La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

13/10/2022 | FRANCE | N°19/08909

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 8, 13 octobre 2022, 19/08909


Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 8



ARRET DU 13 OCTOBRE 2022



(n° , 9 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/08909 - N° Portalis 35L7-V-B7D-CAPX5



Décision déférée à la Cour : Jugement du 28 Juin 2019 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° 18/03086





APPELANT



Monsieur [J] [E]

[Adresse 2]

[Localité

4]



Représenté par Me Jeanne BAECHLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0034







INTIMÉE



SASU DERICHEBOURG ENVIRONNEMENT



[Adresse 1]

[Localité 3]



Représentée par Me Matth...

Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 8

ARRET DU 13 OCTOBRE 2022

(n° , 9 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/08909 - N° Portalis 35L7-V-B7D-CAPX5

Décision déférée à la Cour : Jugement du 28 Juin 2019 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° 18/03086

APPELANT

Monsieur [J] [E]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représenté par Me Jeanne BAECHLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0034

INTIMÉE

SASU DERICHEBOURG ENVIRONNEMENT

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 12 Septembre 2022, en audience publique, les avocats ne s'étant pas opposés à la composition non collégiale de la formation, devant Madame Emmanuelle DEMAZIERE, vice-présidente placée, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Madame Sophie GUENIER-LEFEVRE, présidente

Mme Corinne JACQUEMIN, conseillère

Madame Emmanuelle DEMAZIERE, vice-présidente placée, rédactrice

Greffier, lors des débats : Mme Nolwenn CADIOU

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- signé par Madame Sophie GUENIER-LEFEVRE, présidente et par Madame Nolwenn CADIOU, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

Alors qu'il était salarié de la société Sopra HR Software dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée à effet du 1er juillet 2008, M. [J] [E] a travaillé en tant que prestataire pour la société Derichebourg environnement.

Le 15 décembre 2016, il a démissionné de ses fonctions au sein de la société Sopra HR Software.

Par contrat à durée indéterminée du 7 décembre 2016, il a été engagé par la société Derichebourg environnement en qualité de chargé de projet SIRH.

La convention collective applicable à la relation de travail est celle de l'industrie et du commerce de la récupération et du recyclage.

Le 24 janvier 2018, la société Derichebourg environnement a convoqué M. [E] à un entretien préalable fixé au 5 février 2018, lequel a été reporté au 12 février suivant.

Le 22 février 2018, la société Derichebourg environnement a notifié à M. [E] son licenciement pour cause réelle et sérieuse motivé par un dénigrement de sa supérieure hiérarchique et par le non respect des consignes.

Contestant son licenciement, par acte du 23 avril 2018, M. [E] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris.

Par jugement du 28 juin 2019, le conseil de prud'hommes de Paris a :

-dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse,

-condamné la SAS Derichebourg environnement à verser à M. [E] :

*12 308 euros à titre d'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse

*6 154 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice de carrière

avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement,

-1 000 euros au titre de l'article 700 du DU CODE DE PROCÉDURE CIVILE

-débouté M. [E] du surplus de ses demandes,

-débouté la SAS Derichebourg environnement de sa demande reconventionnelle,

-condamné la SAS Derichebourg environnement aux dépens.

Par déclaration du 5 août 2019, M. [E] a interjeté appel.

Dans ses dernières conclusions, notifiées et déposées au greffe par voie électronique le 17 février 2022, M.[E] demande à la Cour :

sur la reprise d'ancienneté :

-d'infirmer la décision du conseil de prud'hommes de Paris en ce qu'il a rejeté sa demande de reprise d'ancienneté,

Sur le licenciement

à titre principal :

-d'infirmer la décision du conseil de prud'hommes en ce qu'il n'a pas retenu la nullité de son licenciement pour les faits de harcèlement moral qu'il a subis,

à titre subsidiaire :

-de confirmer la décision du conseil de prud'hommes en ce qu'il a retenu l'absence de cause réelle et sérieuse de son licenciement,

-d'infirmer la décision du conseil de prud'hommes en ce qu'il a limité les indemnités de licenciement sans cause réelle et sérieuse,

En toute hypothèse sur les autres préjudices :

-d'infirmer la décision du conseil de prud'hommes en ce qu'il a rejeté la demande de préjudice moral,

-de confirmer la décision du conseil de prud'hommes en ce qu'il a retenu le préjudice de carrière,

-d'infirmer la décision du conseil de prud'hommes en ce qu'il a sous-évalué son préjudice de carrière,

en conséquence :

-de constater la reprise d'ancienneté au titre de la Société Sopra HR Software au 1er juillet 2008,

-de constater que M. [E] ainsi que les autres salariés ont subi un harcèlement moral caractérisé,

-de constater que la société Derichebourg a manqué très clairement à ses obligations contractuelles en matière de sécurité et de protection de la santé des salariés,

-de constater la nullité ou à titre subsidiaire l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement,

-de constater l'existence de préjudice moral distinct,

-de constater l'existence d'un préjudice de carrière,

-de condamner la Société Derichebourg au paiement des sommes de :

sur l'indemnité de licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse :

à titre principal :

-150 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement nul (à défaut de réintégration à titre principal),

-50 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement nul en l'absence de reprise d'ancienneté (à défaut de réintégration à titre subsidiaire),

à titre subsidiaire :

-70 767 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (à titre principal),

-15 726 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse en l'absence de reprise d'ancienneté (à titre subsidiaire),

Sur l'indemnité de licenciement :

-21 465 euros à titre de rappel sur indemnité de licenciement,

sur l'indemnité de préavis :

-15 726 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

-1 572,60 euros de congé au titre des congés payés afférents,

sur les préjudices distincts :

-40 000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité de moyens renforcée en matière de harcèlement moral et manquement à la bonne foi,

-40 000 euros au titre du préjudice moral,

-30 000 euros au titre d'indemnité pour préjudice de carrière,

Sur l'article 700 du Code de procédure civile et les dépens :

-3 000 euros à titre d'indemnité au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

-les entiers dépens.

-d'ordonner les intérêts de droit à compter de l'introduction de la demande et l'anatocisme.

Dans ses dernières conclusions notifiées et déposées au greffe par voie électronique le 30 janvier 2020, la société Derichebourg environnement demande à la Cour :

-de la recevoir en son appel incident,

à titre principal :

-de confirmer le jugement du conseil de prud'hommes en ce qu'il a rejeté la demande de M.[E] sur sa reprise d'ancienneté,

-de confirmer le jugement du conseil de prud'hommes en ce qu'il a jugé qu'aucune situation de harcèlement moral et de violation de l'obligation de prévention de sécurité de résultat en matière de santé physique et mentale au travail à l'égard de la salariée n'était caractérisée,

-de confirmer le jugement du conseil de prud'hommes en ce qu'il n'a pas retenu la nullité du licenciement de M. [E],

-d'infirmer le jugement en ce qu'il a retenu l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement de M. [E],

-de confirmer le jugement en ce qu'il n'a pas retenu l'exigence d'un préjudice moral distinct,

-d'infirmer le jugement en ce qu'il a reconnu l'existence d'un préjudice de carrière,

-d'infirmer le jugement en ce qu'il l'a condamnée au paiement de la somme de 1 000 euros à M. [E] au titre d'un article 700 du Code de procédure civile,

en conséquence, statuant à nouveau :

-de dire et juger le licenciement pour cause réelle et sérieuse justifié,

-de débouter M. [E] de toutes ses demandes, fins et conclusions,

à titre subsidiaire :

-de fixer le salaire de référence de M.[E] à la somme brute de 6666,83 euros,

en cas de nullité du licenciement,

-de limiter le montant de l'indemnité à la somme de 40 001 euros, soit six mois de salaire, sur le fondement de l'article L1235-3-1 du Code du travail,

en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse,

-de confirmer le montant de l'indemnité prononcée par le conseil de prud'hommes de Paris à savoir la somme de 12 308 euros sur le fondement de l'article L1235-1 du Code du travail indemnisant toutes causes de préjudices confondus,

En tout état de cause :

-de condamner M. [E] au paiement de la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 17 mai 2022 et l'audience de plaidoiries a été fixée au 12 septembre 2022.

Il convient de se reporter aux énonciations de la décision déférée pour un plus ample exposé des faits et de la procédure antérieure et aux conclusions susvisées pour l'exposé des moyens des parties devant la cour.

MOTIFS

I- Sur l'exécution du contrat de travail

A-Sur la reprise d'ancienneté

Il est admis que le principe du maintien des contrats de travail posé par les dispositions de l'article L.1224-1 du code du travail est applicable en cas de transfert d'une entité économique autonome, constituée par un ensemble organisé de personnes et d'éléments corporels ou incorporels poursuivant un objectif économique propre, qui conserve son identité et dont l'activité est poursuivie.

Il est également admis que le transfert d'une entité économique autonome ne s'opère que si des moyens corporels ou incorporels significatifs et nécessaires à l'exploitation de l'entité sont repris, directement ou indirectement, par un autre exploitant.

En l'espèce, il ressort des pièces produites au débat par l'appelant qu'alors que M [E] était salarié de la société Sopra HR Software, il travaillait depuis 2011 exclusivement pour la société Derichebourg environnement (CV-pièce 17,), qu'il a intégré cette société sous l'impulsion de Mme [G] responsable paye du groupe Derichebourg (pièces 42 : témoignage de Mme [G] et 21: courriel de Mme [G]), que deux autre consultants qui travaillaient dans la même équipe que lui en tant que consultant ont également concomitamment démissionné de leur précédent emploi et ont été embauchés par la société Derichebourg environnement, que la société Sopra HR Software dont il était alors salariée ne s'y est pas opposée alors que les clauses contractuelles du contrat commercial qui la liait à la société Derichebourg environnement interdisaient ce 'débauchage' (pièce 43) et qu' une 'internalisation' de la paye dont le service auquel il appartenait avait la charge avait été envisagé au cours de la même année (pièces 39,40 et 41).

Néanmoins, s'il est ainsi établi que c'est avec l'accord de la société Sopra HR Software que M. [E] a intégré la société Derichebourg environnement, il n'est pas allégué ni à fortiori démontré que des moyens corporels ou incorporels permettant de caractériser l'existence d'une entité économique autonome ont été transferés entre la société Sopra HR Software et la société Derichebourg.

Aussi, à défaut de transfert d'une unité économique autonome, M. [E] ne peut revendiquer l'ancienneté qu'il avait acquise au sein de la société Sopra HR Software.

Il sera en conséquence débouté de sa demande de reprise d'ancienneté et des demandes en découlant à savoir sa demande de rappel d'indemnité de licenciement et de préavis.

B-Sur le harcèlement moral

Le harcèlement moral s'entend aux termes de l'article L 1152-1 du Code du travail, d'agissements répétés qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail du salarié, susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Par ailleurs, aux termes de l'article 1154-1 du Code du Travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, lorsque survient un litige au cours duquel le salarié évoque une situation de harcèlement moral, celui-ci doit présenter des éléments de faits laissant supposer l'existence d'un harcèlement, l'employeur devant prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En l'espèce, au soutien de sa demande, M. [E] produit notamment au débat :

- un courrier par lequel il conteste son licenciement (pièce 6),

- un procès verbal d'une réunion du comité d'entreprise du 26 janvier 2018 dont il résulte que le CE est scandalisé par la procédure de licenciement dont M.S et les deux autres appelants ont fait l'objet et indique que ces procédures sont 'sans précédents dans le groupe et le fait d'une responsable de service nouvellement arrivée'(pièce 7),

-le témoignage de la personne supervisant son activité alors qu'il était consultant, Mme [G] faisant état de ses qualités professionnelles et de sa pugnacité ainsi que de celle des membres de son équipe, qualités leur ayant permis de mener à bien un projet compliqué (pièce 13),

-un témoignage de M.[G], salarié de la société Derichebourg du 9 janvier 2018 au 8 juillet 2018 qui indique que Mme [K] a critiqué l'équipe en place lors de son embauche et dans lequel il fait état des difficultés qu'il a rencontrées après le licenciement des appelants (notamment absence de gestion des priorités, travail dans l'urgence, volonté de Mme [K] d'exercer un contrôle sur tout, problématiques en production en lien avec une mauvaise organisation, agressivité de Mme [L] à son égard dés lors qu'il a fait part des dysfonctionnements et de sa situation de travail pénible et insupportable à la RH, absence de prise en considération de son travail, attitude méprisante de Mme [L] à son égard, énervements injustifiés de Mme [L], absence de réponse aux propositions qu'il formulait) et précise que cette situation l'a conduit à démissionner (pièce 20),

-le témoignage de Mme [H], salariée dans le même service que les trois appelants depuis le 8 août 2017 qui indique que Mme [L] lui a donné une image assez négative de ses équipes, fait état d'une absence de communication dans le service et entre les équipes, des reproches que Mme [L] lui faisait, de l'absence de prise en compte de ses demandes et idées, de l'absence de reconnaissance de l'aide que lui a apportée les trois appelants, du manque d'objectivité de Mme [L] sur ses équipes et des tensions qu'elle créait par son comportement (pièce 22),

- des échanges de courriels dont 19 envoyés avant 9h00 ou après 20h00 (pièce 25),

- un courriel de M. [X], consultant, qui indique que Mme [L] exige d'être informée et de valider toutes les actions à entreprendre, qu'elle est injoignable et invisible sur le site et envoie 42 % de ces messages avant 9 heures ou après 19 heures (pièce 23),

-le témoignage de M.[O], consultant, qui fait état du rapport de force que Mme [L] créait avec ses équipes, de sa violence verbale, relate un incident au cours duquel Mme [L] lui a ordonné de ne pas prendre son ordinateur alors qu'il lui était nécessaire pour résoudre un problème urgent, indique qu'elle le court-circuitait dans son travail et qu'elle faisait régner une désorganisation totale et une gestion inhumaine et irrespectueuse (pièce 44),

-le témoignage de Mme [C], membre de son équipe et licenciée en même temps que lui, qui indique qu'elle et ses deux autres collègues ont été accueillis froidement par Mme [L], que si Mme [L] a tenu un entretien de progrès avec elle, elle ne lui a pas fixé d'objectifs, que Mme [L] entretenait des rapports conflictuels avec son adjointe, que son comportement a conduit à l'arrêt de travail de Mme [N], qu'elle empêchait son équipe d'avoir avec les autres services les échanges indispensable à l'accomplissement de leurs missions et qu'ainsi M. [D] n'a pas pu notamment organiser le projet de bascule des congés payés qu'il devait mener tandis que pour sa part elle a été très inquiète concernant le projet de 'bulletin clarifié' qu'elle devait mener, que Mme [L] a décidé, sans explications, d'abandonner le projet 'coffre fort numérique' qu'elle avait mené avec un des autres appelants, M.[L], qu'elle dénigrait son travail ainsi que celui de son équipe auprès des autres équipes, qu'elle adoptait un comportement agressif avec elle et avec son équipe (courriels, paroles) et qu'en novembre 2017, elle a confié certains travaux relevant de ses compétences à de nouveaux prestataires extérieurs. Elle fait en outre état des quatre entretiens tenus avec la DRH tenus en juin 2017, août 2017, novembre 2017 et janvier 2018 à sa demande et à celle des autres appelants compte tenu du comportement adopté par Mme [L] à leur égard et de l'absence de solutions apportées (pièce 24),

- le témoignage de M.[L], également appelant, reprenant des situations au cours desquelles Mme [L] a adopté un comportement agressif et autoritaire tant à son égard qu'à celui de Mme [C] et de M.[L] (pièce 38),

- ses déclarations, reprises sous forme de témoignage faisant état d'un accueil froid de Mme [L], d'un comportement agressif de sa part, de l' interdiction qui lui était faite ainsi qu'aux membres de son équipe de communiquer avec les autres services, du refus de Mme [L] de lui permettre de poursuivre un des projets qu'il avait menés, des ordres et des contre ordres qui lui était donnés ainsi qu'à ses collègues, du transfert du travail qui relevait de ses compétences et de celle de ses deux collègues licenciés en même temps que lui à de nouveaux collègues et prestataires en précisant qu'en janvier 2018 Mme [C] s'est vu ôter des sujets sensibles, lesquels ont été transférés à une nouvelle collègue et que plusieurs entretiens se sont tenus entre les membre de son équipe et la DRH en juin 2017, août 2017, novembre 2017 et janvier 2018 dont le dernier a immédiatement été suivi de leur licenciement (pièce 37),

- une prescription d'anxiolytiques du 6 février 2018 et un justificatif d'une visite de la médecine du travail faite à sa demande datée du 26 février 2018 (pièces 9 et 10).

Il résulte ainsi des déclarations du salarié, des témoignages des deux autres appelants, de plusieurs autres collègues et prestataires ayant travaillé avec Mme [L] que celle-ci a adopté un comportement répété ayant consisté à lui donner des ordres et contre ordres, à bloquer ses projets et initiatives, à entraver sa communication directe avec les autres services puis à transférer une partie de son travail à d'autres personnels.

Il ressort en outre des éléments médicaux versés au débat que concomitamment son état de santé s'en est trouvé dégradé.

Ces faits précis et concordants laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral lorsqu'ils sont pris dans leur ensemble.

Si la société Derichebourg Environnement conteste tout fait de harcèlement, elle ne produit aucune pièce permettant de contredire les éléments versés au débat par l'appelant et ne s'explique pas sur l'absence de toute mesure de prévention prise à la suite des réunions provoquées par M. [E] et les deux autres appelants au cours desquelles ils ont dénoncé le comportement adopté Mme [L] à leur égard et ce, alors que le comité d'entreprise a indiqué être 'scandalisé' par les procédures de licenciement qui ont suivies comme étant 'sans précédent dans le groupe et le fait d'une responsable de service nouvellement arrivée'(pièce 7).

Le jugement entrepris doit donc être infirmé en ce qu'il a rejeté l'existence d'un harcèlement moral.

Les faits subis par le salarié et les conséquences qui en ont résulté justifient l'octroi d'une somme de 5 000 euros

II-Sur le licenciement

A/ Sur la demande de nullité du licenciement

En application de l'article L. 1152-3 du Code du Travail, toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des articles L. 1152-1 et L. 1152-2, tout acte contraire est nul.

En conséquence, toute rupture du contrat ayant pour origine le harcèlement moral dont le salarié a été victime est nulle.

Le salarié victime d'un licenciement nul et qui ne réclame pas sa réintégration a droit, quelle que soit son ancienneté dans l'entreprise, d'une part aux indemnités de rupture, d'autre part, à une indemnité réparant l'intégralité du préjudice résultant du caractère illicite du licenciement et au moins égale à six mois de salaire.

Aux termes de la lettre du licenciement qui fixe les limites du litige, il est reproché à M. [E] comme à ses deux collègues licenciés le même jour, d'avoir dénigré sa responsable hiérarchique et de ne pas avoir respecté certaines de ses consignes.

Or, de ce qui précède il résulte que l'appelant a été victime d'un harcèlement moral contre lequel l'employeur n'a pas pris les mesures adéquates et ce bien qu'avec ses deux collègues, également licenciés, il ait signalé les faits qu'il subissait et ainsi provoqué quatre réunions avec la direction des ressources humaines.

Il en résulte en outre que le dénigrement et le non respect des consignes qui lui sont reprochés s'inscrivent précisément dans les faits de harcèlement dénoncés à la direction des ressources humaines.

Le licenciement du concluant est de surcroît concomitant au dernier entretien tenu avec la direction des ressources humaines relatif aux faits dénoncés.

La rupture doit être en conséquence déclarée nulle.

Tenant compte de l'âge du salarié à la date de son licenciement (40 ans), de son salaire moyen mensuel (6666,83 euros bruts), de son ancienneté au sein de la société Derichebourg (un peu plus d'un an), des perspectives de carrière qu'il pouvait légitimement attendre compte tenu de son expérience antérieure au sein de cette société en qualité de consultant, de sa situation de demandeur d'emploi jusqu'au 2 juillet 2018, il lui sera alloué une somme de 45 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Il sera en revanche débouté de sa demande distincte au titre du préjudice de carrière, ce chef de préjudice étant indemnisé au titre de l'indemnité allouée en réparation des conséquences de la nullité du licenciement.

B/ Sur l'indemnisation sollicitée au titre du caractère vexatoire du licenciement

Il est admis que les circonstances dans lesquelles le licenciement est intervenu peuvent avoir généré un préjudice spécifique distinct.

En l'espèce, M. [E] demande des dommages et intérêts au titre de son préjudice moral en lien avec le caractère vexatoire de son licenciement.

Pour autant, au delà du harcèlement moral que la cour a reconnu et pour lequel elle lui a alloué des dommages et intérêt, M.[E] n'établit pas le caractère vexatoire de son licenciement ni avoir subi un préjudice distinct de ce chef.

Il sera donc débouté de cette demande.

III - Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens

En raison des circonstances de l'espèce, il apparaît équitable d'allouer à M. [E] une indemnité en réparation de tout ou partie de ses frais irrépétibles dont le montant sera fixé au dispositif.

La société Derichebourg environnement qui succombe sera déboutée de ses demandes à ce titre condamnée aux dépens.

PAR CES MOTIFS

La cour,

CONFIRME le jugement entrepris en ce qu'il a :

- débouté M. [E] de sa demande de reprise d'ancienneté, de ses demandes de rappels de préavis et d'indemnité de licenciement en découlant et de sa demande de dommages et intérêt au titre du préjudice moral en lien avec le caractère vexatoire du licenciement,

- débouté la société Derichebourg environnement de sa demande au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

INFIRME le jugement pour le surplus,

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant :

CONDAMNE la société Derichebourg Environnement à verser à M.[E] la somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral,

PRONONCE la nullité du licenciement du 22 février 2018,

CONDAMNE en conséquence la société Derichecourt Environnement à verser à M.[E] les sommes de:

- 45 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul,

- 3 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés tant en première instance qu'en cause d'appel

DIT que les sommes à caractère indemnitaire produiront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.

DIT que les intérêts échus, dus au moins pour une année entière, produiront intérêt, en application de l'article 1343-2 nouveau du code civil,

DÉBOUTE les parties du surplus de leurs demandes,

CONDAMNE la société Derichebourg environnement aux dépens.

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 8
Numéro d'arrêt : 19/08909
Date de la décision : 13/10/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-10-13;19.08909 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award