REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 8
ARRET DU 16 JUIN 2022
(n° , 7 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/03024 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B5E5S
Décision déférée à la Cour : Jugement du 06 Décembre 2017 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° F 15/10954
APPELANTE
Madame [D] [P] [V] née [O]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Valéry VELASCO, avocat au barreau de PARIS, toque : C1199
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2018/005303 du 23/03/2018 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de [Localité 3])
INTIMÉE
RÉPUBLIQUE GABONAISE
[Adresse 2]
GABON
Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477
MINISTERE PUBLIC
L'affaire a été communiquée au ministère public, représenté lors des débats par M. Antoine PIETRI, substitut général, qui a fait connaître son avis.
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 21 Avril 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :
Mme Nathalie FRENOY, Présidente de chambre
Mme Corinne JACQUEMIN LAGACHE, Conseillère
Mme Emmanuelle DEMAZIERE, Vice-Présidente placée
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Mme Nathalie FRENOY, Présidente, dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Mme Nolwenn CADIOU
ARRÊT :
- CONTRADICTOIRE
- mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,
- signé par Madame Nathalie FRENOY, présidente et par Madame Nolwenn CADIOU, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE
Madame [D] [Z] [E] veuve [P] [V] a été engagée le 5 septembre 1978 par la République Gabonaise dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée en qualité de secrétaire.
Un nouveau contrat de travail a été conclu entre les parties le 1er août 1985, en qualité de secrétaire au cabinet de l'Ambassadeur, suivi d'un avenant le 19 janvier 2012, portant sur la rémunération et le temps de travail de la salariée.
Par lettre en date du 11 mars 2013, la République Gabonaise notifiait à la salariée sa mise à la retraite d'office.
Estimant qu'elle était en droit de rester en activité jusqu'au 31 décembre 2017 afin de percevoir une rente à taux plein, Mme [Z] [E] a, par acte du 21 septembre 2015, contesté cette mesure et saisi le conseil de prud'hommes de Paris qui l'a déboutée de ses demandes par jugement du 6 décembre 2017, notifié aux parties par lettre du 18 janvier 2018, ainsi que la République Gabonaise de sa demande présentée au titre de l'article 700 du code de procédure civile. Mme [Z] [E] a été condamnée au paiement des dépens.
Cette dernière a interjeté appel de cette décision le 14 février 2018 et a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du 23 mars 2018.
Dans ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 21 février 2022, l'appelante demande à la cour :
- d'annuler le jugement déféré,
- de réformer ce jugement et ce faisant,
- de rappeler à l'État du Gabon qu'il ne saurait se soustraire aux dispositions impératives de protection sociale et du droit du travail français auxquelles il ne peut être dérogé par accord,
en conséquence
- de dire et juger que la rupture du contrat de travail de Mme [Z] [E] constitue un licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- de condamner l'État du Gabon à lui payer les sommes suivantes :
*69 205,32 euros au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
*150 679,28 euros au titre de l'indemnité pour « préjudice distinct »,
*50 000 euros au titre du préjudice moral,
*67 138,08 euros au titre du préjudice financier immédiat,
*33 541,20 euros au titre de la perte de chance ' préjudice futur,
- de condamner l'État du Gabon aux intérêts légaux à compter du prononcé de la décision,
en tout état de cause
- de débouter l'État du Gabon de sa demande de condamnation de Mme [Z] [E] à lui régler la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- de condamner l'État du Gabon à lui verser directement la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- de condamner l'État du Gabon aux dépens de première instance et d'appel.
Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 10 février 2021, la République Gabonaise, représentée par l' Agent Judiciaire de l'État ' Ministère du Budget et des Comptes Publics ' demande à la cour :
1. sur les demandes formées au titre de la rupture du contrat de travail :
à titre principal
- de confirmer le jugement dont appel et, en conséquence de débouter Mme [Z] [E] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
à titre subsidiaire
- de limiter le montant des dommages-intérêts que la cour estimerait devoir mettre à la charge de la République Gabonaise au titre de la rupture du contrat de travail de Mme [Z] [E], tous chefs de demandes et tous postes de préjudice confondus, à une somme maximale de 6 585,11 euros,
2. sur les autres demandes de Mme [Z] [E]:
-de la débouter de l'ensemble de celles-ci,
en tout état de cause
- de condamner Mme [Z] [E] à payer à la République Gabonaise une somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- de la condamner aux dépens de première instance et d'appel.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 22 février 2022 et l'audience de plaidoiries a été fixée au 21 avril 2022.
Par avis du 4 avril 2022, le ministère public, entendu également à l'audience, a conclu que le contrat de travail de Mme [Z] [E] et sa mise à la retraite étaient soumis à la loi gabonaise et a demandé à la cour d'en tirer toutes les conséquences de droit.
Il convient de se reporter aux énonciations de la décision déférée pour un plus ample exposé des faits et de la procédure antérieure, ainsi qu'aux conclusions susvisées pour l'exposé des moyens des parties devant la cour.
SUR QUOI
Sur la nullité du jugement :
Il ressort de l'article 455, alinéa 1er du code de procédure civile dans sa version applicable au litige que le jugement doit, après avoir exposé succinctement les prétentions respectives des parties et leurs moyens, être motivé. Cette disposition doit être observée à peine de nullité, comme l'énonce l'article 458 du même code.
La motivation impose au juge d'élaborer un raisonnement rigoureux pour fonder sa décision et formalise son travail d'analyse juridique et des pièces du dossier.
Une insuffisance de motifs équivaut à une absence de motifs.
Mme [Z] [E] soutient que le jugement entrepris n'a pas rempli son office en matière de motivation. Elle précise qu'en ne disant pas pour quelle raison l'avenant du 19 janvier 2012 portant modification du contrat de travail à durée indéterminée du 26 septembre 1978 qui relevait du Droit français ne devait pas être pris en considération alors qu'il était postérieur au contrat de travail de 1985, le conseil de prud'hommes de Paris a commis une erreur de droit.
Il résulte des termes du jugement déféré que la motivation retenue est la suivante: 'le contrat de travail du ler août 1985 prévoit qu'il est régi par le code du travail gabonais et que la convention de Rome ne lui est pas opposable du fait de son application postérieure à cette date, le Conseil constate que l'Etat du Gabon s'est conformé aux règles applicables à la relation contractuelle, tant sur son exécution que sur la mise à la retraite de la salariée, et, par voie de conséquence, ne peut accueillir favorablement les demandes de celle-ci.'
Ainsi, le jugement contient une motivation ayant permis de donner une solution au litige ; il ne saurait par conséquent être annulé.
Il convient en revanche de vérifier, dans le cadre de l'appel, si cette motivation est pertinente au vu des moyens et pièces des parties.
Sur la loi applicable :
Pour soutenir que la loi applicable au litige serait la loi française, Mme [Z] [E] se fonde sur l'absence de précision dans son contrat de travail initial en 1978 et dénie à l'employeur la possibilité de se référer au contrat régularisé entre les parties le 1er août 1985, qui mentionnait l'application de la loi Gabonaise, au motif que l'avenant du 19 janvier 2012 confirme, en se référant au seul contrat initial, que le Droit français régissait le contrat de travail.
Elle fait valoir également qu'il est de principe que l'intention des parties de se référer à une loi nationale autre que celle du pays où le contrat de travail est exécuté, n'est licite que dans la mesure où la loi choisie est plus avantageuse pour le salarié.
La République Gabonaise répond que la loi applicable aux contrats de travail qui, comme dans le cas de Mme [Z] [E], ont été conclus avant le 1er avril 1991, date d'entrée en vigueur en France de la Convention de Rome de 1980, doit être déterminée par application des seuls principes dégagés par la jurisprudence, à l'exclusion de tout autre instrument de résolution des conflits de lois.
L'intimée soutient que la volonté des parties clairement exprimée dans le contrat du 1er août 1985 déterminait en conséquence la loi applicable à la relation de travail et que l'avenant de 2012 n'a pas modifié cette situation alors, en tout état de cause, que le contrat initial ne prévoyait pas la loi applicable et que les critères retenus par la jurisprudence en la matière permettaient de retenir l'application de la loi gabonaise.
La Convention de Rome de 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles s'applique aux conflits de lois suscités par les contrats de travail conclus à partir du 1er avril 1991 (date d'entrée en vigueur de la Convention de Rome en France), conformément à son article 17.
Il est ainsi constant en l'espèce que la Convention de Rome n'est pas applicable dès lors que le contrat de travail a pris effet antérieurement à sa ratification par la France en 1991.
Or, les principes applicables en la matière avant le 1er avril 1991 mettaient en oeuvre la règle de conflit de lois et recherchaient au moyen d'indices objectifs la loi désignée par cette règle en tenant compte de la volonté exprimée des parties.
En l'espèce, le contrat de travail de Mme [Z] [E] du 1er août 1985 prévoit expressément qu'il est soumis au code du travail gabonais : «les dispositions législatives applicables à ce contrat résultent de la loi n° 5/78 du 1er juin 1978 instituant un code du travail de la République Gabonaise ».
L'échange de consentements intervenu lors de la conclusion de ce contrat entre les parties n'est pas remis en cause et par voie de conséquence ce deuxième contrat de travail a eu pour effet de se substituer au premier qui ne prévoyait au demeurant aucune mention concernant l'application de la loi française.
Les parties ont ainsi entendu expressément reconnaître l'application de la loi gabonaise.
Or, le simple visa au contrat initial dans l'avenant de 2012 qui ne concernait que le nombre d'heures de travail et la rémunération ainsi que l'affectation de Mme [Z] [E] en tant que secrétaire de l'Ambassadeur du Gabon, sans aucune mention de l'anéantissement du contrat de 1985, n'a pas eu pour effet de remettre en cause l'application de ce dernier qui s'était substitué à celui de 1978.
La cour constate au demeurant que, selon les indices retenus pour déterminer la loi applicable, le contrat initial présentait, eu égard à l'historique des relations ayant existé entre les parties, plus de lien avec le Droit gabonais qu'avec le Droit français notamment au vu de la nationalité de la salariée comme étant celle de l'Etat employeur et du fait qu'elle travaillait pour l'ambassade de celui-ci ; il convient d'ajouter que l'examen du premier contrat de travail fait une référence implicite à la loi gabonaise puisqu'il prévoit que l' engagement « pourra prendre fin à la volonté des parties en observant un préavis d'un mois », ce qui n'est pas conforme au Droit du travail français mais au Droit du travail gabonais, indice intrinsèque que les parties ont implicitement souhaité se soumettre au Droit du travail gabonais dès 1978.
Enfin, Mme [Z] [E] fait valoir, sans invoquer de fondement juridique, 'qu'il est de principe que l'intention des parties de se référer à une loi nationale autre que celle du pays où le contrat de travail est exécuté, n'est licite que dans la mesure où la loi choisie est plus avantageuse pour le salarié'.
Il est constant que la règle édictée par les articles 3 et 6 de la Convention de Rome du 19 juin 1980, ratifiée par la France en 1991, selon laquelle l'intention des parties de se référer à une loi nationale autre que celle du pays où le contrat de travail est exécuté, n'est licite que dans la mesure où la loi choisie est plus avantageuse pour le salarié, n'est pas applicable à l'espèce, au vu de l'article 17 de la Convention de Rome précitée qui prévoit que « la convention s'applique dans un État contractant aux contrats conclus après son entrée en vigueur pour cet État. »
En tout de cause, et à titre superfétatoire, la convention précitée prévoit également que la règle d'application du Droit plus favorable est exclue s'il résulte de l'ensemble des circonstances que le contrat de travail présente des liens plus étroits avec un autre pays, auquel cas la loi de cet autre pays est applicable.
En l'espèce, le contrat de travail présente, pour les motifs exposés ci-dessus, des liens plus étroits avec le Gabon.
Dans ces circonstances, il ressort des dispositions contractuelles en vigueur entre les parties que l'application de la loi gabonaise doit être retenue sans que l'employeur puisse se voir opposer le caractère plus favorable de la loi française.
Sur la mise à la retraite :
Il incombe au juge français, qui reconnaît applicable un Droit étranger, d'en rechercher la teneur, soit d'office, soit à la demande d'une partie qui l'invoque et de donner à la question litigieuse une solution conforme au Droit positif étranger.
En l'espèce, la République Gabonaise a mis fin aux fonctions de Mme [Z] [E] en se référant à la loi gabonaise dans les termes suivants : « Je vous notifie, par la présente, la résiliation au 31 octobre 2013 du contrat de travail qui vous lie à l'Ambassade en raison de votre départ à la retraite conformément aux dispositions pertinentes de la loi n° 3/94 du 21 novembre 1994, portant Code du travail en République Gabonaise, qui fixe l'âge limite de cessation d'activité à 60 ans. » (lettre du 11 mars 2013 : pièce de l'appelante n° 8).
À la demande de la salariée, la République Gabonaise a accepté de différer la date d'effet de la rupture de son contrat de travail au 31 décembre 2014 jusqu'à ce qu'elle atteigne l'âge légal du départ à la retraite en France (61 ans et 2 mois), de manière à lui permettre de percevoir une pension de retraite française immédiatement après son départ de l'Ambassade.
En revanche, l'employeur n'a pas donné suite à la demande de cette dernière de continuer à travailler jusqu'à ce qu'elle soit en droit de bénéficier d'une pension de retraite à taux plein en décembre 2018 ( cf les lettres de Mme [Z] [E] du 12 mars 2013 et du 17 décembre 2014: pièces n° 9 et 11 de son dossier et lettre de l'Ambassade de la République Gabonaise du 18 décembre 2014 : pièce n° 12).
La loi gabonaise n°3/94 du 21 novembre 1994 portant code du travail prévoit en son article 62 que : « le départ à la retraite est la cessation par le travailleur atteint par la limite d'âge de toute activité salariée. Il intervient à l'initiative de l'employeur ou du travailleur. La limite d'âge, variable entre 55 et 60 ans selon les secteurs d'activité, est précisée par décret pris sur proposition du ministre chargé du travail, après avis de la Commission consultative du travail. » ( pièce n° 4 l'employeur).
À cet égard, le décret n° 01498/PR/MTEPS du 29 décembre 2011 « règlementant les dérogations relatives à la limite d'âge de départ à la retraite dans certains secteurs d'activités et de certains personnels régis par le Code du Travail » est venu préciser en son article 2 que «conformément aux dispositions de l'article 62 du Code du travail, l'âge limite de départ à la retraite est fixé à 60 ans » (pièce n° 5 même dossier).
La rupture du contrat de travail de Mme [Z] [E] ne constitue donc pas un licenciement injustifié mais un départ à la retraite mis en 'uvre conformément aux dispositions de la loi gabonaise applicable au litige.
Après substitution de motifs, il y a lieu de confirmer le jugement de première instance.
Dès lors que Mme [Z] [E] est déboutée de sa demande tendant à voir reconnaître la rupture de son contrat de travail comme un licenciement sans cause réelle et sérieuse, ses prétentions concernant l'indemnisation d'un préjudice distinct du licenciement, d'un préjudice moral lié aux circonstances de la rupture et d'un préjudice financier immédiat et futur concernant un montant de retaite perçu moins important que si elle avait continué à travailler quelques temps, ne sont pas fondées alors que sa mise à la retraite conformément aux règles en vigueur n'a pas été fautive.
Il convient en conséquence de débouter l'appelante de l'intégralité de ses demandes au titre de sa mise à la retraite.
Sur les autres demandes :
L'équité ne commande pas qu'une condamnation soit prononcée en l'espèce au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Mme [Z] [E], qui succombe, est condamnée aux dépens de première instance, par confirmation du jugement entrepris, et d'appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
CONFIRME le jugement du conseil de prud'hommes de Paris rendu le 6 décembre 2017 entre Mme [D] [O] veuve [P] [V] et la République Gabonaise,
Y ajoutant,
DIT que le contrat de travail de Mme [D] [Z] [E] veuve [P] [V] était soumis au Droit gabonais,
DIT que le placement à la retraite de Mme [D] [Z] [E] veuve [P] [V] est conforme au Droit gabonais,
DÉBOUTE Mme [D] [O] veuve [P] [V] de l'intégralité de ses demandes,
DÉBOUTE les parties de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE Mme [D] [O] veuve [P] [V] aux dépens d'appel.
LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE