Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 8
ARRET DU 15 SEPTEMBRE 2022
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/10247 - N° Portalis 35L7-V-B7D-CAYSR
Décision déférée à la Cour : Jugement du 27 Septembre 2019 -Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de MELUN - RG n° 17/00044
APPELANTE
Association TRAVAIL ENTRAIDE
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Me Olivier LAURENT, avocat au barreau de MELUN
INTIMÉE
Madame [U] [S] épouse [P]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Khéops LARA, avocat au barreau de MELUN, toque : M07
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 13 Juin 2022, en audience publique, les avocats ne s'étant pas opposés à la composition non collégiale de la formation, devant Madame Emmanuelle DEMAZIERE, vice-présidente placée, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Madame Sophie GUENIER-LEFEVRE, présidente
Mme Corinne JACQUEMIN, conseillère
Madame Emmanuelle DEMAZIERE, vice-présidente placée, rédactrice
Greffier, lors des débats : Mme Nolwenn CADIOU
ARRÊT :
- CONTRADICTOIRE
- mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,
- signé par Madame Sophie GUENIER-LEFEVRE, présidente et par Madame Nolwenn CADIOU, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE
Madame [P] [U] (Mme [P]) a été engagée par la société XL Emploi dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée à temps partiel à effet du 1er août 2007 en qualité d'agent administratif.
Le 1er janvier 2013, Mme [P] a été détachée au sein de l'association Travail Entraide pour une durée d'un an en qualité d'assistante des ressources humaines.
Puis, par avenant à effet du 1er mai 2014, son contrat a été transféré à cette association.
La convention collective applicable à la relation de travail est celle relative aux acteurs du lien social et familial.
Le 6 juin 2016, l'association Travail Entraide convoquait Mme [P] à un entretien préalable fixé au 14 juin suivant et finalement reporté au 24 juin suivant.
Le 1er juillet 2016, elle notifiait à Mme [P] son licenciement pour insuffisance professionnelle.
Contestant son licenciement, Mme [P] par acte du 28 avril 2017 saisissait le conseil de prud'hommes de Bobigny.
Par jugement du 27 septembre 2019, notifié aux parties le 30 septembre 2019, le conseil de prud'hommes de Bobigny a :
-dit que le licenciement de Mme [P] était dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
-condamné l'association Travail Entraide à payer à Mme [P] la somme de :
-15 582,43 euros au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
-ordonné le remboursement par l'association Travail Entraide des indemnités de chômage versées à Mme [P] du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé à concurrence d'un mois dans les conditions prévues à l'article L1235-4 du code du travail ;
-dit que le greffe en application de l'article R1235-2 du code du travail adressera à la direction générale de pôle emploi une copie certifiée conforme au jugement en précisant si celui-ci a fait l'objet ou non d'un appel ;
-débouté l'association Travail Entraide de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile
-condamné l'association Travail Entraide aux dépens ;
-dit n'y avoir lieu à exécution provisoire de la décision sur le fondement de l'article 515 du code de procédure civile ;
-précisé que la moyenne des trois derniers mois de salaire perçus par Mme [P] s'élève à la somme de 1 620,27 euros
Par déclaration du 14 octobre 2019, l'association Travail Entraide a interjeté appel.
Dans ses dernières conclusions, notifiées et déposées au greffe par voie électronique le 4 avril 2022, l'association Travail Entraide demande à la Cour :
-de constater que le licenciement de Madame [P] repose sur une cause réelle et sérieuse,
en conséquence :
-d'infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Melun
-de débouter Madame [P] de l'intégralité de ses demandes,
-de condamner Madame [P] au paiement d'une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens de la procédure.
Dans ses dernières conclusions, notifiées et déposées au greffe par voie électronique le 8 avril 2022, Mme [P] demande à la Cour :
-de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :
*dit que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse,
*ordonné le remboursement par 1'association Travail Entraide à pôle emploi des indemnités de chômage qui lui ont été versées du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé à concurrence d'un mois dans les conditions prévues à l'article L. 123 5-4 du code du travail,
*débouté 1'association Travail Entraide de ses demandes,
-de l'infirmer pour le surplus,
en conséquence, statuant à nouveau,
-de condamner l'association Travail Entraide à lui payer la somme de 71 240,40 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
en toute hypothèse,
-de condamner l'association Travail Entraide à lui payer la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
-de condamner l'association Travail Entraide aux entiers dépens.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 12 avril 2022 et l'audience de plaidoiries a été fixée au 13 juin 2022.
MOTIFS
I-Sur le bien fondé du licenciement
En vertu de l'article L. 1232-1 du code du travail, le licenciement pour cause personnelle doit être motivé par une cause réelle et sérieuse et il est admis que l'insuffisance professionnelle constitue une telle cause dès lors qu'elle est matèriellement vérifiable, l'employeur devant évoquer des faits objectifs précis.
Par ailleurs, en vertu de l'article L. 1235-1 du code du travail , en cas de litige, le juge auquel il appartient d'apprécier le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné au besoin toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.
Si un doute subsiste il profite au salarié.
En l'espèce, la lettre de licenciement est ainsi motivée :
Nous faisons suite à notre entretien préalable du 24 juin 2016 et sommes au regret de vous notifier votre licenciement au motif qu'au regard des nombreuses erreurs constatées dans l'exécution des tâches qui vous sont confiées, notamment la saisie des tableaux de paye, et malgré les mesures d'accompagnement mises en place pour vous aider à corriger ces erreurs et progresser dans vos tâches, nous avons été amenés à constater une réelle insuffisance professionnelle.
Au soutien du motif du licenciement, l'association produit au débat :
- une note du 16 décembre 2015 du directeur de l'association faisant état d'erreurs constatées dans la saisie des payes et indiquant avoir fait réaliser un audit dans le cadre duquel 26 erreurs ont été constatées dans la paie du mois de novembre 2015, relatives à: l'oubli de jours fériés, l'absence de frais de panier, des erreurs de calcul, des déplacements omis, des erreurs de date ou une visite médicale comptée en double et par laquelle il demandait à l'intimée et à sa collègue, également assistante des ressources humaines, de faire preuve de plus de rigueur, d'attention et de professionnalisme (pièce 8) ;
-la fiche de synthèse de l'entretien d'évaluation de la salariée établie le 7 janvier 2016 et signée par cette dernière dans lequel il est notamment précisé : 'compétences à améliorer : auto contrôle (requête GTA pour s'assurer que tous les champs sont bien renseignés ), saisie des heures sur les tableaux de paye' et dans la rubrique restitution signée par le directeur : 'concernant la saisie des paies, l'objectif de ne faire aucune erreur est une nécessité de service'(pièce 34)
- une liste des erreurs commises par la salariée entre les mois de novembre 2015 et mai 2016 (pièces 15 à 21) ;
- le témoignage de la responsable des ressources humaines indiquant que dans le cadre du projet de réorganisation de la saisie des paies dans le logiciel dédié et à la demande de Mme [P] de voir ses tâches évoluer, des étapes de progression ont été mises en oeuvre (formation à la paie et au logiciel de paie, mise à jour de la procédure de saisie, accompagnement de la comptable, réunion mensuelles pour faire un retour sur les anomalies et définir les axes de progression et les action facilitantes à mettre en place) et que malgré les mesures mises en oeuvre, la comptable lui a rapporté que Mme [P] commettait de nombreuses erreurs (pièce 23) ;
- le témoignage de la responsable administrative et financière attestant avoir été informée des erreurs récurrentes sur les tableaux de paye établis par la salariée en 2015 et 2016 et précisant que, malgré la mise en place des réunions afin d'apporter des solutions à la salariée, les erreurs sont restées récurrentes (pièce 24) ;
- le témoignage de la comptable indiquant qu'au cours des années 2015 et 2016, malgré les explications données par elle même et d'autres intervenants à Mme [P], celle-ci commettait des erreurs régulières , nombreuses et récurrentes dans le contrôle et la saisie des tableaux préparatoires des paies, ce qui l'obligeait à vérifier et à corriger chaque mois son travail (pièces 25) ;
- la procédure relative à la gestion de la paie établie en mars 2013 (pièce 26) ;
-le compte rendu d'une réunion tenue en mars 2014 relative à la préparation des paies (pièce 27),
- un échange de courriel du 29 mars 2016 relatif à la nécessité de poursuivre le travail engagé sur les saisies de la paie (pièce 28);
-les comptes rendus des réunions tenues les 30 mars 2016, 21 avril 2016 et 19 mai 2016 relatives aux points mensuels effectués et aux erreurs constatées dans les tableaux de paie (pièces 29,30 et 31) ;
-le programme de formation au logiciel utilisé 'GTA' dont a bénéficié l'intimée le 14 avril 2016 pendant une durée de 7 heures (pièce 22)
Ces pièces et notamment les tableaux produits au débat matérialisent les erreurs récurrentes qu'il est reproché à la salariée d'avoir commises dans la saisie des tableaux de paie et qu'ainsi 16 erreurs ont été relevées en novembre 2015, 11 erreurs en décembre 2015, 11 erreurs en janvier 2016, 3 erreurs en février 2016, 12 erreurs en mars 2016, 6 erreurs en avril 2016 et 11 erreurs en mai 2016.
Ces erreurs sont en outre corroborées par le compte rendu des réunions tenues en mars, avril et mai 2016 au cours desquelles elles ont été analysées ainsi que par les trois témoignages produits au débat par l'employeur.
Si la salariée conteste néanmoins son insuffisance professionnelle, elle ne produit pas d'éléments au débat permettant de démontrer que les erreurs récurrentes qui lui sont reprochées ne lui sont pas imputables.
En effet, le motif tiré de l'évolution de ses fonctions et de sa formation tardive au logiciel de paie n'est pas pertinent dés lors que si, comme l'indique la responsable RH dans son témoignage (pièce 23), une évolution dans les fonctions de l'intimée était envisagée (saisie de la paie dans le logiciel dédié), les erreurs constatées ne portent pas sur la saisie de la paie dans ledit logiciel, dont il n'est pas contesté qu'elle n'était pas encore mise en oeuvre mais dans la réalisation des tableaux préparatoires à laquelle elle a reconnu avoir participé depuis trois ans (cf pièce 6 de la salariée : compte rendu de l'entretien préalable à licenciement dans le cadre duquel la salariée indique participer à l'élaboration de la paye depuis juin 2013, pièce 27 : compte rendu de la réunion du 19 mars 2014 relatif à la préparation de la paie adressé par courriel à Mme [P] et à ses collègues le 20 mars 2014 en leur demandant d'en prendre connaissance et de faire remonter leurs questions) .
En outre et si la salariée fait valoir qu'elle n'a pas reçu la note de son employeur datée du 26 décembre 2015 par laquelle il lui demande de faire preuve de plus de rigueur et de professionnalisme (pièce 8 de la salariée ), l'association Travail Entraide démontre lui avoir par ailleurs précisé dans le cadre de son entretien d'évaluation du 7 janvier 2016 'l'objectif de ne faire aucune erreur est une nécessité de service' et avoir fixé un objectif à 0 erreur à mars 2016 (pièce 34 de l'employeur).
De plus, Mme [P] ne peut valablement soutenir qu'elle n'aurait pas été suffisamment formée ni accompagnée alors qu'il résulte du compte rendu de la réunion du mois de mai 2016 qu'elle a admis que les erreurs commises n'étaient pas liées à un défaut de formation mais à de l'inattention (pièce 31) et que l'employeur justifie par ailleurs d'un accompagnement régulier notamment dans le cadre de réunions mensuelles ainsi que d'avoir fait bénéficier la salariée d'une formation au logiciel de paye.
De surcroît, l'association Travail Entraide établit que les erreurs récurrentes commises par la salariée ont désorganisé le fonctionnement du service en contraignant la comptable à contrôler systématiquement son travail.
Enfin, le seul fait qu'une autre salariée, exerçant les mêmes fonctions que Mme [P], ait également été licenciée pour ce même motif ne peut permettre de remettre en cause l'insuffisance professionnelle de l'intimée dés lors qu' elle est matériellement vérifiée.
Le licenciement de Mme [P] pour insuffisance professionnelle est donc justifié.
Il y a donc lieu d'infirmer le jugement en ce qu'il a dit qu'il ne reposait pas sur une cause réelle et sérieuse.
II - Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens
L'équité commande en l'espèce de ne pas faire droit aux demandes des parties au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Mme [P] qui succombe sera en outre condamnée aux dépens.
PAR CES MOTIFS
Par arrêt contradictoire,
INFIRME le jugement en toutes ses dispositions,
DIT le licenciement de Mme [P] fondé sur une cause réelle et sérieuse,
DEBOUTE Mme [P] de ses demandes,
DÉBOUTE l'association Travail Entraide de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE Mme [P] aux dépens .
LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE