La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

07/07/2022 | FRANCE | N°19/06522

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 8, 07 juillet 2022, 19/06522


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 8



ARRET DU 07 JUILLET 2022



(n° , 10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/06522 - N° Portalis 35L7-V-B7D-CACCX



Décision déférée à la Cour : Jugement du 04 Février 2019 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° 18/02113





APPELANT



Monsieur [N] [K]

[Adresse 1]

[Localité 4]



Représenté par Me

Benoît PELLETIER, avocat au barreau de PARIS, toque : R260







INTIMÉE



SAS GALERIES LAFAYETTE HAUSSMANN

[Adresse 2]

[Localité 3]



Représentée par Me Jérôme DANIEL, avocat au barreau de ...

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 8

ARRET DU 07 JUILLET 2022

(n° , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/06522 - N° Portalis 35L7-V-B7D-CACCX

Décision déférée à la Cour : Jugement du 04 Février 2019 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° 18/02113

APPELANT

Monsieur [N] [K]

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représenté par Me Benoît PELLETIER, avocat au barreau de PARIS, toque : R260

INTIMÉE

SAS GALERIES LAFAYETTE HAUSSMANN

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Jérôme DANIEL, avocat au barreau de PARIS, toque : G0035

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 12 Mai 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Sophie GUENIER-LEFEVRE, Présidente de chambre, rédactrice

Mme Corinne JACQUEMIN, Conseillère

Mme Emmanuelle DEMAZIERE, Vice-Présidente placée

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Mme Sophie GUENIER-LEFEVRE, Présidente, dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme Julie CORFMAT

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- signé par Madame Sophie GUENIER-LEFEVRE, présidente et par Madame Nolwenn CADIOU, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

Après un contrat de travail à durée déterminée conclu le 5 mai 2004, M. [N] [K], (le salarié), a été engagé le 31 octobre 2004, en qualité de conseiller de vente par la Galeries Lafayette S.A aux droits de laquelle se présente aujourd'hui la société Galeries Lafayette Haussmann (la société), qui développe une activité de grands magasins sous l'enseigne 'Galeries Lafayette'.

La convention collective applicable à la relation de travail est celle relative aux grands magasins et magasins populaires.

Le 4 novembre 2014, il a été élu délégué du personnel et le 12 janvier 2016, il a été désigné membre du Comité d'Hygiène, de Sécurité et des Conditions de Travail, (CHSCT) et depuis 2019, du Comité Social et Economique (CSE).

Le 1er août 2016, le salarié rejoignait le syndicat Commerce Indépendant Démocratique (CID).

Le 19 octobre 2017, la société convoquait M.  [K] à un entretien préalable fixé au 7 novembre 2017 et notifiait dans le suites un avertissement .

Contestant son avertissement, estimant être créancier de rappels de salaire pour heures supplémentaires et soutenant avoir été victime de harcèlement moral, de discrimination syndicale et du non respect de l'obligation de sécurité par l'employeur, M.  [K], ainsi que le syndicat CID partie jointe, ont saisi le conseil des prud'hommes de Paris le 20 mars 2018 pour faire valoir leurs droits.

Par jugement en date du 4 février 2019, notifié aux parties par lettre du 25 avril 2019, le conseil de prud'hommes de Paris a :

- pris acte du désistement d'instance et d'action du syndicat Commerce Indépendant Démocratique ;

- débouté M [K] de l'ensemble de ses demandes ;

- laissé les dépens à sa charge ;

- débouté la Société Galeries Lafayette Haussmann de sa demande formulée au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par déclaration du 23 mai 2019, M. [K] a interjeté appel.

Dans ses dernières conclusions, notifiées et déposées au greffe par voie électronique le 4 avril 2022, il demande à la Cour :

- de le dire recevable et bien fondé en son appel,

Y faisant droit,

- d'infirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Paris le 4 février 2019 et, statuant à nouveau,

- d'annuler l'avertissement notifié le 5 décembre 2017,

-de condamner la société Galeries Lafayette Haussmann à lui verser :

-25 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la discrimination et du harcèlement moral,

-534,97 euros à titre de rappel d'heures supplémentaires

-53,50 euros au titre des congés payés afférents,

- de dire que ces sommes porteront intérêt au taux légal à compter de la date de la demande de convocation portée devant le conseil de Prud'hommes de Paris,

- de condamner la société Galeries Lafayette Haussmann à lui verser au titre des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile aux sommes de :

-1 800 euros chacun pour la première instance,

-2 500 euros chacun pour la procédure d'appel.

- de condamner la Société Galeries Lafayette Haussmann aux entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions, notifiées et déposées au greffe par voie électronique le 18 avril 2022, la société demande au contraire à la cour :

- de la recevoir en ses conclusions et l'y déclarer bien fondée ;

-de confirmer, dans toutes ses dispositions le jugement entrepris ;

-de débouter M. [K] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;

-de le condamner à lui verser 3 500 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile..

L'ordonnance de clôture est intervenue le 10 mai 2022 et l' affaire a été appelée à l'audience du 12 mai 2022 pour y être examinée.

Il convient de se reporter aux énonciations de la décision déférée pour un plus ample exposé des faits et de la procédure antérieure et aux conclusions susvisées pour l'exposé des moyens des parties devant la cour.

MOTIFS

L'article 1132-1 du Code du Travail inclus dans le chapitre 2 fixant les règles sur le principe de non-discrimination et inclus dans le titre III intitulé 'Discriminations', prohibe toute mesure discriminatoire, directe ou indirecte à l'encontre d'un salarié, en raison notamment de ses activités syndicales et l'article 1134-1 du même code aménage les règles de preuve pour celui qui s'estime victime de discrimination au sens du chapitre 2, l'intéressé devant alors seulement présenter des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte, la partie défenderesse devant prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, et le juge formant sa conviction après avoir ordonné en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Par ailleurs, le harcèlement moral s'entend aux termes de l'article L 1152-1 du Code du Travail, d'agissements répétés qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail du salarié, susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel et il résulte de l'article 1154-1 du Code du Travail, dans sa rédaction issue de la loi N° 2016-1088 du 8 août 2016,que lorsque survient un litige au cours duquel le salarié évoque une situation de harcèlement moral, celui-ci doit présenter des éléments de faits laissant supposer l'existence d'un harcèlement, l'employeur devant prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le salarié considère qu'il a été victime de la part de son employeur de discrimination à raison de ses activités et engagements syndicaux, laquelle, au regard de la répétition des faits est un élément constitutif du harcèlement moral dont il se plaint.

A l'appui de sa demande, il présente les faits suivants :

- il a fait l'objet de sanctions injustifiées et répétées.

La première, prononcée soutient-il le 5 décembre 2016 et annulée par jugement du conseil des prud'hommes de Paris du 18 juillet suivant, et la seconde notifiée le 5 décembre 2017 relativement à des incidents survenus les 16 et 17 octobre 2017 au cours desquels l'employeur prétend qu'il s'est montré virulent et perturbateur, adoptant un comportement excessif et inadapté occasionnant un sentiment d'insécurité chez ses interlocuteurs, eux mêmes salariés de l'établissement, faits dont il conteste l'interprétation et la suite donnée en sollicitant l'annulation de la mesure disciplinaire.

- ces sanctions injustifiées étaient dictées par son appartenance au syndicat CID, particulièrement actif à l'époque où elles ont été prononcées, la concomitance des sanctions avec des articles de presse et une action judiciaire devant être relevée,

- les choix judiciaires de l'employeur qui n'a pas poursuivi devant la cour d'appel, la remise en cause d'un jugement du conseil des prud'hommes prononçant l'annulation de l'avertissement prononcé contre un autre salarié, M. [I], pour des faits identiques à ceux ayant généré contre M. [K] une sanction en décembre 2016, certes elle aussi objet d'une décision d'annulation par le conseil des prud'hommes, mais contre laquelle un appel a été interjeté,

- le non paiement des heures passées en réunion au delà de l'horaire contractuel et les retards de paiement des heures de délégation, malgré de multiples réclamations,

- l'absence de tout entretien d'évaluation à raison de ses activités syndicales et de ce fait l'inexistence de toute progression professionnelle ou salariale, et ce, jusqu'en juillet 2018,

- le défaut de toute explication sur l'augmentation de salaire qui lui a été finalement consentie le 1er juillet 2018 à titre de régularisation et l'impossibilité en conséquence de vérifier le respect d'une égalité de traitement en matière de rémunération,

- l'absence de toute évaluation pour les années 2018 et 2019,

- la référence à ses activités syndicales dans l'évaluation de 2020,

- l'absence de tout entretien supplémentaire en sa qualité de représentant du personnel, tel que prévu par l'article 29 de l'accord relatif au dialogue social du 26 janvier 2018,

- un changement d'affectation imposé le 13 septembre 2019 en pleine campagne électorale,

- des entraves répétées à son mandat et à son activité syndicale se traduisant par l'apposition d'un tract d'un syndicat très agressif à son encontre sur des panneaux de la direction, la dissimulation du panneau du syndicat dont il était le représentant, le refus de l'accès au bâtiment dans lequel se trouve le local de son syndicat, l'absence de toute référence à son syndicat dans l'arborescence informatique de l'intranet de l'entreprise, ainsi que le refus d'accès au nouveau siège social.

Ces éléments de fait, pris dans leur ensemble, laissent supposer l'existence d'une discrimination liée à l'activité syndicale et d'un harcèlement moral.

Face à cela, l'employeur démontre que la première sanction a été validée par la cour d'appel de Paris par arrêt du 3 mars 2021 contre lequel il n'est justifié d'aucun pourvoi, et aux termes duquel le jugement ayant annulé l'avertissement a lui même été infirmé, observation devant être faite que le salarié évoque une première sanction prononcée le 5 décembre 2016, qui en réalité a été notifiée le 7 janvier 2017 ainsi que cela résulte du jugement du 29 août 2018, abusivement daté par M. [K] dans ses écritures, du 18 juillet 2018, date correspondant au jour de l'audience au cours de laquelle l'affaire a été évoquée devant le conseil des prud'hommes.

La légitimité de cette première sanction ne peut donc être remise en cause.

S'agissant de la deuxième sanction prononcée le 5 décembre 2017, il convient de rappeler qu'aux termes de l'article 1333-1 du Code du Travail, en cas de litige sur le prononcé d'une sanction disciplinaire, la juridiction apprécie si les faits reprochés au salarié sont de nature à justifier une sanction, l'employeur devant fournir les éléments retenus pour prendre la sanction.

Au vu de ces éléments et de ceux qui sont fournis par le salarié à l'appui de ses allégations, la juridiction forme sa conviction après avoir ordonné en cas de besoin, toutes mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

La lettre par laquelle l'avertissement est notifié est dont les termes fixent les limites du litige, fait grief au salarié d'avoir le 16 octobre 2017, ignoré délibérément la procédure de mise de côté d'un produit, d'avoir haussé le ton sur la surface de vente et tenu des propos virulents face à une conseillère de vente appliquant les règles en vigueur, nuisant ainsi à l'image de l'entreprise envers la clientèle.

Le manager dont la présence sur les lieux avait été sollicitée par le salarié lui même a constaté l'énervement de ce dernier et l'utilisation d'un ton agressif au niveau sonore fort jugeant de ce fait nécessaire de lui demander qu'il s'éloigne de la surface de vente.

Dans la continuité de cet incident, il est fait grief au salarié de s'être rendu dans les bureaux des ressources humaines afin d'obtenir des explications sur la remise en vente du produit et accompagné d'une autre personne, d'avoir précisé sur un ton inadapté que cette remise en vente était inacceptable et que cette histoire n'en resterait pas là, le tout dénotant un comportement excessif et inadapté envers ses collègues et les membres de la direction.

La lettre d'avertissement stigmatise un deuxième fait qui s'est déroulé le lendemain 17 octobre 2017, tenant à ce que le salarié, accompagné d'un autre, a fait irruption dans le bureau de deux managers et interrompu leur travail, pour prendre des photos, le salarié ayant ainsi enfreint les règles élémentaires de savoir vivre, ce comportement inconvenant ayant occasionné un sentiment d'insécurité pour les managers présentes et ayant troublé leurs activités, d'autant que le salarié les a aussitôt interrogées sur l'utilité de frapper quand on entrait dans son propre bureau, l'ampleur prise par l'incident les ayant conduites à signaler les faits à leur hiérarchie.

Il est encore rappelé que le salarié s'est ensuite présenté brusquement au service des ressources humaines auquel il a manifesté bruyamment son mécontentement face à l'indisponibilité de ses membres à le recevoir immédiatement, se permettant d'entrer dans un espace adjacent du bureau collectif pour y passer un appel téléphonique sans se préoccuper des besoins d'occupation du dit local.

L'employeur conclut qu'il retient en conséquence son comportement inapproprié vis-à-vis de plusieurs collègues et managers, le caractère péremptoire de ses propos vis-à-vis de plusieurs salariés ainsi que la perturbation répétée des collectifs de travail qui en est découlé .

La réalité d'une procédure spécifique de mise de côté d'un produit, opposable aux salariés de l'entreprise n'est pas contestée par M. [K] qui souligne cependant que l'une des étapes prévues au règlement interne n'a pas été respectée puisqu'il n'a reçu aucun appel lui signifiant la fin du délai de réservation normalement limité à trois jours.

Outre que le salarié relève lui même avoir appelé le point de vente avant de s'y présenter pour faire prolonger la mise de côté et donc avoir été conscient que les conditions de durée fixées pour une telle opération étaient dépassées, il est constant que le délai de réservation possible était échu, l'intéressé ne pouvant donc exiger que le produit soit mis à sa disposition, qui plus est en adoptant à l'encontre d'une des conseillères de vente du stand, un comportement qu'elle caractérise 'de légèrement agressif' puis 'd'agressif' le témoin précisant qu'elle avait été conduite de ce fait à s'éloigner pour ne pas avoir à y faire face (P. N° 4 de l'employeur, attestation de Mme V., ).

Ce témoignage, précis et circonstancié, révèle le caractère inapproprié de l'attitude du salarié qui s'est énervé face à la remise en rayon régulière d'un produit qu'il avait réservé et a généré chez sa collègue le besoin de s'éloigner de lui, l'excès dont l'intéressé a fait preuve dans son expression s'étant de plus manifesté sur la surface de vente, pendant les heures d'ouverture du magasin.

Alors qu'en matière prud'homale la preuve est libre, rien ne s'oppose à ce que soit examinée cette attestation même si elle a été établie par une personne travaillant au service de l'employeur, la valeur et la portée de ce témoignage devant être confrontée à l'absence de tout élément de nature a le remettre en cause .

L'attestation que produit le salarié pour contrer ces éléments n'est pas suffisamment circonstanciée pour les remettre en cause, la cour n'étant pas en mesure de déterminer que l'endroit de la surface de vente sur lequel était présente la personne qui témoigne en sa faveur coïncidait avec celui où se sont déroulés les échanges relatés ci-dessus, ni si elle y a assisté et dans quelles conditions, l'affirmation générale selon laquelle il a toujours été très correct envers les vendeurs les démonstrateurs et les managers n'étant pas déterminante sur les faits précis caractérisés.

Le fait que M. [U]., manager, arrivé sur les lieux à la demande de M. [K] et d'un autre salarié M. [U]., lui même délégué syndical l'ayant rejoint, ait invité les deux intéressés à s'éloigner de la surface de vente est reconnu, et le témoignage écrit de ce manager est suffisamment précis pour que puisse être considéré comme établi le fait personnellement constaté de ce que le ton était monté, de ce que ses interlocuteurs étaient agacés, de ce qu'ils lui ont précisé que 'cela allait se régler avec la direction' et de ce que lorsqu'ils sont partis, il s'est 'senti attaqué' ayant le sentiment qu'ils 'voulaient faire pression'.

M. [K] ne conteste pas s'être rendu immédiatement dans les services des ressources humaines, toujours accompagné de M. [U], indiquant avoir voulu obtenir des explications sur la remise en rayon du produit qu'il avait réservé, et l'employeur verse aux débats sur ce point le témoignage de Mme M., relatant l'arrivée des deux salariés dans le bureau auxquels elle a demandé de préciser le sujet dont il retournait, et l'attitude très agitée de M. [U] qui s'est emporté et a donné des explications sur un ton agressif.

Pour les mêmes raisons que celles exposées ci-dessus et tenant à la liberté de la preuve en matière prud'homale, rien ne justifie la mise à l'écart de ce témoignage même rédigé un an après les faits, d'autant qu'il reprend le signalement fait par courrier électronique par la même salariée dès le lendemain des faits, et si les propos tenus et le ton inadapté stigmatisés dans la lettre d'avertissement ne peuvent être attribués à M. [K] lui même, il ressort des faits relatés que ce dernier a bien accompagné son collègue qui lui même était agressif voire menaçant, faisant en se joignant à lui, preuve d'un comportement excessif et inadapté envers les membres de la direction.

Les faits du 16 octobre 2017 sont donc constitués.

S'agissant des faits relevés le lendemain, ils sont également établis par les témoignages conjoints des deux salariées dans le bureau desquels M. [K] accompagné de M.[U]., se sont introduits sans s'annoncer, en usant comme le précise l'appelant lui même de leurs badges pour ouvrir la porte, faisant valoir leurs qualités syndicales pour justifier leur comportement, et ce de façon suffisamment agressive pour générer chez leurs interlocutrices un sentiment d'insécurité dont elles témoignent: Mme [E], :'me sentant en insécurité je leur ai dit que j'allais appeler la sûreté du magasin. Pour ne pas aggraver la situation j'ai préféré le faire après qu'ils soient partis', ou Mme [W], : ' lorsque j'ai vu qu'il n'y avait pas de possibilité de dialogue j'ai pris la décision d'appeler ma responsable (...), je n'arrivais pas à communiquer car ils continuaient à hurler derrière moi. (...). je tremblais et j'avais les larmes qui montaient aux yeux (...). j'espère ne plus avoir à vivre ça (...).'.

Il ne peut être considéré que M. [K] était ainsi resté dans les limites des droits que lui confèrent ses qualités de membres du CHSCT ou de représentant du personnel, quand bien même se prévaut-il d'une mission de visites des bureaux exercée dans ce cadre, le débat sur l'usage ou non de bons de délégation étant inopérant à ce stade.

Les témoignages versés aux débats par l'employeur sont suffisamment circonstanciés pour pouvoir être retenus, dès lors qu'ils relatent avec précision la survenue en fin d'après midi d'un incident marquant, ce que confirment les déclarations au registre des accidents du travail bénins formalisées par les deux salariées s'en estimant victimes et rédactrices des attestations précitées, peu important que l'une fasse référence à une heure de survenue légèrement différente de celle relevée par l'autre, le courrier électronique adressé par M. [K] et M. [U], le jour même à 19h52 faisant lui même état d'une 'altercation' et confirmant la réalité de cette dernière.

Au regard de la gravité des faits établis et du trouble généré par le comportement du salarié sur les autres membres du personnel, l'avertissement donné doit être considéré comme justifié, la demande d'annulation devant être rejetée.

A ce titre, il ne peut être retenu comme constitutif de la discrimination syndicale ou du harcèlement moral, la concomitance de la sanction avec les articles de presse et une action judiciaire étant sans effet dès lors que la procédure disciplinaire a été mise en oeuvre dans les suites immédiates des faits commis et que la sanction a été prononcée conformément au délai de deux mois imposé à l'employeur par l'article L. 1332-4 du code du travail.

S'agissant de l'absence d'appel interjeté par l'employeur sur la décision du 10 janvier 2019 prononçant l'annulation d'un avertissement d'un autre salarié, il ne peut en être tiré aucune conséquence sur l'existence d'une discrimination ou d'un harcèlement moral dès lors que l'employeur justifie que l'appel porté par l'employeur sur la décision d'annulation de sanction prononcée contre M. [K] a porté ses fruits et conduit la cour d'appel à infirmer cette décision par arrêt du 3 mars 2021.

Sur le non paiement des heures passées en réunion du CHSCT au delà de l'horaire contractuel au titre d'heures supplémentaires, il y a lieu de rappeler, qu'en application de l'article L. 3171-4 du code du travail , en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail effectuées, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires.

Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances s'y rapportant.

A l'appui de sa demande, laquelle est limitée aux années 2016 et 2017, le salarié rappelle que ses horaires de travail supposaient une heure d'embauche à 12 heures et verse aux débats des convocations à des réunions du CHSCT et quelques comptes- rendus de réunions du CHSCT concernant la période litigieuse desquels il résulte qu'il était présent aux réunions en cause, ainsi que des relevés de pointage faisant état d'une présence du salarié au delà de ses horaires et coïncidant mais pour partie seulement avec les jours et heures des convocations précitées.

Face à cela l'employeur constate que la présence effective de M. [K] aux réunions pour lesquelles n'est produite que la première page de convocation n'est pas démontrée alors que le salarié ne tient aucunement compte de ses heures de pause.

Cependant la société qui critique les éléments versés par le salarié n'apporte pas ainsi d'éléments utiles permettant de remettre en cause le fait que les heures de présence au delà de l'horaire telles qu'elles résultent du relevé de pointage auquel se réfère le salarié correspondent à du travail effectif générant une rémunération majorée au titre des heures supplémentaires ainsi effectuées.

Au regard du décompte des heures supplémentaires effectuées par référence aux relevés de pointage, il doit être fait droit à la demande tendant à la condamnation de la société à lui verser 534,97 euros à titre de rappel de salaire et 53,49 euros au titre des congés payés afférents.

Pour autant dès lors qu'est justifié par l'employeur de l'usage de bons de délégation avant la mise en place d'un logiciel spécifique dénommé Pleiades en janvier 2018, ( PV CE ordinaire du 31 janvier 2018, P. 22, pièce N° 39 du salarié et bons de délégation de 2016 et 2017 établis et signés par M. [K], pièce N° 39 de l'employeur), il ne peut être considéré que le non paiement des heures supplémentaires telles qu'elles résultent des relevés de pointage, soit constitutif de la discrimination ou du harcèlement moral, le salarié reconnaissant qu'il n'avait pas rempli les bons de délégation pour l'ensemble des heures consacrées aux réunions du CHSCT avant 2018 dont les pièces précitées démontrent pourtant l'usage avant cette date.

L'employeur ne conteste pas la réalité d'un retard de paiement des heures de délégation en décembre 2020, puisqu'il fait référence à une régularisation intervenue en janvier 2021 et doit également être reconnue l'existence d'un retard sur une partie de la prime de décembre 2020, régularisé au mois de février suivant.

Il est également fait état par le salarié de plusieurs autres incidents du même type ayant donné lieu à des réclamations en 2019 et 2020, ces dernières, indépendamment des incidents eux mêmes, résultant des procès verbaux des réunions de CE versés par le salarié aux débats, et notamment celui du 29 octobre 2020 aux termes duquel la difficulté est prise 'très au sérieux', rien ne permettant de considérer que cette réponse ne concerne pas la question du paiement des réunions tenues pendant le 1er confinement.

Cependant, l'employeur justifie être soumis à des dates d'arrêtés de pointage applicables à tous les membres du personnel et dont le bien fondé repose sur les exigences d'une organisation complexe, que l'on peut admettre au surplus avoir été perturbée par la période exceptionnelle du premier confinement ayant généré une période de chômage partiel.

La réalité de deux incidents injustifiés par cette nécessaire organisation subsiste mais leur régularisation est démontrée, M. [K] ne formulant d'ailleurs aucune demande de rappel de salaire à ce titre.

Ces éléments ne peuvent donc être retenus comme constitutif de la discrimination ni du harcèlement moral.

La réalité d'une progression professionnelle sur laquelle s'est adossée une évolution salariale dont l'employeur justifie dès lors qu'engagé en qualité de vendeur qualifié catégorie 004, le salarié est devenu conseiller de ventes statut employé niveau II échelon 2 avec versement du salaire afférent, ne permet en revanche pas de justifier le fait que M. [K] n'a fait l'objet d'aucune évaluation entre 2015 et 2018, la mention 'non observé' ou 'non applicable' étant portée dans les différentes rubriques des Entretiens d'appréciation de la Performance, sans que cette option soit justifiée, la possibilité de promotion professionnelle de l'intéressé ayant été, en l'absence de toute évaluation, nécessairement compromise.

De plus l'absence d'évaluation a perduré jusqu'en 2020 et l'employeur ne justifie pas des raisons pour lesquelles il est fait explicitement référence à l'activité syndicale du salarié dans cette évaluation, la nécessité de la précision apportée par la mention selon laquelle il ne serait évalué 'que sur le temps passé en rayon dès lors qu'il exerce par ailleurs une mission syndicale' n'étant pas autrement justifiée.

Il en est de même de l'évaluation de 2021 dans laquelle il est dit que '[N] est un collaborateur impliqué dans sa mission de délégué c'est pour cela que certains points sont encore à développer au sein du secteur'.

Par ailleurs s'il est démontré l'existence d'une augmentation salariale individuelle décidée le 1er juillet 2018, le montant de la somme mensuelle allouée à ce titre, à hauteur de 21 euros n'est pas autrement explicité.

La référence à une médiane et à une moyenne des augmentations collectives consenties aux employés de niveau 2 sur la période d'octobre 2014 à juillet 2018 ne met pas la cour en mesure de considérer que la situation salariale de M. [K] était justifiée par rapport à celle des autres salariés de sa catégorie dès lors qu'il n'est pas justifié que son ancienneté supérieure à quinze ans ait été prise en compte, le bilan social 2020 auquel il fait référence (pièce N° 69) révélant que moins de 38% des employés avaient une ancienneté supérieure à quinze ans, et le tableau de l'employeur ne distinguant nullement la situation de ces employés par rapport à celle des 48% de sa catégorie qui totalisait au plus six ans d'ancienneté.

L'employeur ne justifie pas davantage avoir respecté le dispositif de l'article 29 de l'accord relatif au dialogue social du 26 janvier 2018 aux termes duquel la direction des ressources humaines devait consacrer une temps spécifique à l'examen de la situation des représentants du personnel en organisant un entretien supplémentaire avec chacun, lequel doit porter notamment sur les moyens de concilier l'exercice du mandat de représentant du personnel avec l'activité professionnelle, le rendez vous du 3 avril 2018 portant sans autre précision sur le suivi des heures de délégation ne pouvant être considéré comme constituant le respect de ces dispositions conventionnelles et les courriers d'information délivrés sur ce point au salarié (pièce N° 22 et 30 de l'employeur) ne démontrant pas le respect de l'accord précité quant à l'organisation d'un entretien spécifique .

Quant au changement d'affectation décidé le 13 septembre 2019, le fait qu'il soit survenu concomitamment aux élections professionnelles et dans le cadre de la campagne électorale afférente n'est pas remis en cause par l'employeur qui ne justifie pas d'un accord préalable de son salarié dont le statut protégé lui était parfaitement connu, la réalité d'un besoin lié à l'organisation des services ni la référence à une pratique habituelle du même ordre n'étant au demeurant pas démontrées.

Doit également être considéré comme non justifié par l'employeur le fait tenant à l'absence de toute référence au syndicat représenté par le salarié, à l'opposé des autres syndicats de l'établissement, dans l'arborescence informatique de l'intranet de l'entreprise tel que cela résulte du document versé en pièce N° 92 par le salarié, le fait que le nom du syndicat figure sur les téléphones de l'entreprise et sur l'annuaire accessible par internet n'explicitant pas la raison de l'absence de mention du syndicat dans l'arborescence précitée.

La combinaison de tous ces éléments conduit, faute pour l'employeur d'apporter à l'ensemble des faits constatés une justification permettant d'exclure la réalité d'un lien entre l'activité syndicale de M. [K] et les mesures le concernant, à retenir l'existence d'une discrimination syndicale, elle même constitutive du harcèlement moral dont il a été victime dès lors que les faits retenus se sont répétés et ont généré une dégradation des conditions dans lesquelles le salarié était amené à exercer ses tâches.

Le préjudice subi justifie au regard de la durée des faits retenus et de leur intensité, l'octroi d'une somme de 2 500 euros à titre de dommages-intérêts.

En raison des circonstances de l'espèce, il apparaît équitable d'allouer à M. [K] une indemnité en réparation de tout ou partie de ses frais irrépétibles dont le montant sera fixé au dispositif.

PAR CES MOTIFS

CONFIRME le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté la demande d'annulation de l'avertissement du 5 décembre 2017,

INFIRME le jugement pour le surplus,

CONDAMNE la société Galeries Lafayette Haussmann à régler à M. [K] les sommes de:

- 534,97 euros à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires,

- 53,49 euros au titre des congés payés afférents,

- 2 500 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du harcèlement moral discriminatoire,

- 3 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés tant en première instance qu'en cause d'appel.

CONDAMNE la société Galeries Lafayette aux dépens de première instance et d'appel.

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 8
Numéro d'arrêt : 19/06522
Date de la décision : 07/07/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-07-07;19.06522 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award