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19/05/2022 | FRANCE | N°18/10774

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 8, 19 mai 2022, 18/10774


Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 8



ARRET DU 19 MAI 2022



(n° , 9 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/10774 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B6NWF



Décision déférée à la Cour : Jugement du 10 Septembre 2018 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MEAUX - RG n°





APPELANTE



SNC HIPPO GESTION ET CIE

[Adresse 1]

[Localit

é 3]



Représentée par Me Jacques BELLICHACH, avocat au barreau de PARIS, toque : G0334







INTIMÉ



Monsieur [B] [Z]

[Adresse 5]

[Adresse 5]

[Localité 2]



Représenté par Me Annie...

Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 8

ARRET DU 19 MAI 2022

(n° , 9 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/10774 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B6NWF

Décision déférée à la Cour : Jugement du 10 Septembre 2018 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MEAUX - RG n°

APPELANTE

SNC HIPPO GESTION ET CIE

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Jacques BELLICHACH, avocat au barreau de PARIS, toque : G0334

INTIMÉ

Monsieur [B] [Z]

[Adresse 5]

[Adresse 5]

[Localité 2]

Représenté par Me Annie GULMEZ de la SELARL AAZ, avocat au barreau de MEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 03 Mars 2022, en audience publique, les avocats ne s'étant pas opposés à la composition non collégiale de la formation, devant Mme Sophie GUENIER-LEFEVRE, Présidente et Madame Emmanuelle DEMAZIERE, Vice-Présidente placée, chargées du rapport.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Madame Sophie GUENIER-LEFEVRE, présidente, rédactrice

Madame Corinne JACQUEMIN, conseillère

Madame Emmanuelle DEMAZIERE, vice-présidente placée

Greffier, lors des débats : Mme Nolwenn CADIOU

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- signé par Madame Sophie GUENIER-LEFEVRE, présidente et par Madame Nolwenn CADIOU, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

Après avoir été engagé le 3 août 1992 en qualité de maître d'hôtel par la société Brasserie Terminus Nord, M. [B] [Z], a été embauché le 1er septembre 2006, par la société Petits Bofinger au poste de directeur d'exploitation dans l'établissement 'Petits Bofinger Pereire'.

Par avenant du 1er juin 2008, conclu entre le salarié et la société ' Taverne de maître [J] [Y] [Localité 7]' il a été affecté au poste de directeur d'exploitation de l'établissement 'Taverne de maître [J] [Y]'.

Un nouvel avenant du 14 juin 2010, conclu avec la société 'Hippopotamus Est Sarl', fixait les conditions de la poursuite de l'activité du salarié en qualité de directeur d'exploitation affecté à l'établissement 'Hippopotamus Roissy' et le 7 décembre suivant par courrier sur lequel il a apposé sa signature pour accord, , était confirmée à l'intéressé sa mutation sur le même poste localisé cette fois à l'établissement Hyppopotamus Val d'Europe' - [Adresse 4], à [Localité 9] en Seine et Marne.

Par lettre du 9 janvier 2017, était notifié au salarié sa mutation à l'établissement '[Adresse 6]' à compter du 1er février suivant.

La convention collective applicable à la relation de travail est celle relative aux hôtels, cafés et restaurants.

Après refus opposé par M. [Z] au changement d'affectation envisagé, ce dernier était convoqué le 1er février 2017, à un entretien préalable fixé au 10 février suivant, une mise à pied conservatoire étant parallèlement mise en oeuvre.

A compter du 1er février 2017, le salarié était placé en arrêt de travail.

Le 17 février 2017, il était licencié pour refus de mutation, et dispensé de l'exécution de son préavis.

Contestant le bien fondé de la mesure prise à son encontre, l'intéressé saisissait le conseil des prud'hommes de Meaux le 4 avril 2017 pour faire valoir ses droits contre la société SNC Hippo Gestion & Cie (la société).

Par jugement en date du 10 septembre 2018, notifié aux parties par lettre en date du 13 septembre 2018, cette juridiction a:

- dit le licenciement nul,

-fixé le salaire de référence à la somme brute de 4 553,42 euros,

- condamné la société à payer à M. [Z] les sommes de :

-2 889,2 euros bruts à titre de rappel de salaire de février 2017

-288,92 euros bruts à titre de congés payés afférents,

- dit que ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter de la réception de la convocation devant le bureau de conciliation,

- 45 530 euros à titre de dommages et intérêts pour discrimination en raison de l'état de santé,

- 45 530 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,

-1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit que ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent jugement,

- ordonné à la société de remettre au salarié les documents sociaux de fin de contrat, y compris le bulletin de salaire de février 2017, rectifiés et conformes au présent jugement,

-débouté le salarié du surplus de ses demandes,

- débouté la société de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société aux entiers dépens y compris aux éventuels frais d'exécution du présent jugement par voie d'huissier de justice.

Par déclaration en date du 25 septembre 2018, la société a interjeté appel.

Dans ses dernières conclusions, notifiées et déposées au greffe par voie électronique le 25 décembre 2021, elle demande à la Cour :

- d'infirmer le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a débouté le salarié de sa demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

Statuant à nouveau,

- de débouter le salarié de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions, en ce compris les demandes formulées en cause d appel,

- de le condamner à lui payer 1 500 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile, et aux entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions, notifiées et déposées au greffe par voie électronique le 7 décembre 2021, le salarié demande au contraire à la cour :

- de confirmer le jugement rendu le 10 septembre 2018 par le conseil de prud'hommes de Meaux en ce qu'il a :

- dit que le licenciement de M. [Z] est nul,

- fixé le salaire de référence de M.  [Z] à la somme de 4 553,42 euros,

- condamné la société à lui payer les sommes de :

-2 889,20 euros bruts à titre de rappel de salaire du mois de février 2017,

- 288,92 euros bruts à titre des congés payés y afférents,

- dit que ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter de la réception de la convocation devant le bureau de conciliation,

- 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonné à la société de lui remettre les documents sociaux de fin de contrat, y compris le bulletin de salaire 2017, rectifiés et conforme au jugement,

- débouté la société de sa demande au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamné la société aux entiers dépens y compris aux éventuels frais d'exécution par voie d'huissier de justice,

-d'infirmer le jugement rendu le 10 septembre 2018 par le conseil de prud'hommes de Meaux sur le reste de ses dispositions.

Statuant de nouveau :

-de juger qu'il a été victime de discrimination en raison de son état de santé,

-de juger qu'il a été victime de harcèlement moral,

-de condamner la société à lui verser les sommes de :

-36 424 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

-72 848 euros à titre de dommages et intérêts pour discrimination en raison de l'état de santé,

A titre principal :

-de juger son licenciement nul,

- de condamner la société à lui verser 164 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,

A titre subsidiaire :

-de juger sans cause réelle et sérieuse le licenciement,

- de condamner la société à lui verser 164 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Et en tout état de cause :

-de condamner la société à lui verser 3 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

-de condamner la Société à lui remettre ses documents sociaux de fin de contrat et bulletins de paie conformes à la décision à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour et par document de retard,

-de condamner la Société aux entiers dépens, en ce y compris les éventuels frais d'exécution forcée par voie d'huissier de justice,

-de juger que les condamnations produiront intérêts au taux légal à compter de la date de la saisine du conseil,

-d'ordonner la capitalisation des intérêts en vertu de l'article 1154 du Code de Procédure Civile.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 4 janvier 2022 et l'affaire a été appelée à l'audience du 3 mars 2022 pour y être plaidée.

Il convient de se reporter aux énonciations de la décision déférée pour un plus ample exposé des faits et de la procédure antérieure et aux conclusions susvisées pour l'exposé des moyens des parties devant la cour.

MOTIFS

I- sur l'exécution du contrat de travail,

A- sur la discrimination à raison de l'état de santé,

L'article 1132-1 du Code du Travail inclus dans le chapitre 2 fixant les règles sur le principe de non-discrimination et inclus dans le titre III intitulé 'Discriminations', tel qu'issu de la loi N° 2017-256 du 28 février 2017 dont l'applicabilité n'est pas contestée, prohibe toute mesure discriminatoire, directe ou indirecte à l'encontre d'un salarié, en raison notamment de son état de santé et l'article 1134-1 du même code aménage les règles de preuve pour celui qui s'estime victime de discrimination au sens du chapitre 2, l'intéressé devant alors seulement présenter des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte , la partie défenderesse devant prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, et le juge formant sa conviction après avoir ordonné en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

A l'appui de sa demande, le salarié présente les faits suivants :

- Il a fait l'objet d'une mutation à [Localité 8], abusivement imposée sur un établissement de moindre importance que celui de [Localité 9] alors que l'avenant à son contrat de travail du 14 décembre 2010 contractualisait le lieu de son affectation à l'établissement '[Adresse 10].

- de retour à plein temps sur son poste de directeur d'exploitation cadre dirigeant, niveau V échelon 3 de l'établissement Hippopotamus-Val d'Europe, à compter du 2 janvier 2017, il n'a pas retrouvé les prérogatives qui lui revenaient pour exercer ses fonctions, celles -ci demeurant confiées par l'employeur à la personne ayant été choisie pour assurer son intérim pendant sa maladie, à plein temps initialement, à compter du 18 juin 2015 date du début de son premier arrêt de travail, puis à temps partiel dans le cadre de la reprise préconisée par le médecin du travail à hauteur de 50% du 27 septembre 28 novembre 2016, puis de 70% du 28 novembre 2016 au 2 janvier suivant.

- dans le cadre de son retour à temps partiel jusqu'au 2 janvier 2017, il a été cantonné à des fonctions subalternes de services.

Pris dans leur ensemble ces éléments laissent présumer la réalité d'une discrimination fondée sur l'état de santé.

Face à cela, l'employeur n'apporte pas de justifications objectives aux décisions qu'il a prises.

En effet, s'agissant du caractère abusif de la mutation, il est admis qu'à la fin de la période de suspension du contrat de travail, le salarié doit retrouver son emploi, c'est à dire son ancien poste si celui-ci demeure vacant, ce qui est le cas lorsqu'il est provisoirement occupé par un autre salarié en remplacement de l'intéressé.

En l'espèce, n'est pas justifié la raisons pour laquelle la responsable d'exploitation mise à disposition au sein de l'établissement de [Localité 9] dans le cadre de conventions temporaires dont le terme était fixé au 3 janvier 2016, a continué à y intervenir en qualité de responsable d'exploitation au delà du 2 janvier 2016, date à laquelle, les parties soutiennent ensemble qu'une reprise à plein temps était autorisée à M. [Z] , sans fournir pour autant d'avis d'aptitude autre que celui du 15 décembre 2016 préconisant une reprise à temps partiel thérapeutique.

Ainsi les courriers électroniques du 13 janvier 2017 (pièce N° 15 du salarié) et du 6 janvier 2017 (pièce N° 9 du salarié), desquels il résulte qu'un autre directeur d'exploitation que M. [Z], pourtant à cette date non encore muté, recevait des codes d'accès spécifiques à l'établissement de [Localité 9] ou prenait des mesures diverses relatives au personnel de l'établissement, démontrent la poursuite de l'exécution de missions relevant du directeur d'exploitation par une autre personne que M. [Z] au delà du 2 janvier 2017.

A cette date, ce dernier était toujours titulaire de son poste à l'établissement de [Localité 9] au sein du centre commercial Val d'Europe en vertu de la 'convention de mutation' du 7 décembre 2010 dont il résulte qu'il y était affecté à compter du 14 décembre suivant au poste de Directeur d'exploitation, le document signé de l'intéressé après la mention 'bon pour accord', précisant expressément que 'les autres clauses du contrat de travail demeuraient inchangées'.

L'avenant du 14 juin 2010 auquel il était ainsi renvoyé stipulait à l'article 13, intitulé 'mobilité', qu'afin 'd'assurer la bonne marche de l'entreprise, le collaborateur pourra être muté au sein des établissements exploités à ce jour et/ou susceptibles d'être exploités dans l'avenir, conformément au pouvoir de direction de l'employeur'.

Dès lors que cette clause ne comportait aucune délimitation de la zone géographique dans laquelle la mutation pouvait être décidée, elle n'est pas opposable au salarié, lequel pouvait donc se prévaloir du caractère contractuel de son affectation à l'établissement de [Localité 9] pour s'opposer à sa mutation vers l'établissement de [Localité 8].

A ce titre, la décision de mutation ne peut être considérée comme justifiée, le fait que le salarié ait dans le passé fait l'objet de diverses mutations conformément à une politique de management non autrement justifiée étant sans effet, alors au demeurant que les précédents changement d'affectation du salarié ont tous fait l'objet de la signature d'un avenant au contrat de travail et donc d'une contractualisation exprès du lieu choisi et accepté et que le nombre beaucoup plus important de salariés dépendant de l'établissement de [Localité 9] par rapport à celui de [Localité 8] tend conforter le fait qu'un tel changement d'affectation ne constituait pas une simple modification des conditions de travail.

Enfin, alors que la preuve est libre en droit du travail et que l'irrégularité d'une attestation au sens de l'article 202 du code de procédure civile n'exclut pas la prise en considération d'un écrit ne répondant pas aux exigence de ce texte pour peu qu'il soit confronté aux éléments apportés en réponse, il doit être constaté que la société ne met pas la cour en mesure de remettre en cause le contenu des déclarations écrites de Mmes [P], et [K], aux termes desquelles malgré son retour à compter de septembre 2016, le salarié était cantonné à des tâches de service et non susceptible d'exercer ses fonctions de directeur.

La chronologie des événements médicaux concernant le salarié et des mesures prises en violation des dispositions de l'article L. 1132-1 précité démontrant le lien de causalité entre les uns et les autres, la discrimination à raison de l'état de santé doit être retenue.

A ce titre, le salarié sollicite une indemnité de 72 848 euros distincte de celle liée à la nullité de la rupture de son contrat de travail, estimant sans autrement en justifier que les dommages-intérêts fixés à hauteur de 45 530 euros de ce chef par le conseil des prud'hommes sont insufiisants.

Au regard de l'intensité et de la durée des faits de discrimination retenus, initiés en septembre 2016, il convient de fixer à 5 000 euros le montant des dommages-intérêts alloués de ce chef.

B- sur le harcèlement moral,

Le harcèlement moral s'entend aux termes de l'article L 1152-1 du Code du Travail, d'agissements répétés qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail du salarié, susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Par ailleurs, aux termes de l'article 1154-1 du Code du Travail, dans sa rédaction issue de la loi N° 2016-1088 du 8 août 2016, lorsque survient un litige au cours duquel le salarié évoque une situation de harcèlement moral, celui-ci doit présenter des éléments de faits laissant supposer l'existence d'un harcèlement, l'employeur devant prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

A l'appui de sa demande le salarié évoque les mêmes faits que ceux présentés à l'appui de sa demande fondée sur la discrimination, ajoutant qu'à compter de son retour, il a été isolé car non destinataire de nombreux courriers et convoqué à plusieurs réunions pour le contraindre à accepter de force la mutation sur l'établissement de [Localité 8], laquelle constituait une véritable rétrogradation contribuant à le dévaloriser aux yeux du personnel dont il avait jusqu'alors la charge.

Outre les éléments constitutifs de la discrimination précédemment retenus, le fait que l'établissement de destination ait été de moindre importance que celui de [Localité 9] résulte de la comparaison non contestée du nombre de salariés affectés à chacun de ces sites, l'employeur, qui ne remet pas en cause la reprise 'à temps plein' à compter du 2 janvier 2017", ne justifiant ce choix par aucun élément lié en particulier à la nécessité d'un aménagement du poste en fonction de préconisations médicales pour la période postérieure au 2 janvier 2017.

De même, n'est-il pas justifié que la rémunération variable liée au poste prévu dans un établissement de plus petite dimension, ne souffrait aucune diminution par rapport à celle du poste de directeur à l'établissement de [Localité 9], quand bien même la fréquentation de ce dernier affichait-elle une baisse plus importante, dès lors que le document versé sur ce point par l'employeur démontre l'application d'un taux de 20% au chiffre d'affaire de l'établissement dont le salarié est directeur, pour déterminer une part de 50% de la satisfaction des critères qualitatifs exigés pour obtenir la totalité du montant de la rémunération variable.

Force est également de constater que même après sa reprise, le salarié n'a pas été destinataire de divers messages adressés aux directeurs d'établissement, en particulier celui du 4 octobre 2016 relatif à la préparation de réunions dites collégiales (pièce N° 11 du salarié), la réalité d'une mise à l'écart ne pouvant être exclue au seul constat du mi-temps thérapeutique mis en oeuvre à cette date.

Le fait que le personnel de l'établissement de [Localité 9] ait été témoin de sa dévalorisation dès lors qu'il était affecté lors de sa reprise à des tâches subalternes résulte des déclarations écrites précitées, dans lesquelles les salariées font état de fonctions limitées au service ou sans rapport avec celles de directeur d'établissement.

Le harcèlement moral est donc établi.

Au regard de la durée des faits et de leur intensité, il y a lieu de fixer à 5 000 euros le montant de dommages-intérêts alloués de ce chef, le salarié ne justifiant pas d'un préjudice devant être indemnisé à hauteur de 36 424 euros comme il le demande.

II- sur la rupture du contrat de travail,

A- sur le bien fondé du licenciement,

Selon l'article L 1132-4 du code du travail, toute disposition, tout acte pris à l'égard d'un salarié en méconnaissance des dispositions du [chapitre II- principe de non discrimination] est nul.

Par ailleurs, en application de l'article L. 1152-3 du Code du Travail, toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des articles L. 1152-1 et L. 1152-2, tout acte contraire est nul.

En conséquence, toute rupture du contrat ayant pour origine la discrimination et le harcèlement moral dont le salarié a été victime est nulle.

La lettre de licenciement dont les termes fixent les limites du litige fait grief au salarié de ne pas s'être présenté au poste auquel il avait été nouvellement affecté à compter du 1er septembre 2017 à [Localité 8].

De ce qui précède, il résulte que cette mutation s'analysait en une mesure discriminatoire et caractérisait, parmi d'autres éléments retenus, un harcèlement moral.

Le licenciement doit donc être considéré comme nul, la décision entreprise devant être confirmée de ce chef.

B- sur les conséquences de la nullité du licenciement,

Le salarié victime d'un licenciement nul et qui ne réclame pas sa réintégration a droit, quelle que soit son ancienneté dans l'entreprise, d'une part aux indemnités de rupture, d'autre part, à une indemnité réparant l'intégralité du préjudice résultant du caractère illicite du licenciement et au moins égale à six mois de salaire.

Agé de 54 ans, le salarié totalisait 25 ans d'ancienneté au moment de la rupture du contrat de travail.

Il a retrouvé un emploi dans les mois qui ont suivi.

Rien ne permet de considérer que la rupture de la période d'essai de ce nouveau contrat de travail, puis le licenciement pour inaptitude qui est survenu dans les suite d'un contrat de travail à durée indéterminée conclu en juin 2019 puissent être imputables à la société Hippo- Gestion comme constituant des conséquences du licenciement nul.

Dans ces conditions, le montant des dommages-intérêts doit être fixé à 82 000 euros, sur la base d'un salaire mensuel de 4 553,42  euros.

C- sur le rappel de salaire sur le mois de février 2017,

M. [Z] a été convoqué à un entretien préalable le 1er février 2017 et mis à pied à titre conservatoire à compter de cette date.

Il a été par la suite licencié le 17 février suivant et dispensé de l'exécution de son préavis.

L'existence d'un arrêt de travail pour la période du 1er au 27 février 2017 n'est pas contestée et du bulletin de salaire du mois de février 2017 auquel l'employeur se réfère, il résulte que la somme due à titre de salaire pour la période de février 2017 a été fixée à 1 310,80 euros brut, sur la base d'un arrêt de travail de 27 jours, comprenant 'le maintien maladie cadre' à hauteur de 793,88 euros, 194 euros au titre du 28 février correspondant à un jour de préavis non effectué, et 322,92 euros au titre d'une 'garantie contrat' non autrement explicitée.

La société évoque, comme en première instance avoir obtenu au titre de la prévoyance, que soit versé au salarié courant août 2017, un complément de salaire, venant compenser ce qu'il s'était abstenu légitimement de verser à raison de l'arrêt de travail.

Ne justifiant pas plus en cause d'appel qu'en première instance du versement effectif des sommes dues à ce titre, le jugement entrepris doit être confirmé en ce qu'il a condamné la société à verser le rappel de salaire et les congés payés afférents de ce chef.

III- sur les autres demandes,

Les sommes retenues par l'huissier instrumentaire en exécution du présent arrêt par application de l'article 10 du décret du 8 mars 2001 portant modification du décret du 12 décembre 1996 ne constituant pas des dépens afférents à l'instance au sens de l'article 695du code de procédure civile, seul le juge de l'exécution est compétent pour trancher un litige sur ce point, la demande formée à ce titre devant dès lors être rejetée.

Les sommes à caractère salarial produiront intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de sa convocation en conciliation, et les sommes à caractère indemnitaire produiront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.

Les intérêts échus, dus au moins pour une année entière, produiront intérêt, en application de l'article 1154 devenu 1343-2 nouveau du code civil.

En raison des circonstances de l'espèce, il apparaît équitable d'allouer à M. [Z] une indemnité en réparation de tout ou partie de ses frais irrépétibles dont le montant sera fixé au dispositif.

IV- sur le remboursement des allocations de chômage,

Les conditions d'application de l'article L.  1235 - 4 du code du travail étant réunies, il convient d'ordonner le remboursement des allocations de chômage versées au salarié dans la limite de trois mois d'indemnités.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

CONFIRME le jugement entrepris en ce qu'il a:

- dit le licenciement nul,

-fixé le salaire de référence à la somme brute de 4 553,42 euros,

- condamné la société à payer à M. [Z] les sommes de :

-2 889,2 euros bruts à titre de rappel de salaire de février 2017

-288,92 euros bruts à titre de congés payés afférents,

INFIRME le jugement pour le surplus,

et statuant à nouveau des chefs infirmés,

CONDAMNE la société Hypo-Gestion et Cie à verser à M. [Z] les sommes de:

- 5 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice né de la discrimination fondée sur l'état de santé,

- 5 000 euros à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral,

- 182 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul,

- 2 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et en cause d'appel,

DIT que les sommes à caractère salarial produiront intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de sa convocation en conciliation, et que les sommes à caractère indemnitaire produiront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,

DIT que l'employeur sera tenu de présenter au salarié un bulletin de paie récapitulatif pour l'année 2017, un certificat de travail et une attestation Pôle Emploi conformes aux termes de cette décision dans le délai de deux mois suivant la signification du présent arrêt,

ORDONNE le remboursement à l'organisme les ayant servies, des indemnités de chômage payées au salarié au jour du présent arrêt dans la limite de trois mois d'indemnités,

DIT que les intérêts échus, dus au moins pour une année entière, produiront intérêt, en application de l'article 1154 devenu l'article 1343-2 nouveau du code civil,

DÉBOUTE les parties de leurs autres demandes,

CONDAMNE la société Hypo-Gestion et Cie aux dépens.

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 8
Numéro d'arrêt : 18/10774
Date de la décision : 19/05/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-05-19;18.10774 ?
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