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25/05/2022 | FRANCE | N°21/01858

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 2 - chambre 7, 25 mai 2022, 21/01858


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 2 - Chambre 7



ARRET DU 25 MAI 2022



(n° 11/2022, 9 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/01858 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CDAMH



Décision déférée à la Cour : Jugement du 20 Janvier 2021 -Tribunal judiciaire de PARIS RG n° 20/01636





APPELANT



Monsieur [G] [S]

[Adresse 1]

[Localité 4]



Représenté et assisté par

Maître Marie CORNANGUER, avocat au barreau de PARIS, toque : E183, avocat postulant et plaidant





INTIMEE



S.A. SOCIETE DES EDITIONS GRASSET ET FASQUELLE

[Adresse 2]

[Localité 3]

N° SIRET : 562 02 3 7...

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 2 - Chambre 7

ARRET DU 25 MAI 2022

(n° 11/2022, 9 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/01858 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CDAMH

Décision déférée à la Cour : Jugement du 20 Janvier 2021 -Tribunal judiciaire de PARIS RG n° 20/01636

APPELANT

Monsieur [G] [S]

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représenté et assisté par Maître Marie CORNANGUER, avocat au barreau de PARIS, toque : E183, avocat postulant et plaidant

INTIMEE

S.A. SOCIETE DES EDITIONS GRASSET ET FASQUELLE

[Adresse 2]

[Localité 3]

N° SIRET : 562 02 3 7 05

Représentée par Maître Sandra OHANA, avocat au barreau de PARIS, toque : C1050, avocat postulant

Assistée de Maître Lorraine GAY de l'AARPI MALKA ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : C593, avocat plaidant

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 20 avril 2022, en audience publique, devant la cour composée de :

M. Jean-Michel AUBAC, Président

Mme Anne RIVIERE, Assesseur

Mme Anne CHAPLY, Assesseur

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Mme RIVIERE dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme Margaux MORA

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Jean-Michel AUBAC, Président, et par Margaux MORA, Greffier, présente lors de la mise à disposition.

Vu l'assignation à jour fixe délivrée à la S.A. LES ÉDITIONS GRASSET ET FASQUELLE (Éditions GRASSET) le 5'février 2020 à la requête de [G] [S] qui demandait au tribunal de grande instance de Paris de':

- dire que certains propos publiés dans le livre intitulé «'La nuit de [B] [I]'» lui imputent de présenter comme acquise sa culpabilité dans l'agression de [B] [I] à [Localité 9] le 3'octobre 2016 et portent ainsi atteinte au droit au respect de la présomption d'innocence dont le demandeur bénéficie en application de l'article 9-1 du code civil,

- condamner la société des Editions GRASSET ET FASQUELLE à lui payer la somme de 5'000'euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice résultant de l'atteinte à sa présomption d'innocence par la publication de propos au sein du livre intitulé 'La nuit de [B] [I]' publié le 6'novembre 2019,

- ordonner aux frais de la société des Éditions GRASSET ET FASQUELLE, la publication en page d'accueil du site internet des éditions GRASSET dès le surlendemain de la signification de l'ordonnance à intervenir, du communiqué suivant, qui devra apparaître en dehors de toute publicité, en caractères gras, noirs sur fond blanc, de 0,5'cm de hauteur, dans un encadré et sous le titre «'CONDAMNATION JUDICIAIRE'», lui-même en caractère de 0,9'cm':

«'Par jugement du [...] 2020, la 17ème chambre du Tribunal judiciaire de Paris a condamné les Éditions GRASSET pour avoir porté atteinte à la présomption d'innocence de M. [G] [S], dans le livre publié le 6'novembre 2019 par [A] [K], intitulé «'La nuit de [B] [I]'» »,

- ordonner à la société des Éditions GRASSET ET FASQUELLE, à ses frais, de faire apposer sur tous les exemplaires offerts à la vente de l'ouvrage litigieux, par-dessus la page de couverture, un bandeau de couleur rouge, de cinq centimètres de hauteur, portant, sous le titre en caractères majuscules, gras et noirs de un centimètre de hauteur 'CONDAMNATION JUDICIAIRE', la mention': «'Certains passages de ce livre ont été jugés attentatoires au droit à la présomption d'innocence de M. [G] [S]'», en caractères gras, noirs et parfaitement lisibles occupant l'intégralité de l'espace restant du bandeau, sous le titre de celui-ci,

- assortir ces deux obligations d'une astreinte provisoire de 500'euros par jour de retard, passé le délai de 15 jours à compter de la signification du présent jugement,

- se réserver la liquidation de l'astreinte,

- faire interdiction à la société des Editions GRASSET ET FASQUELLE de procéder à l'édition de nouveaux exemplaires du livre sans avoir au préalable supprimé les passages litigieux relatifs à '[H]',

- condamner la société des Editions GRASSET ET FASQUELLE à lui verser la somme de 3'500'euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens,

Vu le jugement rendu contradictoirement le 20'janvier 2021 par le tribunal judiciaire de Paris qui a':

- débouté [G] [S] de ses demandes,

- dit n'y avoir lieu à statuer sur l'exécution provisoire,

- condamné [G] [S] à verser à la S.A. LES ÉDITIONS GRASSET ET FASQUELLE (Éditions GRASSET) la somme de deux mille euros (2'000'euros) sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné [G] [S] aux dépens,

Vu l'appel interjeté le 27'janvier 2021 par [G] [S],

Vu les dernières conclusions signifiées le 11'janvier 2022 par [G] [S], qui demande à la cour de':

- donner acte à [G] [S] de son intention de poursuivre l'action au sens de l'article 65 de la loi du 29'juillet 1881,

- d'infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

- condamner la société des Éditions GRASSET à payer à [G] [S] la somme de 5'000'euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice résultant de l'atteinte à sa présomption d'innocence par la publication des propos litigieux au sein du livre intitulé «'La nuit de [B] [I]'» publié le 6'novembre 2019,

- ordonner, aux frais de la société des Éditions GRASSET ET FASQUELLE, la publication, pendant une durée d'un mois, en page d'accueil du site internet des éditions GRASSET à l'adresse URL https://www.grasset.fr dans les 15 jours suivant la signification de l'arrêt à intervenir, du communiqué suivant, qui devra apparaître en dehors de toute publicité, en caractères gras, noirs sur fond blanc, de 0,5'cm de hauteur, dans un encadré et sous le titre «'CONDAMNATION JUDICIAIRE'», lui-même en caractère de 0,9'cm':

«'Par arrêt du [...] 2021, la Cour d'appel de Paris a condamné les Éditions GRASSET pour avoir porté atteinte à la présomption d'innocence de M. [G] [S], dans le livre publié le 6'novembre 2019 intitulé «'La nuit de [B] [I]'» »,

- ordonner à la société des Éditions GRASSET, à ses frais, de faire apposer sur tous les exemplaires offerts à la vente de l'ouvrage litigieux, par-dessus la page de couverture, un bandeau de couleur rouge, de cinq centimètres de hauteur, portant, sous le titre en caractères majuscules, gras et noirs d'un centimètre de hauteur 'CONDAMNATION JUDICIAIRE', la mention': «'Certains passages de ce livre ont été jugés attentatoires au droit à la présomption d'innocence de «'[H]'» », en caractères gras, noirs et parfaitement lisibles occupant l'intégralité de l'espace restant du bandeau, sous le titre de celui-ci,

- assortir ces deux obligations d'une astreinte provisoire de 500'euros par jour de retard, passé le délai de 15 jours à compter de la signification de l'arrêt à intervenir,

- se réserver la liquidation de l'astreinte,

- condamner la société des Éditions GRASSET à verser à [G] [S] la somme de 3'500'euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société des Éditions GRASSET aux entiers dépens de l'instance,

À titre subsidiaire, si le jugement entrepris devait être confirmé en ses dispositions relatives à l'absence d'atteinte à la présomption d'innocence du demandeur,

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné [G] [S] au paiement d'une somme de 2'000'euros au titre des frais irrépétibles,

Et, statuant à nouveau':

- juger que l'équité commande de ne pas faire application des dispositions de l'article 700, alinéa'1er, du code de procédure civile,

- juger que chacune des parties conservera à sa charge ses propres dépens et frais irrépétibles.

En tout état de cause,

- juger que l'équité commande de débouter la société des Éditions GRASSET de sa demande en cause d'appel fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Vu les conclusions d'intimée notifiées le 12'juillet 2021 par les Éditions GRASSET qui demande à la cour de':

- confirmer le jugement de la 17e chambre du 20'janvier 2021 en toutes ses dispositions,

- dire et juger qu'il n'est pas porté atteinte à la présomption dont bénéficie [G] [S] par les Éditions GRASSET,

- débouter [G] [S] de toutes ses demandes,

Subsidiairement, si la cour devait infirmer le jugement entrepris,

- constater l'absence de préjudice et le caractère disproportionné des mesures sollicitées,

En tout état de cause,

- condamner [G] [S] au paiement d'une somme de 5'000'euros à la Société des Éditions GRASSET sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel, ainsi qu'aux dépens.

Vu l'ordonnance de clôture du 27'octobre 2021,

Vu l'article 455 du code de procédure civile,

Rappel des faits et de la procédure

Dans la nuit du 2 au 3'octobre 2016, [B] [I], vedette de téléréalité américaine de renommée internationale, était agressée à [Localité 9], alors qu'elle séjournait dans une résidence de luxe, et il lui était dérobé des bijoux d'un montant de plusieurs millions d'euros.

Les policiers procédaient à l'arrestation de plusieurs personnes et une information judiciaire était ouverte auprès du juge d'instruction des chefs de séquestration, vol avec arme en bande organisée et association de malfaiteurs.

[G] [S], serveur et barman dans un café situé [Adresse 11], dénommé le «'Tabloïd'», et présenté comme un ami du chauffeur de la victime, était mis en examen dans le cadre de cette information judiciaire et placé en détention provisoire. La procédure est en cours d'instruction.

Les Éditions GRASSET publiaient, le 6'novembre 2019, un livre de [A] [K] intitulé «'La Nuit de [B] [I]'».

[G] [S] a saisi également le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris qui, a rendu une ordonnance le 10'juillet 2020, condamnant les Éditions GRASSET à verser à [G] [S] la somme de 2'500'euros à titre de provision à valoir sur la réparation du préjudice résultant de l'atteinte portée à sa présomption d'innocence par la publication des propos litigieux au sein du livre intitulé «'La nuit de [B] [I]'».

Pour débouter [G] [S] de ses demandes, le tribunal a jugé au fond que «'...Cette caractéristique de l'ouvrage, 'uvre de fiction basée sur une enquête dévoilée dans la presse plus de deux ans auparavant et donc sur des éléments connus du public, à laquelle s'ajoute l'avertissement placé en exergue, empêche de voir dans les propos poursuivis l'affirmation péremptoire ou des conclusions définitives manifestant, de la part de l'auteur, un clair préjugé tenant pour acquise la culpabilité du demandeur.

Dans ces conditions, et au stade de la procédure pénale dont fait l'objet le demandeur, il n'est pas établi que ces écrits pourraient avoir la moindre influence sur la conduite de la procédure pénale'».

Sur l'atteinte à la présomption d'innocence

[G] [S] expose qu'il est présenté, avant toute condamnation, comme coupable des délits de complicité de vol en bande organisée, séquestration et association de malfaiteurs, faisant l'objet d'une information judiciaire et pour lesquels il est mis en examen de sorte qu'il est porté atteinte à la présomption d'innocence dont il bénéficie. Il souligne que cette présomption de culpabilité résulte de la lecture des propos au regard notamment de la méthode de narration choisie et du format de l'ouvrage en cause qui met en scène les faits objet de l'information judiciaire selon la subjectivité de l'auteur des propos, et de l'image qu'il s'est faite à la lecture du rapport de synthèse initial des enquêteurs publié in extenso par le journal du dimanche le 29'janvier 2017.

[G] [S] soutient qu'aux termes de plusieurs passages du livre, son auteur tient pour acquise sa culpabilité car il est présenté comme un «'délinquant réputé'», un «'voleur'», un «'professionnel du crime'», un «'complice'» aux «'poches remplies'» grâce aux faits qui se sont déroulés dans la nuit du 2 au 3'octobre 2016 à [Localité 9].

Il indique qu'il y a une violation manifeste du secret de l'instruction et que le droit à la présomption d'innocence doit être mis en balance avec le droit à la liberté d'expression en fonction des intérêts en jeu et que les mesures réparatrices sollicitées sont parfaitement proportionnées au droit à la liberté d'expression.

Les Editions GRASSET soutiennent que les propos visés ne contiennent pas de préjugé sur la culpabilité de l'appelant. Elles insistent notamment sur le fait que figure au début du livre un avertissement destiné au lecteur et que le sujet est d'intérêt général au vu de la notoriété de [B] [I] et de la médiatisation du braquage qu'elle a subi. Elles précisent que le demandeur est systématiquement dénommé sous un pseudonyme et qu'aucun des passages poursuivis ne contient d'affirmation péremptoire au sujet de la culpabilité de [G] [S].

Les Editions GRASSET soulignent, en outre, qu'il n'existait pas d'actualité judiciaire impliquant la nécessité d'assurer la sérénité des débats ni au moment de la publication du livre ni à ce jour. Elles estiment que l'existence d'un préjudice n'est pas démontrée et que la demande de publication formulée en demande est disproportionnée au regard des exigences de protection de la liberté d'expression.

La société des Éditions GRASSET fait valoir qu'il ne peut être soutenu sérieusement que l'ouvrage en cause pourrait avoir un impact sur des jurés en Cour d'assises et qu'ainsi la publication de l'ouvrage en cause n'était pas de nature à constituer une atteinte grave au caractère équitable du procès et à la nécessité d'assurer la sérénité des débats.

L'article 9-1 du code civil dispose, en son premier alinéa, que 'chacun a droit au respect de la présomption d'innocence' et précise, à l'alinéa 2, que le juge peut prescrire toutes mesures aux fins de faire cesser l'atteinte à la présomption d'innocence 'lorsqu'une personne est, avant toute condamnation, présentée publiquement comme coupable de faits faisant l'objet d'une enquête ou d'une instruction judiciaire'.

Ce texte n'interdit pas de rendre compte d'affaires judiciaires en cours et même d'accorder un crédit particulier à la thèse de l'accusation, mais seulement si, de l'ensemble des propos, ne se dégage pas une affirmation manifeste de culpabilité.

Ainsi pour être constituée, l'atteinte à la présomption d'innocence suppose la réunion de trois éléments qui sont':

- l'existence d'une procédure pénale en cours non encore terminée par une décision de condamnation définitive,

- l'imputation publique, à une personne précise, d'être coupable des faits faisant l'objet de cette procédure, non par simple insinuation ou de façon dubitative, mais par une affirmation péremptoire ou des conclusions définitives manifestant, de la part de celui qui les exprime, un clair préjugé tenant pour acquise la culpabilité de la personne visée,

- la connaissance, par celui qui reçoit cette affirmation, que le fait ainsi imputé est bien l'objet d'une procédure pénale en cours, une telle connaissance pouvant résulter soit d'éléments intrinsèques contenus dans le texte litigieux, soit d'éléments extrinsèques, tels qu'une procédure notoirement connue du public ou largement annoncée dans la presse.

Par ailleurs, il doit également être souligné que l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, en son paragraphe premier, reconnaît à toute personne le droit à la liberté d'expression en précisant que celui-ci comprend notamment la liberté de recevoir ou de communiquer des informations, le texte prévoyant, en son paragraphe'2, que l'exercice de cette liberté comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions, prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires dans une société démocratique, en particulier à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, parmi lesquels figure le droit à la présomption d'innocence, lui-même garanti par l'article 6 de la Convention.

Le droit à la présomption d'innocence et le droit à la liberté d'expression ayant la même valeur normative, il appartient au juge saisi de mettre ces droits en balance en fonction des intérêts en jeu et de privilégier la solution la plus protectrice de l'intérêt le plus légitime, en prenant notamment en considération la teneur de l'expression litigieuse, sa contribution à un débat d'intérêt général, l'influence qu'elle peut avoir sur la conduite de la procédure pénale et la proportionnalité de la mesure demandée.

En l'espèce, il est constant que l'ouvrage en question se rapporte à des faits faisant l'objet d'une instruction judiciaire et qu'à la date de parution de l'ouvrage litigieux, [G] [S] était mis en examen du chef de séquestration, vol avec arme en bande organisée et association de malfaiteurs et faisait donc l'objet d'une procédure pénale en cours d'instruction.

En outre, les lecteurs ont eu connaissance de la procédure pénale en cours compte tenu de son retentissement médiatique car de nombreux articles de presse sont parus en France comme à l'étranger au sujet de cette affaire exceptionnelle en raison de la personnalité de la victime et de l'importance des sommes dérobées ainsi que l'ont relevé les premiers juges.

L'analyse de l'atteinte portée le cas échéant à la présomption d'innocence doit, dans ces circonstances, être faite en considération du nécessaire respect en parallèle de la liberté d'expression.

Il y a lieu d'examiner les passages poursuivis comme attentatoires à la présomption d'innocence de l'appelant et reproduits en caractère gras ci-après':

Page'70

Dehors, elle garde des amis, un certain [N], '[E] le Gros', un copain de jeunesse, un gaillard chauve d'un mètre 75, titi comme elle, de [Adresse 7]. Les deux potes font tout ensemble, la fête pas mal, les anniversaires, les réunions de famille, les vacances' Le boulot aussi, partageant les sales coups et les bons tuyaux, se visitant au parloir, se couvrant quand nécessaire. Quand [J] devient l'amant de [R], il adopte [E]. Autour d'eux, toute une bande se lie, des parigots qui connaissent bien la banlieue, des banlieusards qui ont étendu leur territoire à la capitale. Parfois tous se retrouvent dans une villa du sud de la France, vers [Localité 5] ou [Localité 8], avec les enfants et petits-enfants, on grille des steaks au barbecue, on saute dans la piscine on évoque des souvenirs. On ressasse les victoires, les grands jours et les années d'après-guerre qui furent leur enfance, on oublie les échecs et les blessures, mais jamais les 6 disparus, plombés par les bleus. Tous, ou presque, sont de vieux clients du [Adresse 10], le 36, où s'est écrite leur légende personnelle, comme celle de la police judiciaire. Après [F] et [T], ils ont monté les 148 marches du fameux escalier. Ils se prennent pour des seigneurs parce qu'ils connaissent l'élite de la PJ. [J], [R] et [E], mais aussi [Z], [L], [X], [P], [V] et [H]' [H] a 20 ans de moins, il tient un bar dans le [Localité 12], baptisé «'Le Tabloïd'» parce que sa femme travaille pour le magazine voici. L'établissement devient un point de ralliement, au centre de la capitale, parmi les bourgeois du [Adresse 6], face au marché des enfants rouges, un endroit où donner rendez-vous pour parler tranquille. La salle n'est pas un vaste, la terrasse ne compte que quelques tables, mais les cocktails aux fruits de la passion sont bons. [J] s'assied au comptoir, avec [H] ils peuvent discuter longtemps. [R] les rejoint. Un certain [W] passe souvent les voir, un grand type de 27 ans, beau brun en costume, chemise blanche et cravate. Il est chauffeur pour une société de berlines de transport privé et conduit des célébrités. [J] et [R] le font parler. Un soir, il lâche': «'dans ma voiture aujourd'hui il y avait [B] [I]'».

Page'86

Tous des amis, tous des professionnels du crime, sur qui [J] peut compter en 2016, alors qu'il arrive en fin de cavale, épuisé, à sec.

Au bar de [H], leur QG [Adresse 11], on réfléchit à la suite' Qui est [B] [I], cette star américaine dont parle le jeune chauffeur, [W]''

[R] n'en sait pas beaucoup plus mais [H], la quarantaine, semble au fait de sa célébrité. [J], [Z] et [E] se renseignent, sur Internet 'il y a tout', explique plus tard [J] lors d'un interrogatoire. À trois, ils se rendent dans un magasin de téléphonie où il est possible de se connecter gratuitement et sans risque d'être ensuite tracé. Voilà les anciens penchés sur l'écran d'un smartphone, branchés sur le Web, lunettes de vue sur le nez.

.../...

'Ils la montent vite, cette opération'' dit un ami. 'Trop vite'. Nous sommes à l'été 2016, la prochaine semaine de la mode, à l'automne, permet de s'assurer que [B] sera de retour dans la capitale. Elle ne rate jamais la présentation des nouvelles collections. En attendant, il faut recruter et amasser des informations. .../...[J] promet un partage équitable des gains, les camarades se laissent convaincre ; il constitue autour de lui une équipe de quatre hommes

..../...

Page 88

Trois mois plus tard, janvier 2017, les copains d'abord, [J], [Z], [E], [O], [U] et [R] sont arrêtés. Les vieux de la vieille se font tous cueillir au petit matin dans le cadre d'une enquête pour vol en bande organisée avec arme, enlèvement et séquestration, association de malfaiteurs en vue de commettre un crime et recel.

Page 127

Chargé de la revente, [O] se rend à de nombreuses reprises en Belgique, par la route, parfois accompagné d'[J] et de sa maîtresse [R]. Le jour de paye approche. L'enquête met au jour l'origine du « tuyau » qui a permis de monter le braquage : l'amitié qui lie [H], patron du bar de la [Adresse 11] et délinquant reconnu, et [W], chauffeur de la famille [I]. [J] se rend fréquemment dans l'établissement de son ami [H], un comptoir qui devient un point névralgique de l'affaire. Mi-décembre, la situation financière d'[J] et de ses compères s'améliore. Certains prennent rendez-vous avec des agences immobilières, d'autres s'offrent de nouvelles voitures' Les voleurs touchent au but, ils comptent leurs billets, cette nouvelle fortune qui leur promet un avenir brillant. Les poches remplies, ils imaginent déjà le prochain coup' Et pensent s'en être tirés. Jusqu'au matin du 9 janvier 2017. Ce jour-là 17 équipes de la BRB se déploient partout en France. Les policiers en civil cueillent 17 personnes, l'essentiel des protagonistes, et retrouvent de l'argent liquide. 140 000 euros sous le matelas de [H], 65 000 chez [U], 17 000 chez [J], 5 000 chez [O]' « Les bijoux volés subissent à la revente une décote des trois quarts de leur valeur, voire de 80 % décrypte un policier. Sur 9 millions d'euros, cela fait un bénéfice autour de 2 millions d'euros ». A diviser entre tous les complices'

.../...

page 129

La nuit porte conseil, surtout quand on la passe enfermé entre quatre murs. Le lendemain, à 17h30, [J] avoue les faits. Il jure que son fils ne savait rien du coup, qu'il a aidé son père sans poser de questions. Il dédouane aussi [H], [U], [R], [Z]'L'honneur avant tout, [J] ne balance pas.

Les propos poursuivis ne citent pas directement l'appelant mais il est facilement identifiable par le surnom « [H] » qui est utilisé ainsi que par les précisions données au sujet de son lieu de travail.

Il est présenté comme un « délinquant reconnu » sans toutefois qu'il soit présenté comme coupable d'avoir commis les faits décrits dans le livre.

Les propos litigieux se rapportent directement au contenu de l'enquête policière.

Même si l'auteur de l'article a fait le choix d'accorder un crédit particulier à cette enquête, la cour considère, comme le tribunal, que de l'ensemble des passages litigieux, il ne se dégage pas une affirmation péremptoire de la culpabilité de [G] [S], étant précisé que l'ouvrage est présenté comme une 'uvre de fiction et comporte un 'avertissement de l'éditeur' à destination des lecteurs dans les termes suivants : « Il est important de noter que toutes les personnes évoquées dans ce livre au titre de leur implication dans l'agression de [B] [I] sont présumées innocentes. Par ailleurs, certains prénoms ont été modifiés. »

En outre, sur le contrôle de proportionnalité sollicité par l'appelant, il doit être observé que la publication en cause contribue à un débat d'intérêt général, portant sur l'insécurité et les enquêtes de la police relatives à des délinquants déjà condamnés, qu'elle ne peut pas avoir d'influence significative sur la conduite de la procédure pénale qui est toujours en cours et qu'une condamnation de la société éditrice, même aux mesures sollicitées, apparaîtrait en l'espèce disproportionnée, la cour étant ainsi conduite à faire prévaloir le droit à la liberté d'expression dont les limites n'ont pas été dépassées dans les présentes circonstances.

Sur les demandes

Dans ces conditions, l'atteinte à la présomption d'innocence n'étant pas caractérisée, le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté [G] [S] de toutes ses demandes.

En raison de considérations d'équité, il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a condamné [G] [S] au paiement de la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Il convient d'y ajouter une somme supplémentaire de 1 000 euros au titre des frais exposés par les éditions GRASSET en cause d'appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Enfin, l'appelant sera condamné aux dépens, avec application de l'article 699 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et après en avoir délibéré conformément à la loi,

Confirme le jugement entrepris,

Y ajoutant,

Condamne [G] [S] à payer aux Editions GRASSET et FASQUELLE la somme de mille euros (1 000 euros) en application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ainsi qu'aux dépens d'appel, dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.

LE PRÉSIDENTLE GREFFIER


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 2 - chambre 7
Numéro d'arrêt : 21/01858
Date de la décision : 25/05/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-05-25;21.01858 ?
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