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21/06/2022 | FRANCE | N°18/28832

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 4 - chambre 8, 21 juin 2022, 18/28832


Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 8



ARRÊT DU 21 JUIN 2022



(n° 2022/ , 10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/28832 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B67QX



Décision déférée à la Cour : Jugement du 30 Octobre 2018 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 17/02487





APPELANTE



Madame [O] [R]

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née le 29 Octobre 1979 à FECAMP (76400)



représentée par Me Jean-François DELMAS, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, toque : NAN299





INTIMÉS



Mo...

Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 8

ARRÊT DU 21 JUIN 2022

(n° 2022/ , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/28832 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B67QX

Décision déférée à la Cour : Jugement du 30 Octobre 2018 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 17/02487

APPELANTE

Madame [O] [R]

961 route de la HAUVAUDIERE

50360 SAINT AUVIN DES PREAUX

née le 29 Octobre 1979 à FECAMP (76400)

représentée par Me Jean-François DELMAS, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, toque : NAN299

INTIMÉS

Monsieur [N] [T] assisté de son curateur Madame [D] [J]

Hôtel Chevalier

67, Rue Louis Rouquier

92300 LEVALLOIS PERRET

né le 21 Novembre 1960 à PARIS (75014)

Madame [F] [W]

8, Rue de Boufflers

78100 SAINT GERMAIN EN LAYE

née le 03 Mai 1979 à COURBEVOIE (92600)

Madame [D] [J] prise en sa qualité de curateur de Monsieur [N] [T], nommé suivant jugement rendu le 28 Mai 2015 par le Tribunal d'Instance de COURBEVOIE

BP 10106

92604 ASNIERES CEDEX

Madame [H] [T] épouse [W]

48, Avenue de la République

92400 COURBEVOIE

née le 05 Mars 1956 à PARIS

représentés par Me Caroline HATET-SAUVAL de la SCP SCP NABOUDET - HATET, avocat au barreau de PARIS, toque : L0046

SA CARDIF ASSURANCE VIE

1, Boulevard Haussmann

75009 PARIS

N° SIRET : 732 028 154

représentée par Me Bruno QUINT de la SCP Herald anciennement Granrut, avocat au barreau de PARIS, toque : P0014

PARTIES INTERVENANTES :

Madame [D] [J] prise en sa qualité de curateur de Monsieur [N] [T], nommé suivant jugement rendu le 28 Mai 2015 par le Tribunal d'Instance de COURBEVOIE

BP 10106

92604 ASNIERES CEDEX

Madame [H] [W], NÉE [T] épouse [W]

48, Avenue de la République

92400 COURBEVOIE

Représentées par Me Caroline HATET-SAUVAL de la SCP SCP NABOUDET - HATET, avocat au barreau de PARIS, toque : L0046

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 04 Avril 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant Mme Béatrice CHAMPEAU-RENAULT, Présidente de chambre, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Béatrice CHAMPEAU-RENAULT, Présidente de chambre

Mme Laurence FAIVRE, Conseillère

M. Julien SENEL, Conseiller

Greffier, lors des débats : Madame Laure POUPET

ARRÊT : Contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Béatrice CHAMPEAU-RENAULT, Présidente de Chambre et par Laure POUPET, greffière présente lors de la mise à disposition.

****

EXPOSÉ DU LITIGE :

Mme [Y] [B] née [T] a adhéré le 5 décembre 1978 puis le 21 mars 2000 à deux contrats collectifs d'assurance sur la vie, dénommés MULTIPLUS n°S000106450 et MULTIPLUS n°S006081377, souscrits par la COMPAGNIE BANCAIRE aux droits de laquelle se trouve actuellement la société BNP PARIBAS, auprès de la société CARDIF ASSURANCE VIE, désignant sa nièce, Mme [H] [W], en qualité de bénéficiaire des capitaux.

Par testament olographe du 27 octobre 2004, déposé le 18 juin 2016 au rang des minutes de Maître [G] [Z], notaire à GRANVILLE, Mme [Y] [B] a institué M. [A] [T], son neveu, et Mme [F] [W], sa nièce, en tant que légataires universels des biens et droits immobiliers dépendant de sa succession, d'une part, et M. [U] [E], son compagnon, en tant que légataire à titre universel de l'usufruit des biens immobiliers, d'autre part.

Par avenants en date du 20 avril 2012, Mme [Y] [B] a modifié la clause bénéficiaire de ses deux contrats d'assurance-vie au profit de son auxiliaire de vie, Mme [O] [R].

Par jugement du juge des tutelles du tribunal d'instance d'AVRANCHES en date du 26 février 2014, Mme [Y] [B] a été placée sous le régime de la tutelle pour une durée de soixante mois.

[Y] [B] est décédée le 16 janvier 2016, sans héritier réservataire.

M. [A] [T], placé sous la curatelle renforcée de Mme [D] [J], mandataire judiciaire à la protection des majeurs, a assigné la société CARDIF ASSURANCE VIE devant le juge des référés du tribunal de grande instance de PARIS pour obtenir l'annulation des contrats d'assurance vie souscrits par sa tante et modifiés au bénéfice de Mme [O] [R], ou à défaut, la communication de l'historique de ceux-ci.

Par ordonnance en date du 8 novembre 2016, le juge des référés a dit n'y avoir lieu à référé sur la demande d'annulation des contrats d'assurance-vie modifiés mais a ordonné leur communication.

Par acte d'huissier en date du 16 février 2017, M. [A] [T], assisté de sa curatrice Mme [D] [J] intervenant volontairement à l'instance, Mme [H] [W] née [T] et Mme [F] [W] épouse [X] ont assigné au fond Mme [O] [R] ainsi que la compagnie CARDIF ASSURANCE VIE devant le tribunal de grande instance de PARIS.

Par jugement en date du 30 octobre 2018, le tribunal, a, sous le bénéfice de l'exécution provisoire :

- annulé les avenants du 20 avril 2012 aux deux contrats d'assurance-vie MULTIPLUS n°S000106450 et MULTIPLUS n°S006081377 désignant Mme [R] comme bénéficiaire ;

- ordonné à la CARDIF ASSURANCE VIE de procéder au versement des capitaux décès des deux contrats d'assurances sur la vie MULTIPLUS n°S000106450 et MULTIPLUS n°S006081377 à Mme [H] [W], bénéficiaire désignée au moment de leur adhésion;

- condamné Mme [O] [R] à payer à M. [A] [T], assisté de Mme [D] [J], Mme [H] [W] et Mme [F] [W] la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné Mme [O] [R] à payer à la société CARDIF ASSURANCE VIE la somme de 2 500 euros au titre des frais irrépétibles ;

- condamné Mme [O] [R] aux entiers dépens ;

- accordé à Maître [L] et à la SCP GRANRUT, avocats, le bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile.

Par déclaration électronique du 26 décembre 2018, enregistrée au greffe le 31 décembre 2018, Mme [O] [R] a interjeté appel du jugement.

Par ordonnance en date du 1er juillet 2019, le conseiller en charge de la mise en état a :

- déclaré irrecevable la déclaration d'appel formée le 26 décembre 2018 en ce qu'elle est dirigée contre Mme [H] [W] ;

- déclaré caduc l'appel interjeté en ce qu'il est dirigé contre Mme [H] [W] ;

- constaté que le jugement entrepris est définitif à l'égard de Mme [H] [W] ;

- déclaré irrecevable la déclaration d'appel formée le 26 décembre 2018 contre la société CARDIF;

- déclaré caduc l'appel interjeté dirigé contre la société CARDIF;

- constaté que l'appel formé par Mme [R] se limite aux parties intimées suivantes:

Mme [F] [W] et M. [A] [T] assisté de Mme [D] [J] mandataire judiciaire à la protection des majeurs ;

- rejeté toutes autres demandes en ce compris celles formées en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile;

- renvoyé l'affaire à la mise en état ;

- réservé les dépens.

Par arrêt en date du 19 novembre 2019, la cour d'appel a infirmé l'ordonnance du conseiller de la mise en état qui lui avait été déférée et statuant à nouveau, et y ajoutant, a dit recevable la déclaration d'appel dirigée contre Mme [H] [W] et la CARDIF, débouté Mme [F] [W] et la CARDIF de leurs demandes, condamné Mme [F] [W] à payer la somme de 1 500 euros à Mme [R] et aux dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Aux termes de ses dernières écritures notifiées par voie électronique le 8 octobre 2021, Mme [O] [R], demande à la cour, au visa de l'article 1134 alinéa 3ème dans sa rédaction applicable à la cause, de l'article 1315 du code civil dans sa rédaction applicable à la cause, de l'article 464 du code civil alinéas 1 et 2, des dispositions de l'article L.132-12 code des assurances, de :

- dire et juger recevable et bien fondé l'appel de Mme [R] ;

- ordonner la communication par les consorts [T]-[W] de l'intégralité des relevés du compte de Mme [B] au CREDIT DU NORD entre 2010 et 2014, au besoin sous astreinte ;

Principalement,

- constater que les actes de désignation de Mme [R] en tant que bénéficiaire des contrats d'assurance-vie sont valables puisque l'état intellectuel dégradé n'a été médicalement constaté qu'au 25 juin 2012, suite à son hospitalisation du 13 juin 2012 pour sa fracture du col du fémur ;

- que la notoriété d'un état de faiblesse n'était pas acquise au 20 avril 2012 au vu des documents versés aux débats par les témoins, le notaire, Maître [Z], s'étant expressément contredit entre janvier 2012 et juin 2012 ;

- en déduire que les actes de désignation consentis en faveur de Mme [R] en date du 20 avril 2012 sont réguliers comme n'encourant ni la réduction, ni l'annulation faute de préjudice souffert par le stipulant défunt ;

- faire injonction aux consorts [T]-[W] de produire les relevés de comptes bancaires de leur tante, entre 2010 et 2015 et en déduire à défaut leur mauvaise foi et déloyauté démontrant l'abus de leur action à l'encontre de Mme [O] [R],

- en conséquence, réformer le jugement et faire droit aux dernières volontés de Mme [B], laquelle a choisi de faire de Mme [R] la bénéficiaire de deux contrats d'assurance-vie MUTLIPLUS ouverts auprès de la CARDIF sous les numéros S000106450 et S006081377 ;

- lui attribuer le bénéfice du contrat n° S000106450 pour une somme de 664 943,13 euros et du contrat n°S006081377 pour une somme de 209 420, 23 euros ;

- condamner les consorts [T]- [W] à verser les fonds y afférents en faveur du bénéficiaire désigné, en l'occurrence Mme [R], à hauteur des montants existants au jour du jugement les ayant libérés en leur faveur ;

- subsidiairement, et à défaut de préjudice lié au changement d'attributaire, réduire la portée des actes du 20 avril 2012 à l'octroi du bénéfice d'un seul contrat ;

En tout état de cause :

- condamner les consorts [T]-[W] à lui régler la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner les consorts [T]-[W], aux entiers dépens.

Aux termes de leurs dernières écritures notifiées par voie électronique le 24 juin 2019, Mme [F] [W], M [N] [T], assisté de sa curatrice Mme [D] [J], intimés, et Mme [H] [W] née [T], intervenantes volontaires, demandent à la cour, au visa de l'article 414-1 du code civil, de l'article 464 du code civil, de l'article L 116-4 du code de l'action sociale et des familles, de l'article L7221-1 du code du travail, l'article article L132-3-1 du code des assurances, l'article L 132-13 du code des assurances, l'article L 132-8 du code des assurances, de :

IN LIMINE LITIS :

Vu l'incident d'irrecevabilité d'appel introduit par Mme [F] [W],

- dire et juger Mme [D] [J], mandataire judiciaire à la protection des majeurs, en sa qualité de curateur nommé suivant jugement du tribunal d'instance de COURBEVOIE, en date du 28 mai 2015, et Mme [H] [W] recevables et bien fondées en leur intervention volontaire pour le cas où par extraordinaire, l'appel serait déclaré recevable ;

Sous la plus extrême réserve de la recevabilité de l'appel :

-CONFIRMER le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

En conséquence :

- annuler les avenants du 20 avril 2012 aux deux contrats d'assurance-vie souscrits auprès de la CARDIF par Mme [Y] [B] Multiplus n° S000106450 et n°S006081377 désignant Mme [O] [R] comme bénéficiaire ;

-ordonner à la CARDIF ASSURANCE-VIE de procéder au versement des capitaux décès des deux contrats d'assurance sur la vie MULTIPLUS n° S000106450 et n°S006081377 à Mme [H] [W], bénéficiaire désignée au moment de leur adhésion ;

- débouter Mme [O] [R] de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

SUBSIDIAIREMENT :

- ordonner la réintégration des primes excessives dans le patrimoine servant de base au calcul de la succession.

- condamner solidairement la CARDIF et Mme [R] à payer la somme de 5000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- les condamner aux entiers dépens tant de première instance que d'appel, dont distraction, pour ceux d'appel, au profit de la SCP NABOUDET-HATET, avocat constitué, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile. 

Aux termes de ses dernières écritures n° 2 notifiées par voie électronique le 18 février 2020, la CARDIF ASSURANCE VIE, demande à la cour, de :

A titre principal :

- rejeter l'ensemble des demandes formées à son encontre ;

A titre subsidiaire, en cas d'infirmation du jugement de première instance :

- condamner Mme [H] [W] à reverser la somme correspondant aux capitaux décès des contrats d'assurance vie MULTIPLUS n° S006081377 et n° S000106450 directement au bénéficiaire désigné par l'arrêt à intervenir ;

- condamner Mme [H] [W] à la garantir de toute condamnation qui serait prononcée à son encontre ;

En tout état de cause :

- condamner la partie succombante à payer à la CARDIF ASSURANCE VIE la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la même partie succombante à payer les entiers dépens, dont la distraction au profit de la SCP HERALD, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile. 

Pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, il convient de se reporter aux conclusions ci-dessus visées conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 17 janvier 2022.

MOTIFS DE LA DECISION

Mme [R] sollicite à titre principal l'infirmation du jugement faisant essentiellement valoir que :

- l'altération des capacités de [Y] [B] n'est pas démontrée de manière objective au 20 avril 2012, date de la modification de la clause bénéficiaire ; en effet, le constat dressé au 25 juin 2012 est établi suite à une lourde opération de cette dernière qui avait altéré ses facultés;

- le jugement est fondé sur des éléments factuels extérieurs au changement de bénéficiaire qui n'ont pas la force probante nécessaire pour attester de manière certaine de l'altération des facultés et renverser le présupposé de la bonne foi ;

- en outre, le fait que lors de la vente des biens immobiliers postérieures à la modification de la clause, le notaire ait dialogué directement avec la de cujus permet de mettre en lumière le fait qu'il se contredit concernant son opinion sur les capacités réelles de discernement de [Y] [B] ;

- l'existence d'écrits de Mme [B]permet d'attester de ses capacités à cette période de gérer ses affaires de manière autonome ; il en est de même des témoignages de proches comme de celui de son aide à domicile ;

- [Y] [B] a souhaité librement soustraire les capitaux d'assurance-vie à ses neveux et nièces en raison de leur comportement indigne à son égard et lorsqu'elle s'est rendue compte de l'existence de chèques frauduleux et de débits non autorisés effectués au moyen de sa carte bancaire ; afin d'en faire la preuve, elle demande que soient versés aux débats les relevés bancaire de [Y] [B] pour la période 2010 -2014 ;

- en tout état de cause, [Y] [B] n'ayant subi aucun préjudice, la nullité ne peut être ordonnée, seule une réduction pourrait éventuellement être prononcée ;

- elle s'oppose à la réintégration dans la succession des primes en l'application de l'article L 132-13 du code des assurances, celles ci n'étant pas manifestement excessives au regard de l'importance du patrimoine de [Y] [B] ;

- sa bonne foi est établie ; en effet, elle a été instituée bénéficiaire à son insu par [Y] [B] et n'a pas accepté la clause du vivant de celle-ci.

Mme [F] [W], M [N] [T] assisté de sa curatrice, et Mme [H] [W] [H] née [T] sollicitent la confirmation du jugement en ce qu'il a annulé les avenants au contrat d'assurance vie en date du 20 avril 2012 faisant essentiellement valoir que:

- le consentement de [Y] [B] était altéré à la période de modification de la clause bénéficiaire des contrats d'assurance vie comme le démontre sa mise sous tutelle peu de temps après ;

- les doutes évoqués par les parties concluantes quant à ses capacités, ainsi que ceux émis par son notaire, ont été formulés en raison d'une inquiétude légitime quant à son état mental général ;

- ils contestent toute falsification de chèques et débits non autorisés effectués par eux au moyen de la carte bancaire de leur tante, rien ne permettant de les leur imputer ;

- au visa de l'article L 132-8 du code des assurances, des doutes peuvent être émis quant aux circonstances de rédaction et de transmission de l'avenant litigieux ;

- en sa qualité d'auxiliaire de vie de [Y] [B], Mme [R] ne peut pas, par application de l'article L 116-4 du code de l'action sociale et des familles dans sa version applicable à la date du décès et au visa de l'article L 7221-1 du code du travail, avoir la capacité de recevoir des capitaux d'assurance vie ;

- ils sollicitent le débouté s'agissant de la demande de production des relevés de compte, aucun élément sérieux ne permettant de les soupçonner ; ils ajoutent que les documents bancaires de la défunte sont couverts par le secret professionnel et ne doivent pas entrer en possession de Mme [R] ;

- enfin, la demande de restitution de fonds ne peut être accueillie, ceux-ci se trouvant entre les mains de la société CARDIF ;

- subsidiairement, sur le fondement des dispositions de l'article L 132- 13 du code des assurances ils sollicitent la réintégration des primes manifestement excessives dans le patrimoine servant de base au calcul de la succession.

La CARDIF ASSURANCE VIE sollicite à titre principal, le rejet de l'ensemble des demandes formées à son encontre faisant valoir qu'elle a exécutée intégralement le jugement de première instance et qu'aucune demande ne peut donc prospérer à son encontre.

A titre subsidiaire, en cas d'infirmation du jugement, elle sollicite la condamnation de Mme [H] [W] à reverser la somme correspondant aux capitaux décès des deux contrats d'assurance vie directement au bénéficiaire désigné par l'arrêt à intervenir et la condamner à la garantir de toute condamnation qui serait prononcée à son encontre.

Elle fait valoir :

* au visa de l'article L132-8 du code des assurances que la lettre de modification de la clause était claire et univoque quant à la volonté de la souscriptrice de modifier la clause et que ne disposant d'aucun élément permettant de douter de ses capacités mentales, elle a procédé à la modification.

* ensuite, au visa des articles 414-1 l et 414-2 du code civil, elle rappelle que la lucidité du de cujus était présumée et s'en remet à l'appréciation de la cour sur ce point ;

* s'agissant du caractère manifestement exagéré des primes, et au visa de l'article L 132-13 du code des assurances, elle s'en rapporte encore à la cour concernant les seules primes jugées excessives dont la réduction serait demandée rappelant qu'elle n'avait pas connaissance du patrimoine de l'assuré lors de la souscription.

Sur la demande d'annulation de l'acte de modification de la clause bénéficiaire des contrats d'assurance vie souscrits par [Y] [B]

Selon l'article 464 du code civil en son 1er alinéa, dans sa rédaction issue de la loi n°2007-308 du 5 mars 2007 : ' Les obligations résultant des actes accomplis par la personne protégée moins de deux ans avant la publicité du jugement d'ouverture de la mesure de protection peuvent être réduites sur la seule preuve que son inaptitude à défendre ses intérêts par suite de l'altération de ses facultés personnelles était notoire ou connue du contractant à l'époque où les actes ont été passés'. L'alinéa second vient préciser que : « Ces actes peuvent, dans les mêmes conditions, être annulés s'il est justifié d'un préjudice par la personne protégée ».

Il en résulte que les demandes d'annulation, en cas de notoriété de l'altération des facultés physiques ou mentales, sont limitées aux actes conclus moins de deux ans avant l'ouverture de la mesure de protection, et à charge pour le demandeur à la nullité de justifier du préjudice subi par la personne protégée.

En présence en l'espèce de la modification de la clause bénéficiaire, par avenant du 20 avril 2012 et d'une décision d'ouverture de procédure de tutelle en date du 26 février 2014, dont il est justifié par les consorts [W]-[T], de la publication en marge de l'acte de naissance de la défunte à la date du 12 avril 2014, il y a lieu de rechercher si l'altération des facultés personnelles de l'assurée était notoire lors de la rédaction de l'acte modifiant la clause bénéficiaire.

Le tribunal a notamment considéré que :

* [Y] [B] se trouvait à l'époque de la modification des clause bénéficiaires des contrats d'assurance vie dans un état de démence significatif et de vulnérabilité importante ;

* il est donc établi que la cause ayant déterminé l'ouverture d'une mesure de protection deux ans plus tard était notoire au moment de la rédaction des actes litigieux, que la dégradation de l'état des facultés mentales et motrices de la souscriptrice n'a pu échapper à Mme [R], qui était son auxiliaire de vie et l'accompagnait au quotidien ;

*la modification des clauses bénéficiaires des deux contrats MULTIPLUS n°S000106450 et n°S006081377 intervenue le 20 avril 2012, alors que les facultés de [Y] [B] étaient altérées, ne résulte pas de sa volonté propre, de gratifier un membre de sa famille comme elle l'avait également fait, par testament, à l'égard des autres membres de sa famille et de son compagnon ;

* compte tenu de cette situation préjudiciable aux intérêts patrimoniaux de la défunte, il y a lieu par conséquent d'annuler les deux avenants aux contrats MULTIPLUS n°S000106450 et n°S006081377 du 20 avril 2012.

En l'absence d'élément nouveau déterminant soumis à son appréciation, la cour estime que les premiers juges, par des motifs pertinents qu'elle approuve, a fait une exacte appréciation des faits de la cause et des droits des parties, sans qu'il soit besoin de rentrer dans le détail de leur argumentation.

La cour ajoute que la cupidité de l'entourage familial et/ou son utilisation abusive des comptes bancaires de la défunte, sans l'accord de cette dernière, ne sont pas démontrés et que la situation telle que décrite par les premiers juges était bien préjudiciable à [Y] [B] au regard de ses intérêts tant patrimoniaux, que moraux et familiaux.

Dans ces conditions, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande dénuée d'intérêt de communication sous astreinte par les consorts [T]-[W] de l'intégralité des relevés du compte de Mme [B].

Mme [R] sera déboutée de ses demandes et le jugement déféré sera confirmé sur ce point, sans qu'il soit besoin de statuer sur les demandes subsidiaires relatives notamment au caractère manifestement exagéré des primes.

Sur les autres demandes

La SA CARDIF ASSURANCE VIE n'est pas contredite lorsqu'elle indique avoir procédé en cours de procédure à l'exécution du jugement à l'égard de Mme [H] [W]. Dès lors, il n'y a pas lieu de lui ordonner de procéder au versement des capitaux décès des deux contrats d'assurance sur la vie MULTIPLUS n° S000106450 et n°S006081377 à Mme [H] [W], bénéficiaire désignée au moment de leur adhésion.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné Mme [O] [R] à payer à M. [A] [T], assisté de Mme [D] [J], Mme [H] [W] et Mme [F] [W] la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, en ce qu'il l'a condamné à payer à la société CARDIF ASSURANCE VIE la somme de 2 500 euros au titre des frais irrépétibles ainsi qu'aux entiers dépens et a accordé à Maître [L] et à la SCP GRANRUT, avocats, le bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile.

En cause d'appel, Mme [R] qui succombe, sera condamnée à payer à M. [A] [T], assisté de sa curatrice Mme [D] [J], Mme [H] [W] et Mme [F] [W] la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, et à la SA CARDIF ASSURANCE VIE la somme de 2 000 euros sur le même fondement. Elle sera déboutée de sa propre demande de ce chef.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

statuant en dernier ressort, par arrêt contradictoire rendu par mise à disposition au greffe,

CONFIRME le jugement,

Y ajoutant,

Déboute Mme [O] [R] de sa demande de communication de pièces sous astreinte ;

Dit n'y avoir lieu d'ordonner à la SA CARDIF ASSURANCE VIE de procéder au versement des capitaux décès des deux contrats d'assurance sur la vie MULTIPLUS n° S000106450 et n°S006081377 à Mme [H] [W], bénéficiaire désignée au moment de leur adhésion ;

Condamne Mme [O] [R] à payer à M. [A] [T], assisté de sa curatrice Mme [D] [J], Mme [H] [W] et Mme [F] [W] ensemble la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne Mme [O] [R] à payer à la SA CARDIF ASSURANCE VIE la somme de 2 000 euros sur le même fondement ;

Déboute Mme [O] [R] de sa demande au titre des frais irrépétibles ;

Condamne Mme [O] [R] aux entiers dépens d'appel avec application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile pour les avocats qui en ont fait la demande. 

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 4 - chambre 8
Numéro d'arrêt : 18/28832
Date de la décision : 21/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-06-21;18.28832 ?
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