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26/10/2022 | FRANCE | N°21/08081

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 2 - chambre 7, 26 octobre 2022, 21/08081


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 2 - Chambre 7



ARRET DU 26 OCTOBRE 2022



(n° 26/2022, 10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/08081 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CDSBS



Décision déférée à la cour : Jugement du 12 avril 2021 -Tribunal judiciaire d'EVRY RG n° 17/08038





APPELANTE



S.A.S. SOCIETE FRANCAISE DE MAISONS INDIVIDUELLES venant aux droits des sociétés AISH et ARIA,

immatriculée au RCS de ROMANS, prise en la personne de son président en exercice

[Adresse 1]

[Adresse 1]

N° SIRET : 350 80 5 3 96



Représentée par Maître Marie-Dominique HYEST de l...

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 2 - Chambre 7

ARRET DU 26 OCTOBRE 2022

(n° 26/2022, 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/08081 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CDSBS

Décision déférée à la cour : Jugement du 12 avril 2021 -Tribunal judiciaire d'EVRY RG n° 17/08038

APPELANTE

S.A.S. SOCIETE FRANCAISE DE MAISONS INDIVIDUELLES venant aux droits des sociétés AISH et ARIA, immatriculée au RCS de ROMANS, prise en la personne de son président en exercice

[Adresse 1]

[Adresse 1]

N° SIRET : 350 80 5 3 96

Représentée par Maître Marie-Dominique HYEST de la SCP COHEN-HYEST, avocat au barreau d'ESSONNE, avocat postulant

Assistée de Maître Sébastien PLUNIAN de la SELARL Cabinet PLUNIAN, avocat au barreau de la DROME, avocat plaidant

INTIMEE

ASSOCIATION D'AIDE AUX MAÎTRES D'OUVRAGE INDIVIDUELS représentée par son président en exercice domicilié audit siège en cette qualité

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentée et assistée par Maître Karl SKOG, avocat au barreau de PARIS, toque : E1677, avocat postulant et plaidant

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 28 septembre 2022, en audience publique, devant la cour composée de :

M. Jean-Michel AUBAC, Président

Mme Anne RIVIERE, Assesseur

Mme Anne CHAPLY, Assesseur

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Mme [U] dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme Margaux MORA

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Jean-Michel AUBAC, Président, et par Margaux MORA, Greffier, présente lors de la mise à disposition.

EXPOSE DU LITIGE

Vu l'assignation délivrée le 15 décembre 2017 par les sociétés AISH et ARIA, aux droits desquelles vient la SAS société française de maisons individuelles (ci-après SFMI), à l'encontre de l'association d'aide aux maîtres d'ouvrage individuels (AAMOI) devant le tribunal de grande instance d'Évry, devenu le tribunal judiciaire d'Évry-Courcouronnes, au visa des articles 1240 du code civil et L.131-2 du code de la consommation, aux fins de :

1. Aux termes de cette assignation, il était demandé au tribunal de,

- constater que l'action entreprise par les sociétés AISH et ARIA, aux droits desquelles vient la SOCIÉTÉ FRANÇAISE DE MAISONS INDIVIDUELLES, à l'encontre de l'AAMOI est fondée sur les dispositions de l'article 1240 du code civil,

- dire et juger que l'action entreprise par les sociétés AISH et ARIA, aux droits desquelles vient la SOCIÉTÉ FRANÇAISE DE MAISONS INDIVIDUELLES, n'entre pas dans les prévisions de la loi du 29 juillet 1881 sur la presse,

- dire et juger que l'acte introductif d'instance n'avait pas à respecter le formalisme prévu par la loi du 29 juillet 1881 sur la presse,

- rejeter en conséquence l'exception de nullité soulevée par l'AAMOI,

- dire et juger que le classement établi et diffusé par l'AAMOI sous l'appellation 'TOP CONSTRUCTEUR' n'est pas conforme aux obligations d'objectivité et de prudence qu'elle se doit de respecter,

- condamner l'AAMOI à supprimer ce classement de son site internet et à faire supprimer toute référence à ce dernier sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard à compter de l'expiration d'un délai de 8 jours suivant la signification du jugement à intervenir,

- interdire à l'AAMOI tout usage, diffusion ou reproduction de ce classement sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard à compter de l'expiration d'un délai de 8 jours suivant la signification du jugement à intervenir,

- condamner l'AAMOI à verser à la SOCIÉTÉ FRANÇAISE DE MAISONS INDIVIDUELLES une indemnité de 1 592 500 euros en réparation du préjudice commercial occasionné à la société AISH par l'établissement et la diffusion du classement 'TOP CONSTRUCTEUR',

- condamner l'AAMOI à verser à la SOCIÉTÉ FRANÇAISE DE MAISONS INDIVIDUELLES une indemnité de 1 592 500 euros en réparation du préjudice commercial occasionné à la société ARIA par l'établissement et la diffusion du classement 'TOP CONSTRUCTEUR',

- condamner l'AAMOI à verser à la SOCIÉTÉ FRANÇAISE DE MAISONS INDIVIDUELLES une indemnité de 10 000 euros en réparation du préjudice moral occasionné par l'établissement et la diffusion du classement,

- ordonner à l'AAMOI de publier le dispositif du jugement à intervenir sur la page d'accueil de son site internet pendant une durée de 24 mois en s'assurant de la parfaite visibilité de cette publication, dans un délai de 8 jours à compter de la signification de la décision, sous astreinte de 1 000 euros par manquement constaté,

- rejeter l'ensemble des demandes, fins et conclusions de l'AAMOI,

- ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir,

- condamner l'AAMOI à verser à la SOCIÉTÉ FRANÇAISE DE MAISONS INDIVIDUELLES une indemnité de 6 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure pénale,

- condamner la même aux entiers dépens de l'instance.

2. L'AAMOI avait sollicité, en réplique :

À titre principal,

- qu'il soit dit que les faits poursuivis par la société SFMI venant aux droits des sociétés ARIA et AISH auraient dû l'être, non pas sur les dispositions de l'article 1240 du code civil, mais sur le fondement des dispositions des articles 29, alinéa 1er, et 32, alinéa 1er, de la loi du 29 juillet 1881,

- que les faits soient requalifiés en ce sens, sur le fondement des dispositions de l'article 12 du code de procédure civile,

En conséquence,

- que la nullité de l'acte extrajudiciaire délivré le 15 décembre 2017 à l'AAMOI, en application des dispositions de l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881, soit prononcée,

- à défaut, que l'action soit déclarée prescrite à compter du 15 mars 2018, en application des dispositions de l'article 65, alinéa 1er, de la loi du 29 juillet 1881,

À titre subsidiaire,

- qu'il soit dit et jugé que l'AAMOI n'a pas engagé sa responsabilité civile délictuelle envers la société SFMI venant aux droits des sociétés ARIA et AISH,

En conséquence,

- que son action soit déclarée non fondée,

En tout état de cause,

- le débouté de la société SFMI venant aux droits des sociétés ARIA et AISH de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- la condamnation de la société SFMI à payer à l'AAMOI la somme de 10 000 euros de dommages et intérêts, en application des dispositions de l'article 1240 du code civil,

- qu'il soit enjoint à la société SFMI d'avoir à publier le dispositif de la décision à intervenir sur les pages d'accueil de chacune de ses marques de façon parfaitement visible dans un délai de 15 jours à l'issue de la décision à intervenir et pour une durée de 4 mois sans interruption sous astreinte de 1 000 euros par manquement constaté,

- la condamnation de la société SFMI à payer à l'AAMOI une somme de 8 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens de la présente instance et de ses suites, dont le recouvrement pourra être effectué par Maître Karl Fredrik SKOG, avocat au barreau de Paris, en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

3. Le tribunal par jugement du 12 avril 2021, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en premier ressort, a :

- déclaré recevable l'action de la SAS SOCIÉTÉ FRANÇAISE DE MAISONS INDIVIDUELLES, venant aux droits des sociétés AISH et ARIA, sur le fondement de l'article 1240 du code, civil ;

- débouté la SAS SOCIÉTÉ FRANÇAISE DE MAISONS INDIVIDUELLES, venant aux droits des sociétés AISH et ARIA, de ses demandes d'indemnisation ;

- débouté l'ASSOCIATION D'AIDE AUX MAÎTRES D'OUVRAGE INDIVIDUELS de sa demande reconventionnelle de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

- débouté l'ASSOCIATION D'AIDE AUX MAÎTRES D'OUVRAGE INDIVIDUELS de sa demande de publication du présent dispositif ;

- condamné la SAS SOCIÉTÉ FRANÇAISE DE MAISONS INDIVIDUELLES, venant aux droits des sociétés AISH et ARIA aux dépens ainsi qu'à verser à l'ASSOCIATION D'AIDE AUX MAÎTRES D'OUVRAGE INDIVIDUELS une somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- autorisé Maître [J] [T] [P] à recouvrer sur la partie condamnée ceux des dépens dont il aurait fait l'avance sans avoir reçu provision en application de l'article 699 du code de procédure civile ;

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.

Vu l'appel interjeté par le 26 avril 2021 par la SAS SOCIÉTÉ FRANÇAISE DE MAISONS INDIVIDUELLES ;

Vu les dernières conclusions notifiées par celle-ci le 11 janvier 2022 ;

4. Aux termes de celles-ci, l'appelante demande à la cour de,

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré recevable l'action entreprise par les sociétés AISH et ARIA,

- débouter l'AAMOI de ses demandes reconventionnelles,

- infirmer le jugement entrepris pour le surplus,

Puis, statuant à nouveau et y ajoutant,

- dire et juger que le classement établi et diffusé par l'AAMOI sous l'appellation 'TOP CONSTRUCTEUR' n'est pas conforme aux obligations d'objectivité et de prudence qu'elle se doit de respecter ;

- condamner l'AAMOI à supprimer ce classement de son site internet et à faire supprimer toute référence à ce dernier sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard à compter de l'expiration d'un délai de 8 jours suivant la signification du jugement à intervenir ;

- interdire à l'AAMOI tout usage, diffusion ou reproduction de ce classement sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard à compter de l'expiration d'un délai de 8 jours suivant la signification du jugement à intervenir ;

- condamner l'AAMOI à verser à la SOCIÉTÉ FRANÇAISE DE MAISONS INDIVIDUELLES une indemnité de 1 592 500 euros en réparation du préjudice commercial occasionné à la société AISH par l'établissement et la diffusion du classement 'TOP CONSTRUCTEUR' ;

- condamner l'AAMOI à verser à la SOCIÉTÉ FRANÇAISE DE MAISONS INDIVIDUELLES une indemnité de 1 592 500 euros en réparation du préjudice commercial occasionné à la société ARIA par l'établissement et la diffusion du classement 'TOP CONSTRUCTEUR' ;

- condamner l'AAMOI à verser à la SOCIÉTÉ FRANÇAISE DE MAISONS INDIVIDUELLES une indemnité de 10 000 euros en réparation du préjudice moral occasionné par l'établissement et la diffusion du classement ;

- ordonner à l'AAMOI de publier le dispositif du jugement à intervenir sur la page d'accueil de son site internet pendant une durée de 24 mois en s'assurant de la parfaite visibilité de cette publication, dans un délai de 8 jours à compter de la signification de la décision, sous astreinte de 1 000 euros par manquement constaté ;

- débouter l'AAMOI de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

- condamner l'AAMOI à verser à la SOCIÉTÉ FRANÇAISE DE MAISONS INDIVIDUELLES une indemnité de 10 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance ;

Vu les dernières conclusions notifiées le 24 mai 2022, par l'intimée ;

5. Celle-ci demande à la cour, à titre principal, de,

- réformer le jugement rendu le 12 avril 2021 par le tribunal judiciaire d'Evry-Courcouronnes en ce qu'il a déclaré recevable l'action de la société SFMI venant aux droits des sociétés ARIA et AISH sur le fondement de l'article 1240 du code civil ;

statuant à nouveau de ce chef,

- juger que les faits poursuivis par la société SFMI venant aux droits des sociétés ARIA et AISH auraient dû l'être, non pas sur les dispositions de l'article 1240 du code civil, mais sur le fondement des dispositions des articles 29, alinéa 1er, et 32, alinéa 1er de la loi du 29 juillet 1881 ;

- requalifier les faits en ce sens, en application des dispositions de l'article 12 du code de procédure civile ;

- en conséquence, prononcer la nullité de l'acte extrajudiciaire délivré le 15 décembre 2017 à l'AAMOI, en application des dispositions de l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881 ;

- à défaut, déclarer l'action prescrite à compter du 15 mars 2018, en application des dispositions de l'article 65, alinéa 1er, de la loi du 29 juillet 1881 ;

à titre subsidiaire,

- juger que l'AAMOI n'a pas engagé sa responsabilité civile délictuelle envers la société SFMI venant aux droits des sociétés ARIA et AISH ;

- en conséquence, confirmer le jugement rendu le 12 avril 2021 par le tribunal judiciaire d'Evry-Courcouronnes en ce qu'il a débouté la société SFMI de l'ensemble de ses demandes formées contre l'AAMOI ;

en tout état de cause,

- débouter la société SFMI venant aux droits des sociétés ARIA et AISH de l'ensemble de ses prétentions, fins et conclusions ;

- réformer le jugement rendu le 12 avril 2021 par le tribunal judiciaire d'Evry-Courcouronnes en ce qu'il a débouté l'AAMOI de ses demandes de dommages et intérêts pour procédure abusive et de publication du dispositif de la décision ;

statuant à nouveau de ces chefs,

- condamner la société SEMI à payer à l'AAMOI la somme de 25 000 euros de dommages et intérêts, en application des dispositions de l'article 1240 du code civil ;

- enjoindre la société SEMI d'avoir à publier le dispositif de la décision à intervenir sur les pages d'accueil de chacune de ses marques commerciales de façon parfaitement visible dans un délai de 15 jours à l'issue de la décision à intervenir et ce, pour une durée de quatre mois sans interruption sous astreinte provisoire de 1 000 euros par manquement constaté ;

pour le surplus,

- confirmer le jugement rendu le 12 avril 2021 par le tribunal judiciaire d'Evry-Courcouronnes ;

y ajoutant,

- condamner la société SEMI à payer à l'AAMOI une somme de 8 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société SEMI aux entiers dépens d'appel et de ses suites, dont le recouvrement pourra être effectué par Maître Karl Fredrik SKOG, avocat au barreau de Paris, en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Vu l'ordonnance de clôture en date du 29 juin 2022 ;

Vu l'article 455 du code de procédure civile ;

Rappel des faits et des motifs du jugement

6. L'association d'aide aux maîtres d'ouvrage individuels (ci-après désignée AAMOI), association de défense des intérêts des consommateurs, se présente comme une association qui s'adresse à toute personne concernée par un projet de construction de maison individuelle répondant au cadre légal du contrat de construction de maison individuelle (CCMI). Elle propose, notamment, sur son site en ligne, un classement des constructeurs.

7. Estimant que ce classement manquait d'objectivité et de prudence, les sociétés AISH (AMBITION ISERE SAVOIE) et ARIA (AMBITION LOIRE AIN LYONNAIS), aux droits desquelles vient la SAS société française de maisons individuelles (ci-après SFMI) ont engagé sa responsabilité sur le fondement d'une action en dénigrement.

8. Le tribunal judiciaire d'Evry-Courcouronnes a, sur la demande reconventionnelle de la défenderesse de requalification en action en diffamation, considéré que ce sont bien les produits et services et notamment les clauses contractuelles de ses sociétés que l'association critique dans son classement et qu'en conséquence, il n'y avait pas lieu de requalifier l'action.

9. Sur la responsabilité, le tribunal a considéré que figure en en-tête du classement critiqué une légende des codes couleurs utilisés, que la page d'accueil contient une information précisant que le classement TOP constructeur et la couleur attribuée traduisent le sentiment de l'association et que 'la côte AAMOI des constructeurs' explique de manière particulièrement détaillée les éléments pris en compte pour les cotations des constructeurs. Il en a déduit que la SEMI n'est pas fondée à reprocher à l'AAMOI le manque de transparence de ses critères de cotation, ni l'absence de mécanisme de pondération, considérant que l'intégralité des contrats de la demanderesse avaient été concernés par la censure judiciaire.

10. Les premiers juges ont également relevé que le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Lyon le 22 juin 2016 a sanctionné quatre pratiques, treize clauses de leur contrat de construction ainsi que deux clauses de leur notice descriptive qui ont été déclarées illicites, qu'il a été confirmé par la cour d'appel de Lyon dans son arrêt du 24 avril 2018 et que le pourvoi a fait l'objet d'une ordonnance de radiation du 6 décembre 2018, confirmée par ordonnance du 27 février 2020.

11. Ils en ont conclu que le classement litigieux est fondé sur des éléments objectifs indiscutables en ce qu'ils sont étayés sur des décisions de justice de sorte qu'il ne peut être reproché à la défenderesse un manque de prudence et d'objectivité au titre de son classement et que l'AAMOI n'a pas commis de faute de dénigrement à l'encontre des sociétés AISH et ARIA, aux droits desquelles vient la SAS SFMI.

SUR CE,

Sur la qualification de l'action et la validité de l'assignation

12. Il est constant que les abus de la liberté d'expression prévus et réprimés par la loi du 29 juillet 1881 ne peuvent être réparés sur le fondement de l'article 1382 du code civil devenu l'article 1240 du même code, toutefois, les appréciations, mêmes excessives, touchant les produits, les services ou les prestations d'une entreprise industrielle ou commerciale n'entrent pas dans les prévisions de l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881, dès lors qu'elles ne concernent pas une personne physique ou morale déterminée.

13. Il en résulte que les propos portant atteinte à l'honneur ou à la considération d'une personne physique ou morale déterminée relèvent exclusivement de la loi du 29 juillet 1881, tandis que les propos dépréciant des produits ou services commercialisés par cette dernière ne peuvent être sanctionnés que sur le terrain de l'article 1382 du code civil. En effet, le dénigrement de produits ou services constitue un 'abus spécifique de la liberté d'expression', de sorte qu'il demeure possible d'engager la responsabilité de l'auteur d'une critique excessive de produits ou services sur le fondement de l'article 1382 du code civil.

14. Par ailleurs, même en l'absence d'une situation de concurrence directe effective entre les personnes concernées, la divulgation par l'une d'une information de nature à jeter le discrédit sur un produit commercialisé par l'autre, peut constituer un acte de dénigrement.

15. En l'espèce, les sociétés AISH et ARIA, aux droits desquelles vient la SAS SFMI, ont délivré une assignation à l'AAMOI aux fins d'obtenir du tribunal qu'il juge que le classement établi et diffusé par l'AAMOI sous l'appellation 'TOP CONSTRUCTEUR' n'est pas conforme aux obligations d'objectivité et de prudence qu'elle se doit de respecter.

16. L'AAOMI a en effet diffusé sur son site en ligne un classement des constructeurs, intitulé 'TOP CONTRUCTEUR' attribuant des notes aux différents constructeurs.

17. Dans un document intitulé 'la côte AAMOI des constructeurs' établi en septembre 2017, il est indiqué que cette notation tient compte d'une part de points positifs tels que les notes positives émises par les adhérents, des solutions trouvées à un litige, de la signature de la charte AAMOI et d'autre part des points négatifs tels que des clauses illicites du contrat type et de la notice descriptive type du constructeur, des pratiques illicites et d'une attitude négative vis-à-vis du maître de l'ouvrage, d'un refus de médiation ou encore des notes données par les adhérents.

18. Par ailleurs, les fiches consacrées aux sociétés AISH et ARIA font état de manière chronologique des clauses et pratiques que l'AAMOI considèrent comme litigieuses, l'insertion d'un droit de réponse et les demandes faites par l'AAMOI aux sociétés.

19. Les extraits mentionnent également la condamnation de ces sociétés par le tribunal de grande instance de Lyon du 22 juin 2016 qui a sanctionné certaines de leurs pratiques commerciales et clauses contractuelles.

20. C'est donc à bon droit que le tribunal en a déduit que les propos publiés par l'association AAOMI, dans son classement TOP CONSTRUCTEUR, concernent exclusivement les pratiques et clauses insérées aux contrats des sociétés AISH et ARIA de sorte que les éléments constitutifs de diffamation publique ne sont pas réunis et qu'en conséquence il n'y a pas lieu de requalifier l'action en dénigrement en action en diffamation.

21. Dès lors, la citation n'encourt pas la nullité au visa des articles de la loi du 29 juillet 1881.

Sur la responsabilité de l'AAMOI

22. S'il était constant qu'une association se devait de respecter une obligation d'objectivité et de prudence dans l'information qu'elle délivrait, il est aujourd'hui admis qu'en application de l'article 10 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme, lorsque l'information en cause se rapporte à un sujet d'intérêt général et repose sur une base factuelle suffisante, cette divulgation relève du droit à la liberté d'expression qui inclut le droit de libre critique et ne saurait dès lors être regardée comme fautive, sous réserve qu'elle soit exprimée avec une certaine mesure.

23. En l'espèce, il n'est pas contesté que l'information délivrée par l'AAMOI sur son site se rapporte à un sujet d'intérêt général dès lors qu'elle vise à informer les consommateurs sur les pratiques commerciales et les clauses contractuelles des constructeurs de maisons individuelles.

24. Dans le document intitulé 'la côte AAMOI des constructeurs' établi en septembre 2017 et précité, il est indiqué que cette notation tient compte d'une part de points positifs tels que les notes positives émises par les adhérents, des solutions trouvées à un litige, de la signature de la charte AAMOI et d'autre part des points négatifs tels que des clauses illicites du contrat type et de la notice descriptive type du constructeur, des pratiques illicites et d'une attitude négative vis-à-vis du maître de l'ouvrage, d'un refus de médiation ou encore des notes données par les adhérents. 4 couleurs sont attribuées en fonction de la notation : de constructeur recommandé (vert) jusqu'à constructeur déconseillé (noir).

25. Figure en-tête de l'édition du 5 juin 2018 la mention 'nous avons relevé des anomalies graves et/ou fréquentes dans leur contrat ou dans leur comportement. Constructeur vivement déconseillé' reprenant ainsi la mention figurant en-tête de l'édition du 1er décembre 2017 : 'Anomalies graves. Constructeur vivement déconseillé'.

26. La page d'accueil du classement TOP CONSTRUCTEUR mentionne : 'Le classement TOP constructeur et la couleur attribuée traduisent notre sentiment tel qu'il ressort de divers critères, qui tiennent compte du contrat et des pratiques connues, mais aussi surtout du traitement des difficultés qui sont survenues et éventuellement des réponses apportées à nos sollicitations. Les détails de tous les critères qui peuvent influencer la cote d'un constructeur sont présentés dans le fichier en téléchargement.'

27. Par ailleurs, dans les extraits relatifs aux sociétés AISH et ARIA, le classement critiqué leur attribue la plus mauvaise des quatre cotations proposées, matérialisée par une maison de couleur noire et ce, dans les deux éditions. Figure en en-tête de chacune de ces deux éditions la légende des codes couleurs utilisés, la couleur noire étant ainsi présentée :

- le 1er décembre 2017 : 'Anomalies graves, Constructeur vivement déconseillé.'

- le 5 juin 2018 : 'Nous avons relevés des anomalies graves et/ou fréquentes dans leur contrat ou dans leur comportement. Constructeur vivement déconseillé.'

28. Le classement réalisé par l'AAMOI est donc fonction de critères détaillés dans ce document et répond à un souci de transparence. L'appelante rétorque que ce classement part du classement précédent lequel avait été établi selon des critères et des éléments inconnus.

29. Cependant, s'il est vrai qu'aucun document antérieur exposant les critères de l'AAMOI n'est produit, il suffit de se reporter aux extraits consacrés à chacune des sociétés et établis chronologiquement depuis 2012 pour constater que l'AAMOI a pris en considération pour sa classification le caractère licite ou non des clauses contractuelles et des pratiques des constructeurs, ce qui constitue des critères objectifs.

30. Ces fiches sont chronologiques, elles y mentionnent les clauses et pratiques que l'AAMOI considère comme litigieuses avec la mention 'sous réserve de l'appréciation souveraine des tribunaux', l'insertion d'un droit de réponse et les demandes faites par l'AAMOI aux sociétés critiquées.

31. Les extraits mentionnent également, comme l'a relevé le jugement, la condamnation de ces sociétés par le tribunal de grande instance de Lyon du 22 juin 2016, saisi par l'AAMOI aux fins de voir jugées abusives une vingtaine de clauses contenues dans les conditions particulières, les conditions générales et la notice descriptive des sociétés Ambition Loire Ain Lyonnais et Ambition Isère Savoie (devenues ARIA et AISH) ainsi que certaines de leurs pratiques.

32. Cette décision a :

- déclaré illicite la signature prématurée du CCMI tel qu'établi par les sociétés ARIA et AISH,

- déclaré illicites les pratiques suivantes :

ofaire signer une promesse d'achat aux sociétés du groupe Teber avenir alors que la SAS Ambition Loire Ain Lyonnais et Ambition Isère Savoie n'ont aucun droit sur ledit terrain,

ose faire remettre un dépôt de garantie libellé à leur ordre,

oexiger la rétractation de tous les cocontractants pour anéantir le contrat de construction,

oà ne pas notifier le contrat de façon claire et non ambiguë,

- déclaré illicites les clauses suivantes : articles 10, 12, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 21, 22, 23, 28 et 31,

- rappelé aux sociétés l'exigence de normalisation de leur contrat conformément aux dispositions de l'article L231-2g et L231-4 du code de la construction,

- dit que la notice descriptive n'est pas conforme quant à sa clause IMPLANTATION,

- dit que la clause 1.2.3 de la notice viole le caractère forfaitaire du prix du contrat.

33. Il résulte de la lecture de la décision que treize clauses de leur contrat de construction ainsi que deux clauses de leur notice descriptive ont été déclarées illicites.

34. Si en effet, les sociétés ont modifié la rédaction de certaines en totalité ou partiellement des clauses sanctionnées avant même la décision du tribunal, au moins 6 étaient toujours présentes dans leur contrat au moment des débats. Surtout, l'AAMOI renvoie dans sa fiche à la décision judiciaire, laquelle mentionne les clauses qui ont été supprimées.

35. La cour d'appel de Lyon a rendu un arrêt le 24 avril 2018 confirmant partiellement le jugement, y ajoutant comme abusives les clauses 6, 11, 26, 27 et 33 dans des versions soit de 2012, 2014 ou 2016.

36. L'AAMOI avait donc suffisamment d'éléments factuels pour justifier son classement, sans qu'il soit utile de prendre en considération les différentes attestations d'adhérents qui sont au demeurant postérieures au classement critiqué. Quant au manque de pondération reproché par l'appelante, l'association a rappelé les critères qu'elle a retenus, en précisant qu'ils n'engageaient qu'elle et qu'elle laissait aux lecteurs la possibilité de se faire un avis à partir de ces critères, que son appréciation des pratiques et clauses litigieuses était 'sous réserve de l'appréciation souveraine des tribunaux' et laissait place à la contradiction dans la mesure où les sociétés AISH et ARIA ont pu faire publier un droit de réponse dans leur fiche de classement.

37. Surtout, comme l'a relevé le tribunal judiciaire d'Evry, la sanction des pratiques et clauses concernait l'ensemble des contrats des sociétés critiqués, peu importe le nombre de transactions que celles-ci ont réalisées par rapport à d'autres constructeurs.

38. Comme l'avait relevé la cour d'appel de Paris dans un arrêt du 31 janvier 2018 versé aux débats, décision rendue dans le cadre d'un litige identique opposant l'AAMOI à un autre constructeur, 'le classement litigieux n'a que la portée de faire valoir un point de vue, ledit classement n'ayant aucune incidence légale ou réglementaire et que l'association n'a commis aucune faute car ce classement est le résultat de la constatation de faits judiciairement constatés comme effectifs'.

39. À partir de ces éléments factuels et expressément cités par l'association dans son classement, il ne peut lui être fait grief de ne pas avoir relaté l'ensemble des décisions judiciaires concernant les sociétés AISH et ARIA rendues notamment dans des dossiers les opposant à des particuliers, dès lors que l'intérêt même de la décision de la juridiction lyonnaise était qu'elle se prononçait sur l'ensemble des pratiques et clauses contractuelles des sociétés en cause.

40. Les autres pièces produites relatives à la perte de l'agrément de l'association, de ses liens avec un cabinet d'avocat ou encore les décisions de justice qui sont sans lien avec le litige ou rendues antérieurement au jugement du tribunal de grande instance de Lyon du 22 juin 2016 ou postérieurement à l'édition du classement de juin 2018 sont inopérantes dans le cadre du présent litige.

41. En l'absence de faute de l'association, le jugement rendu le 12 avril 2021 par le tribunal judiciaire d'Evry-Courcouronnes sera confirmé en ce qu'il a débouté l'appelante de l'ensemble de ses demandes fondées sur la responsabilité de l'AAMOI.

42. C'est par des motifs pertinents que la cour adopte que le jugement a débouté l'AAMOI de ses demandes de dommages et intérêts pour procédure abusive et de publication du dispositif de la décision. Il sera confirmé de ce chef également.

Sur les demandes accessoires

43. Les premiers juges ont exactement statué sur le sort des dépens et les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile dont ils ont fait une équitable application.

44. En cause d'appel, en équité, il convient de condamner l'appelante à payer à l'AAMOI la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

45. Elle aura également la charge des dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et après en avoir délibéré conformément à la loi,

Confirme le jugement du tribunal judiciaire d'Evry-Courcouronnes du 12 avril 2021 en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Condamne la SAS SOCIÉTÉ FRANÇAISE DE MAISONS INDIVIDUELLES venant aux droits des sociétés AISH et ARIA à payer à l'AAMOI la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,

Condamne la SAS SOCIÉTÉ FRANÇAISE DE MAISONS INDIVIDUELLES venant aux droits des sociétés AISH et ARIA aux dépens de la présente instance en appel et Maître [J] [T] [P] sera autorisé à recouvrer sur la partie condamnée ceux des dépens dont il aurait fait l'avance sans avoir reçu provision en application de l'article 699 du code de procédure civile.

LE PRÉSIDENTLE GREFFIER


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 2 - chambre 7
Numéro d'arrêt : 21/08081
Date de la décision : 26/10/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-10-26;21.08081 ?
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