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25/05/2022 | FRANCE | N°21/01887

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 2 - chambre 7, 25 mai 2022, 21/01887


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 2 - Chambre 7



ARRET DU 25 MAI 2022



(n° 12/2022, 6 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/01887 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CDAOB



Décision déférée à la Cour : Jugement du 30 Novembre 2020 -Tribunal judiciaire de PARIS RG n° 19/02069





APPELANT



Monsieur [Y] [S]

[Adresse 1]

[Localité 5] - ROYAUME-UNI

né le 25 Janvier 1967

à [Localité 4]



Représenté par Maître Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477, avocat postulant

Assisté de Maître Bénédicte PUYBASSET...

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 2 - Chambre 7

ARRET DU 25 MAI 2022

(n° 12/2022, 6 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/01887 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CDAOB

Décision déférée à la Cour : Jugement du 30 Novembre 2020 -Tribunal judiciaire de PARIS RG n° 19/02069

APPELANT

Monsieur [Y] [S]

[Adresse 1]

[Localité 5] - ROYAUME-UNI

né le 25 Janvier 1967 à [Localité 4]

Représenté par Maître Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477, avocat postulant

Assisté de Maître Bénédicte PUYBASSET de la SCP CHENEAU & PUYBASSET, avocat au barreau de PARIS, toque : P459, avocat plaidant

INTIMEE

S.A. FRANCE TELEVISIONS

[Adresse 2]

[Localité 3]

N° SIRET : 432 76 6 9 47

Représentée et assistée par Maître Eric ANDRIEU de la SCP PECHENARD & Associés, avocat au barreau de PARIS, toque : R47, avocat postulant et plaidant

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 30 mars 2022, en audience publique, devant la cour composée de :

M. Jean-Michel AUBAC, Président

M. Anne RIVIERE, Assesseur

Mme Anne CHAPLY, Assesseur

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Mme [V] dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme Margaux MORA

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Jean-Michel AUBAC, Président, et par Margaux MORA, Greffier, présente lors de la mise à disposition.

Vu l'assignation délivrée le 18'janvier 2019 par [Y] [S] à l'encontre de la société FRANCE TÉLÉVISIONS, aux fins d'obtenir, au visa l'article 9 du code civil, sa condamnation à lui verser des dommages-intérêts en réparation de ses préjudices moral, d'image et professionnel du fait de la diffusion, sur France 2, le 24'mai 2018 d'un numéro de son magazine «'Complément d'enquête'» intitulé «'Dans la tête de [I] [X]'» à l'occasion duquel a été divulgué un entretien enregistré clandestinement par le journaliste, [Z] [E],

Vu le jugement rendu contradictoirement le 30'novembre 2020 par la 17e chambre civile du tribunal judiciaire de Paris, qui a':

- Débouté [Y] [P] de ses demandes,

- Débouté la société FRANCE TÉLÉVISIONS de sa demande sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamné le demandeur aux dépens,

Vu l'appel interjeté par [Y] [S] le 27'janvier 2021,

Vu les dernières conclusions signifiées par voie électronique le 25'juin 2021 par [Y] [S], qui demande à la cour d'infirmer le jugement et, statuant à nouveau, de':

Vu les dispositions de l'article 9 du code civil,

- déclarer recevable et bien fondé son appel,

En conséquence,

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a débouté de ses demandes, l'a condamné aux dépens, et a considéré que la société FRANCE TÉLÉVISIONS n'avait pas porté atteinte à sa vie privée,

Statuant à nouveau':

- condamner la société FRANCE TÉLÉVISIONS à verser à [Y] [S] la somme de 50'000'euros à titre de réparation du préjudice moral subi';

- condamner la société FRANCE TÉLÉVISIONS à verser à [Y] [S] la somme de 30'000'euros à titre de réparation du préjudice d'image et professionnel subi';

- confirmer le jugement entrepris pour le surplus et notamment en ce qu'il a débouté la société FRANCE TÉLÉVISIONS de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions';

- condamner la société FRANCE TÉLÉVISIONS à verser à [Y] [S] la somme de 10'000'euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société FRANCE TÉLÉVISIONS aux entiers dépens de première instance et d'appel,

[Y] [S] fait valoir que la diffusion contre son gré de propos enregistrés clandestinement et à son insu, sans respect de son droit à l'anonymat dans le cadre d'une émission à charge contre [I] [X] à laquelle il a refusé de participer constitue une atteinte à sa vie privée. En outre, en faisant croire qu'ils observaient strictement les dispositions légales et leur propre charte éthique, les journalistes ont abusé sa confiance.

Il considère qu'aucune limitation ne peut être opposée au droit au respect de sa vie privée du fait de sa notoriété qu'il n'a plus aujourd'hui et il importe peu que les paroles échangées concernent un épisode passé de sa vie professionnelle. Les informations litigieuses n'étaient pas notoires.

Il soutient que FRANCE TÉLÉVISIONS ne peut se prévaloir des cas légitimant une atteinte à sa vie privée, qu'elle ne démontre pas en quoi cette atteinte était indispensable à la bonne information du public, s'agissant d'un événement d'il y a vingt ans et en quoi la personnalité de [I] [X] constituerait un sujet d'intérêt général.

Vu les dernières conclusions signifiées par RPVA le 21'septembre 2021 par la société FRANCE TÉLÉVISIONS qui demande à la cour de':

- confirmer le jugement en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a débouté la société FRANCE TÉLÉVISIONS de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

En tout état de cause de,

Vu l'article 10 de la CEDH, vu l'article 9 du code civil,

- constater qu'aucune atteinte à la vie privée de [Y] [P] n'est caractérisée,

- débouter [Y] [P] de l'ensemble de ses demandes,

- condamner [Y] [P] à payer à FRANCE TÉLÉVISIONS la somme de 10'000'euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner [Y] [P] en tous les dépens dont distraction au profit de la SCP PECHENARD & Associés, Avocat aux offres de droit, qui pourra les recouvrer conformément à l'article 699 du code de procédure civile,

FRANCE TÉLÉVISIONS soutient que l'enregistrement des propos tenus par une personne, fut-il réalisé sans autorisation, ne caractérise pas nécessairement et sans autre analyse une atteinte à la vie privée, qu'en l'espèce, les propos litigieux ne concernent pas la vie privée de [Y] [P] dans la mesure où ils sont relatifs à sa vie professionnelle et ont déjà été révélés par lui.

Elle fait valoir que les informations concernant la vie professionnelle des personnalités publiques, ce qui est le cas de [Y] [P], et les propos déjà divulgués par l'intéressé lui-même ne relèvent pas de la vie privée.

Elle soutient que la protection du droit au respect de la vie privée n'est pas absolue et que la question relevait d'un sujet d'actualité relatif au football qui est un sujet qui intéresse le public, la séquence contribuait ainsi à un débat d'intérêt général.

Vu l'ordonnance de clôture en date du 24'novembre 2021,

Vu l'article 455 du code de procédure civile,

Rappel des faits et des motifs du jugement':

Le 24'mai 2018, était diffusée sur FRANCE 2, une émission «'Complément d'enquête'» intitulée «'Dans la tête de [I] [X]'» au cours de laquelle un entretien entre [Y] [S], ancien joueur international de football professionnel, et [Z] [E], journaliste, était retransmis. [Y] [S] tenait les propos suivants': 'Si je n'ai pas fait la Coupe du monde 98 c'est à cause de lui [[I] [X]] C'est quelqu'un qui pour moi m'a empêché de réaliser mon rêve. Et mon rêve était de participer à une Coupe du monde'! Ne me demandez pas, s'il vous plaît, de parler d'un événement qui a fait pleurer toute ma famille, qui m'a empêché de réaliser mon rêve d'enfant et aujourd'hui de parler de quelqu'un qui fait partie des personnes qui ont refusé que je fasse partie des 23.

Merci beaucoup [Z].'

Il n'est pas contesté que cette conversation a été enregistrée à l'insu de [Y] [S] et divulguée contre son gré.

Le tribunal a considéré que':

'Il résulte de l'analyse des pièces au dossier que l'influence de [I] [X], alors capitaine de l'équipe de France, sur les choix du sélectionneur, [M] [G], pour la Coupe du monde de 1998 était connue du public avant même la diffusion des propos en cause (comme en témoignent certains articles de presse versés aux débats par la défenderesse, notamment ses pièces n°'2 datant de 2018, n°'3 datant de 2013 et n°'15 s'agissant d'un article publié sur le site sofoot.com le 25'mai 2016).

L'immense déception ressentie alors par le joueur professionnel a également été portée à la connaissance du public comme le révèlent divers articles de presse (sur goal.com le 19'juin 2017, pièce n°'9 de la défenderesse où il est fait état des propos suivants du demandeur': 'Et puis le sentiment qu'on m'avait volé mon rêve''; dans le journal L'équipe du 26'avril 2019, pièce n°'10 de la défenderesse où le demandeur expose ses sentiments notamment).

Le fait que [Y] [P] lui-même attribue cette situation professionnelle, notamment, au capitaine de l'équipe de l'époque, apparaît comme un raisonnement logique et attendu au vu de ce contexte connu.

Par ailleurs, la personne de [I] [X], devenu sélectionneur, et son degré d'influence passé sur la sélection de l'équipe de France constituaient manifestement, à quelques jours de la Coupe du monde de 2018, événement sportif suscitant l'intérêt de millions de personnes en France, un fait d'actualité dont il était légitime pour la presse de rendre compte de sorte que les informations contenues dans cette publication, appréciée dans son ensemble et au regard du contexte dans lequel elle s'inscrit, étaient de nature à nourrir le débat public en cours.

La conversation enregistrée, certes à l'insu du demandeur et malgré les précautions qu'il avait prises en amont, portait ainsi sur des informations impliquant des personnes par l'effet de circonstances tenant exclusivement à leur vie professionnelle. Le reportage en cause a diffusé l'analyse personnelle qu'il faisait, plusieurs années après, de l'un des moments marquants de sa carrière professionnelle, déjà largement commentée par la presse, l'engouement du public pour ce débat d'intérêt général étant significatif.

Dans ces conditions, il convient de juger que FRANCE TÉLÉVISIONS n'a pas porté atteinte à la vie privée de [Y] [P] en violation des dispositions de l'article 9 du code civil.'

SUR CE,

Sur l'atteinte à la vie privée

Conformément à l'article 9 du code civil et à l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, toute personne, quelle que soit sa notoriété, a droit au respect de sa vie privée et est fondée à en obtenir la protection en fixant elle-même ce qui peut être divulgué par voie de presse.

Cependant, ce droit doit se concilier avec le droit à la liberté d'expression, consacré par l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Le droit au respect dû à la vie privée et le droit à la liberté d'expression ayant la même valeur normative, il appartient au juge saisi de rechercher un équilibre entre ces droits et, le cas échéant, de privilégier la solution la plus protectrice de l'intérêt le plus légitime. Cette mise en balance des droits en présence doit être effectuée en prenant en considération la contribution de la publication incriminée à un débat d'intérêt général, la notoriété de la personne visée, l'objet du reportage, le comportement antérieur de la personne concernée, le contenu, la forme et les répercussions de ladite publication.

Ainsi, le droit à la vie privée peut céder devant la liberté d'informer, par le texte et par la représentation iconographique sur tout ce qui entre dans le champ de l'intérêt légitime du public, certains événements d'actualité ou sujets d'intérêt général pouvant justifier une publication en raison du droit du public à l'information et la diffusion d'informations déjà notoirement connues du public n'est pas constitutive d'atteinte au respect de la vie privée.

En l'espèce, lors de l'entretien avec le journaliste, [Y] [S] a attribué à [I] [X] son éviction de la Coupe du monde de 1998 et a fait part de la vive tristesse qu'il en a ressentie. Il n'est pas contesté que la diffusion de cet entretien a été faite contre le gré de [Y] [S] à quelques jours du coup d'envoi de la Coupe du monde de 2018.

La Coupe du monde de football, que ce soit celle de 2018 ou celle de 1998, est toujours un fait d'actualité très médiatisé dont il était légitime pour la presse de rendre compte et qui, comme tout ce qui touche à cet événement sportif, suscite un vif intérêt du public. [I] [X], alors sélectionneur de l'équipe de France pour 2018, est un personnage clé de cet événement et [Y] [S], même s'il a quitté le milieu du football, fait toujours partie du monde médiatique et reste un joueur mondialement connu. Dès lors, même si les faits évoqués dans les propos sont anciens, ils s'inscrivent dans l'actualité sportive.

C'est donc par des motifs pertinents que la cour adopte que le tribunal, après avoir relevé que les informations contenues dans la publication étaient de nature à nourrir ce débat public, a relevé que la conversation litigieuse portait 'sur des informations impliquant des personnes par l'effet de circonstances tenant exclusivement à leur vie professionnelle'.

De même, c'est par une juste analyse des pièces produites et notamment de plusieurs articles de presse et interviews antérieurs à cette diffusion qu'il a considéré que ce moment marquant de la carrière professionnelle de [Y] [S] et l'analyse personnelle qu'il en faisait, que ce soit le rôle joué par [I] [X] dans son éviction de la Coupe du monde de 1998 ou la déception qu'il en a ressentie, avaient déjà largement été commentés par la presse.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a retenu l'absence d'atteinte à la vie privée de [Y] [S] et l'a débouté de l'ensemble de ses demandes.

Sur les demandes accessoires

Les premiers juges ont exactement statué sur le sort des dépens et les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile dont ils ont fait une équitable application pour la première instance.

En cause d'appel, il convient de condamner [Y] [S] à payer à la société FRANCE TÉLÉVISIONS la somme de 1'000'euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Il aura également la charge des dépens d'appel dont distraction au profit de la SCP PECHENARD & Associés, avocat aux offres de droit, qui pourra les recouvrer conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et après en avoir délibéré conformément à la loi,

Confirme le jugement en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

Condamne M. [Y] [S] à payer à la société FRANCE TÉLÉVISIONS la somme de 1'000'euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;

Condamne M.'[Y] [S] aux dépens de la présente instance en appel dont distraction au profit de la SCP PECHENARD & Associés, avocat aux offres de droit, qui pourra les recouvrer conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

LE PRÉSIDENTLE GREFFIER


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 2 - chambre 7
Numéro d'arrêt : 21/01887
Date de la décision : 25/05/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-05-25;21.01887 ?
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