REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Chambre commerciale internationale
PÔLE 5 - CHAMBRE 16
ARRET DU 12 JUILLET 2022
(n° 71 /2022 , 11 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/17733 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CEOTE
Décision déférée à la Cour :
Ordonnance du 23 Août 2021 rendue par le Président du TJ de Paris conférant l'exequatur à une sentence arbitrale rendue à Genève le 15 juillet 2021.
APPELANTS
Monsieur [F] [V]
né le 06 Juin 1942 à [Localité 6]
domicilié : [Adresse 4]
Madame [R] [V]
née le 27 Novembre 1946 à [Localité 6]
domiciliée : [Adresse 4]
Madame [K] [V] [C]
née le 04 Avril 1969 à [Localité 7]
domiciliée : [Adresse 2]
Monsieur [X] [C]
né le 27 Avril 1965 à [Localité 7]
domicilié : [Adresse 2]
Représentés par Me Jacques BELLICHACH, avocat postulant du barreau de PARIS, toque : G0334 et assistés par Me Isabelle VAUGON, du cabinet RAVET, avocat plaidant du barreau de HAUTS-DE-SEINE, toque : 1702
INTIMÉE
Société AMALGO COPORATION
société de droit canadien,
ayant son siège social : [Adresse 1] (CANADA)
prise en la personne de son représentant légal,
Représentée par Me François TEYTAUD de l'AARPI TEYTAUD-SALEH, avocat postulant du barreau de PARIS, toque : J125 et assistée par Me Audrey WEISSBERG de la SELARL WEISSBERG, avocat plaidant du barreau de PARIS, toque : P0046
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 31 Mai 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :
M. François ANCEL, Président
Mme Fabienne SCHALLER, Conseillère
Mme Laure ALDEBERT, Conseillère
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Madame Laure ALDEBERT dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Mme Najma EL FARISSI
ARRÊT :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par François ANCEL, Président et par Najma EL FARISSI, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
I/ FAITS ET PROCÉDURE
1-Selon contrat d'acquisition d'actions (Share Purchase Agreement - SPA) signé les 16 et 20 septembre 2016 et Acte Réitératif de vente en date du 10 novembre 2016, la société Canadienne Amalgo Corporation anciennement Neograft Solutions s'est portée acquéreur des actions appartenant à M. [F] [V], Mme [R] [V], Mme [K] [V] [C] et M. [X] [C], ressortissants français, dans la société Médicamat moyennant le prix de 4 840 000 euros incluant la cession d'un immeuble situé à [Localité 5] [Adresse 3].
2- Au regard des problèmes potentiels de la construction de l'immeuble à propos de travaux effectués antérieurement les parties ont inclu dans l'Acte Réitératif une garantie d'actif et de passif spécifique à l'immeuble selon laquelle les vendeurs garantissaient toute remise en cause de la construction de l'immeuble par un tiers acquéreur ou par l'administration qui conduirait à une diminution de valeur de l'immeuble en dessous de 1 400 000 euros (Article 3.3 de l'acte Réitératif).
3- Le 29 décembre 2017 la société Amalgo Corporation a initié une procédure d'arbitrage en réduction du prix de cession sur le fondement de la clause compromissoire contenue dans le contrat d'acquisition des actions (SPA) et dans l'acte Réitératif qui a fait l'objet d'une sentence finale rendue le 3 juillet 2019 condamnant les consorts [V] à payer diverses sommes à la société Amalgo (ci après le premier arbitrage).
4-Un second litige est né entre les parties au sujet de la valeur de l'immeuble situé à [Localité 5] revendu 1 million d'euros le 30 mars 2018 par la société Amalgo soit à un prix inférieur à celui de son acquisition.
5-Le 8 novembre 2019 la société Amalgo a mis en 'uvre la garantie des actifs et de passifs spécifiques de l'immeuble à hauteur de 400 000 euros au titre de la perte de valeur ce que les vendeurs ont contesté en faisant valoir que la mise en jeu de cette garantie avait déjà été discutée lors du premier arbitrage et définitivement tranchée.
6-C'est dans ce contexte que la société Amalgo a initié le 18 décembre 2019 la procédure d'arbitrage ad hoc contre les vendeurs M.et Mme [V], Mme [K] [V] [C] et M. [X] [C] (ci-après les consorts [V]-[C]) demandant à être indemnisée à hauteur de 400 000 euros au titre de la garantie de passif incluse à l'article 3.3 du contrat de vente. (ci-après le second arbitrage)
7-Par une sentence rendue à Genève en Suisse le 15 juillet 2021 les consorts [V]- [C] ont été condamnés à payer à la société Amalgo la somme de 400 000 euros 'dont 300 000 euros devront être débloqués du compte séquestre en faveur de ladite société, 100 000 euros restant à payer' outre la somme de 137 935, 25 euros au titre des frais d'arbitrage.
8-Par ordonnance en date du 23 août 2021 rendue par le président du tribunal judicaire de Paris, la sentence a été revêtue de l'exequatur.
9-Par déclaration du 8 octobre 2021, les consorts [V]-[C] ont interjeté appel de l'ordonnance d'exequatur.
10- Les parties ont adhéré au protocole de procédure de la chambre commerciale internationale.
11-Par ordonnance en date du 27 janvier 2022 le conseiller de la mise en état a rejeté la demande des consorts [V]-[C] d'arrêt de l'exécution provisoire de la sentence en France.
12-La clôture a été prononcée le 17 mai 2022.
II/ PRÉTENTIONS DES PARTIES
13-Selon leurs dernières conclusions récapitulatives notifiées par voie électronique le 5 mai 2022, les consorts [V]-[C] demandent à la cour, au visa notamment des articles 1520, 1522, et 1525, 1699, 700 du code de procédure civile, de l'article V de la Convention de New York sur la reconnaissance et l'exe'cution des sentences arbitrales étrangères de 1958, de l'article 6 de la CEDH, l'article 1353 du code civil et 313-1 du code pénal, de bien vouloir:
'' DECLARER l'appel bien fonde' ;
'' INFIRMER l'ordonnance d'exe'quatur du 23 aout 2021 et JUGER que la sentence rendue le 15 juillet 2021 ne peut, avec toutes les conse'quences de droit applicables, et pour les motifs exposes' ci-avant, être revêtue de l 'exe'quatur ;
'' DEBOUTER la société' AMALGO de ses demandes et moyens ;
'' CONDAMNER la société' AMALGO a' rembourser aux appelants les sommes reçues en exécution de l'ordonnance d'exequatur infirmée ;
'' CONDAMNER la socie'te' AMALGO a' re'parer le pre'judice subi par les appelants du fait de l'exe'cution de l'ordonnance d'exe'quatur infirme'e a' hauteur de 500.000 euros pour Monsieur [F] [V] et a' hauteur de 100.000 euros chacun, pour Madame [R] [V], Madame [K] [V] [C], et Monsieur [X] [C] ;
'' CONDAMNER la société' AMALGO a' 100 000 euros au titre de l'article 700 du code de proce'dure civile ainsi qu'aux entiers dépens dont le recouvrement pourra être assure' par Me BELLICHACH conformément à l'article 699 du code de proce'dure civile ;
14-Selon ses dernières conclusions récapitulatives notifiées par voie électronique du 25 avril 2022, la société Amalgo demande à la cour, de bien vouloir:
'' CONFIRMER l'ordonnance d'exequatur rendue par le Pre'sident du Tribunal Judiciaire de Paris du 23 août 2021 constatant que la sentence arbitrale du 15 juillet 2021 ne contient aucune disposition contraire a' la loi ou a' l'ordre public et la déclarant exécutoire ;
'' DEBOUTER de toutes leurs demandes, fins et conclusions Monsieur [F] [V], Madame [R] [W] [V], Madame [K] [V] [C], Monsieur [X] [C] ;
'' JUGER et DECLARER calomnieux les propos tenus par Monsieur [F] [V], Madame [R] [W] [V], Madame [K] [V] [C], Monsieur [X] [C] envers AMALGO CORPORATION dans leurs conclusions d'appel de l'ordonnance d'exequatur du 23 août 2021 de la sentence arbitrale rendue le 15 juillet 2021 ;
'' CONDAMNER Monsieur [F] [V], Madame [R] [W] [V], Madame [K] [V] [C], Monsieur [X] [C] a' verser a' la Socie'te' AMALGO la somme de 10. 000 euros au titre de l'article 700 du code de proce'dure civile et aux entiers de'pens.
III/ MOTIFS DE LA DECISION
Sur le moyen tiré de l'incompétence du tribunal arbitral (article 1520, 1° du code de procédure civile) ;
15- Les consorts [V]-[C] font valoir en premier lieu que le tribunal arbitral s'est à tort déclaré compétent pour statuer sur la demande en garantie de passif prévue par l'article 3.3 de l'Acte Réitératif de vente alors que cette demande faisait partie de l'objet du premier arbitrage et qu'en initiant un second arbitrage, la société Amalgo a eu un comportement abusif et contradictoire en mobilisant un tribunal sur le même sujet une seconde fois qui devait être sanctionné par l'irrecevabilité au nom du principe de bonne foi et de loyauté procédurale qui président à la bonne tenue des arbitrages.
16- Ils rappellent à cet effet que le tribunal arbitral s'est à tort déclaré compétent pour statuer sur le fond en retenant qu'il n'y avait pas autorité de chose jugée et en rejetant leurs arguments.
17- En réponse, la société Amalgo soutient que le tribunal arbitral s'est valablement déclaré compétent et a exactement rejeté les arguments soulevés qui ont déjà été débattus devant les arbitres.
SUR CE,
18- Selon l'article 1520 1° du code de procédure civile, le recours en annulation est ouvert si le tribunal s'est déclaré à tort compétent ou incompétent.
19- Il résulte de ce texte que, sans s'arrêter aux dénominations retenues par les arbitres ou proposées par les parties, le juge de l'annulation contrôle la décision du tribunal arbitral sur sa compétence, en recherchant, tous les éléments de droit ou de fait permettant d'apprécier la portée de la convention d'arbitrage.
20-En l'espèce, les appelants remettent en cause la décision du tribunal arbitral qui s'est dit au terme du dispositif de la sentence « compétent pour trancher le litige qui oppose la demanderesse aux défendeurs dans son intégralité et déclare que la demande d'irrecevabilité pour autorité de la chose jugée soumise par les défendeurs est rejetée. ».
21-Toutefois ils ne contestent pas l'efficacité de la clause compromissoire contenue dans les actes de vente sur la base desquels la procédure a été initiée.
22-Les éléments développés à l'appui de leurs moyens ne concernent pas la compétence du tribunal mais la recevabilité de la demande.
23-Ce grief n'entre dans aucun des cas d'ouverture du recours en annulation prévus par l'article 1520 du code de procédure civile.
24-Il convient en conséquence de le rejeter.
Sur le moyen tiré de la violation par le tribunal arbitral de sa mission (article 1520, 3° du code de procédure civile)
25-Les consorts [V]-[C] soutiennent que le tribunal arbitral a violé la mission qui lui avait été confiée en refusant expressément au §121 de la sentence de statuer sur un point essentiel de la discussion sur lequel les parties étaient en désaccord à savoir la licéité ou non de la construction de l'immeuble à [Localité 5] qui conditionnait la mise en jeu de la garantie contractuelle attachée à ce bien immobilier.
26-Selon les appelants, il fallait que l'irrégularité soit avérée pour que la garantie soit appelée conformément aux dispositions de l'article 3.3 du contrat. Ils soutiennent qu'en statuant comme il l'a fait le tribunal arbitral n'a pas pu évaluer si les conditions de la garantie étaient réunies et a violé la loi.
27-Ils en déduisent que ce faisant le tribunal arbitral a statué infra petita et commis un déni de justice constitutifs d'une violation flagrante de sa mission ouvrant droit à annulation.
28-En réponse, la société Amalgo soutient pour s'y opposer, que ce point ne faisait pas partie de la mission du tribunal arbitral appelé à trancher la validité de la mise en jeu de garantie sur le fondement de l'article 3.3 de l' Acte réitératif selon les termes de la mission et des écritures des parties.
29-Elle ajoute que la régularité de la construction a été évoquée en défense par les consorts [V]-[C] mais écarté par le tribunal arbitral considérant que le fait pertinent était seulement l'existence d'une potentielle irrégularité de travaux comme indiqué dans la sentence au §121.
30-Elle observe à toutes fins utiles que cette objection fût-elle fondée, est une « omission de statuer » et non un « déni de justice » qui n'ouvre pas droit à l'annulation de la sentence.
SUR CE,
31-Selon l'article 1520 3° du code de procédure civile, le recours en annulation est ouvert si le tribunal a statué sans se conformer à la mission qui lui avait été confiée.
32-La mission des arbitres, définie par la convention d'arbitrage, est délimitée principalement par l'objet du litige, tel qu'il est déterminé par les prétentions des parties sans s'attacher uniquement à l'énoncé des questions dans l'acte de mission.
33- Il convient de rappeler en premier lieu que s'agissant du grief tiré de ce que le tribunal arbitral aurait statué « infra petita » ce grief ne constitue pas une violation de sa mission susceptible d'emporter l'annulation d'une sentence étant précisé que la partie qui s'en prévaut a, en vertu de l'article 1485 du code de procédure civile, applicable à l'arbitrage international par renvoi de l'article 1506, la faculté de ressaisir les arbitres.
34-En l'espèce l'acte de mission du 3 juillet 2020 a délimité la mission des arbitres en ces termes : « Cet arbitrage porte sur le Contrat d'acquisition d'actions et l'Acte réitératif entre les Parties.
A. PRÉTENTIONS DE LA DEMANDERESSE
La Demanderesse demande au Tribunal Arbitral de constater que la garantie d'actifs et de passifs prévue à l'article 8 du Contrat d'Acquisition, et plus spécifiquement à l'article 3.3 de l'Acte réitératif, a été valablement appelée en raison de la diminution de valeur de l'immeuble de [Localité 5] qui appartenait à MEDICAMAT, en deçà de 1.400.000 EUR, en l'occurrence à hauteur de 400.000 EUR, cette demande n'ayant pas été présentée lors du précédent arbitrage ayant donné lieu à la Sentence du 3 juillet 2019.
Par conséquent, la Demanderesse demande la réduction du prix d'acquisition des actions de MEDICAMAT à hauteur de 400.000 EUR et la condamnation solidaire des Défendeurs à lui verser ce montant, notamment par prélèvement sur le compte séquestre CARPA (convention de séquestre du 3 novembre 2016), outre les coûts et frais de l'arbitrage.
B. PRÉTENTIONS DES DÉFENDEURS
A titre liminaire et principal, Monsieur [F] [V] et consorts demandent au Tribunal arbitral de constater que la société AMALGO CORPORATION est irrecevable en sa demande d'indemnisation dès lors qu'elle porte sur une question déjà évoquée dans le cadre d'un premier arbitrage et tranchée par une sentence arbitrale rendue le 3 juillet 2019 qui a autorité de la chose jugée.
A titre subsidiaire, Monsieur [F] [V] et consorts sollicitent le tribunal arbitral de constater que contrairement à ce que soutient la Demanderesse, la garantie d'actifs et de passifs prévue à l'article 8 du Contrat d'Acquisition d'actions des 16 et 20 septembre 2016, et plus spécifiquement à l'article 3.3 de l'acte réitératif du 10 novembre 2016, n'a pas été valablement appelée par cette dernière en raison de la diminution de valeur de l'immeuble de [Localité 5] qui appartenait à MEDICAMAT, en deçà de 1 400 000 euros, en l'occurrence à hauteur de 400 000 euros ; de rejeter en conséquence la demande au fond de la société Amalgo et de la condamner à lui verser la somme correspondant au solde du prix qu'elle reste lui devoir y compris par prélèvement sur le compte séquestre CARPA (convention de séquestre du 3 novembre 2016), augmentée d'intérêts de retard à la charge de la société Amalgo.
En tout état de cause, Monsieur [F] [V] et consorts sollicitent le tribunal arbitral de condamner la société Amalgo à des dommages et intérêts en réparation du préjudice subi par les défendeurs en raison de cette procédure abusive. Enfin, Monsieur [F] [V] et consort sollicitent la condamnation de la société AMALGO CORPORATION au paiement par de l'ensemble des coûts et frais de l'arbitrage. ».
35-Au titre de son mémoire récapitulatif en réponse, la société Amalgo a demandé :
« C'est pourquoi, après avoir rejeté l'irrecevabilité tirée de l'autorité de chose jugée soulevée par les défendeurs, le Tribunal Arbitral condamnera les consorts [V]-[C] à verser à AMALGO CORPORATION la somme de 400 000 € en application de l'article 3.3 de l'acte réitératif du 10 novembre 2016, au titre de la perte de valeur de l'immeuble de MEDICAMAT. A ce titre, AMALGO CORPORATION sera autorisée à conserver l'intégralité des sommes détenues en compte séquestre soit 300 000 €, lesquelles viendront en déduction des sommes dues.
En outre, les consorts [V]-[C] seront condamnés à prendre en charge l'intégralité des frais d'arbitrage d'AMALGO CORPORATION, incluant les honoraires des arbitres et de ses avocats et l'ensemble de leurs demandes reconventionnelles seront rejetées.
36-Au titre de leur mémoire récapitulatif en réplique, les consorts [V]-[C] ont demandé :
« Les Défendeurs demandent au Tribunal Arbitral de céans de :
A TITRE LIMINAIRE :
- Déclarer irrecevable la demande d'AMALGO après avoir constaté que les griefs qu'elle invoque relèvent de l'autorité de la chose jugée.
A TITRE SUBSIDIAIRE :
- Déclarer irrecevable la demande d'AMALGO pour déchéance de la Garantie en raison de la violation par AMALGO de l'obligation d'information prévue à l'article 8.4 du SPA.
A TITRE INFINIMENT SUBSIDIAIRE :
- Constater que la demande d'AMALGO est infondée et que celle-ci ne peut prétendre à la réparation d'aucun préjudice;
EN TOUT ETAT DE CAUSE :
- Condamner AMALGO à payer le reliquat du prix de cession par elle séquestré à hauteur de 300 000 euros avec intérêts légaux à compter de leur exigibilité ;
- Condamner AMALGO à réparer le préjudice subi par les Défendeurs pour procédure abusive et vexatoire à hauteur de 300 000 euros, sauf à parfaire ;
- Condamner AMALGO à réparer le préjudice moral subi par les Défendeurs pour procédure abusive et vexatoire à hauteur de 300 000 euros, sauf à parfaire ;
- Condamner AMALGO à supporter l'intégralité des coûts d'arbitrage en ceux compris, l'intégralité des honoraires des arbitres ainsi que des conseils que les Défendeurs ont été contraints de saisir pour faire valoir leurs droits. ».
37- Il ressort de ces dispositions que le tribunal arbitral devait statuer sur la validité de la mise en jeu de la garantie d'actifs et de passifs prévue à l'article 8 du Contrat d'Acquisition, et plus spécifiquement à l'article 3.3 de l'Acte réitératif, en raison de la diminution de valeur de l'immeuble de [Localité 5] en deçà de 1.400.000 EUR sans qu'il soit question dans sa mission ni dans les demandes de se prononcer sur la régularité de la construction qu'il a considéré par ailleurs comme un fait non pertinent.
38-Les consorts [V]-[C] prétendent néanmoins que la régularité de la construction, était une question à laquelle le tribunal arbitral devait répondre pour examiner si les conditions de la mise en jeu de la garantie notamment la condition de première garantie, à savoir l'existence d'une remise en cause de la construction, étaient réunies.
39-Selon leur analyse la société Amalgo aurait failli à rapporter la preuve d'une remise en cause de la construction par un tiers ou de l'administration qui était une condition nécessaire à la mise en jeu de la garantie, produisant en outre des faux témoignages sur la construction qui font l'objet d'un autre moyen au soutien de l'infirmation de l'ordonnance d'exequatur auquel la cour répondra par la suite.
40-S'il est exact que comme l'a relevé le tribunal arbitral, la question de la licéité de la construction était dans les débats et que les parties étaient en désaccord sur la régularité de la construction, cette objection de la part des consorts [V]-[C] ne constituait pas une demande mais un moyen en défense qu'ils ont vainement opposé pour contester que les conditions de la mise en jeu de la garantie étaient remplies au sens des dispositions contractuelles et en particulier de l'article 3.3 de l' Acte réitératif.
41-Ce moyen en défense a été écarté par le tribunal arbitral, considérant qu'il suffisait de démontrer un risque éventuel d'irrégularité de la construction pour mettre en jeu la garantie au sens de l'article 3.3 selon ses termes au § 121 de la sentence:
« Toutefois, dans le cadre de cet arbitrage, le Tribunal Arbitral n'a pas à se prononcer sur la licéité ou sur la régularité de la construction de l'immeuble ou des travaux, le seul fait pertinent pour le Tribunal Arbitral étant qu'il existait une potentielle irrégularité, ce qui a conduit les Parties à inclure dans l'Acte réitératif de vente une garantie spécifique concernant l'immeuble, tel que discuté ci-après. Le Tribunal Arbitral n'a donc pas jugé utile de développer dans cette partie, en détail, les différents faits relatifs à la licéité ou à la régularité de la construction de l'immeuble ou des travaux, pas plus qu'il n'a jugé utile de traiter en détail les différentes règlementations en la matière relevant du droit de l'urbanisme. Certains de ces éléments peuvent toutefois figurer dans les considérations du Tribunal Arbitral à l'occasion de son analyse juridique. ».
42- Il ressort de ces énonciations que le tribunal arbitral ne s'est ainsi pas écarté de la mission qui lui a été confiée et n'a commis aucun déni de justice.
43-Ainsi sous couvert d'un grief tiré du non-respect de sa mission par le tribunal arbitral, les consorts [V]-[C] entendent en réalité, remettre en cause le sens donné par le tribunal arbitral à la clause de la garantie spécifique de l'immeuble qu'il n'appartient pas à la cour de rejuger.
44- Ce moyen sera en conséquence rejeté.
Sur le moyen tiré de la violation de l'ordre public international (article 1520, 5° du code de procédure civile)
45-Les consorts [V]-[C] soutiennent que la sentence témoigne d'un parti pris systématique de la part des arbitres pour l'intimée qui se fait sentir tout au long de la sentence
46-Ils soulignent à cet égard la position prise par le tribunal arbitral de déclarer la demande recevable et le refus de se prononcer sur la régularité de la construction de l'immeuble à [Localité 5].
47- Ils développent que le tribunal arbitral a pris sa décision sur la base de deux témoignages de l'agent immobilier et du notaire, respectivement M.[L] [O] et Me [S] [T] mandatés par la société Amalgo qui ont attesté que le bien vendu était atteint d'une irrégularité qui pourrait poser problème auprès des services de l'urbanisme ce qui est faux comme en atteste le témoignage de leur notaire que le tribunal arbitral a abusivement écarté.
48- Ils en déduisent que les documents produits ne pouvaient de ce fait être valablement retenus par les arbitres qui selon le règlement de l'IBA aurait dû les écarter.
49-Ils soulignent que tirer les conséquences de ces témoignages revient à retenir une preuve que le bénéficiaire de la garantie, la société Amalgo, se fait à lui-même contrairement au droit processuel français comme l'opinion dissidente d'un des arbitres l'a expressément exposé le 15 juillet 2021.
50-Ils ajoutent que ce faisant le tribunal arbitral a substitué des témoins à ceux requis par la lettre du contrat de garantie de passif qui ne pouvaient être qu'un tiers acquéreur ou l'administration et fondé sa décision sur des informations mensongères.
51-Ils avancent que ces éléments qui sont des preuves fabriquées par la société Amalgo en connaissance de cause avec la complicité du notaire et de l'agent immobilier révèlent aussi l'existence d'une fraude procédurale que le tribunal arbitral a validée constituant une violation au droit au procès équitable et une violation supplémentaire à l'ordre public international.
52-En réponse, la société Amalgo soutient d'une part que les arbitres n'ont pas manqué d'impartialité et d'autre part, qu'ils n'ont pas violé les règles de preuve et conteste enfin l'existence d'une fraude procédurale.
53-Elle soutient que la sentence dans laquelle le tribunal arbitral a motivé les raisons ayant conduit au rejet des arguments de nouveau repris devant la cour par les appelants n'est pas empreinte d'impartialité et que c'est dans son pouvoir d'appréciation que le tribunal arbitral a procédé à l'examen de la preuve et motivé les raisons pour lesquelles il retenait les témoignages de son notaire et de l'agent immobilier dont rien dans le dossier n'indiquait qu'ils avaient agi autrement qu'avec honnêteté et conscience professionnelle dans les termes du §254 de la sentence.
54-Elle rétorque enfin qu'en application des règles de procédures de la CNUDCI (Art. 27) et celles de l'AIB ou IBA, toutes les deux applicables dans le cadre de la procédure arbitrale ad hoc, il était possible pour toute personne d'être présentée par les parties comme témoin, même si elle a un lien quelconque avec une partie de sorte que ses témoignages étaient recevables.
SUR CE,
55-En application de l'article 1520, 5° du code de procédure civile, le recours en annulation est ouvert si la reconnaissance ou l'exécution de la sentence est contraire à l'ordre public international.
56-L'ordre public international au regard duquel s'effectue le contrôle du juge de l'annulation s'entend de la conception qu'en a l'ordre juridique français, c'est-à-dire des valeurs et des principes dont celui-ci ne saurait souffrir la méconnaissance même dans un contexte international.
57-L'impartialité se caractérise par l'absence de préjugé ou de parti pris susceptible d'affecter le jugement de l'arbitre.
58- Il appartient au juge de la régularité de la sentence arbitrale d'apprécier l'impartialité de l'arbitre en relevant toute circonstance de nature à affecter et à provoquer dans l'esprit des parties un doute raisonnable sur cette qualité qui est de l'essence même de la fonction arbitrale.
59-L'égalité des armes, qui constitue un élément du procès équitable protégé par l'ordre public international, implique l'obligation d'offrir à chaque partie une possibilité raisonnable de présenter sa cause ' y compris les preuves ' dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation substantiellement désavantageuse par rapport à son adversaire
60-La fraude procédurale dans le cadre d'un arbitrage peut être sanctionnée au regard de l'ordre public international de procédure ; elle suppose que des faux documents aient été produits, que des témoignages mensongers aient été recueillis ou que des pièces intéressant la solution du litige aient été frauduleusement dissimulées aux arbitres, de sorte que la décision de ceux-ci a été surprise.
61-En l'espèce si les consorts [V]-[C] n'ont pas été suivis dans leur argumentation devant le tribunal arbitral et ce notamment sur la fin de non-recevoir tirée de l'autorité de la chose jugée et sur l'interprétation des conditions de la garantie posées par le contrat, il ressort de la lecture de la sentence que c'est après s'être livré à un examen effectif des moyens et des arguments des Défendeursexposés expressément et après avoir détaillé dans sa motivation les raisons de leur rejet que le tribunal arbitral a pris sa décision sans que la sentence contienne un élément révélateur d'un manque d'impartialité.
62-Les consorts [V]-[C] ne démontrent pas davantage avoir été placés dans une situation désavantageuse dans la gestion de l'admission de la preuve. Ces derniers n'indiquent pas en quoi le tribunal arbitral a manqué à ses obligations en la matière au regard des règles de la procédure prévues pour l'arbitrage ad hoc, en l'occurrence celles du règlement CNUDCI et celles de l'Association Internationale du Barreau sur l'administration de la preuve dans l'arbitrage international (AIB) auxquelles le tribunal arbitral pouvait se référer.
63-Il ressort de la sentence que le tribunal arbitral sans exclure ni limiter les preuves, a apprécié les pièces produites en donnant les raisons qui l'ont conduit à donner crédit aux attestations de la société Amalgo contestées.
64- En effet, quand bien même un des arbitres a exprimé une opinion dissidente, le tribunal arbitral a rejeté l'objection des appelants sur le caractère probant des attestations qui étaient dans le débat au §254 en indiquant que « Les Défendeurs n'ont pas apporté de preuve de la prétendue négligence ou faute de la part de la Demanderesse, ni de l'incompétence de M. [O] et de Maître [S] [T]. Les Défendeurs auraient pu demander la présence de ces deux témoins lors de l'Audience au Fond pour les contre-interroger et ainsi démontrer leur négligence ou faute, mais ils ne l'ont pas fait. Rien dans le dossier n'indique que M. [O] et Maître [S] [T] aient agi autrement qu'avec honnêteté et conscience professionnelle (ce qui ne serait pas le cas s'ils avaient essayé de cacher les risques liés à la construction de l'immeuble aux acquéreurs potentiels). Ces arguments des Défendeurs sont donc écartés ».
65-Les appelants contestent en réalité dans ce moyen l'admissibilité et la force probante accordée aux preuves qui relèvent de la liberté d'appréciation du tribunal arbitral.
66-Enfin c'est en procédant par affirmation que les consorts [V]-[C] reprochent à la société Amalgo d'avoir produit de faux témoignages et commis une escroquerie au jugement ce qu'aucune pièce ne vient démontrer.
67-Ce dernier moyen sera en conséquence rejeté et les appelants seront déboutés de leur appel.
68-Les consort [V]-[C], succombants, il n'y a pas lieu de statuer sur leur demande en remboursement des sommes versées en exécution de l'ordonnance d'exequatur ni d'accueillir leurs demandes de dommages et intérêts pour le prétendu préjudice subi, à supposer même qu'elles relèveraient de la compétence du juge du recours.
Sur la demande en procédure calomnieuse de la société Amalgo contre les appelants
69-Selon l'article 24 du code de procédure civile « Les parties sont tenues de garder en tout le respect dû à la justice. Le juge peut, suivant la gravité des manquements, prononcer, même d'office, des injonctions, supprimer les écrits, les déclarer calomnieux, ordonner l'impression et l'affichage de ses jugements ».
70-En l'espèce la société Amalgo échoue à démontrer que les imputations de fraude procédurale qui manifestent l'expression du ressenti des appelants, ont dépassé les limites posées par l'exercice des droits de la défense.
71-La demande de la société Amalgo sera en conséquence rejetée.
Sur les frais et dépens
72-Il y a lieu de condamner les appelants, qui succombent, aux dépens.
73-En outre, ils doivent être condamnés à verser à la société Amalgo qui a dû exposer des frais irrépétibles pour faire valoir ses droits, une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile qu'il est équitable de fixer à la somme globale 10 000 de euros.
IV/ DISPOSITIF
La cour, par ces motifs :
1- Confirme l'ordonnance rendue par le tribunal judiciaire de Paris le 23 août 2021, ayant déclarée exécutoire en France la sentence arbitrale rendue en Suisse le 15 juillet 2021 ;
2- Condamne M. [V] et Mme [R] [V], Mme [K] [V] [C] et M. [X] [C], à payer à la société Amalgo Corporation la somme globale de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
3-Rejette toute autre demande des parties ;
4-Condamne M. [F] [V] et Mme [R] [V], Mme [K] [V] [C] et M. [X] [C] aux dépens.
La greffière Le Président
Najma EL FARISSI François ANCEL