*****

EXPOSÉ DU LITIGE :

La sarl EUROMC fabrique et vend des absorbants d'ondes électromagnétiques, fabrication effectuée dans l'usine de [Localité 6]. Elle a souscrit pour cette activité sur ce site, un contrat d'assurances auprès de la compagnie GENERALI.

A la suite d'un incendie survenu le 19 juin 2017, ces locaux ont été intégralement détruits.

A cette occasion, la société EUROMC a appris que le contrat d'assurance souscrit le 6 juillet 2012 auprès de GENERALI par l'intermédiaire de la société SOLEAS, n'incluait pas de garantie couvrant les pertes d'exploitation alors que l'unité de production de [Localité 6] n'a pu fonctionner pendant 5,26 mois.

PROCÉDURE

Estimant que l'intermédiaire d'assurance et l'assureur n'avaient pas attiré son attention sur cette absence de garantie, la société EUROMC après mise en demeure restée vaine, a fait citer la société SOLEAS et GENERALI, par assignation des 23 et 29 mai 2018, devant le tribunal de commerce de Paris.

Par décision du 1er juillet 2020, le tribunal de commerce de PARIS a :

- Débouté la société EUROMC de l'ensemble de ses prétentions, à l'égard des sociétés GENERALI et SOLEAS,

- Condamné la société EUROMC à payer à la société SOLEAS la somme de 2 500 € et à

la société GENERALI IARD, la somme de 1 500 € au titre de l'article 700 du code de

procédure civile ;

- Condamné la société EUROMC aux dépens dont ceux à recouvrer par le greffe ;

- rejeté les demandes des parties autres , plus amples ou contraires ;

- ordonné l'exécution provisoire.

Par déclaration électronique du 13 août 2020, enregistrée au greffe le 28 août 2020 , la SARL EUROMC a interjeté appel.

Aux termes de ses dernières écritures transmises par voie électronique le 30 avril 2021, la société EUROMC demande à la cour :

«'Vu les articles L. 210-1 et L. 721-3 du code de commerce

Vu les articles 1231-1 et 1242 du code civil,

Vu les articles L511-1 et L520-1 et du code des assurances,

- INFIRMER le jugement entrepris en ce qu'il a :

# débouté la société EUROMC de sa demande de condamnation in solidum de la société SOLEAS et de la société GENERALI IARD au paiement à son profit d'une somme de 124 243,01 €, avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 22 novembre 2017;

# débouté la société EUROMC de sa demande de condamnation in solidum de la société SOLEAS et de la société GENERALI IARD au paiement à son profit d'une somme de

5 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

# débouté la société EUROMC de sa demande de condamnation in solidum de la société SOLEAS et de la société GENERALI IARD au paiement des entiers dépens ;

# condamné la société EUROMC à payer à la société SOLEAS la somme de 2 500 € et à la société Genearali IARD, la somme de 1 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

# condamné la société EUROMC aux dépens dont ceux à recouvrer par le greffe.

STATUANT À NOUVEAU :

- CONDAMNER in solidum la société SOLEAS et la société GENERALI IARD à payer à la société EUROMC la somme de 124 243,01 €, avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 22 novembre 2017 ;

- CONDAMNER in solidum la société SOLEAS et la société GENERALI IARD, au paiement d'une indemnité de 10 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- CONDAMNER la société SOLEAS et la société GENERALI IARD solidairement, aux entiers dépens.'»

Aux termes de ses dernières écritures transmises par voie électronique le 5 février 2021, l'intimée GENERALI IARD , demande à la cour :

«'Vu l'article 1240 du code civil,

Vu l'article L.511-1 du code des assurances ;

Vu la jurisprudence citée,

Vu les pièces communiquées,

A titre principal :

- Constater que la société SOLEAS a été approchée par le Cabinet [X] pour

placer le risque ;

- Constater l'absence de mandat entre la société EUROMC et la société SOLEAS, et

par conséquent son absence de faute ;

- Mettre hors de cause GENERALI ;

A titre subsidiaire :

- Constater que la société SOLEAS est intervenue en qualité de courtier ;

En conséquence,

- Mettre hors de cause GENERALI ;

A titre plus subsidiaire :

- Constater l'absence de faute de la société SOLEAS en sa qualité d'agent

général ;

En conséquence,

- Débouter la société EUROMC de ses demandes à l'encontre de GENERALI ;

En tout état de cause :

- Constater que la société SOLEAS ne peut solliciter une indemnisation complémentaire après la signature d'une lettre d'acceptation d'indemnité, indemnisation pour laquelle elle ne justifie pas du montant ;

- Constater l'absence de préjudice de la société EUROMC et, en tout cas, limiter le préjudice de la société EUROMC à la somme de 25.000,00 euros, après application d'une perte de chance qui ne saurait être inférieure à 50% ;

En conséquence,

- Débouter la société EUROMC de ses demandes plus amples ou contraires ;

- Condamner la société EUROMC à verser à GENERALI la somme de 5.000,00 euros

sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner la société EUROMC aux entiers dépens.'»

Aux termes de ses dernières écritures transmises par voie électronique le 1er février 2021, l'intimée SOLEAS demande à la cour :

«'Vu les éléments ci-dessus rappelés,

Vu les pièces versées aux débats,

Vu les articles L 511-1 et L 520-1 du code des assurances,

- Confirmer purement et simplement le jugement rendu le 1er juillet 2020 par le tribunal de commerce de Paris.

Ce faisant :

- Débouter purement la société EUROMC de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions à l'encontre de la société SOLEAS.

Subsidiairement :

- Dire et juger que la société EUROMC ne peut solliciter une indemnisation complémentaire compte tenu de la signature de la lettre d'acceptation d'indemnité.

Encore plus subsidiairement :

- Dire et juger que le préjudice subi ne peut s'analyser que comme une perte de chance d'avoir pu bénéficier d'une garantie perte d'exploitation contenue dans le précédent contrat et plafonnée à 50 000 € ;

- Limiter le préjudice de la société EUROMC à la somme de 25 000 € après application d'une perte de chance qui ne saurait être inférieure à 50 % ;

- Débouter la société EUROMC de toute prétention au-delà ;

- Condamner la société EUROMC au paiement de la somme de 5 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens, lesquels pourront être directement recouvrés par la SCP AFG, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile .'»

La clôture est intervenue le 13 juin 2022.

Il convient de se reporter aux conclusions susvisées pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS

I Sur la responsabilité de la société SOLEAS

1)Sur la qualité de la société SOLEAS

A l'appui de son appel, la société EUROMC fait valoir que la société SOLEAS ne lui a jamais fourni la moindre précision quant à la nature de son intervention en qualité de courtier ou d'agent général d'assurance contrairement aux exigences de l'article L.520-1 du code des assurances devenu l'article L.521-1 du même code et R.520-2 de ce code. Elle estime qu'en tout état de cause, quelle que soit l'une de ces deux qualités, le régime de responsabilité au regard de l'obligation d'information et de conseil est le même.

En réplique, la société SOLEAS fait valoir que la société EUROMC maintient l'ambiguïté sur sa qualité alors qu'elle exerce la profession d'agent général de GENERALI et qu'elle est donc le mandataire de cet assureur, qu'elle-même a été approchée par un intermédiaire d'assurance avec lequel elle est en relation d'affaires et qui l'a sollicitée uniquement pour le placement du risque litigieux, qu'elle ne connaissait pas l'assurée n'assurant pas le risque précédent, ni les locaux du siège social.

En réplique, GENERALI fait valoir que la société SOLEAS est intervenue comme un courtier grossiste, approchée par un intermédiaire d'assurance, le cabinet [X], en recherche de couverture pour l'un de ses clients. C'est ce dernier qui est le courtier de la société EUROMC.

Sur ce,

Vu l'article L.520-1 du code des assurances dans sa rédaction applicable au litige;

Vu le décret n° 96-902 du 15 octobre 1996 portant approbation du statut des agents généraux d'assurances et plus particulièrement l'article 1er du statut ;

Au vu des pièces communiquées :

- les dispositions particulières du contrat AM892807 souscrit le 6 juillet 2012 par la société EUROMC pour les locaux professionnels situés à [Localité 6], portant l'en-tête de GENERALI et ses références, et mentionnant «' votre assureur conseil'» la sarl SOLEAS avec son adresse à [Localité 8]; chacune des trois pages de ce document est signée d'une part par l'assuré, d'autre part par «'l'agent général ou le courtier'» cette dernière formant un visa unique, sans autre précision sur la qualité du signataire; (pièce 1-la société EUROMC et pièce 7 - GENERALI)

- l'extrait Kbis du Registre du commerce et des sociétés ( RCS) à la date du 3 avril 2022 mentionne le n° du RCS de la sarl SOLEAS à savoir B382770436 , précise que la société SOLEAS a été immatriculée en août 1991, que le gérant de la société SOLEAS est M. [M], qu'elle a acquis le 1er janvier 2000, un portefeuille de clients d'agents généraux d'assurances, que sa raison sociale était de 1991 à 2005, «'Courtage et activités du Hainaut'» et que de 2005 à 2010, sa raison sociale était «' Cash Assurances'»; qu'en 2007, la société Cash Assurances a cédé le portefeuille de courtage en assurances à la société Cash Courtage et qu'en 2009, elle a racheté à cette dernière le portefeuille de courtage en assurances pour l'exercer à partir de son fonds principal ; que le siège social de l'établissement principal est situé à [Localité 8] de 2000 à 2008 , que l'activité exercée par la sarl SOLEAS est celle «'d'agent général d'assurances tel que défini par le code des assurances, depuis 2019 pour l'établissement principal de [Localité 9] et depuis 2006 pour l'établissement secondaire de [Localité 7] avec l'exécution du ou des mandats qui lui sont ou seront confiés à ce titre et des activités qui en découlent par dérogation ou mandat d'exclusivité avec GENERALI et en accord avec cette dernière, la détention de parts sociales d'une société de courtage en assurance dénommée (sic) «'Cash Courtage'». ( pièce 1 - la société SOLEAS)

- Le devis d'assurance 100% pro Fabrication et Négoce établi le 24 mai 2012 par «'[M] O'» et «'votre assureur conseil la sarl SOLEAS'» pour le client, la société EUROMC, qui a donné le 5 juillet 2012 son accord ( la cour constate que le document communiqué ne comporte que les pages 1 et 3) ( pièce 2 ' la société SOLEAS ) ;

- le courriel du 25 mai 2012 adressé par M. [W] [M] à la société Lerau mentionne sous les coordonnées de M. [M], le siège à [Localité 8],'la sarl SOLEAS: société d'agence générale n° du RCS B382770436 et la sarl SOLEAS Courtage: société de courtage d'assurances n° du RCS B487702334 ; ce courriel contient en pièce jointe le compte-rendu de la réunion avec M. [K] et a pour objet la présentation de chacune des sociétés du groupe Lerau dont la société EUROMC filiale à 100% de la sarl Lerau, M. [K] étant le gérant des deux sociétés. Il est précisé en tête du compte-rendu: «'rendez-vous du 21 mai 2012, pour la société: M. [K] , Pour SOLEAS entreprise: M. [X]-M. [M]'» et en fin du compte-rendu, «'un extrait des principales garanties'» sous forme de tableau et «'Point sur le dossier, point g) Dommages et PE : à proposer'» (pièce 8 - la société EUROMC)

- échange de courriels entre le cabinet [X] et M. [M] et entre Lerau et le cabinet [X] concernant [Localité 6] aux dates de mai et juillet 2012 et en juin 2017 après l'incendie (pièces «3, 7,8,9,10 - la société SOLEAS).

Il résulte de la réunion du 21 mai 2012 dont la société SOLEAS a fait elle-même le compte-rendu, qu'elle agissait avec ses deux représentants M. [X] et M. [M], ce dernier ayant adressé le compte-rendu à Lerau avec copie à [X] Assurances.

Ainsi alors même que la société SOLEAS a maintenu à l'égard de la société EUROMC, l'ambiguïté sur sa qualité d'agent général ou de courtier lors de la conclusion du contrat litigieux, contrairement aux exigences de l'article L. 520-1 susvisé qui lui imposait de fournir son immatriculation et ses liens financiers avec une ou plusieurs entreprises d'assurances, il ressort de l'analyse des éléments susvisés, un faisceau grave, précis et concordant de circonstances laissant présumer qu'elle a agi à l'égard de la société EUROMC en qualité d'agent général de GENERALI.

D'ailleurs, la sarl SOLEAS mentionne l'activité d'agent général d'assurances sur ses conclusions en appel avec le n° de RCS afférent mentionné au Kbis susvisé.

L'allégation de GENERALI selon laquelle la société SOLEAS serait intervenue en qualité de courtier grossiste agissant à la demande du cabinet [X], est démentie par l'ensemble des pièces susvisées. GENERALI ne démontre pas davantage que le cabinet [X] serait le courtier de la société EUROMC alors que la société SOLEAS a précisé elle-même sur un compte-rendu de réunion qu'il était son représentant.

Le jugement déféré sera donc infirmé sur ce point en ce qu'il a rejeté les demandes des parties, autres ou contraires, dont celle de GENERALI qui demandait de voir juger que la société SOLEAS est intervenue en qualité de courtier.

2)Sur l'obligation d'information et de conseil et la responsabilité de la société SOLEAS

A l'appui de son appel, la société EUROMC fait valoir qu'elle a souscrit une nouvelle police d'assurance qui s'insère dans la continuité de la précédente souscrite auprès du même assureur, pour la même activité. Elle ajoute que la société SOLEAS était bien en contact direct avec la société EUROMC pour définir ses besoins ainsi qu'en atteste le compte-rendu de réunion du 21 mai 2012. Elle réfute l'argument de la société SOLEAS selon lequel elle n'aurait pas sollicité la garantie pertes d'exploitation car celle-ci était prévue dans une autre police d'assurance souscrite auprès d'un autre assureur. Elle ajoute qu'il ne lui suffisait pas de lire le contrat pour s'apercevoir que la garantie «'pertes d'exploitation'» n'y figurait pas.

En réplique, la société SOLEAS fait valoir que la société EUROMC n'a pas sollicité la garantie pertes d'exploitation car celle-ci était prévue dans un contrat souscrit auprès d'AXA. Elle ajoute qu'elle n'était pas en possession du précédent contrat souscrit par la société EUROMC auprès de GENERALI et qu'elle ne pouvait donc attirer son attention sur une éventuelle réduction des garanties. Elle estime que la signature du devis témoigne de la volonté de ne pas donner suite à la réunion du 21 mai 2012 ainsi que celle du groupe Lerau de poursuivre une politique assurantielle segmentée. Elle rappelle que l'obligation de conseil trouve ses limites dans les termes clairs et précis de la police d'assurance qu'il appartient à tout un chacun de lire.

En réplique, GENERALI fait valoir que l'obligation de conseil de l'agent général trouve ses limites dans le fait qu'on ne peut lui reprocher de ne pas avoir pris les décisions à la place de l'assuré et dans les termes clairs et précis de la police que l'assuré a l'obligation de lire. Elle ajoute que la société EUROMC connaissait l'existence et le contenu de la garantie pertes d'exploitation pour l'avoir souscrite dans le précédent contrat et pour avoir reconnu avoir reçu un exemplaire des conditions générales exposant clairement l'objet de la garantie.

Sur ce,

Vu l'article L. 520-1, II-1) et 2) ;

Il est constant qu'il appartient à l'agent général, tenu d'un devoir de conseil sur les caractéristiques du produit d'assurance qu'il propose et sur leur adéquation avec la situation personnelle et les attentes de son client, d'administrer la preuve qu'il s'est acquitté de ses obligations préalablement à la signature du contrat.

En l'occurrence, la cour considère que la société SOLEAS intervenue en qualité d'agent général de GENERALI auprès de la société EUROMC , n'est pas fondée à faire valoir qu'elle n'a pas été en contact direct avec l'assurée et qu'elle ne connaissait pas le précédent contrat qui avait été souscrit auprès de GENERALI, concernant le même assuré et la même activité assurée, le seul changement portant sur la localisation géographique du site d'exploitation.

Il ne saurait non plus être reproché à la société EUROMC de ne pas avoir lu attentivement le devis d'assurance, dont la cour constate que ni la société SOLEAS ni GENERALI ne communiquent la page relative aux garanties proposées et les conditions générales alors qu'il appartient au mandataire de l'assureur lors de la phase pré-contractuelle d'apporter non seulement une information mais aussi un conseil au souscripteur, y compris dans la situation dans laquelle il souscrit un nouveau contrat en remplacement de l'ancien pour une même activité et d'en justifier, d'autant qu'il ressort de la précédente police souscrite le 26 décembre 2006 avec effet au 1er janvier 2007, qu'elle couvrait la garantie «'pertes d'exploitation'» sous la rubrique «'soutien financier'» et non incendie. ( pièce 2 - la société EUROMC).

De surcroît, il ressort du compte-rendu de la réunion du 21 mai 2012 qui a précédé l'envoi du devis du 25 mai 2012, que la question des dommages et pertes d'exploitation a été soulevée et qu'il était convenu qu'une proposition devait être faite. Or, la société SOLEAS ne justifie d'aucune proposition, le devis incomplet qui est communiqué ne valant pas justification. La société SOLEAS ne justifie pas davantage avoir procédé notamment à une comparaison entre l'ancien contrat et le nouveau proposé et d'avoir interrogé l'assuré sur les modifications envisagées.

La société SOLEAS n'est pas davantage fondée à tirer argument du contrat souscrit par la société Lerau avec Axa alors qu'elle ne justifie pas que ce point a été débattu avec la société EUROMC et qu'elle en ait fait une comparaison avec le contrat qu'elle proposait.

Au vu de ces constations, il s'avère que la société SOLEAS en sa qualité d'agent général de GENERALI, intervenue pendant la phase d'élaboration du contrat litigieux, n'a pas rempli auprès de la société EUROMC, son obligation de conseil sur la garantie «'pertes d'exploitation'»; elle a donc commis une faute à l'égard de la société EUROMC .

Le jugement sera complété sur ce point.

II Sur la responsabilité de GENERALI

A l'appui de son appel, la société EUROMC fait valoir que GENERALI étant le mandant de la société SOLEAS elle engage de ce fait sa responsabilité pour les fautes commises par son mandataire en application de l'article L.511-1, IV du code des assurances.

Sur la responsabilité de GENERALI, cette dernière est la seule à répliquer en faisant valoir un arrêt de la Cour de cassation ( 14 janvier 2010 n° 09 -10. 220) aux termes duquel à défaut de caractériser un mandat donné par l'assureur «'au courtier'» pour le placement de la police, l'assureur ne peut être condamné à répondre solidairement des négligences et des fautes commises par «'le courtier'».

Sur ce,

Vu l'article 511-1,IV du code des assurances dans sa rédaction applicable au litige ;

Il a été établi précédemment que la société SOLEAS avait agi à l'égard de la société EUROMC en qualité d'agent général de GENERALI pour la distribution d'une police d'assurances à la société EUROMC.

Bien que ni la société SOLEAS, ni GENERALI ne justifient du contrat de mandat les liant à la date de la souscription de la police d'assurance en juillet 2012, néanmoins, les dispositions particulières de la police d'assurance à l'en-tête de GENERALI, signées par la sarl SOLEAS suffisent à caractériser l'existence du mandat à la date de souscription.

En raison du manquement de la société SOLEAS en sa qualité d'agent général de GENERALI à l'obligation d'information et de conseil à l'égard de la société EUROMC, GENERALI est civilement responsable du dommage causé par ce manquement en application de l'article 511-1 susvisé.

Le jugement déféré sera complété sur ce point.

III Sur le préjudice

A l'appui de son appel, la société EUROMC fait valoir que le défaut de conseil lui a causé un préjudice direct qui doit être indemnisé à hauteur de la perte d'exploitation résultant de l'incendie. Elle l'évalue à la perte de marge brute durant la période d'inactivité qu'elle calcule d'après la marge brute du semestre précédant immédiatement l'incendie compte tenu de la croissance de l'activité par-rapport aux trois années précédentes. Par aileurs, elle estime que la lettre d'acceptation ne portait que sur la garantie «'incendie'» et non sur le sinistre dû à la perte d'exploitation.

En réplique, les deux intimées font valoir qu'aucune indemnisation complémentaire ne saurait être allouée au regard de la lettre d'acceptation d'indemnité sans réserve signée par la société EUROMC le «'15 avril 2015'».

Elles font aussi valoir concernant le préjudice, qu'il s'agit d'une perte de chance et que dans le contrat précédent, il avait été limité à 50 000 euros et que la probabilité d'avoir pu bénéficier de la garantie pertes d'exploitation s'évalue à 50%, que dès lors le montant du préjudice doit être limité à 25 000 euros.

Sur ce,

Au préalable, la cour observe que le manquement est établi et qu' aucune des parties ne conteste le lien de causalité entre celui-ci et la réalisation d'un dommage; que les moyens de défense portent sur l'évaluation du dommage au regard d'une part, de la lettre d'acceptation du «'15 avril 2015'» et d'autre part, de l'analyse du dommage et le cas échéant de son mode d'évaluation.

S'agissant de la lettre d'acceptation d'indemnité (pièce 1 - GENERALI ) , il ressort de sa lecture, qu'elle a été signée le 7 septembre 2017 par M. [K] gérant de la société EUROMC au titre du contrat AM892807 et du sinistre incendie du 19 juin 2017 , qui accepte la proposition d'indemnité de 86 518,55 euros et il est ajouté que les biens sinistrés ne sont couverts pour les mêmes risques par aucune autre police.

Il ressort du rapport d'expertise amiable établi entre les assureurs , l'assuré et leurs experts à la suite de l'incendie, au titre de cette police d'assurance, que la garantie Incendie est prévue au titre des risques locatifs et du matériel mais non au titre des pertes d'exploitation et que le montant du dommage aux biens mobiliers a été évalué à 86 518,55 euros . ( pièce 2 - GENERALI )

Par ailleurs, il ressort des conditions générales de la police d'assurances litigieuse, qu'elle énonce dans deux parties distinctes, d'une part, des garanties au titre de la protection des biens, d'autre part, des garanties au titre de la pérennité de l'entreprise dont le soutien financier qui inclut les pertes d'exploitation et que sous l' intitulé ' pérennité de l'entreprise'', elle spécifie que «'seules sont acquises les garanties mentionnées aux dispositions particulières sous le titre «'garanties souscrites'».'» (pièce 6 - GENERALI )

L'ensemble de ces éléments met en évidence que la garantie d'exploitation est une garantie distincte de celles prévues au titre de la protection des biens. Il en résulte que la lettre d'acceptation d'indemnité qui ne mentionne que la garantie Incendie découlant de l'exécution de la police souscrite en 2012 par la société EUROMC, a pour objet d'indemniser les dommages aux biens subis par la société EUROMC et non ses pertes d'exploitation.

Dans ces conditions, il en résulte que l'indemnisation des pertes d'exploitation n'est pas incluse dans l'indemnité acceptée en 2017.

Par conséquent, la lettre d'acceptation ne peut valoir indemnisation des pertes d'exploitation et renonciation à toute demande sur ce point.

Cette indemnisation ne peut résulter que du manquement de la société SOLEAS à son obligation d'information et de conseil.

Ce préjudice s'analyse en une perte de chance pour la société EUROMC de n'avoir pu bénéficier de cette garantie en raison de l'absence d'information et de conseil sur ce point , étant rappelé que la perte de chance est constituée par une disparition actuelle et certaine d'une éventualité favorable.

S'agissant de son évaluation, la cour évalue la perte de chance à 90% au regard des circonstances rappelées précédemment dans lesquelles le contrat a été souscrit et constate que dans le précédent contrat, l'indemnité avait été limitée à 50 000 euros .

Il en résulte qu'au vu de ces éléments justificatifs, le préjudice est fixé à 45 000 euros.

En conséquence, la société SOLEAS et GENERALI sont condamnées in solidum à payer à la société EUROMC cette somme augmentée des intérêts au taux légal à compter de la date de prononcé du présent arrêt.

Le jugement déféré sera infirmé sur ces points.

IV Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

Partie perdante, la société SOLEAS et GENERALI seront condamnées aux dépens d'appel et à payer à la société EUROMC, en application de l'article 700 du code de procédure civile, une indemnité qui sera, en équité, fixée à la somme de 10 000 euros.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

statuant publiquement, en dernier ressort, contradictoirement et par mise à disposition de la décision au greffe, dans les limites de l'appel principal et des appels incidents

Infirme le jugement rendu le 1er juillet 2020 par le tribunal de commerce de Paris ;

statuant à nouveau,

juge que dans la souscription le 6 juillet 2012 par la société EUROMC du contrat n° AM892807 pour les locaux professionnels situés à [Localité 6], la société SOLEAS est intervenue en qualité d'agent général de GENERALI ;

Y ajoutant,

Dit que la lettre d'acceptation ne peut valoir indemnisation des pertes d'exploitation et renonciation à toute demande sur ce point ;

Dit que la société SOLEAS a commis un manquement au titre de l'obligation d'information et de conseil auprès de la société EUROMC ;

Dit que la société SOLEAS est responsable de ce manquement à l'égard de la société EUROMC ;

Dit que GENERALI est civilement responsable à l'égard de la société EUROMC du dommage causé par ce manquement ;

Fixe à 45 000 euros le préjudice subi par la société EUROMC au titre de la perte de chance de n'avoir pu bénéficier de la garantie «'pertes d'exploitation'» ;

Condamne in solidum la société SOLEAS et GENERALI à payer à la société EUROMC ladite somme de 45 000 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter de la date de prononcé du présent arrêt ;

Condamne les société SOLEAS et GENERALI aux dépens d'appel ;

Condamne in solidum les sociétés SOLEAS et GENERALI à payer à la société EUROMC la somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 4 - chambre 8
Numéro d'arrêt : 20/11987
Date de la décision : 16/11/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-11-16;20.11987 ?
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