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07/07/2022 | FRANCE | N°19/08740

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 8, 07 juillet 2022, 19/08740


Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 8



ARRET DU 07 JUILLET 2022



(n° , 9 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/08740 - N° Portalis 35L7-V-B7D-CAOZX



Décision déférée à la Cour : Jugement du 02 Juillet 2019 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° F18/05540





APPELANT



Monsieur [F] [R]

[Adresse 2]

[Local

ité 4]



Représenté par Me Claire SELLERIN-CLABASSI, avocat au barreau d'ESSONNE







INTIMÉE



SARL AUTO BILAN [Localité 6]

[Adresse 1]

[Localité 3]



Représentée par Me Thibaud DES...

Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 8

ARRET DU 07 JUILLET 2022

(n° , 9 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/08740 - N° Portalis 35L7-V-B7D-CAOZX

Décision déférée à la Cour : Jugement du 02 Juillet 2019 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° F18/05540

APPELANT

Monsieur [F] [R]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représenté par Me Claire SELLERIN-CLABASSI, avocat au barreau d'ESSONNE

INTIMÉE

SARL AUTO BILAN [Localité 6]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Thibaud DESSALLIEN, avocat au barreau de PARIS, toque : D1003

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 24 Mai 2022, en audience publique, les avocats ne s'étant pas opposés à la composition non collégiale de la formation, devant Madame Nathalie FRENOY, Présidente, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Madame Nathalie FRENOY, présidente

Madame Corinne JACQUEMIN, conseillère

Madame Emmanuelle DEMAZIERE, vice-présidente placée

Greffier, lors des débats : Mme Nolwenn CADIOU

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- signé par Madame Nathalie FRENOY, présidente et par Madame Nolwenn CADIOU, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

Monsieur [F] [R] a été engagé par la société Automobile Contrôle Technique Expertise par contrat à durée indéterminée à compter du 19 avril 2004, en qualité de contrôleur technique.

Son contrat de travail a été transféré à plusieurs sociétés dont en dernier lieu, le 29 novembre 2016, la société Auto Bilan [Localité 6]. M. [R] occupait alors les fonctions de contrôleur technique confirmé, échelon 9, statut employé de la convention collective des services de l'automobile .

Le 17 novembre 2017, il a été convoqué à un entretien préalable fixé au 28 novembre suivant et mis à pied à titre conservatoire. Par courrier du 14 décembre 2017, il a été licencié pour faute grave.

Contestant son licenciement, M.[R] a saisi le 19 juillet 2018 le conseil de prud'hommes de Paris qui, par jugement du 2 juillet 2019, notifié par courrier du 9 juillet 2019, l'a débouté de l'ensemble de ses demandes, a débouté la société Auto Bilan [Localité 6] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et a condamné la partie demanderesse aux dépens.

Par déclaration du 1er août 2019, M. [R] a interjeté appel de ce jugement.

Par ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 29 décembre 2021, M. [R] demande à la Cour :

-de le recevoir en son appel,

-de le déclarer bien-fondé en ses demandes, fins et conclusions,

-d'infirmer la décision entreprise,

-de condamner la société Auto Bilan [Localité 6] à verser à M. [R] les sommes de :

*45 000 euros à titre de l'absence de cause réelle et sérieuse,

subsidiairement, au même titre, en application du barème,

*34 227,45 euros,

*5 952,60 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

*595,26 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis,

*11 161,12 euros à titre d'indemnité légale de licenciement,

-d'ordonner la remise des documents de fin de contrat rectifiés conformément à la décision à intervenir : attestation Pôle Emploi, certificat de travail et bulletins de salaire sous astreinte de 50 euros par document et par jour de retard à compter du prononcé,

-de condamner la société Auto Bilan [Localité 6] à verser à M. [R] la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile afin de couvrir les dépenses qu'il a dû engager pour faire valoir ses droits en justice tant en 1ère instance qu'en cause d'appel,

-d'assortir les condamnations de l'intérêt au taux légal à compter de la saisine avec application du principe de l'anatocisme,

-de mettre l'intégralité des dépens à la charge de la société Auto Bilan [Localité 6].

Par ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 31 janvier 2022, la société Auto Bilan [Localité 6] demande à la Cour :

-de confirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré,

et par conséquent

-de dire et juger que M. [R] a commis une faute grave qui justifiait son licenciement par la société Auto Bilan [Localité 6],

en conséquence,

-de débouter M. [R] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions formulées à l'encontre de la société Auto Bilan [Localité 6], y compris celle de l'article 700 du code de procédure civile,

-de condamner M. [R] à payer à la société Auto Bilan [Localité 6] la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

-de condamner M. [R] aux entiers dépens,

à titre infiniment subsidiaire et si par impossible la Cour envisageait de réformer le jugement en écartant la faute grave :

-de constater le chiffrage erroné des sommes réclamées à titre de préavis et d'indemnité de licenciement,

en conséquence

-de limiter l'indemnité de préavis à la somme de 5 733,84 euros, outre 573,38 euros de congés payés afférents, et à celle de 10 750,95 euros l'indemnité de licenciement compte tenu du salaire de référence s'élevant à 2 866,92 euros,

à titre plus subsidiaire encore :

-de constater l'absence totale de préjudice de M. [R] et le fait qu'il a retrouvé un emploi moins d'un mois après la rupture,

en conséquence,

-de limiter au minimum légal l'indemnité qui serait allouée à M. [R], soit l'équivalent de 3 mois de salaires, si par extraordinaire il était jugé que son licenciement était abusif.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 22 mars 2022 et l'audience de plaidoiries a été fixée au 24 mai 2022.

Il convient de se reporter aux énonciations de la décision déférée pour plus ample exposé des faits et de la procédure antérieure, ainsi qu'aux conclusions susvisées pour l'exposé des moyens des parties devant la cour.

MOTIFS DE L'ARRET

Sur le licenciement :

La lettre de licenciement adressée le 14 décembre 2017 à M. [R] contient les motifs suivants, strictement reproduits :

' (...) Le 16 novembre 2017, la DRIEE a effectué une visite de surveillance sur le site AUTO BILAN [Localité 6] dans lequel vous travaillez en qualité de Contrôleur Technique confirmé au sein de notre société.

Or au cours de cette visite, supervisée par M. [E][J], plusieurs non conformités ont été constatées lors du contrôle, réalisé par vos soins, du véhicule immatriculé C------B.

Le rapport de visite de surveillance de la DRIEE est absolument accablant puisqu'il a constaté 11 non-conformités dont 5 non-conformités critiques se rapportant exclusivement à votre personne.

LES NON CONFORMITES

- Non vérification d'un point de contrôle de la fonction 1 constat: Le contrôleur n'a pas contrôlé la pression des pneumatiques préalablement au contrôle de la fonction freinage. Ce contrôle a été effectué à la demande du superviseur.

- Non vérification d'un point de contrôle de la fonction 3

constat: Le contrôleur n'a pas contrôlé le bon fonctionnement du système de désembuage (...)

- Mauvaise réalisation d'un contrôle de la fonction 3 VISIBILITE ( ...)

constat: Le contrôleur n'a pas contrôlé la bonne fixation des vitrages (...)

- Non vérification d'un point de contrôle de la fonction 4

constat: Le contrôleur n'a pas contrôlé le bon fonctionnement des feux de détresse lorsqu'ils sont enclenchés moteur coupé (...)

- Mauvaise réalisation d'un contrôle de la fonction 4 ECLAIRAGE SIGNALISATION

constat: Le contrôleur a positionné le réglophare à une distance aléatoire du véhicule sans vérifier et connaître la distance réglementaire (...)

- Non vérification d'un point de contrôle de la fonction 8

constat: Le contrôleur n'a pas contrôlé l'état et le fonctionnement de la glace avant (...)

LES NON CONFORMITES CRITIQUES :

- Non vérification d'un point de contrôle de la fonction 1

constat : le contrôleur n'a pas contrôlé l'état de la pédale de frein de service. (...)

Conséquences : pour cause de non contrôle, le client peut se retrouver avec une pédale de frein de service défectueuse. Cette non-conformité est susceptible d'engendrer la mise en danger de la vie du client.

-Non vérification d'un point de contrôle de la fonction 1

constat : le contrôleur n'a pas contrôlé le dispositif d'assistance à dépression (...)

Conséquences: pour cause de non contrôle le client peut se retrouver avec un dispositif d'assistance à dépression défectueux. Cette non-conformité est susceptible d'engendrer la mise en danger de la vie du client.

- Mauvaise réalisation d'un contrôle de la fonction 2 DIRECTION (...)

constat : le contrôleur n'a pas contrôlé le ripage conformément à la SRV (le contrôleur a avancé en maintenant le véhicule dans l'accès en ligne droite sur une distance inférieure à un tour de roue jusqu'à la plaque de grippage). (...)

Conséquences : le non-respect du ripage conformément à la SRV peut indiquer des fausses valeurs sur les bancs de freinage. Le client peut donc, à tout moment, se retrouver avec un système de freinage défaillant. Cette non-conformité est susceptible d'engendrer la mise en danger de la vie du client.

- Mauvaise réalisation d'un contrôle de la fonction 4 ECLAIRAGE SIGNALISATION (...)

constat: le contrôleur n'a pas contrôlé le bon fonctionnement des différents dispositifs d'éclairage en cumulant toutes les fonctions afin de détecter des problèmes de masse. (...)

Conséquences: pour cause de non contrôle, le client peut donc, sans le savoir, se retrouver avec une mauvaise signalisation de son véhicule, en cas de conditions météorologiques difficiles ou tout simplement la nuit. (...)

- Non vérification d'un point de contrôle de la fonction 6

constat : le contrôleur n'a pas contrôlé le bon fonctionnement de la commande intérieure de la porte avant droite (...)

Conséquences: en cas d'accident et de non fonctionnement de la commande intérieure de la porte avant droite, le passager du véhicule peut se trouver piégé au sein du véhicule accidenté. Cette non-conformité est susceptible d'engendrer la mise en danger de la vie du client.

Au cours de l'entretien du 28 novembre 2017, vous n'avez à aucun moment reconnu la gravité des faits qui vous sont reprochés, cherchant à minimiser les conséquences des défaillances de contrôle qui vous sont imputables.

Vous avez même invoqué une « discrimination » à votre encontre de la part des contrôleurs de la DRIEE, sans même expliquer pour quelles raisons et sur quel fondement ces agents de l'État n'avaient pas été objectifs dans le cadre de leur contrôle.

Vos explications témoignent du fait que vous n'avez nullement conscience des fautes commises ni des conséquences potentiellement catastrophiques tant pour notre clientèle que pour l'entreprise et aussi bien au niveau civil que pénal.

Il ressort du constat tiré par la DRIEE du rapport de visite que nous avons reçu que vous avez cumulé les fautes professionnelles graves, lesquelles sont susceptibles de remettre en cause le maintien de votre agrément mais aussi et surtout d'altérer potentiellement celui de votre centre de rattachement, primordial pour l'exercice de son activité.

Bien pire, vos manquements très graves sont susceptibles de mettre en péril la sécurité de nos clients, qui pensent ressortir du centre avec un véhicule parfaitement contrôlé et en état, alors que leur voiture peut présenter une grave défaillance qui aurait dû être détectée et pouvant causer un accident à tout moment.

(...)

Au regard de la réglementation (voir arrêté du 18 juin 1991 modifié et articles du code de la route qui régissent notre profession), ce type d'agissement est très grave. Votre agrément préfectoral vous oblige au respect strict des procédures liées à la profession et aux règles de déontologie de la société et du centre de contrôle technique AUTO BILAN [Localité 6].

De plus, les 5 et 6 octobre 2017, vous avez effectué une formation 'Maintien de qualification contrôleur technique VL' , formation que vous réalisez chaque année afin d'obtenir le renouvellement de votre agrément préfectoral n° 09.....7.

Jusqu'à ce jour, vous aviez toujours obtenu des résultats convenables, permettant le renouvellement de votre agrément préfectoral ainsi que le maintien de votre emploi.

Or le 30 novembre 2017, les résultats de votre formation accomplie début octobre nous ont été communiqués et à notre grande surprise, ils s'avèrent très défavorables. En effet, vous n'avez obtenu que la note de 7/20, note très médiocre qui ne permet pas en l'état le renouvellement de votre agrément préfectoral.

Cela ne fait que confirmer votre manque total de professionnalisme, que nous ne pouvons accepter au regard des règles et procédures extrêmement strictes que nous devons respecter quotidiennement dans le cadre de l'exercice de notre activité et des conséquences civiles et pénales qui en découlent.

Compte tenu de l'ensemble de ces éléments et en particulier de la gravité des manquements relevés à votre encontre par la DRIEE, nous considérons la poursuite de votre contrat de travail impossible et vous notifions par la présente votre licenciement pour faute grave.'

M. [R] considère que son licenciement est fondé sur des motifs non exacts et non sérieux, que la décision a été disproportionnée puisqu'il a subi des contrôles de la DRIEE tous les deux ans et les a toujours réussis, qu'en raison de sa surcharge de travail, il a passé cet examen extrêmement fatigué et a eu affaire à un agent inexpérimenté qui l'a déstabilisé. Il explique avoir effectué son contrôle sans expliquer assez ce qu'il contrôlait, alors qu'avec son expérience de contrôleur confirmé, un simple coup d''il lui suffit pour vérifier certains points de contrôle, ce que le jeune agent a pris à tort pour une absence de contrôle. Il souligne que ce dernier pouvait le suspendre ou lui retirer son agrément immédiatement s'il estimait son travail dangereux, ce qui n'a pas été fait, et rappelle que ses compétences n'ont jamais été remises en cause entre 2011 et 2017, d'autant que depuis décembre 2016, il perçoit une prime exceptionnelle témoignant de la satisfaction de son employeur quant à la qualité de son travail. Concernant la formation des 5 et 6 octobre 2017, il relève que sa défaillance a été accidentelle puisqu'il avait obtenu une note de 18/20 en 2015 et de 17/20 en 2016, que son échec n'emporte pas retrait d'agrément puisqu'il a obtenu un résultat favorable le 12 décembre suivant. Il souligne le caractère injustifié et hâtif de la sanction, qui est en outre disproportionnée, alors qu'il a été surchargé de travail, soumis à des cadences infernales et reconnu travailleur handicapé depuis 2000. Il invoque une décision discriminatoire et cite le cas d'un collègue qui, ayant commis une faute professionnelle, lors d'un contrôle réseau le 16 novembre 2017, n' a pas été sanctionné. Il réfute avoir tenté de négocier une rupture conventionnelle, n'ayant aucune raison de vouloir quitter l'entreprise alors qu'il avait des enfants en bas âge et que son profil atypique ( travailleur handicapé âgé de 59 ans) ne lui permettait pas d'envisager de retrouver un emploi facilement. Invoquant sa carrière incomplète et son impossibilité de faire valoir ses droits à la retraite, ainsi que son ancienneté importante et la brutalité de la rupture lui ayant causé un préjudice moral indéniable, M. [R] considère que l'application du barème d'indemnisation porterait une atteinte disproportionnée à ses droits et sollicite 45'000 € à titre de dommages-intérêts.

La société Auto Bilan [Localité 6] sollicite la confirmation du jugement entrepris, rappelle la gravité des fautes professionnelles commises par M. [R] lors du contrôle de la Direction Régionale et Interdépartementale de l'Environnement et de l'Energie ainsi que son échec à la formation 'maintien de qualification' annuelle. En l'état du cumul de fautes, dont la matérialité ne fait pas débat puisque le rapport de la DRIEE indique expressément que les contrôles litigieux n'ont pas été effectués, le salarié ne pouvant sérieusement se retrancher derrière son expérience et un simple coup d''il jeté aux dispositifs du véhicule, en l'état de leur gravité puisque les non-conformités recensées étaient susceptibles de mettre en danger la vie du client, elle rappelle avoir été contrainte de prendre la décision de licencier M.[R]. La société Auto Bilan [Localité 6] souligne que les contrôleurs ne procèdent qu'à 10 à 12 contrôles par jour, que le jour des faits l'appelant n'avait effectué que 13 interventions, correspondant à 6,5 heures de travail et qu'aucune heure supplémentaire n'avait été effectuée du 1er novembre au 16 novembre 2017. Elle rappelle la note très médiocre, ne permettant pas le renouvellement de l'agrément préfectoral, obtenue par le salarié à la formation ' maintien de qualification contrôleur technique VL' et considère que ses défaillances répétées ne peuvent avoir d'autres explications que le souhait de l'intéressé d'obtenir la rupture de son contrat de travail, puisqu'il projetait de travailler dans un autre centre, à [Localité 5].

À titre subsidiaire, la société Auto Bilan [Localité 6] souligne le caractère exorbitant de la demande formulée en l'absence de toute preuve d'un préjudice, rappelle que M. [R] a retrouvé un emploi moins d'un mois après la rupture et retient que seuls pourraient être appliqués le minimum légal correspondant à trois mois de salaire ou 8 600,76 € à titre de dommages-intérêts , une indemnité compensatrice de préavis de 5 733,84 € ainsi qu'une indemnité de licenciement de 10 750,95€.

La faute grave, qui seule peut justifier une mise à pied conservatoire, résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputable au salarié qui constitue une violation des obligations du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise ; il appartient à l'employeur d'en rapporter la preuve.

En l'espèce, pour démontrer la réalité, la gravité et l'imputabilité des faits ayant justifié selon elle le licenciement pour faute grave, la société Auto Bilan [Localité 6] verse aux débats le rapport de visite de surveillance de la Direction Régionale et Interdépartementale de l'Environnement et de l'Energie d'Île-de-France en date du 22 novembre 2017 relatif à une visite du 15 novembre précédent, détaillant les non-conformités constatées lors de la supervision de M. [R], telles que reprises dans la lettre de licenciement, l'attestation du responsable du centre de contrôle technique relatant qu'à la fin du contrôle , 'un inspecteur de la DRIEE est venu m'informer que M. [R] avait commis un nombre important de manquements majeurs à la réglementation pouvant entraîner la fermeture du centre. L'inspecteur ne comprenait pas qu'un contrôleur normalement expérimenté fasse autant d'erreurs majeures. L'inspecteur m'a donc informé que M. [R] serait dans l'obligation de passer la formation obligatoire 'Maintien de qualification annuel' au vu des erreurs commises. Je lui ai répondu que M. [R] a déjà passé cette formation, j'avais été informé directement par le réseau de sa note de 7/20 et une session de rattrapage était déjà programmée le 11 et 12 décembre 2017.' 'Une fois les inspecteurs de la DRIEE partis, je suis allé voir M. [R]. Je lui ai demandé qu'est-ce qui lui a pris de faire un contrôle aussi catastrophique et lui ai expliqué que cela pouvait avoir de graves conséquences pour le centre. Et lui ai exprimé mon mécontentement. Il m'a répondu « ce n'est pas grave, au pire on finira tous au chômage ensemble» ( ...)', le tableau de bord journalier du 16 novembre 2017, les attestations de contrôle technique effectués par M. [R] le 16 novembre 2017 (au nombre de 12), ainsi que le courriel du 29 novembre 2017 faisant état des notes de l'intéressé en 2015 et 2016 variant entre 17 et 18/20.

La matérialité des faits reprochés au salarié n'est pas contestée.

En l'état des éléments produits quant à lajournée de supervision effectuée par la DRIEE, la démonstration d'une surcharge de travail n'est pas faite spécifiquement, mais il ressort des bulletins de salaire versés aux débats que M. [R] avait accompli des heures supplémentaires les mois précédents.

En ce qui concerne la discrimination invoquée, laquelle constituerait plutôt une différence de traitement entre deux salariés placés dans des situations identiques, M. [R] ne produit aucun élément permettant de vérifier l'identité de sa situation avec celle de M. V., autre contrôleur avec lequel il se compare.

Alors que le salarié produit de nombreuses attestations faisant état de sa rigueur et de son professionnalisme, l'affirmation de la société Auto Bilan [Localité 6] selon laquelle l'appelant aurait agi ainsi pour faire pression et obtenir une rupture conventionnelle trouve écho dans l'attestation du responsable régional des réseaux Autosécurité et Securitest indiquant que M. [R] s'était rapproché de lui courant 2017 pour l'informer de son souhait de changer de centre de contrôle technique 'il m'a fait part de son désir de demander une rupture conventionnelle (...) Suite à cet entretien, Mr [R] [F] me semblait bien déterminé à obtenir une rupture conventionnelle. Par la suite, j'ai été étonné des résultats obtenus lors de son maintien de qualification annuel obligatoire . (...) Il me semble qu'avec l'expérience et l'ancienneté de M. [R] [F] dans la profession de contrôleur technique automobile, il n'aurait pas dû obtenir des résultats aussi faibles' ainsi que dans l'attestation du responsable du centre de contrôle technique, relatant qu'en octobre 2017, le salarié lui avait 'parlé de son souhait de bénéficier d'une rupture conventionnelle de son contrat afin d'aller travailler dans un autre centre de contrôle technique. Il a fait sa demande auprès de la direction, demande qui a été refusée' et indiquant 'il m'a laissé entendre que son comportement ne changerait pas tant qu'il n'aura pas obtenu la rupture de son contrat. Suite à son licenciement, j'ai appris que M. [R] travaillait dans le centre où il voulait partir quand il a demandé sa rupture conventionnelle (...) à [Localité 5]'.

En l'état des éléments recueillis, alors que les non-conformités commises étaient graves puisque susceptibles de compromettre la sécurité des utilisateurs des véhicules contrôlés, la rupture du contrat de travail était légitime, quelles que soient les compétences réelles du salarié.

Cependant, en l'état de la notation obtenue par l'intéressé lors de son deuxième examen de 'maintien de qualification contrôleur technique VL' annuel, soit deux jours avant l'envoi de la lettre de licenciement, dont la société Auto Bilan [Localité 6] ne s'est pas préoccupée alors qu'elle permettait à M. [R] de conserver son agrément, il y a lieu de dire le licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse, et non sur une faute grave, la preuve de l'impossibilité de le maintenir au sein de l'entreprise ne serait-ce que pendant la durée du préavis n'étant pas rapportée.

Sur la base d'un salaire moyen mensuel de 2 976,30 €, à la lecture des bulletins de salaire produits aux débats, il convient d'accueillir la demande d'indemnité de licenciement à hauteur de la somme de 11'161,12 euros, eu égard à l'ancienneté de M. [R], remontant au 19 avril 2004.

En ce qui concerne l'indemnité compensatrice de préavis, il y a lieu d'accueillir la demande à hauteur du montant réclamé, soit 5 952,60 €, ainsi que les congés payés y afférents.

Sur les intérêts :

Conformément aux dispositions des articles 1153, 1153-1 (anciens), 1231-6 et 1231-7 (nouveaux) du Code civil et R1452-5 du code du travail, les intérêts au taux légal, avec capitalisation dans les conditions de l'article 1343-2 du Code civil, courent sur les créances de sommes d'argent déterminées par le contrat ou par la loi (indemnité de licenciement, indemnités compensatrices de préavis et de congés payés sur préavis) à compter de l'accusé de réception de la convocation de l'employeur devant le bureau de conciliation et sur les autres sommes à compter du présent arrêt.

Sur la remise de documents :

La remise d'une attestation Pôle Emploi, d'un certificat de travail et d'un bulletin de salaire rectificatif conformes à la teneur du présent arrêt s'impose sans qu'il y ait lieu de prévoir une astreinte, aucun élément laissant craindre une résistance de la société Auto Bilan [Localité 6] n'étant versé au débat.

Sur les dépens et les frais irrépétibles :

L'employeur, qui succombe, doit être tenu aux dépens de première instance, par confirmation du jugement entrepris, et d'appel.

L'équité commande d'infirmer le jugement de première instance relativement aux frais irrépétibles, de faire application de l'article 700 du code de procédure civile également en cause d'appel et d'allouer à ce titre la somme de 3 000 € à M. [R].

PAR CES MOTIFS

La Cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

INFIRME le jugement déféré, sauf en ses dispositions rejetant la demande de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et la demande reconventionnelle au titre des frais irrépétibles,

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

DIT le licenciement de M. [F] [R] fondé sur une cause réelle et sérieuse, mais non sur une faute grave,

CONDAMNE la société Auto Bilan [Localité 6] à payer à M. [R] les sommes de :

- 5 952,60 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 595,26 € au titre des congés payés y afférents,

- 11 161,12 € à titre d'indemnité de licenciement,

- 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

DIT que les intérêts au taux légal, avec capitalisation dans les conditions de l'article 1343-2 du Code civil, sont dus à compter de l'accusé de réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation pour les créances de sommes d'argent déterminées par le contrat ou par la loi et à compter du présent arrêt pour le surplus,

ORDONNE la remise par la société Auto Bilan [Localité 6] à M. [R] d'une attestation Pôle Emploi, d'un certificat de travail et d'un bulletin de salaire récapitulatif conformes à la teneur du présent arrêt, au plus tard dans le mois suivant son prononcé,

REJETTE les autres demandes des parties,

CONDAMNE la société Auto Bilan [Localité 6] aux dépens de première instance et d'appel.

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 8
Numéro d'arrêt : 19/08740
Date de la décision : 07/07/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-07-07;19.08740 ?
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