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03/11/2022 | FRANCE | N°19/16095

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 8, 03 novembre 2022, 19/16095


Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 8



ARRÊT DU 3 NOVEMBRE 2022



(n° / 2022, 10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/16095 - N° Portalis 35L7-V-B7D-CAQ5X



Décision déférée à la Cour : Jugement du 12 Juillet 2019 -Tribunal de Commerce de Paris - RG n° 2018047638





APPELANTS



Monsieur [U] [E]

Né le 16 Août 1981 à [Localit

é 6]

De nationalité française

Demeurant [Adresse 1]

[Localité 4]





Madame [Z] [F] épouse [E]

Née le 18 Septembre 1963 à [Localité 7] (83)

De nationalité française

Demeurant [Ad...

Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 8

ARRÊT DU 3 NOVEMBRE 2022

(n° / 2022, 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/16095 - N° Portalis 35L7-V-B7D-CAQ5X

Décision déférée à la Cour : Jugement du 12 Juillet 2019 -Tribunal de Commerce de Paris - RG n° 2018047638

APPELANTS

Monsieur [U] [E]

Né le 16 Août 1981 à [Localité 6]

De nationalité française

Demeurant [Adresse 1]

[Localité 4]

Madame [Z] [F] épouse [E]

Née le 18 Septembre 1963 à [Localité 7] (83)

De nationalité française

Demeurant [Adresse 1]

[Localité 4]

SAS DAKOTA, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège,

Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de PARIS sous le numéro 837 888 270,

Ayant son siège social [Adresse 1]

[Localité 4]

SAS MAMALOHA, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège,

Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de PARIS sous le numéro 837 858 422,

Ayant son siège social [Adresse 1]

[Localité 4]

SARL TIFALYA, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège,

Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de PARIS sous le numéro 794 411 520,

Ayant son siège social [Adresse 1]

[Localité 4]

Représentés par Me Antoine BEAUQUIER de l'ASSOCIATION BOKEN, avocat au barreau de PARIS, toque : R191,

Assistés de Me Emanuel DUPONT DE DINECHIN, avocat au barreau de PARIS, toque R 191,

INTIMÉS

Monsieur [G] [L]

Né le 26 Juin 1968 à [Localité 5]

De nationalité française

Demeurant [Adresse 2]

[Localité 4]

SARL HOME & SERVICES, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège,

Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de PARIS sous le numéro 413 199 639,

Ayant son siège social [Adresse 3]

[Localité 4]

Représentés par Me Frédéric BURET, avocat au barreau de PARIS, toque : D1998,

Assistés de Me Philippe NETTO, avocat au barreau de PARIS, toque : P0419,

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 15 Novembre 2021, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant la cour composée en double-rapporteur de :

Madame Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, Présidente de chambre,

Madame Florence DUBOIS-STEVANT, conseillère.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, Présidente de chambre

Madame Anne-Sophie TEXIER, conseillère, Madame Florence DUBOIS-STEVANT, conseillère.

Un rapport a été présenté à l'audience par Madame Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, dans le respect des conditions prévues à l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Madame Liselotte FENOUIL

ARRÊT :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, Présidente de chambre et par Liselotte FENOUIL, greffière, présente lors de la mise à disposition.

FAITS ET PROCÉDURE:

La SAS Adele, spécialisée dans la réservation de logements étudiants par la mise en contact via internet des propriétaires et des locataires, est détenue à 100% par la SARL Home & Services, holding personnelle de M. [G] [L].

M. [U] [E] détient conjointement avec son épouse la société Tifalya, ainsi que la société HelixaVentures.

En mai 2017, la société Helixa Ventures souhaitant engager des conversations préliminaires dans le cadre d'un projet de prise de participation de la société Adele a signé avec cette dernière un accord de confidentialité.

Le 8 septembre 2017, M.[E] a adressé une lettre d'intention à M.[L] prévoyant que l'acquisition portera sur la totalité des titres de la société Adele détenus par Home& Services, moyennant un prix composé d'une part fixe de 8.723.000 euros et d'un complément de prix de 750.000 euros si la trésorerie d'Adele atteint un certain niveau au 31 décembre 2017, l'acquisition devant être réalisée par des sociétés à créer.

Parallèlement à ses recherches de financement pour réaliser l'opération, M.[E] a procédé à la création des sociétés Dakota et Mamaloha, qui ont été immatriculées au registre du commerce et des sociétés en mars 2018.

Alors que l'obtention du financement récessaire à l'opération prenait du retard, les parties ont poursuivi leurs échanges sur les modalités du projet.

Le 5 avril 2018, l'avocat de M.[L] a informé les conseils de M.[E], que son client renonçait à conclure l'opération, en indiquant que le décalage important et persistant entre les principes posés par la 'LOI' signée le 8 septembre 2017 et les différents projets concernant la documentation contractuelle n'avait pas permis d'aboutir à une solution satisfaisante pour [G] [L]/ Home& Services pour leur permettre de conclure une cession de l'intégralité des titres de la société Adele dans des conditions de forme et de fond acceptables, et que sans revenir sur les sujets de désaccords persistants sur des points majeurs, force était de constater que l'affectio societatis n'existait pas et que la confiance dans le projet futur n'existait plus.

Après l'échec d'une reprise des négociations en juin 2018, la SAS Dakota, la SAS Mamaloha, la SARLTifalya, ainsi que M.[U] [E] et Mme [Z] [F] épouse [E] ont, par actes des 20 décembre 2018, et 28 février 2009, fait assigner devant le tribunal de commerce de Paris la société Home & Services et M.[G] [L] pour voir juger qu'ils ont manqué à leurs obligations contractuelles en mettant unilatéralement un terme au processus d'acquisition d'Adele et en paiement de divers dommages et intérêts.

Par jugement du 12 juillet 2019, le tribunal de commerce de Paris a débouté M.[L] et la société Home & Services de leurs fins de non recevoir tirées du défaut d'intérêt et de qualité à agir, débouté les sociétés Dakota, Mamaloha et Tifalya ainsi que M.[E] et Mme [F] de l'ensemble de leurs demandes, débouté M.[L] et la société Home& Services de leur demande de dommages et intérêts pour procédure abusive, condamné in solidum les sociétés Dakota, Mamaloha et Tifalya, ainsi que M.[E] et Mme [F] à payer 5.000 euros à M.[L] et 5.000 euros à la société Home & Services sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, rejeté les plus amples demandes ou contraires au présent dispositif et condamné les mêmes aux entiers dépens.

Pour statuer ainsi, le tribunal a notamment retenu que M.[L] et la société Home& Services n'avaient pas commis de faute en mettant un terme aux discussions engagées depuis de longs mois, compte tenu des différences existant entre les projets soumis et les termes initiaux de la lettre d'intention, qui ne contenait qu'une obligation de négocier de bonne foi.

Les sociétés Dakota, Mamaloha, Tifalya ainsi que M.[E] et Mme [F] ont relevé appel de cette décision le 1er août 2019.

Dans leurs conclusions n°3, notifiées par RPVA le 13 septembre 2021, les sociétés Dakota, Mamaloha, Tifalya ainsi que M.[E] et Mme [F] demandent à la cour de confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté les fins de non recevoir, l'infirmer en ce qu'il a rejeté l'intégralité de leurs demandes et les a condamnés au paiement d'indemnités procédurales et aux dépens, réformant le jugement, constater que M.[L] et Home& Services ont manqué à leurs obligations contractuelles, condamner in solidum M.[L] et Home & Services à payer:

- 259.381,82 euros aux sociétés Dakota, Mamaloha, Tifalya, à M.[E] et Mme [F] en réparation des frais qu'ils ont engagés inutilement,

- 50.000 euros à la société Tifalya, M.[E] et Mme [F] en réparation de leur préjudice moral,

-1.968.000 euros à la société Tifalya en réparation de son préjudice financier,

-2.302.233 euros à la société Dakota en réparation des dividendes escomptés de l'acquisition de la société Adele,

- 144.000 euros à la société Dakota au titre de la privation de son revenu de fonctionnement,

- 144.000 euros à la société Mamaloha au titre de la privation de son revenu de fonctionnement,

-10.000 euros aux sociétés Dakota, Mamaloha, Tifalya, M.[E] et Mme [F] en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- aux entiers dépens,

- rejeter toute fin, demande ou prétention de Home& Services et de M.[L].

Dans leurs conclusions n°3, notifiées par RPVA le 7 octobre 2021, M.[L] et la société Home& Services demandent à la cour de:

- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté les sociétés Dakota, Mamaloha et Tifalya, ainsi que M.[E] et Mme [F] de l'intégralité de leurs demandes, les a condamnés in solidum au paiement d'indemnités procédurales et aux dépens,

-statuant à nouveau déclarer irrecevables pour défaut d'intérêt et de qualité à agir les demandes formées par la société Tifalya, M.[E] et Mme [F] quant à la réparation d'un prétendu préjudice moral, la société Tifalya quant à sa demande de réparation d'un prétendu préjudice financier, la société Dakota quant à sa demande de réparation de frais engagés inutilement,

-subsidiairement juger que M.[L] et Home& Services ont pu à bon droit mettre fin aux négociations en cours en avril 2018, juger que la lettre d'intention du 8 septembre 2017 ne constitue pas un acte ferme et définitif portant engagement de vendre une chose certaine à un prix certain selon des modalités déterminées, débouter M.[E], Mme [F] et les sociétés Dakota, Mamaloha et Tifalya de l'intégralité de leurs prétentions au titre de la lettre d'intention du 8 septembre 2017,

- très subsidiairement, déclarer mal fondée la demande indemnitaire de la société Tifalya, M.[E] et Mme [F] au titre du préjudice moral, la demande de Tifalya au titre de son préjudice financier, la demande de Dakota en réparation des frais inutilement engagés, la demande de Dakota en réparation de la perte de chance d'obtenir les dividendes escomptés, et par conséquent débouter les appelants de l'intégralité de leurs prétentions au titre de la lettre d'intention,

- en tout état de cause, débouter les appelants de l'intégralité de leurs prétentions, les condamner solidairement au paiement de la somme totale de 100.000 euros pour procédure abusive, d'une somme globale de 20.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

SUR CE

- Sur les fins de non recevoir

- sur la recevabilité de la demande de dommages et intérêts de M.[E], Mme [F] et de Tifalya en réparation du préjudice moral

Les appelants font valoir que l'abandon du projet, à la suite de négociations et d'audits poussés, a fait peser sur Tifalya une suspicion injustifiée de mauvaise santé financière et a largement porté atteinte à l'image tant de la holding qu'à celle de ses associés les époux [E] et plus généralement de toutes les sociétés appartenant au groupe.

M.[L] et Home & Services soulèvent le défaut d'intérêt personnel de M.[E], Mme [F] et de Tifalya à former une demande de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice moral, en ce que la dégradation de l'image qu'ils allèguent ne les vise pas personnellement, mais est le même pour l'ensemble du groupe.

Ainsi que l'a jugé le tribunal, l'associé d'une société qui allègue avoir subi un préjudice personnel, distinct de celui de la société justifie d'un intérêt à agir, la recevabilité d'une telle demande n'étant pas subordonné à la démonstration de son bien fondé.

La société Tifalya en alléguant une dégradation de son image du fait de la non réalisation de la cession, qui compromet à l'avenir sa faculté d'obtenir des financements, invoque bien un préjudice personnel.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté cette fin de non recevoir.

- sur la recevabilité de la demande de Tifalya en réparation d'un préjudice financier

La société Tifalya sollicite 1.968.000 euros de dommages et intérêts en réparation de son préjudice financier, constitué selon elle de la perte de chance de percevoir une rémunération certaine en qualité de président d'Adele.

Les intimés soulèvent le défaut d'intérêt et de qualité à agir de Tifalya quant à cette demande, en ce que le mandat social, qu'elle aurait eu au sein de la société Adele si l'opération s'était réalisée, n'était pas rémunéré.

Dans le cadre de l'opération projetée, Tifalya devait devenir présidente de la société Adele. Le moyen pris de ce que Tifalya n'avait pas vocation à prétendre à une rémunération au titre de ce mandat social au vu des échanges entre les parties constitue une défense au fond, qui n'est pas de nature à rendre la demande de Tifalya irrecevable.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté cette fin de non recevoir.

- sur la recevabilité de la demande de Dakota en réparation des frais engagés

La société Dakota demande notamment à être indemnisée des frais qu'elle a exposés inutilement en vue de cette opération.

M.[L] et Home& Services soulèvent le défaut d'intérêt à agir de cette demande d'indemnisation en ce qu'aucune facture n'a été mise à la charge de Dakota et que le temps consacré par M.[E] et Mme [F], personnes physiques, ne constitue pas une dépense de Dakota.

La demande de Dakota tend à être indemnisée d'un préjudice allégué comme étant personnel. Le moyen de défense pris de ce que la société n'a pas exposé personnellement de tels frais relève du débat au fond et non de la recevabilité.

Cette fin de non recevoir a à bon droit été rejetée par le tribunal.

- sur la recevabilité des demandes de Mamaloha, Tifalya, M.[E] et de Mme [F] en réparation des frais engagés

Les sociétés Mamaloha, Tifalya et M.[E] et Mme [F] demandent à être indemnisés à hauteur de 259.381,82 euros des frais exposés inutilement du fait de l'absence de réalisation de l'opération de reprise.

Les intimés soutiennent que ces demandes sont irrecevables comme étant nouvelles en appel au sens de l'article 564 du code de procédure civile.

Les appelants contestent cette fin de non recevoir, répliquant que cette demande figurait déjà dans les écritures de première instance et qu'ils ont simplement, pour en faciliter le paiement en cas de condamnation, étendu cette demande au profit de tous les appelants au lieu de la limiter à Dakota, cette demande tendant aux mêmes fins.

La demande en paiement de la somme de 259.381,82 euros a été dirigée en première instance uniquement contre la société Dakota. Si cette demande d'un même montant est dirigée à hauteur d'appel également contre les sociétés Mamaloha, Tifalya, M.[E] et Mme [F], elle tend bien aux mêmes fins et son extension vise à pallier les conséquences d'un rejet des prétentions adverses qui tendent à voir juger que Dakota n'a pas personnellement exposé ces frais.

Cette fin de non recevoir sera rejetée.

- Sur le fond

Les appelants soutiennent que M.[L] et la société Home & Services engagent leur responsabilité contractuelle en ce qu'ils ont subitement refusé de procéder à la cession des actions d'Adele, alors qu'ils s'étaient irrévocablement engagés par l'acte du 8 septembre 2017 à leur céder. Ils reprochent au tribunal de les avoir déboutés de leurs demandes en appréciant les motifs de la rupture des négociations, alors qu'ils fondaient leur demande sur l'inexécution d'un acte de cession.

Ils font valoir qu'en dépit de son intitulé, qui ne lie pas le juge, la ' lettre d'intention' signée le 8 septembre 2017 par M.[E], M.[L] et leurs conseils constitue un véritable contrat synallagmatique, les parties étant d'accord sur la chose et le prix et avait donc valeur contraignante, la transaction n'étant soumise qu'à la seule condition suspensive de l'obtention d'un financement par l'acquéreur, condition qui, après acceptation par M.[L] d'une extension du délai, a pu être levée. Ils soutiennent que l'existence de cet accord est corroborée par l'emploi dans la lettre d'intention du futur de l'indicatif ou du présent et non pas du conditionnel, que les clauses relatives aux modalités de paiement du prix, et les diverses obligations à la charge de M.[L] ont été négociées et ne résultent pas de la seule volonté des appelants, que, contrairement à ce qu'affirment les intimés leur engagement ne se limitait pas à l'obligation de négocier de bonne foi. Ils ajoutent que les différences pouvant exister entre les dispositions de la lettre d'intention et les dispositions finales étaient favorables au cédant.

M.[L] et la société Home& Services contestent toute obligation de céder découlant de la lettre d'intention du 8 septembre 2017, faisant valoir que la seule obligation était celle de négocier de bonne foi sur la base des termes de la lettre d'intention, que la cession n'était donc qu'un projet dont la réussite n'était pas assurée. Ils exposent qu'à la suite de cette lettre les parties ont multiplié les échanges entre septembre 2017 et mars 2018 afin de permettre la mise en place de l'audit et de négocier les termes et conditions des contrats définitifs aux fins de cession, qu'en dépit de ces échanges et alors que la question du financement paraissait en voie d'être résolue des désaccords persistaient sur des points substantiels notamment sur la garantie d'actif et de passif et le pacte d'associés, que chaque nouvelle proposition de M.[E] était dégradée par rapport à la précédente et s'éloignait de la lettre d'intention, que c'est à raison de ces désaccords persistants que M.[L] a annoncé son abandon du projet.

Les parties ne s'accordent pas sur la portée et le caractère contraignant de la lettre d'intention, sur le non respect de laquelle les appelants fondent toutes leurs demandes d'indemnisation. Il doit être souligné que le manquement contractuel imputé aux intimés concerne l'obligation de céder de bonne foi les actions de la société Adele et non celle de s'engager dans les négociations ou de les poursuivre de bonne foi.

Le 8 septembre 2017, M.[L], M.[E] et leurs conseils respectifs ont signé un document intitulé ' Lettre d'intention à l'acquisition d'ADELE' qui confirmait à M.[L] l'intention de M.[E] de procéder à l'acquisition de l'intégralité des titres de la société Adele détenus par Home & Services, par une holding qui sera spécialement constituée à cette occasion, avec pour objectif de pérenniser l'activité de la société, de la développer et d'associer M.[L] au schéma de reprise.

Une 'lettre d'intention', en matière de cession de titres, matérialise habituellement la volonté des parties d'engager ou de poursuivre des négociations et d'encadrer ainsi leurs pourparlers.

Le fait que cette lettre d'intention soit signée par les deux parties ne démontre pas en soi un engagement de la part du détenteur des titres de céder ceux-ci à son interlocuteur.

Les appelants soutiennent cependant que cet intitulé ne lie pas le juge et qu'il convient de s'attacher au contenu de ce document pour en apprécier la valeur engageante.

L'article 20 de la lettre d'intention, stipule que ' La seule obligation qui résulte de la signature des présentes est une obligation de négocier de bonne foi sur la base des termes de la présente'.

Les appelants déduisent à tort de cet article que l'obligation de négocier de bonne foi implique l'obligation de respecter les stipulations contractuelles et engage irrévocablement Home& Services à céder les titres d'Adele, alors qu'il résulte de cette disposition dépourvue d'ambiguïté, insérée in fine, donc après l'énoncé des différentes clauses encadrant le projet de cession, que l'obligation de bonne foi se rapporte à 'une obligation de négocier', laquelle ne se confond pas avec une obligation beaucoup plus engageante de céder de bonne foi les titres.

Plusieurs autres clauses de la lettre d'intention confortent la limitation de l'engagement à celui de la négociation.

Ainsi, l'article 11 prévoit à compter de la signature de la lettre d'intention qu'un audit juridique, comptable, fiscal et social sera programmé sur les comptes 2015, 2016 et le budget 2017, que les conseils et auditeurs auront accès à l'ensemble des document suivant une liste à remettre préalablement, et qu' 'A l'issue de ces audits, un projet d'acte de cession des titres ainsi qu'un projet de garantie d'actif et de passif seront établis'.

L'article 14 'conditions préalables' est rédigé comme suit: ' La transaction est soumise aux conditions préalables suivantes : 1.Visite des locaux/ 2.Résultat d'audit satifaisant pour l'acquéreur/ 3.Rencontre des Hommes Clés en présence de M.[G] [L]y/ 4.Accord des parties sur la documentation juridique'. Ces conditions préalables, particulierement celle relative à la réalisation d'un audit, distinctes de la condition suspensive liée au financement de l'opération prévue dans une clause spécifique (article 15), que les appelants qualifient à tort de 'simple clause de style', corroborent l'analyse qu'au jour de la signature de la ' lettre d'intention', les parties en étaient toujours au stade des négociations, fussent-elles avancées.

Les résultats de l'audit avaient d'ailleurs vocation à influer sur les modalités de la garantie d'actif et de passif, dont l'article 10 stipule qu'elle sera requise du cédant. En effet, la clause prévoit que le plafond de la garantie d'un maximum de 20% du prix de cession pourra être réduit en fonction des résultats de l'audit, de même que sa dégressivité sur 3 ans.

Par ailleurs, dans le cadre de l'opération envisagée, il était proposé à M.[L], via Home& Services (article 12), d'accompagner cette reprise par un investissement au sein d'une société holding Newco créée pour l'occasion par M.[E], avec un Pacte d'associés à conclure entre Home& Services et M.[E], dont il est précisé qu'il comprendra quatre clauses habituelles : une clause anti-dilution pour Home& Services, des droits de sortie conjointe, et le fait que Newco n'aura d'autre activité que la détention des titres d'Adèle sauf accord préalable de Home & Services.

Ni le pacte d'associé, ni la garantie d'actif et de passif n'accompagnaient la lettre d'intention, seuls le principe et les lignes directrices de ces futures conventions étant exposés.

C'est également à juste titre que M.[L] et Home & Services font valoir que la présence de clauses d'exclusivité ( article 19) et de confidentialité ( alinéa 1er de l'article 20) dans la lettre d'intention n'avaient pas de raison d'être si l'acte valait cession sous condition suspensive.

Il ressort également des échanges intervenus durant les huit mois qui ont suivi la lettre d'intention que les modalités de cession ont continué d'évoluer sur des points essentiels tels que les modalités financières.

Ainsi, alors que la lettre d'intention envisageait un prix global pour 100% des titres d'Adele de 9.473.000 euros, dont une partie fixe de 8.723.000 euros et un complément de prix de 750.000 euros sous réserve de la trésorerie nette de référence corrigée du besoin en fonds de roulement, payable dans les 30 jours suivant l'assemblée générale approuvant les comptes 2017, il était évoqué dans les échanges ultérieurs, un prix forfaitaire et définitif de 8.830.000 euros payable comptant le jour de la cession à hauteur de 8.050.000 euros et le solde au moyen d'un crédit vendeur de 780.000 euros en trois échéances annuelles ( 16 décembre 2021/ 2022 et 2023), puis en dernier lieu un prix de seulement 8.050.000 euros.

Les appelants soutiennent vainement dans ce contexte, que la lettre d'intention concrétisait un accord des parties sur la chose et le prix.

Le projet de garantie d'actif et de passif entre Home & Services et la société Dakota, le projet de pacte d'associés entre les sociétés Tifalya et Home & Services,ainsi que le protocole de cession des titres d'Adèle entre les sociétés Home & Services et Dakota étaient encore, dans le dernier état des échanges, amendés sur de nombreux points.

Dans son mail du 21 mars 2018, l'avocat de M.[L] insistait d'ailleurs sur le fait qu'en l'état du dossier il subsistait de nombreux points de désaccords entre les parties portant sur la garantie d'actif et de passif, le contrat de cession et le pacte d'actionnaires qui devaient pourtant recueillir l'entier accord des parties, avant le closing.

Il résulte de ces éléments convergents que, conformément à son intitulé et à son article 20, la lettre d'intention n'engageait les signataires qu'à poursuivre leurs négociations de bonne foi en vue de trouver un accord sur le projet de cession et ne vaut pas engagement ferme de cession des titres de la société Adele.

L'emploi du futur de l'indicatif ou du présent dans les clauses de la lettre d'intention n'est pas de nature à remettre en cause cette analyse, étant observé que le conditionnel est aussi utilisé en page 5 ' l'opération de reprise consisterait en l'acquisition de 100% des titres d'ADELE par un holding qui sera spécialement constitué pour l'occasion'.

Il s'ensuit que les appelants n'établissent pas que M.[L] et Home & Services ont manqué à une obligation contractuelle de céder les titres de la société Adele. Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il a débouté les sociétés Dakota, Mamaloha, Tifalya, M.[E], et Mme [F] de toutes leurs demandes.

- Sur la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive

M.[L] et Home & Services sollicitent la condamnation solidaire des appelants au paiement de 100.000 euros pour procédure abusive, en faisant valoir que c'est de mauvaise foi que ces derniers ont tenté d'obtenir des indemnisations exorbitantes sur la base d'une lettre d'intention qu'ils savaient non engageante, que la cessation des négociations est imputable à ces derniers puisqu'ils ont soumis des offres s'éloignant de plus en plus des termes de la lettre d'intention, les contraignant à passer beaucoup de temps sur cette opération et à exposer de nombreux frais, et que la désorganisation de l'entreprise en résultant a entrainé une baisse du chiffre d'affaires de la société Adele au cours de l'exercice 2018.

Si la procédure engagée par M.[E] et ses sociétés apparait quelque peu téméraire au regard de la portée de la lettre d'intention, il n'est pas pour autant établi que ceux-ci n'avaient pas en définitive l'intention d'acquérir, M.[L] ayant abandonné le projet de cession au vu des désaccords persistants sur des points majeurs du projet.

Quant à la baisse du chiffre d'affaires de la SAS Adele de - 3,85 % entre les exercices 2017 et 2018, les éléments aux débats ne permettent pas de faire le lien ni avec une désorganisation de l'entreprise, ni avec l'échec des négociations, la non concrétisation d'un projet de cession faisant partie de la vie des affaires.

Les frais exposés par les appelants pour assurer le défense de leurs intérêts seront examinés ci-après sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté M.[L] et Home & Services de leur demande de dommages et intérêts pour procédure abusive.

- Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

Les sociétés Dakota, Mamaloha et Tifalya ainsi que M.[E] et

Mme [F] seront condamnés in solidum aux entiers dépens de première instance, le jugement étant confirmé de ce chef, et d'appel. Les appelants ne peuvent de ce fait prétendre au paiement d'une indemnité procédurale en application de l'article 700 du code de procédure civile.

La cour confirme les condamnations prononcées par le tribunal au titre de l'article 700 du code de procédure civile et y ajoutant condamne in solidum les appelants à payer à M.[L] et Home & Services, pris ensemble une indemnité de 10.000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en appel.

PAR CES MOTIFS

Confirme le jugement en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Déclare recevable la demande d'indemnisation présentée par les sociétés Mamaloha et Tifalya, ainsi que par M.[E] et Mme [F] au titre des frais exposés,

Déboute les sociétés Dakota, Mamaloha et Tifalya ainsi que M.[E] et Mme [F] de leur demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne in solidum les sociétés Dakota, Mamaloha et Tifalya ainsi que M.[E] et Mme [F] à payer à M.[L] et à la société Home& Services, pris ensemble, une indemnité procédurale de 10.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne in solidum les sociétés Dakota, Mamaloha et Tifalya ainsi que M.[E] et Mme [F] aux dépens d'appel.

La greffière,

Liselotte FENOUIL

La Présidente,

Marie-Chrisine HÉBERT-PAGEOT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 8
Numéro d'arrêt : 19/16095
Date de la décision : 03/11/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-11-03;19.16095 ?
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