Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 4 - Chambre 9 - A
ARRÊT DU 30 JUIN 2022
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/16072 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CEKDJ
Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 22 juin 2021 - Conseiller de la mise en état de la cour d'appel de PARIS - Pôle 4-9 A - RG n° 18/19807
DEMANDERESSE À LA QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITÉ
Madame [G] [Y] épouse [E]
née le [Date naissance 2] 1654 à [Localité 6] (TUNISIE)
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Me Sandra OHANA de l'AARPI OHANA ZERHAT, avocat au barreau de PARIS, toque : C1050
assistée de Me Gregory HANIA, avocat au barreau de VAL-DE-MARNE, toque : PC403
DÉFENDERESSE À LA QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITÉ
La société EUROTITRISATION en qualité de représentant du fonds commun de titrisation CREDINVEST, Compartiment CREDINVEST 1 (venant aux droits de la société COFINOGA)
N° SIRET : 352 458 368 00052
[Adresse 5]
[Adresse 5]
[Localité 3]
représentée par Me Cédric KLEIN de la SELAS CREHANGE & KLEIN ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : C1312
substitué à l'audience par Me Sarah LAVENU BOZZETTO de la SELAS CREHANGE & KLEIN ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : C1312
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 18 mai 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Fabienne TROUILLER, Conseillère, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
M. Christophe BACONNIER, Président de chambre
Mme Fabienne TROUILLER, Conseillère
Mme Laurence ARBELLOT, Conseillère
Greffière, lors des débats : Mme Camille LEPAGE
MINISTÈRE PUBLIC :
dossier transmis au ministère public et visé le 9 août 2021 par Mme Sylvie SCHLANGER, avocat général
dossier transmis une nouvelle fois au ministère public le 9 mars 2022 et visé le 11 mars 2022 par Mme Sylvie SCHLANGER, avocat général
ARRÊT :
- CONTRADICTOIRE
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par M. Christophe BACONNIER, Président et par Mme Camille LEPAGE, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Le 18 mars 1996, une ordonnance d'injonction de payer a été rendue par le tribunal d'instance du 12ème arrondissement de Paris à l'encontre de Mme [G] [E] la condamnant à payer la somme de 16 830,46 francs à la société Cofinoga, 26,80 francs au titre des frais accessoires ainsi que des dépens.
Par déclaration au greffe du 21 décembre 2015, Mme [E] a formé opposition à cette ordonnance.
Le tribunal d'instance de Paris 12ème, dans un jugement contradictoire du 22 mars 2018, a déclaré recevable l'opposition formée par Mme [E], et jugé que la société Eurotitrisation avait bien qualité à agir mais l'a déboutée de l'intégralité de ses demandes, en l'absence de production de l'offre préalable de crédit, de décompte ni d'historique de compte.
Par déclaration en date du 7 août 2018, la société Eurotitrisation a relevé appel de cette décision.
Par un avis en date du 20 mai 2021, l'avocat de Mme [E] intimée a été sommé de procéder au paiement du droit de timbre d'un montant de 225 euros au visa de l'article 1635 bis P du code général des impôts. Le droit de timbre n'a pas été régularisé dans le délai imparti.
Par ordonnance du 22 juin 2021, le magistrat en charge de la mise en état a prononcé l'irrecevabilité des conclusions de Mme [E].
Cette dernière s'est acquittée du droit de timbre le 5 juillet 2021.
Par requête notifiée par RPVA le 6 juillet 2021, elle a déféré à la cour l'ordonnance du 22 juin 2021, et demande son infirmation en toutes ses dispositions.
Dans un mémoire distinct notifié par RPVA le 8 mars 2022, Mme [E] a soulevé une question prioritaire de constitutionnalité tendant à démontrer que l'article 963 du code de procédure civile et l'article 1635 bis P du code général des impôts portent atteinte au principe de la hiérarchie des normes. Elle demande à la cour :
- de prendre acte de la question prioritaire de constitutionnalité portant sur les dispositions des articles, 1635 bis P du code des impôts au regard des dispositions de l'article 34 de la constitution instituant le domaine de la loi ainsi que des articles 2 et 16 de la déclaration des droits de l'Homme et du citoyen instituant les droits de la sécurité juridique et l'accès au juge ainsi que le principe de séparation des pouvoirs ;
- de constater que la question soulevée est applicable au litige ou à la procédure ou constitue le fondement des poursuites dont est saisi la cour d'appel de Paris ;
- de constater que la question soulevée porte sur une disposition qui a déjà été déclarée conforme à la constitution mais que cette décision du 13 avril 2012 mais qu'un réexamen s'impose en raison d'un changement de circonstances ;
- de constater que la question soulevée présente un caractère sérieux :
- de transmettre à la Cour de Cassation sans délai la question prioritaire de constitutionnalité soulevée afin que celle-ci procède à l'examen qui lui incombe en vue de sa transmission au Conseil constitutionnel pour qu'il relève l'inconstitutionnalité de la disposition contestée, prononce son abrogation et fasse procéder à la publication qui en résultera.
Elle indique, dans un mémoire distinct, que les dispositions litigieuses sont applicables au litige, une ordonnance d'irrecevabilité ayant été rendue sur leur fondement.
Elle fait valoir que la question est recevable, qu'elle n'est pas nouvelle mais qu'un changement des circonstances justifie une nouvelle QPC.
Elle soutient en outre que la question est sérieuse puisqu'elle porte sur une violation des droits constitutionnels à la sécurité juridique et à l'accès au juge résultant du non-respect du domaine de la loi et du non-respect du principe de séparation des pouvoirs
Le dossier et la procédure ont été communiqués au ministère public pour avis le 9 août 2021 puis le 11 mars 2022.
Aux termes d'un avis délivré le 18 mai 2022, le ministère public demande à la cour :
- de déclarer irrecevable la question prioritaire de constitutionnalité soulevée à l'encontre de l'article 1635 bis P du code général des impôts,
- et, subsidiairement, dire n'y avoir lieu à transmettre ladite question à la cour de cassation en l'absence de caractère sérieux.
Le ministère public a relevé que la question était bien posée dans le cadre d'un mémoire distinct et motivé, conformément aux exigences de l'article 23-5 de la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009 relative à l'application de l'article 61-1 de la constitution.
Il ajoute que la disposition contestée a déjà fait l'objet d'une décision du Conseil constitutionnel du 13 avril 2012, qu'aucun changement de circonstance ne justifie une nouvelle question qui ne présente pas un caractère nouveau.
Il fait valoir subsidiairement que la question ne présente aucun caractère sérieux puisqu'il n'y a point d'atteinte au principe de séparation des pouvoirs, ni de délégation générale en faveur du pouvoir réglementaire dans la mesure où seules sont déléguées au pouvoir réglementaire les modalités de recouvrement.
Il relève que le contribuable dispose de la sécurité juridique et qu'il n'est caractérisé aucune atteinte à l'accès au juge.
L'affaire a été appelée à l'audience du 3 novembre 2021, renvoyée au 18 janvier 2022, puis au 9 mars 2022 et à l'audience du 18 mai 2022, date à laquelle l'affaire a été retenue.
Le conseil de la société Eurotitrisation en sa qualité de représentant du fonds commun de titrisation Credinvest, compartiment Credinvest 1, venant aux droits de la société Cofinoga, a indiqué s'en rapporter à la justice.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la recevabilité de la question prioritaire de constitutionnalité
Aux termes de l'article 23-5 de la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009 relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution, le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé, y compris pour la première fois en cassation, à l'occasion de l'instance devant le Conseil d'État ou la Cour de cassation. Le moyen est présenté, à peine d'irrecevabilité, dans un mémoire distinct et motivé. Il ne peut être relevé d'office.
En l'espèce, la question prioritaire de constitutionnalité est bien présentée dans un mémoire distinct et motivé.
En outre, la question porte sur la conformité de l'article 1635 bis P du code général des impôts au domaine de la loi et au principe de séparation des pouvoirs. L'article contesté est ainsi une disposition législative.
Elle sera par conséquent déclarée recevable.
Sur la demande de transmission de la question prioritaire de constitutionnalité
En application de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, modifié en 2009 la question ne peut être transmise que si la disposition contestée est applicable au litige, qu'elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution et qu'elle n'est pas dépourvue de caractère sérieux.
En premier lieu, il convient de constater que l'article 1635 bis P du code général des impôts dont la constitutionnalité est contestée est bien applicable au litige qui concerne un défaut d'acquittement du droit prévu à cet article.
En second lieu, il n'est pas contesté que l'article 1635 bis P du code général des impôts a déjà fait l'objet d'une décision du Conseil constitutionnel n° 2012-231/234 du 13 avril 2012 la déclarant conforme à la Constitution.
La demanderesse invoque cependant l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel modifiée par une loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009 relative à l'application de l'article 6-1 de la Constitution qui prévoit qu'il est possible de formuler une nouvelle QPC en cas de « changement des circonstances ».
Elle soutient que la notion de changement des circonstances doit s'interpréter comme des changements intervenus depuis la précédente décision, dans les normes de constitutionnalité applicables ou dans les circonstances de droit ou de fait qui affectent la portée de la disposition législative critiquée.
Selon elle, en l'espèce, le dernier alinéa de l'article 1635 bis P du code général des impôts renvoie au pouvoir exécutif le soin de fixer les modalités de perception du droit fiscal de 225 euros, en l'occurrence l'article 963 du code de procédure civile, qui a vu sa rédaction être profondément remaniée depuis la QPC du 13 avril 2012.
Ainsi, elle expose que dans sa version antérieure, l'article 963 ne prévoyait comme seule sanction du non-acquittement du timbre, l'irrecevabilité de l'appel. Le décret n° 2013-1280 du 29 décembre 2013 a profondément remanié cet article en prévoyant désormais l'irrecevabilité de l'appel ou des défenses.
Elle considère que cette modification induit un changement de droit provenant d'un texte réglementaire qui affecte la portée de l'article 1635 bis P du code général des impôts et qui justifie une nouvelle QPC sur sa conformité.
Il n'est pas contestable que dans sa version en vigueur depuis le 1er janvier 2014, l'article 963 susvisé prévoit désormais comme sanction du non-acquittement du droit du timbre l'irrecevabilité de l'appel ou des défenses.
Pour autant, le changement des circonstances doit s'entendre comme les changements intervenus dans les normes de constitutionnalité applicables ou dans des circonstances, de droit ou de fait, qui affectent la portée de la disposition législative critiquée.
En l'espèce, l'irrecevabilité des défenses, comme nouveau moyen de sanction du non-acquittement du droit du timbre n'affecte pas les moyens de recours de l'intimé. Il ne s'agit pas d'un changement des circonstances au sens du Conseil constitutionnel, d'autant plus que la disposition contestée est celle de l'article 1635 bis P du code général des impôts et non celle de l'article 963 du code de procédure civile.
Partant, il est considéré que la question soulevée du non-respect du domaine de la loi et du non-respect du principe de séparation des pouvoirs ne présente pas un caractère nouveau et qu'il n'y a pas lieu de la transmettre.
Le requérant qui succombe dans sa prétention supporte les dépens.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Statuant par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Déclare recevable la question prioritaire de constitutionnalité ;
La déclare non nouvelle ;
Dit n'y avoir lieu en conséquence de transmettre ladite question à la Cour de cassation ;
Dit que le dossier sur le fond sera renvoyé devant cette chambre à l'audience du mardi 20 septembre 2022 à 14h00 ;
Laisse les dépens à la charge de la requérante.
La greffièreLe président