Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 4 - Chambre 4
ARRÊT DU 13 SEPTEMBRE 2022
(n° , 7 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/22763 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B6SP4
Décision déférée à la Cour : Jugement du 20 Septembre 2018 -Tribunal d'Instance de PARIS 17ème - RG n° 11-17-010169
APPELANTE
SCI DU [Adresse 2]
agissant poursuites et diligences de son représentant légal, domicilié en cette qualité audit siège
N° SIRET : 434 134 854 00018
[Adresse 1]
[Adresse 1]
représentée par Me Judith BOURQUELOT, avocat au barreau de PARIS, toque : E586
INTIMEES
Madame [T] [G]
Née le 29 Juillet 1946 à [Localité 8]
[Adresse 5]
[Adresse 5]
représentée et ayant pour avocat plaidant Me Luc BROSSOLLET de la SCP D'ANTIN BROSSOLLET et Associés, avocat au barreau de PARIS, toque : P0336
Madame [C] [B]
Es qualité de mandataire spécial de Madame [T] [G], désignée à ces fonctions par ordonnances du tribunal d'instance d'Etampes des 19 octobre 2017 et 4 janvier 2018
[Adresse 3]
[Adresse 3]
représentée et ayant pour avocat plaidant Me Luc BROSSOLLET de la SCP D'ANTIN BROSSOLLET et Associés, avocat au barreau de PARIS, toque : P0336
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 14 Juin 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant M. François BOUYX, Conseiller, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
M. Michel CHALACHIN, président de chambre
Mme Marie MONGIN, conseiller
M. François BOUYX, conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Mme Cynthia GESTY
ARRÊT : contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par M. Michel CHALACHIN, président et par Mme Gisèle M'BOLO, Greffière, présente lors de la mise à disposition.
*****
FAITS ET PROCÉDURE
La société civile immobilière [Adresse 2] est propriétaire de l'intégralité de l'immeuble situé [Adresse 2].
Par acte sous seing privé du 1er juillet 1981, elle a donné à bail à Mme [T] [G] le logement situé au 2ème étage gauche.
Par acte d'huissier du 9 juin 2017, la société [Adresse 2] a fait assigner Mme [G] devant le tribunal d'instance du 1er arrondissement afin d'obtenir le prononcé de la résiliation du bail à la date de l'abandon du local par la locataire, sa condamnation à lui verser une indemnité mensuelle d'occupation et à restituer les lieux sous astreinte et, à défaut, son expulsion.
Par acte d'huissier du 8 mars 2018, la société [Adresse 2] a fait assigner en intervention forcée Mme [C] [B], mandataire judiciaire à la protection des majeurs, ès-qualité de mandataire spécial de Mme [G] selon ordonnances du juge des tutelles du tribunal d'instance d'Étampes des 19 octobre 2017 et 4 janvier 2018.
Par jugement du 20 septembre 2018, cette juridiction a ainsi statué :
Déboute la société [Adresse 2] de sa demande de résiliation judiciaire du bail pour abandon des lieux par Mme [T] [G] et des demandes subséquentes d'astreinte, d'expulsion et indemnités d'occupation,
Condamne la société [Adresse 2] à payer à Mme [T] [G] la somme de 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société [Adresse 2] aux dépens,
Ordonne l'exécution provisoire de la présente décision.
Le 22 octobre 2018, la société [Adresse 2] a interjeté appel de cette décision par déclaration reçue au greffe par la voie électronique.
Par arrêt du 10 mars 2020, cette chambre, infirmant l'ordonnance du conseiller de la mise en état du 27 novembre 2018 qui lui était déférée, a déclaré les intimées, Mme [T] [G] et Mme [C] [B] es qualité de mandataire spécial de Mme [T] [G], irrecevables à conclure faute pour elles d'avoir conclu dans le délai de l'article 909 du code de procédure civile, déclaré recevables les conclusions d'intervenant volontaire de Mme [Z] [G] notifiées par la voie électronique le 29 mai 2018, renvoyé l'affaire à la mise en état, dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile et réservé les dépens.
Mme [T] [G] est décédée le 29 juillet 2020.
Par ordonnance du 31 août 2021, l'interruption de l'instance a été constatée et un délai de 3 mois aux fins de régularisation de la procédure a été imparti.
Par acte d'huissier de justice du 15 novembre 2021, la société [Adresse 2] a fait assigner Mme [Z] [G] en intervention forcée et en reprise d'instance.
Par conclusions notifiées par la voie électronique le 16 mai 2022, la société [Adresse 2] demande à la cour de :
- déclarer irrecevables les conclusions notifiées le 14 janvier 2022 par Mme [Z] [G] ès-qualité d'héritière de Mme [T] [G],
- déclarer Mme [Z] [G] agissant à titre personnel irrecevable en son intervention volontaire en cause d'appel,
- déclarer irrecevables les conclusions d'intervention volontaire du 8 janvier 2020 de Mme [Z] [G],
- débouter Mme [Z] [G] agissant à titre personnel de l'ensemble de ses demandes,
- débouter Mme [Z] [G] de sa demande de transfert du bail à son profit par l'effet du décès de sa mère,
- prononcer la résiliation judiciaire du bail à effet au 23 juin 2016, date de l'abandon du local par le locataire,
- condamner Mme [Z] [G] ès-qualité d'héritière de Mme [T] [G] ainsi qu'à titre personnel en sa qualité d'occupante, à payer à la société [Adresse 2] rétroactivement depuis le 23 juin 2016 et jusqu'à parfaite libération des lieux, une indemnité d'occupation égale au loyer contractuel plus charges, soit 831,65 euros + 115 euros = 946,65 euros,
- condamner Mme [Z] [G] ès-qualité d'héritière de Mme [T] [G] ainsi qu'à titre personnel en sa qualité d'occupante, à restituer l'appartement libre de toute occupation, - assortir cette condamnation d'une astreinte de 200 euros par jour de retard à compter du 30ème jour suivant la signification de la décision à intervenir,
- prononcer, à défaut de libération volontaire, l'expulsion de Mme [Z] [G] es-qualité d'héritière de Mme [T] [G] et de tous occupants de son chef, avec si besoin le concours de la force publique et d'un serrurier,
- condamner Mme [Z] [G] ès-qualité d'héritière de Mme [T] [G] à payer à la société [Adresse 2] la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner Mme [Z] [G] à titre personnel à payer à la société [Adresse 2] la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner Mme [Z] [G] tant en qualité d'héritière de Mme [T] [G] qu'à titre personnel, à payer à la société [Adresse 2] les dépens de première instance et d'appel, dont distraction au profit de Me Judith Bourquelot, avocat au barreau de Paris.
Par conclusions notifiées par la voie électronique le 16 mai 2022, Mme [Z] [G], intervenant volontairement en qualité d'héritière de Mme [T] [G] et à titre personnel, demande à la cour de :
- la recevant en son intervention volontaire en qualité d'héritière, confirmer en toutes ses dispositions le jugement du 20 septembre 2018,
- la recevant en son intervention volontaire à titre personnel, juger que l'action en expulsion de Mme [T] [G] ou de tout occupant de son chef ne peut se poursuivre,
- en application de l'article 14 de la loi du 6 juillet 1989, juger que le bail consenti à Mme [T] [G] a été transféré à Mme [Z] [G] qui en est donc la locataire en titre,
- condamner la société du [Adresse 2] à lui payer, ès-qualité, la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- la condamner aux entiers dépens de première instance et d'appel.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 17 mai 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la recevabilité des conclusions notifiées par Mme [Z] [G] le 14 janvier 2022 en sa qualité d'héritière de Mme [T] [G]
La société du [Adresse 2] soutient à juste titre que Mme [T] [G] étant décédée le 29 juillet 2020 alors que ses conclusions avaient été déclarées irrecevables par arrêt du 10 mars 2020, sa fille n'est pas recevable à former des demandes devant la cour en qualité d'héritière de sa mère puisque cette dernière ne disposait plus de ce droit de son vivant, l'instance ayant été interrompue par ordonnance du 31 août 2021 puis reprise le 15 novembre 2021 avec l'assignation de Mme [Z] [G] en intervention forcée.
Les conclusions notifiées par Mme [Z] [G] le 14 janvier 2022 es qualité d'héritière de Mme [T] [G] doivent donc être déclarées irrecevables.
Sur la recevabilité de l'intervention volontaire de Mme [Z] [G] à titre personnel
Il ressort du jugement entrepris et des conclusions de Mme [Z] [G] du 15 juin 2018 développées devant le tribunal d'instance de Paris que cette dernière est intervenue volontairement devant cette juridiction à laquelle elle a soumis des prétentions tendant notamment au rejet des demandes de la société du [Adresse 2].
Elle était donc partie au litige, de sorte qu'elle n'est pas fondée à intervenir volontairement à titre personnel en cause d'appel en application de l'article 554 du code de procédure civile.
Il lui appartenait en conséquence de faire appel de la décision entreprise, peu important le fait que le tribunal n'ait pas examiné ses demandes devenues, selon le premier juge, sans objet du fait du rejet de celles dirigées par la société du [Adresse 2] contre sa mère, Mme [T] [G].
En effet, et contrairement à ce qu'elle soutient, elle avait bien intérêt à agir en appel pour le cas où la cour infirmerait la décision du tribunal, sa demande en transfert de bail retrouvant alors tout son sens.
L'intervention volontaire de Mme [Z] [G] à titre personnel est donc irrecevable sans qu'il soit utile d'examiner le second moyen soutenu par la société du [Adresse 2] fondé sur les articles 31,122 et 330 du code de procédure civile.
De ce fait, il n'y a pas lieu d'examiner la demande subsidiaire de la société du [Adresse 2] en nullité des conclusions d'intervention volontaire de Mme [Z] [G] du 8 janvier 2020 sur le fondement des articles 960 et 961 du code de procédure civile.
Sur l'abandon des lieux par Mme [T] [G]
Le bailleur fonde exclusivement ses prétentions sur l'article 14 de la loi du 6 juillet 1989 qui permet notamment au descendant du locataire vivant avec ce dernier depuis au moins un an d'invoquer la poursuite du contrat de bail à son profit en cas d'abandon du domicile.
A défaut de résidence commune, le bail est alors résilié de plein droit par cet abandon.
L'abandon s'entend ordinairement comme un départ brusque et imprévisible sans intention de retour imposé par le locataire au descendant vivant avec lui dans le logement.
Toutefois lorsqu'il s'agit d'une hospitalisation ou d'une entrée en maison de retraite, c'est le caractère définitif du placement imposé de façon inéluctable au descendant qui prend le pas sur la notion de départ brusque et imprévisible.
En l'espèce, le premier juge a considéré que la preuve du caractère définitif du placement de Mme [G] mère n'était pas rapportée, alors qu'il est constant que la locataire, si elle souhaitait ardemment se maintenir à son domicile en dépit de son état de santé déclinant ainsi que cela ressort notamment du versement scrupuleux du loyer, n'a pas été en mesure de concrétiser ce souhait.
En effet, le bailleur expose, à la lumière des conclusions soutenues par la partie adverse,
qu'entre 2015 et juin 2016, elle a successivement été hébergée en structure d'accueil (résidence [9]) puis hospitalisée à deux reprises (clinique [6] et clinique [7]) avant d'être admise en EHPAD à [Localité 4].
Elle n'a pu revenir à son domicile qu'à l'occasion des fêtes de fin d'année 2016.
Le caractère définitif du placement de Mme [T] [G] en structure d'accueil, et partant l'abandon du logement au sens de l'article 14 de la loi du 6 juillet 1989, est donc établi, ce que non seulement le bailleur ne conteste pas mais, au contraire, revendique.
Il a cependant pour effet, non de l'autoriser à faire constater immédiatement la résiliation du bail, mais de permettre au descendant cohabitant d'invoquer la continuation de la convention à son profit, et ce n'est que si ce dernier n'est pas en mesure de rapporter la preuve de cette cohabitation ou que celle-ci n'est pas réelle que le bail est alors résilié de plein droit.
L'intervention volontaire de Mme [Z] [G] à titre personnel n'étant pas recevable, elle n'est pas admise à rapporter la preuve d'une cohabitation antérieure d'un an au jour du départ de sa mère pouvant être fixé au mois de juin 2016 selon les propres indications données dans ses conclusions soutenues devant le premier juge produites par le bailleur.
Il en résulte que la résiliation du bail est intervenue le 1er juillet 2016, Mme [T] [G] et sa fille étant occupantes sans droit titre à compter de cette date.
Elles sont donc redevables d'une indemnité d'occupation égale au montant du loyer majoré des charges à compter de cette date et jusqu'au jour de son décès en ce qui concerne Mme [T] [G] et au jour de la libération des lieux en ce qui concerne sa fille.
L'expulsion de la locataire ne se justifie plus mais celle de Mme [Z] [G] et celle de tous occupants de son chef sera ordonnée à défaut de départ volontaire dans les conditions définies dans le dispositif de la présente décision, rien ne justifiant cependant de réduire le délai de deux mois de l'article L. 412-1 du code des procédures civiles d'exécution.
L'astreinte sollicitée par le bailleur qui n'est pas davantage justifiée d'une façon quelconque sera également rejetée, ce d'autant que le bailleur admet que l'indemnité d'occupation a toujours été scrupuleusement versée.
Sur les autres demandes
Il est équitable d'allouer à la société du [Adresse 2] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et Mme [Z] [G], qui succombe à l'instance en appel, sera condamnée aux dépens.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par mise à disposition au greffe, contradictoirement,
Déclare irrecevable les conclusions notifiées par Mme [Z] [G] le 14 janvier 2022 en sa qualité d'héritière de Mme [T] [G],
Déclare irrecevable l'intervention volontaire de Mme [Z] [G] à titre personnel,
Infirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a ordonné l'exécution provisoire,
Statuant à nouveau dans la limite de l'infirmation partielle et y ajoutant :
Constate l'abandon des lieux par la locataire, Mme [T] [G], au mois de juin 2016,
Rejette la demande de continuation du bail formée par Mme [Z] [G],
Constate en conséquence la résiliation du contrat de bail liant la société du [Adresse 2] à Mme [T] [G] pour l'occupation des locaux situés [Adresse 2] au 1er juillet 2016,
Ordonne, à défaut de départ volontaire, l'expulsion de Mme [Z] [G], ainsi que tous occupants de son chef, au besoin avec l'assistance de la force publique et d'un serrurier,
Rappelle que l'expulsion ne pourra intervenir qu'à l'issue d'un délai de deux mois après le commandement d'avoir à libérer les lieux qui sera délivré conformément aux dispositions des articles L. 412-1 et suivants du code des procédures civiles d'exécution,
Condamne Mme [Z] [G] es qualité d'héritière de sa mère et à titre personnel à verser à la société du [Adresse 2] une indemnité d'occupation mensuelle d'un montant égal à celui du loyer majoré des charges à compter du 1er juillet 2016 et jusqu'à libération effective des lieux caractérisée par l'expulsion de l'occupante ou la remise des clés,
Condamne Mme [Z] [G] es qualité d'héritière de sa mère et à titre personnel à verser à la société du [Adresse 2] la somme globale de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Déboute les parties de leurs prétentions plus amples ou contraires,
Condamne Mme [Z] [G] es qualité d'héritière de sa mère et à titre personnel aux dépens de première instance et d'appel lesquels pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Le Greffier Le Président