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21/04/2022 | FRANCE | N°18/09922

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 8, 21 avril 2022, 18/09922


Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 8



ARRET DU 21 AVRIL 2022



(n° , 12 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/09922 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B6JCQ



Décision déférée à la Cour : Jugement du 18 Mai 2018 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° F17/00682





APPELANTE



Madame [I] [T]

[Adresse 4]

[Localité 2]
>

Représentée par Me Naïma SAYAD, avocat au barreau de PARIS, toque : A0669





INTIMÉE



SA LA POSTE

[Adresse 5]

[Localité 3]



Représentée par Me Stéphanie LEROY, avocat au barreau d...

Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 8

ARRET DU 21 AVRIL 2022

(n° , 12 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/09922 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B6JCQ

Décision déférée à la Cour : Jugement du 18 Mai 2018 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° F17/00682

APPELANTE

Madame [I] [T]

[Adresse 4]

[Localité 2]

Représentée par Me Naïma SAYAD, avocat au barreau de PARIS, toque : A0669

INTIMÉE

SA LA POSTE

[Adresse 5]

[Localité 3]

Représentée par Me Stéphanie LEROY, avocat au barreau de PARIS, toque : P0221

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 03 Février 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :Madame Sophie GUENIER-LEFEVRE, Présidente de chambre

Madame Corinne JACQUEMIN LAGACHE, Conseillère

Madame Emmanuelle DEMAZIERE, Vice-Présidente Placée

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Madame Sophie GUENIER-LEFEVRE, Présidente, dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Madame Nolwenn CADIOU

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- signé par Madame Sophie GUENIER-LEFEVRE, présidente et par Madame Nolwenn CADIOU, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

Madame [I] [T] a été engagée par la SA La Poste (la Poste), dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée en date du 2 février 2001 en qualité de 'facteur'.

La convention collective applicable à la relation de travail est celle relative à La Poste-France Télécom.

Mme [T] a été victime d'un accident du travail le 9 avril 2013. Elle a repris son poste le 23 mars 2015, dans le cadre d'un mi-temps thérapeutique avant d'être à nouveau placée en arrêt de travail du 9 avril 2015 au 3 mai 2015.

Le 10 juin 2015, La Poste l'a convoquée à un entretien préalable à une éventuelle sanction à la suite duquel un avertissement lui a été notifié.

Mme [T] a été placée en arrêt de travail du 8 au 24 août 2015.

Le 31 aoûtsuivant, La Poste lui a notifié une mise à pied à titre disciplinaire avec privation de salaire durant trois mois.

Mme [T] a de nouveau été placée en arrêt de travail à compter du 20 juin 2016, sans interruption jusqu'à la rupture de son contrat de travail qui est intervenue pour faute grave le 27 octobre 2016, après convocation de la salariée à un entretien préalable fixé au 27 juillet précédent et avis de la Commission Consultative Paritaire rendu le 21 septembre 2016.

Contestant cette mesure, Mme [T] a, par acte en date du 31 janvier 2017, saisi le conseil de prud'hommes de Paris afin de faire valoir ses droits.

Par jugement en date du 18 mai 2018, notifié aux parties par lettre en date du 11 juillet 2018, le conseil de prud'hommes de Paris a :

- débouté Mme [T] de l'ensemble de ses demandes ;

- débouté La Poste de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné la salariée aux dépens.

Par déclaration en date du 7 août 2018, Mme [T] a régulièrement interjeté appel de cette décision.

Dans ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 7 janvier 2022, l'appelante demande à la cour d'infirmer le jugement déféré et statuant de nouveau, de :

- déclarer que La Poste a manqué à ses obligations en matière de prévention et de sécurité au travail et engagé sa responsabilité à l'égard de Mme [T] de ce fait ;

- condamner La Poste à lui payer à la somme de 15 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi pour manquement à ses obligations en matière de prévention et de sécurité au travail ;

- déclarer que La Poste a manqué à son obligation de déclarer les accidents du travail du 7 août 2015 et 21 septembre 2016 ;

- ordonner à l'employeur de procéder aux deux déclarations d'accident du travail du 7 août 2015 et 21 septembre 2016 auprès de l'organisme de sécurité sociale compétent et ce, sous astreinte définitive de 100 euros par jour de retard à compter de sa première demande le 31 janvier 2017 ;

- condamner La Poste à payer à Mme [T] les sommes de :

*5 000 euros à titre de dommages-intérêts pour défaut de déclaration d'accident du travail,

*3 500 euros à titre de rappel de salaire et congés payés correspondants ;

- déclarer que la mise à pied à titre disciplinaire du 31 août 2015 est nulle et de nul effet

avec toutes conséquences en droit ;

Subsidiairement, de déclarer la mise à pied à titre disciplinaire du 31 août 2015 injustifiée et infondée,

En tout les cas de :

- condamner La Poste à lui payer les sommes de :

* 5 957,49 euros à titre de rappel de salaire du 14 septembre au 13 décembre 2015,

* 595,75 euros à titre des congés payés afférents,

* 3 500 euros à titre de dommages-intérêts ;

-communiquer à Mme [T] les bulletins de paie rectifiés sous astreinte définitive de 100 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir.

Sur le licenciement,

à titre principal,

- déclarer nul et de nul effet le licenciement prononcé le 27 Octobre 2016 avec toutes conséquences en droit ;

- condamner La Poste à lui verser la somme de 43 688,26 euros à titre de dommages intérêts en réparation de son préjudice pour licenciement nul ;

à titre subsidiaire,

- déclarer que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse ;

- condamner La Poste à lui verser la somme de 43 688,26 euros à titre d'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Dans tous les cas,

- déclarer que Mme [T] a fait l'objet de mesures constitutives d'agissements répétés relevant d'un harcèlement moral de la part de La Poste et en conséquence,

- condamner à ce titre La Poste à payer à Mme [T] les sommes de :

* 20 000 euros au titre de dommages et intérêts en raison de l'acharnement dont elle a été victime,

* 1594,70 euros correspondant au solde restant dû à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,

*1 584,56 euros correspondant aux indemnités journalières CPAM indûment perçues par La Poste du 26 décembre 2016 au 15 février 2017 ;

- condamner La Poste à délivrer à Mme [T] l'attestation Pôle Emploi, le dernier bulletin de paie ainsi que le solde de tout compte rectifiés et ce, sous astreinte définitive de 100 euros/jour de retard à compter de la décision à intervenir ;

- condamner La Poste à restituer les sommes indûment perçues par elle au titre des indemnités journalières accident du travail de la CPAM, soit 1 775,92 euros ;

- condamner La Poste à verser à Mme [T] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la première instance et 6 000 euros en cause d'appel ;

- assortir les condamnations de l'intérêt légal pour les sommes assimilables à des salaires à compter de sa saisine et, pour celles constitutives de dommages et intérêts, à compter du jugement à intervenir en vertu de l'article 1231-7 du Code civil ;

- ordonner la capitalisation de ces dites sommes sur le fondement de l'article 1343-2 de ce même Code, à compter du 27 octobre 2016 ;

- condamner La Poste aux entiers dépens de 1ère instance et d'appel dont distraction au profit de Me Sayad pour ceux dont elle aura fait l'avance par application de l'article 699 du Code de Procédure Civile. 

Dans ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 29 novembre 2021, La Poste demande à la cour de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté Mme [T] de l'intégralité de ses demandes et de condamner l'appelante au paiement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et à prendre en charge les dépens. 

L'ordonnance de clôture est intervenue le 18 janvier 2022 et l'audience de plaidoiries a été fixée au 3 février 2022.

Comme l'y autorise l'article 455 du code de procédure civile, la cour se reporte, pour un plus ample exposé des faits et la présentation des moyens des parties, à leurs écritures et au jugement dont appel.

SUR QUOI

I- Sur l'exécution du contrat de travail

A- Concernant le harcèlement moral

Le harcèlement moral s'entend, aux termes de l'article L 1152-1 du code du travail, d'agissements répétés qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail du salarié, susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Ainsi le stress enduré, lorsqu'il découle de facteurs tenant à l'organisation du travail, l'environnement de travail ou une mauvaise communication de l'entreprise, peuvent conduire à des situations de harcèlement et de violence au travail.

Par ailleurs, aux termes de l'article 1154-1 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi N° 2016-1088 du 8 août 2016, lorsque survient un litige au cours duquel le salarié évoque une situation de harcèlement moral, celui-ci doit présenter des éléments de faits laissant supposer l'existence d'un harcèlement, l'employeur devant prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En l'espèce, Mme [T] soutient que durant de nombreux mois, elle fait l'objet d'un isolement, de pratiques disciplinaires injustifiées et d'un acharnement répété et persistant de la part de ses encadrants, ce qui a eu pour effet de dégrader ses conditions de travail et de constituer des violences morales et psychologiques importantes.

A l'appui de sa demande, la salariée présente un tableau récapitulatif des principaux évènements qu'elle souligne (pièce 60) :

- un refus d'appliquer les prescriptions médicales,

- le fait qu'elle aurait dans un climat tendu, fait l'objet d'un isolement et serait devenue un bouc émissaire,

- la dégradation de ses conditions de travail,

- la dénonciation d'une situation de harcèlement et l'absence d'enquête menée par La Poste,

- l'atteinte à sa dignité, la salariée ayant subi un dénigrement et des propos méprisants et

vexatoires,

- avoir été placée dans une situation ne lui permettant pas d'exécuter ses missions ou de modifier ses conditions matérielles de travail (privation du chariot électrique ou du téléphone 'FACTO',

- avoir essuyé un arsenal de mesures/convocation d'origine disciplinaire,

- l'absence de bénéfice des déclarations d'accident du travail,

- la dégradation de son état de santé.

Ces faits, pris dans leur ensemble, laissent présumer l'existence d'un harcèlement.

Il revient donc à l'employeur d'établir que les décisions qu'il a prises sont étrangères à tout harcèlement.

En premier lieu, l'appelante ne peut utilement se prévaloir d'un simple avis du médecin contrôleur précisant le 7 juillet 2020 qu'une reprise était possible 'avec une nouvelle affectation', avis formulé sur demande de l'employeur pour savoir si l'arrêt de travail était médicalement justifié.

En effet, dès lors qu'à compter du 20 juin 2016, la salariée n'a pas repris son travail et que les avis du médecin contrôleur ne valent que pour l'avenir, il ne peut être fait grief à La Poste de pas avoir proposé une nouvelle affectation.

En tout état de cause, seul le médecin du travail était habilité à donner un avis sur l'aptitude de la salariée et, le cas échéant, organiser les aménagements de poste nécessaires.

Or, l'employeur justifie qu'il s'est conformé aux prescriptions du médecin du travail en réaménageant, le 25 mars 2015, le temps de travail de Mme [T] en un mi-temps thérapeutique, ce qui n'est pas contesté (pièce 31 a).

En deuxième lieu, il doit être constaté que le climat de travail tendu et l'isolement, que l'appelante soutient avoir subis, ne reposent que sur ses dires et ne sont corroborées par aucun élément du dossier.

En troisième lieu, Mme [T] soutient qu'une enquête interne devait être organisée.

Si, dans le cadre d'un rapport diligenté lors d'une procédure disciplinaire engagée à son encontre (pièce de l'appelante n°71 a), l'assistante sociale a entendu Mme [T] qui a relevé dans ce cadre, que les reproches qui lui étaient faits étaient le résultat d'un «acharnement et d'un harcèlement », sans étayer ses propos d'un quelconque exemple, il ne peut être utilement considéré que l'absence d'enquête constitue de la part de l'employeur un 'acte de harcèlement'.

Au demeurant, force est de constater qu'elle n'a jamais évoqué auprès du service des ressources humaines, de ses managers, des représentants du personnel, de la médecine du travail ou de l'inspection du travail un quelconque acte de harcèlement.

En quatrième lieu, s'agissant de l'atteinte à la dignité de la salariée, Mme [T] indique qu'elle a eu à subir une « malveillance singulière, un dénigrement, des propos méprisants voire des remarques inutilement blessantes et vexatoires portant directement atteinte à sa dignité, notamment s'agissant de sa boiterie ».

Or, aucun élément du dossier n'établit ces griefs, ni qu'elle aurait fait part à la Direction de La Poste, par écrit, des propos tenus par son précédent encadrant, de sorte que ces allégations ne reposent sur aucun élément tangible.

Si l'appelante fait valoir également 'qu'elle a été rabaissée au plus bas de la notation dans son évaluation après plus de 17 ans de service', s'agissant de cette évaluation de 2014, (pièce 70 a du dossier de la salariée), l'examen de sa notation, qui mentionne des 'insuffisances' et conclut que 'de par son absence à la distribution, elle n'a pu acquérir les connaissances de sa tournée et n'a pas pu parfaire son expérience professionnelle ' ne démontre aucune appréciation partisane de la part de l'évaluateur mais repose sur des élements objectifs d'ailleurs non contestés par la salariée.

Dans ces conditions l'évaluation d'un salarié destinée à juger de ses résultats professionnels ne saurait être susceptible de caractériser l'existence d'un harcèlement moral.

En cinquième lieu, s'agissant des mesures disciplinaires dont a fait l'objet la salariée, à savoir deux mises à pied en 2015, 2016 puis d'un licenciement, ces procédures étaient diligentées en raison de faits précis évoqués par l'employeur et qui seront examinés dans le cadre de la demande d'annulation de la sanction du 31 août 2015 et du bien-fondé du licenciement alors que ces procédures, ne peuvent être constitutives, au vu des pièces du dossier, d'acharnement qui pourrait constituer un acte de harcèlement moral.

En sixième lieu, sur le défaut des déclarations d'accident du travail, La Poste justifie avoir effectué les déclarations lorsqu'elles s'imposaient (pièces n° 3, 9, 26, 29 : déclaration de La Poste et arrêts de travail) dès lors que le malaise invoqué par Mme [T] n'est pas survenu pendant sa période de travail.

En effet, il ne résulte d'aucune pièce du dossier que ce malaise devait être déclaré comme un accident du travail.

Au demeurant, si la salariée fait également état de ce fait dans le cadre du défaut de respect par l'employeur de son obligation de prévention et de sécurité au travail, aucun élément du dossier ne permet de considérer que l'absence de déclaration de ce malaise comme accident du travail révélerait de la part de La Poste un acte révélateur de harcèlement moral.

En septième lieu, s'agissant de la dégradation de son état de santé, les éléments médicaux produits ne permettent pas d'imputer la dépression qu'elle a subi au comportement de l'employeur ou à celui de ses supérieurs à son égard, la lettre du psychiatre ne faisant état du contexte professionnel que par suite des seuls dires de la patiente.

Il conviendra en conséquence de ce qui précède de confirmer le jugement entrepris de ce chef.

B- Concernant l'obligation de prévention et de sécurité

En application des dispositions des dispositions de l'article L. 4121 ' 1 et suivants du code du travail, l'employeur doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ; ces mesures comprennent notamment la mise en place d'une organisation et des moyens adaptés et l'employeur doit veiller à l'organisation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.

En l'espèce la salariée soutient que l'employeur n'a pas :

- pris les mesures indispensables pour éviter la dégradation de ses conditions de

travail alors qu'il était pourtant parfaitement alerté ;

- tenu compte des prescriptions du médecin traitant, en toute connaissance de cause, à

l'occasion de la mise en place des deux mi-temps thérapeutique ;

Il est constant que les 15 mai 2014 , 23 mars 2015, 15 mai 2014 et 4 avril 2016, le médecin du travail a rendu des avis d'aptitude (pièces n° 10 ,33 et 39) les deux derniers préconisant un travail à temps partiel.

Mme [T] soutient que le médecin du travail n'a pas été informé des contre-indications faites par le médecin traitant.

Cependant, outre que cette information pouvait être donnée à ce praticien par la salariée elle même, ni l'employeur, ni le médecin du travail n'est tenu par les préconisations du médecin traitant, le médecin du travail étant seul habilité à décider de l'aptitude ou non du salarié qu'il examine et des mesures à prescrire.

De plus, La Poste a régulièrement mis en place les deux mi-temps préconisés par le médecin du travail et a donc respecté ses obligations alors au dmeurant que la salariée ne justifie pas d'une dégradation de son état de santé qui serait en lien avec l'absence de prise en compte par l'employeur de préconisations spéciales de son médecin traitant.

Il s'ensuit que le jugement est confirmé sur l'absence de manquement de La Poste à son obligation de sécurité.

C- Concernant l'absence de déclaration de deux accidents du travail

L'appelante fait grief à l'employeur de ne pas avoir effectué de déclaration d'accident du travail les 7 août 2015 et 21 septembre 2016.

Il résulte des articles L. 441-1 et R. 441-2 du code de la sécurité sociale et de l'article 62 convention collective commune La Poste que lorsqu'un salarié est victime d'un accident du travail, il doit en informer ou en faire informer l'employeur dans la journée où l'accident s'est produit ou, au plus tard, dans les 24 heures (...).

L'information doit être effectuée par lettre recommandée, si elle n'est pas directement faite à l'employeur sur le lieu de l'accident.

Par ailleurs, le salarié qui en informe tardivement l'employeur le prive du bénéfice de la présomption d'imputabilité.

En l'espèce, si Mme [T] verse aux débats des certificats médicaux établis par deux médecins différents le 7 août 2015 (pièces n° 7 et 40), aucun élément du dossier ne permet d'établir que la société en avait connaissance alors que c'est postérieurement au licenciement et par l'intermédiaire de son conseil que l'employeur a été informé d'un malaise survenu le 7 août 2015 (pièce n° 10 de La Poste).

S'agissant du malaise du 21 septembre 2016, le contrat de travail était suspendu à la date des faits dès lors que Mme [T] était en arrêt de travail et qu'elle s'est rendue à la commission consultative paritaire à laquelle elle a été convoquée pour sanction disciplinaire (pièce n° 4 dossier de La Poste).

Dès lors, l' accident survenu lors du déplacement de la salariée, qui n'a pas pour cause le travail, ne devait pas être pris en charge au titre de la législation relative aux accidents du travail.

Le jugement est également confirmé sur ce point et l'appelante déboutée des demandes de dommages-intérêts présentées à ce titre.

D- Concernant la mise à pied du 31 août 2015

En application de l'article L. 1331-1 du code du travail, constitue une sanction disciplinaire « toute mesure autre que les observations verbales, prises par l'employeur à la suite d'un agissement du salarié considéré par lui comme fautif, que cette mesure soit de nature à affecter immédiatement ou non la présence du salarié dans l'entreprise, sa fonction, sa carrière ou sa rémunération ».

Mme [T] fait valoir que cette sanction contrevient au principe 'non bis in idem' puisqu'elle a déjà fait l'objet au titre des mêmes faits d'une procédure de demandes écrites d'explications, qui valait sanction.

Toutefois, il résulte des pièces du dossier (pièces n° 21 et 22 de l'appelante) que les 'deux constats des faits', constituent des documents neutres dont l'objectif est d'établir un rapport contradictoire qui vise à permettre au salarié de consigner par écrit ses explications et d'assurer la protection de ses droits avant qu' une sanction puisse éventuellement être envisagée par La Poste et se différencie donc,« d'une demande d'explication » qui comporte notamment une proposition de sanction de la part du supérieur hiérarchique du salarié.

Il en résulte qu'il n'y a pas lieu à l'annulation la mise à pied en cause.

S'agissant du fond, il est fait grief à la salariée d'avoir :

- le 4 mai 2015, omis de distribuer 27 courriers recommandées du syndic de l'immeuble du [Adresse 1] et d'avoir demandé à la gardienne de signer les bordereaux, lesquels ont été pour partie retournés le lendemain par la gardienne, s'agissant de ceux pour lesquels les destinataires ne lui avaient pas donné procuration ;

- le 5 mai 2015, omis de distribuer une lettre recommandée affectée sur le bordereau de sa tournée et qui a été retrouvée dans son casier ;

- le 21 mai 2015, omis de remettre le bordereau concernant quatre plis recommandés qui étaient manquants lorsqu'elle a fait sa reddition de comptes, obligeant son encadrant à lui remettre à deux reprises un duplicata, en vain dès lors qu'il manquait encore deux signatures sur les quatre manquantes.

En premier lieu, la salariée ne conteste pas les faits et notamment d'avoir effectivement demandé à la gardienne de signer les bordereaux de recommandé et de distribuer les courriers aux copropriétaires.

Elle ne peut s'exonérer de sa responsabilité quant à la faute commise en tant que factrice au motif inopérant que c'est l'un chauffeurs de La Poste qui a déposé les plis chez la gardienne, dès lors qu'il lui appartenait, dans le cadre de ses fonctions, après avoir elle-même demandé cette aide pour le transport, de les distribuer à chaque destinataire .

En deuxième lieu, s'agissant du courrier retrouvé dans sa case alors qu'il aurait dû être distribué, son observation selon laquelle le collègue aurait dû le lui remettre est également inopérant quant à la faute qu'elle a elle même commise en n'effectuant pas la distribution.

Enfin, concernant le défaut de signatures sur le troisième bordereau, alors qu'il est reconnu que deux avaient été égarés par elle, l'appelante ne peut utilement prétendre que si elle avait été en possession d'un autre outil de travail, l'erreur ne serait pas survenue dès lors, qu'à nouveau, cet argument n'est pas de nature à l'exonérer de sa responsabilité qui est engagée en raison de la perte de plusieurs bordereaux de signature que son supérieur hiérarchique s'est trouvé dans l'obligation de lui remettre sans que finalement l'ensemble des signatures des destinataires figurent sur le dernier.

Il en ressort que les comportements incriminés, qui consistent en des fautes professionnelles répétés, justifiaient la sanction prise par l'employeur.

Le jugement est confirmé sur ce point.

E- Concernant la demande de restitution des sommes perçues par La Poste au titre des indemnités journalières accident du travail de la Caisse Primaire Assurance Maladie (CPAM).

Mme [T] sollicite, dans le dispositif de ses conclusions, la condamnation de La Poste à lui verser la somme de 1.584,56 euros correspondant aux indemnités journalières servies par la CPAM du 26 décembre 2016 au 15 février 2017 ainsi que les indemnités journalières « accident du travail ».

L'appelante ne formule toutefois aucun moyen au soutien de cette prétention et ne verse au débat aucun calcul, ni aucune pièce permettant de justifier du montant réclamé.

En tout état de cause, l'employeur justifie pratiquer la subrogation en cas d'arrêt de travail de ses salariés et avoir restitué les indemnités journalières tout en maintenant le salaire de Mme [T] (pièce n°20), ce que la salariée ne conteste d'ailleurs pas.

Le jugement est en conséquence confirmé sur ce point.

II- Sur le licenciement

Le harcèlement moral n 'ayant pas été retenu, Mme [T] sera nécessairement déboutée de sa demande de nullité du licenciement prononcé par l'employeur pour faute grave et dont il convient désormais d'examiner le bien fondé

La faute grave, dont la charge de la preuve de la réalité des faits, de leur gravité et de leur imputabilité au salarié, pèse sur l'employeur, est la faute qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible immédiatement le maintien du salarié dans l'entreprise .

L'immédiateté de la rupture s'entend de l'impossibilité pour l'employeur, compte tenu de l' importance de la faute, de tolérer, même pendant une durée limitée, la présence du salarié dans l'entreprise.

La lettre de licenciement, qui fixe l'objet du litige, mentionne quatre manquements :

- la perte, le 7 juin 2016, d'une sacoche de recommandés et la man'uvre frauduleuse opérée par la salariée pour dissimuler la perte de l'un des plis ;

- ne pas avoir apporté l'attention nécessaire à la bonne exécution de du travail, engendrant 9 réclamations de la même cliente le 9 juin 2016 ;

- une insubordination caractérisée par le non-respect des instructions qui lui ont été données par la société ;

- la transmission tardive d'un arrêt de travail.

Il est également rappelé des sanctions précédentes prononcées au cours des 3 dernières années :

- un avertissement le 26 juin 2014 et un blâme le 14 janvier 2015 pour non-respect du règlement intérieur en matière de prévenance d'une prolongation d'absence,

- une mise à pied disciplinaire de 3 mois avec privation de salaire du 14 septembre au 13 décembre 2015 pour non-respect des procédures en matière de distribution des lettres recommandées à plusieurs reprises,

- un nouvel avertissement le 12 février 2016 pour avoir échangé deux jours de repos de cycle et absence au service, d'où son placement en absence irrégulière le 08 février 2016.

En premier lieu, la Poste verse aux débats le courrier de l'encadrant de la salariée en date du 9 juin 2016 qui expose que, le 7 juin 2016, Mme [T] lui a expliqué qu'elle avait perdu sa sacoche de courriers recommandés dans le bus qu'elle avait emprunté pour rentrer de sa tournée (pièce n°12 du dossier de l'employeur ).

Il est constant que cette sacoche a été rapportée dans les locaux de la Société par les services de la Régie autonome des transports parisiens (RATP) et qu'il manquait une lettre recommandée, n° 2C11153702895 sans la preuve de sa distribution, seules deux lettres sur trois ayant été retrouvées.

Pour établir la preuve de ce que, le 8 juin 2016, Mme [T] a utilisé le bordereau de sa tournée pour dissimuler la perte de ce recommandé, La Poste verse au débat les pièces n°13 et 14 et explique que cela a été fait par la salariée pour rétablir le nombre exact de courriers qui lui avaient été attribués.

Il en ressort que Mme [T] a manuellement inscrit sur le bordereau de sa tournée 0211 du 8 juin 2016 un autre recommandé (n°1A130337978815), qui n'avait pas recueilli de signature le 7 juin 2016, permettant ainsi que cette lettre recueille artificiellement une signature sur le bordereau du 8 juin 2016 (pièce n°14 précitée).

Or, contrairement à ce qu'affirme l'appelante, cet 'objet' (n°1A130337978815) n'avait pas été considéré perdu le 7 juin 2016 mais bien distribué. Cette dernière avait d'ailleurs indiqué dans l'historique de celui-si dans 'l'outil Tracéo', qu'il avait été distribué le 7 juin 2016 (pièce n°2).

Or, il est également établi que le 15 juin 2016, la preuve de distribution du recommandé litigieux était retrouvée par un Responsable dans le carnet que Mme [T] avait utilisé.

Le premier grief est en conséquence établi et le moyen de défense de Mme [T] s'agissant du fait constant qu'elle a informé son encadrant de la perte de sa sacoche ne l'exonère pas de sa responsabilité et notamment de la faute commise quant à la mention manuscrite portée ultérieurement sur le bordereau du 8 juin 2016 pour masquer l'absence de distribution d'un courrier comme elle devait le faire le 7 juin 2016.

En deuxième lieu, s'agissant du grief tenant à ce que la salariée n'a pas réexpédié, comme elle devait le faire, les plis vers la poste restante de [Adresse 6] et les a distribués au domicile d'une cliente alors que le changement d'adresse de celle-ci était effectif, La Poste verse au débat le courrier du 8 juin 2016 par lequel l'encadrant de Mme [T], Monsieur [M], fait état de ce Mme T. avait formulé un recours à la suite de plusieurs réclamations pour non-réexpédition de plusieurs courriers (pièces sous le n°15).

Monsieur [M] ajoute qu'interrogée sur ce fait Mme [T] lui a répondu qu'elle ne 's'en rappelait pas' et qu'elle avait 'sûrement oublié de retirer la pochette' ; ce à quoi le témoin indique qu'il lui a répondu, à juste titre, que cela était de sa responsabilité de retirer 'les pochettes périmées' et de mettre en place de nouveaux contrats, de même qu'il était primordial de bien faire le changement de pochette lorsqu'il y avait prolongation de réexpédition de courrier.

Ce point n'est pas contesté par l'appelante qui réplique de manière inopérante que la cliente avait déjà fait une première réclamation en 2015 alors qu'elle n'était pas en charge de cette tournée ; en effet, il résulte de la lettre de le licenciement que ce n'est pas cette réclamation de 2015 qui est l'objet du grief mais les faits survenus lorsque la salariée était effectivement en charge de la tournée qui comporte l'adresse de la cliente en cause.

Au surplus, l'appelante n'a pas réexpédié les plis conformément aux instructions qui lui avaient été données, de sorte que l'insubordination visée à la lettre de le licenciement est également fondée.

Il convient de rappeler que les faits se sont déroulés alors qu'une mise à pied disciplinaire de 3 mois du 14 septembre au 13 décembre 2015 pour non-respect des procédures en matière de distribution des lettres recommandées, et ce à plusieurs reprises, avait déjà été prise (pièce n°6).

Les erreurs de distribution de courriers imputées à Mme [T] constituaient dès lors une faute avérée et les griefs relevés à ce titre sont fondés.

En troisième lieu, l'employeur justifie par la production au débat de la pièce n° 16 que Mme [T] a transmis un arrêt de travail le 23 juillet 2016 (reçu le 25 juillet 2016) prescrit par son médecin le 18 juillet 2016 et qu'ainsi elle n'a pas respecté le délai de 48 heures prévu à l'article 21 du règlement intérieur de la Société (pièce n°7).

Le grief est dès lors également établi alors au surplus que la salariée avait déjà fait l'objet d'un avertissement et d'un blâme pour non-respect des obligations en matière de délai de prévenance de la prolongation d'un arrêt de travail (pièces n°23 et n°24), outre un avertissement notifié le 12 février 2016 pour absence injustifiée (pièce n°25) ainsi que de mises en garde s'agissant de ses retards (pièce n°26).

Enfin, il ne peut être fait grief à l'employeur d'avoir, en cas de poursuite d'un comportement fautif de la salariée, rappelé les sanctions précédemment prononcées pour expliciter la décision de rupture prise au constat de nouveaux faits en les qualifiant de faute grave.

Il s'ensuit que les manquements de la salariée, tenue dans le cadre de son contrat de travail de fournir une prestation en tant que factrice telle que définie aux dispositions de l'accord d'entreprise du 12 juillet 1996, présentent un degré de gravité certain, justifiant la cessation immédiate de la relation contractuelle.

Dans ces conditions, le licenciement de Mme [T], au cours d'une période d'arrêt de travail, reposant sur une faute grave, ne peut en conséquence se voir opposer sa nullité par application de l'article L. 1226-09 du code du travail qui prévoit que « Au cours des périodes de suspension du contrat de travail, l'employeur ne peut rompre ce dernier que s'il justifie soit d'une faute grave de l'intéressé, soit de son impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à l'accident ou à la maladie ».

En conséquence, le jugement qui a débouté Mme [T] de ses demandes liées au licenciement, doit être confirmé dans son intégralité.

III- Sur le solde de l'indemnité conventionnelle de licenciement

Le calcul de l'indemnité conventionnelle de licenciement repose, au vu de l'article 70 de la convention collective TELECOM ' LA POSTE, sur les termes suivants : « (') Son montant est égal à la moitié de la rémunération mensuelle brute pour chacune des douze premières années d'ancienneté et au tiers de cette même rémunération pour chacune des années suivantes.

Toutefois, le montant maximal de l'indemnité de licenciement est fixé à quinze fois la rémunération mensuelle de référence.

La rémunération de référence est le tiers des trois derniers mois ou le douzième des douze derniers mois si ce mode de calcul est plus avantageux pour l'intéressé, étant entendu que, toutes primes ou gratifications à caractère annuel ou exceptionnel, qui auraient été versées à l'agent contractuel pendant la période considérée, n'est prise en compte que prorata temporis.

Si l'agent contractuel qui a subi une réduction d'activité est licencié dans l'année qui suit cette réduction d'activité, l'indemnité de licenciement est calculée sur la rémunération mensuelle qu'il détenait au moment de la réduction d'activité ».

Mme [T] fonde sa demande de rappel d'indemnité conventionnelle de licenciement sur la base d'une ancienneté de 15 ans, 11 mois et 21 jours et pour un salaire moyen de 1985,83 euros.

Or, son calcul est erroné dès lors que son ancienneté est de 15 ans et 9 mois et que son salaire de référence s'élève à 1422,51 euro brut.

C'est en conséquence juste titre, comme le soutient La Poste, qu'il a été versé à la salariée, au titre de cette indemnité, la somme de 12 912,89 euros brut.

Le jugement de débouté est en conséquence également confirmé sur ce point.

IV- Sur les demandes accessoires.

Mme [T] sera tenu par confirmation du jugement, aux dépens de première instance, et y ajoutant, à ceux d'appel.

Il est équitable de ne pas faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

CONFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant :

CONDAMNE Mme [I] [T] aux dépens d'appel,

DÉBOUTE les parties de leur demande présentée au titre des frais irrépétibles.

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 8
Numéro d'arrêt : 18/09922
Date de la décision : 21/04/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-04-21;18.09922 ?
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