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20/04/2022 | FRANCE | N°21/05772

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 3 - chambre 1, 20 avril 2022, 21/05772


Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 3 - Chambre 1



ARRET DU 20 AVRIL 2022



(n° 2022/ , 7 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/05772 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CDL6V



Décision déférée à la Cour : Jugement du 01 Mars 2021 - Juge aux affaires familiales de PARIS - RG n° 19/36952





APPELANTE



Madame [W] [M] [I]

née le 07 Novembre 1976 à [L

ocalité 6] - RUSSIE

[Adresse 3] - RUSSIE



représentée par Me Jacques TREMOLET DE VILLERS de la SCP TREMOLET DE VILLERS SCHMITZ LE MAIGNAN, avocat au barreau de PARIS, toque : P0163...

Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 3 - Chambre 1

ARRET DU 20 AVRIL 2022

(n° 2022/ , 7 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/05772 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CDL6V

Décision déférée à la Cour : Jugement du 01 Mars 2021 - Juge aux affaires familiales de PARIS - RG n° 19/36952

APPELANTE

Madame [W] [M] [I]

née le 07 Novembre 1976 à [Localité 6] - RUSSIE

[Adresse 3] - RUSSIE

représentée par Me Jacques TREMOLET DE VILLERS de la SCP TREMOLET DE VILLERS SCHMITZ LE MAIGNAN, avocat au barreau de PARIS, toque : P0163

ayant pour avocat plaidant Me Grégoire BELMONT, avocat au barreau de PARIS

INTIME

Monsieur [Y] [U]

né le 17 Juillet 1972 à KIEV - UKRAINE

[Adresse 2] - ESTONIE

défaillant

PARTIE INTERVENANTE

Société ALLIED CONSULTING, immatriculée aux Seychelles sous le n°132695, représentée par sons représentant légal, ayant son siège social

[Adresse 1]

défaillante

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 905 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 22 Février 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Sophie RODRIGUES, Conseiller, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Patricia GRASSO, Président

Mme Sophie RODRIGUES, Conseiller

Mme Isabelle PAULMIER-CAYOL, Conseiller

Greffier lors des débats : Mme Emilie POMPON

ARRÊT :

- rendu par défaut

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Mme Patricia GRASSO, Président, et par Mme Emilie POMPON, Greffier.

***

EXPOSÉ DU LITIGE

Mme [W] [I] et M. [Y] [U] se sont mariés le 30 avril 1995 à [Localité 8] en Russie sans contrat de mariage préalable et ont fixé leur première résidence habituelle en Russie.

Ils ont acquis le 28 septembre 2010 un bien immobilier situé [Adresse 4] au prix de 2 800 000 euros, l'acte notarié indiquant, s'agissant de la nature et quotité des droits acquis, que le bien « dépend de la communauté de biens existant entre Monsieur et Madame [U] à concurrence de la totalité en pleine propriété ».

Par décision du 22 novembre 2016, le juge de paix de Saint-Pétersbourg a prononcé le divorce des époux. L'acte de dissolution du mariage, daté du 13 janvier 2017, indique que le mariage a été dissous le 23 novembre 2016.

Par acte d'huissier du 20 avril 2018, Mme [I] a assigné M. [U] devant le tribunal judiciaire de Paris aux fins de voir ordonner l'ouverture des opérations de compte, liquidation et partage judiciaire de leurs intérêts patrimoniaux relativement au bien immobilier situé à Paris.

Par ordonnance du 24 septembre 2018, le juge de la mise en état a constaté l'incompétence de la deuxième chambre civile du tribunal au profit du juge aux affaires familiales auquel la procédure a été redistribuée.

Par décision du 21 août 2019, le tribunal d'arrondissement de Saint-Pétersbourg, saisi par M. [U], a procédé au partage de divers biens immobiliers situés en Russie et, pour l'un d'eux, en Lettonie. Dans le cadre de cette procédure, M. [U] a fait état d'un prêt de 3 097 419,28 euros souscrit auprès de la société de crédit Talus Finans Corp pour l'acquisition du bien parisien, selon contrat du 1er juillet 2010, le prêteur ayant transféré à la société Allied Consulting le droit de revendiquer le remboursement du prêt.

Cette société a obtenu d'un tribunal estonien une décision datée du 29 avril 2019 condamnant M. [U] à lui payer la somme de 3 518 310,92 euros.

Sur la base de cette décision, accompagnée d'un certificat de titre exécutoire européen, la société Allied Consulting a fait procéder à l'inscription d'une hypothèque judiciaire sur le bien immobilier parisien.

La société Allied Consulting est intervenue volontairement à la procédure française.

Par jugement du 1er mars 2021, le juge aux affaires familiales du tribunal judiciaire de Paris a :

- dit que le juge aux affaires familiales français est incompétent internationalement pour statuer sur l'action en liquidation et partage initiée par Mme [I] à l'encontre de M. [U] et concernant leur régime matrimonial,

- débouté les parties de leurs demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné Mme [I] aux dépens de l'instance.

Mme [W] [I] a interjeté appel de cette décision par déclaration du 26 mars 2021.

Aux termes de ses conclusions notifiées le 1er avril 2021, l'appelante demande à la cour de :

- « réformer » en toutes ses dispositions le jugement du juge aux affaires familiales de Paris du 1er mars 2021,

statuant à nouveau,

- se juger compétent pour statuer sur les demandes de licitation et radiation d'hypothèque de Mme [I],

évoquant le fond,

- reconnaître la régularité internationale du jugement de divorce rendu par le tribunal d'arrondissement de Saint-Pétersbourg le 22 novembre 2016,

- ordonner le partage de l'immeuble indivis entre Mme [I] et M. [U], sis au [Adresse 4], constitué des lots 4 et 36 de la parcelle [Cadastre 5],

- ordonner la licitation judiciaire de l'appartement, et le partage du produit de la vente entre les époux,

- désigner telle juridiction qu'il lui plaira pour procéder à la vente,

- fixer la mise à prix de l'immeuble à 2 500 000 euros, et ordonner la rédaction du cahier des charges par la SCP Tremolet-de Villers-Schmitz-le Maignan, société d'avocats au barreau de Paris,

- ordonner le partage du prix dans les proportions suivantes : deux tiers de la valeur pour Mme [I], un tiers pour M. [U],

- juger que la demande de la société Allied Consulting de se voir attribuer le prix de vente de l'appartement se heurte à une fin de non recevoir tirée de l'autorité de chose jugée de l'arrêt du tribunal de Saint-Pétersbourg du 8 septembre 2020,

- juger en tout état de cause que les demandes de la société Allied Consulting sont infondées, l'en débouter,

et, statuant reconventionnellement,

- ordonner la radiation de l'hypothèque judiciaire inscrite le 15 novembre 2019 au pro't d'Allied Consulting sur l'appartement du [Adresse 4], représentant les lots 4 et 36 de la parcelle [Cadastre 5],

- condamner solidairement M. [U] et la société Allied Consulting au paiement de 15000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers frais et dépens.

Pour un plus ample exposé des moyens développés par l'appelante au soutien de ses prétentions, il sera renvoyé à ses écritures susvisées conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

Par ordonnance du 7 avril 2021, le délégataire du premier président de la cour d'appel de Paris a autorisé l'assignation à jour fixe.

L'affaire a été appelée à l'audience du 3 novembre 2021 et renvoyée à l'audience du 22 février 2022 pour vérification des notifications internationales aux intimés.

L'huissier de justice chargé de la notification des actes de procédure a adressé la déclaration d'appel, la requête aux fins d'être autorisé à assigner à jour fixe, le projet d'assignation comprenant les conclusions d'appel, l'ordonnance d'autorisation d'assigner à jour fixe et l'avis de fixation destinés à M. [U], avec une traduction, à l'autorité compétente estonienne par pli recommandé avec accusé de réception reçu le 16 août 2021. L'autorité estonienne a attesté, le 29 septembre 2021, avoir tenté de notifier les actes, sans succès (« the delivery has failed »).

L'huissier a également envoyé ces documents directement à M. [U] par pli recommandé avec accusé de réception à l'adresse suivante : [Adresse 2]. L'enveloppe entière, encore fermée, lui a été retournée avec une étiquette portant la mention « non réclamé » cochée (les autres mentions étant « inconnu », « refusé », « déménagé », « adresse insuffisante », « refusé la douane » et une case libre), toutes les mentions étant écrites en français et en estonien.

Selon une correspondance de l'autorité compétente des Seychelles, la déclaration d'appel, les conclusions d'appel, l'ordonnance d'autorisation d'assigner à jour fixe et l'avis de fixation n'ont pu être notifiées à la société Allied Consulting, celle-ci n'étant pas domiciliée à l'adresse indiquée ([Adresse 1]).

L'huissier de justice chargé de la notification a également envoyé ces documents à cette adresse par pli recommandé avec accusé de réception. L'avis de réception retourné porte, outre les mentions renseignées par l'huissier français, un cachet des services postaux des Seychelles en date du 15 octobre 2021 et une signature non lisible.

SUR CE, LA COUR,

Sur la compétence internationale s'agissant de la demande de licitation

Pour se déclarer incompétent au plan international, le juge de première instance, qui a qualifié la demande principale de Mme [I] d'action en liquidation du régime matrimonial concernant le bien immobilier situé en France, conformément aux écritures de la demanderesse, a considéré alors qu'à défaut de convention internationale applicable, l'assignation étant antérieure à l'entrée en vigueur du règlement européen du 24 juin 2016, il convenait de faire application des dispositions de l'article 1070 du code de procédure civile étendues à l'ordre international. Il a constaté qu'aucun des critères posés par ce texte n'était rempli en l'espèce. Il a écarté l'utilisation du critère du lieu de situation de l'immeuble au motif qu'il ne s'agissait pas d'une action d'un créancier domicilié en France sur le fondement de l'article 815-17 du code civil, les prétentions de la société Allied Consulting n'étant formées que dans le cadre d'une intervention volontaire à l'action principale en partage entre ex-époux.

Devant la cour, Mme [I] soutient qu'il convient de distinguer, pour statuer sur la compétence du juge français, selon qu'il s'agit de traiter la demande de radiation de l'hypothèque portant sur le bien situé en France ou de statuer sur la demande de licitation de ce bien.

S'agissant de la radiation de l'hypothèque, elle se prévaut des dispositions de l'article 24 du règlement européen n°1215/2012 du 12 décembre 2012 dit Bruxelles I, aux termes desquelles « sont seules compétentes les juridictions ci-après d'un État-membre, sans considération de domicile des parties :

1) en matière de droits réels immobiliers et de baux d'immeubles, les juridictions de l'État membre où l'immeuble est situé (...) »

Elle rappelle que l'article 2393 du code civil définit l'hypothèque comme un droit réel sur les immeubles affectés à l'acquittement d'une obligation.

S'agissant de la demande de licitation du bien parisien, elle admet qu'à défaut d'applicabilité temporelle du règlement n°2016/1103, il y a lieu d'étendre à l'ordre international les règles de compétence territoriale françaises, selon la méthode consacrée par l'arrêt Scheffel du 30 octobre 1962. Elle expose que ces règles dépendent de la qualification donnée à l'action, et, affirmant que l'action en partage d'un immeuble est traditionnellement qualifiée d'action mixte, elle soutient qu'il convient de se référer à l'article 46 du code de procédure civile, selon lequel « en matière mixte » est compétente « la juridiction du lieu où est situé l'immeuble ». Elle ajoute qu'un revirement de jurisprudence récent de la Cour de cassation (Civ 1ère, 20 avril 2017, n° 16-16.983) donne à l'action en partage d'un immeuble la qualification d'action réelle immobilière soumise à la compétence exclusive du juge du lieu de situation de l'immeuble en vertu de l'article 44 du code de procédure civile. Elle fait valoir que la Cour de cassation a rejeté l'extension internationale de l'article 1070 du code de procédure civile en matière immobilière par un arrêt du 4 mars 2020 (pourvoi n°18-24.646).

A défaut d'instrument international applicable, la compétence internationale des tribunaux français se détermine en effet par extension des règles de compétence interne, sous réserve d'adaptations justifiées par les nécessités particulières des relations internationales.

En l'espèce, la demande de licitation du bien situé en France s'inscrit dans le cadre du partage des intérêts patrimoniaux des ex-époux [I]-[U] après liquidation de leur régime matrimonial qui, d'après l'appelante est un régime de communauté proche de la communauté réduite aux acquêts française. Le jugement frappé d'appel, rendu contradictoirement, mentionne à titre de fait constant que les époux se sont mariés sans contrat de mariage. Il résulte de l'article 33 du code de la famille russe, cité par les décisions russes versées aux débats, que le régime matrimonial légal russe est bien un régime de communauté.

L'action en partage d'un ex-époux ne saurait se confondre avec l'action exercée par un créancier sur le fondement de l'article 815-17, alinéa 3, du code civil, comme l'a relevé à juste titre le premier juge, de sorte que la référence à l'arrêt de la Cour de cassation en date du 4 mars 2020 (pourvoi n°18-24.646) n'est pas pertinente.

De même, la demande aux fins de licitation d'un ex-époux commun en biens est distincte d'une demande en partage d'une indivision existant entre deux anciens concubins. L'arrêt du 20 avril 2017 cité par l'appelante a d'ailleurs été rendu sur le fondement du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000, dit Bruxelles I alors que l'article 1er, paragraphe 2, (a) de ce règlement exclut les régimes matrimoniaux de son champ d'application.

La demande de licitation de Mme [I] relevant de cette matière des régimes matrimoniaux, il n'y a pas lieu de la qualifier de matière mixte pour envisager l'application de l'article 46 du code de procédure civile.

C'est donc à bon droit que le premier juge a fait application des critères de l'article 1070 du code de procédure civile étendus à l'ordre international et, constatant qu'aucun d'eux ne permet de retenir la compétence du juge français pour la liquidation de ce régime matrimonial, s'est déclaré incompétent.

Si l'appelante prétend que « jamais un juge russe ne se déclarera compétent pour radier une hypothèque ou vendre un immeuble français » et ajoute que « la distance et la diversité des systèmes juridiques rend[ent] les choses impossibles » (page 4 de ses conclusions), il y a lieu de constater que le tribunal de Saint-Pétersbourg saisi de la demande en partage de communauté de M. [U] a, par décision du 21 août 2019 produite par l'appelante, statué sur le partage des droits immobiliers relatifs à un bien situé en Lettonie, en en attribuant la propriété à Mme [I] moyennant une soulte.

Il en ressort que la juridiction russe s'est reconnue compétente pour prononcer le partage d'un bien immobilier étranger de sorte qu'il n'est pas établi que l'extension des critères de l'article 1070 du code de procédure civile à l'ordre international impose une adaptation en raison des nécessités particulières des relations internationales, que l'appelante ne soulève d'ailleurs pas.

Le jugement frappé d'appel sera par conséquent confirmé en ce qu'il a dit que le juge aux affaires familiales français est incompétent internationalement pour statuer sur l'action en liquidation et partage initiée par Mme [I] à l'encontre de M. [U] et concernant leur régime matrimonial.

Sur la demande de radiation d'hypothèque

Aux termes du dispositif de ses conclusions d'appelante, Mme [I] forme une demande, qu'elle qualifie de reconventionnelle, tendant à voir ordonner la radiation de l'hypothèque judiciaire inscrite le 15 novembre 2019 au pro't d'Allied Consulting sur l'appartement du [Adresse 4], représentant les lots 4 et 36 de la parcelle [Cadastre 5].

Il est acquis qu'en matière immobilière, seules sont compétentes les juridictions de l'Etat où est situé l'immeuble de sorte que les juridictions françaises sont compétentes pour statuer sur la demande de radiation de l'hypothèque portant sur l'immeuble situé à [Localité 7].

Sur le fond, Mme [I] expose que la société Allied Consulting a fait inscrire une hypothèque sur l'appartement du [Adresse 4] sur le fondement d'une décision prononcée par le tribunal de Tallinn (Estonie) le 29 avril 2019 condamnant M. [U] à payer une somme de 3 097 419,29 euros, outre les intérêts, en remboursement d'un prêt consenti par la société Talus Finance, dont la société Allied Consulting aurait racheté la créance, pour le financement de l'acquisition du bien parisien, cette décision ayant fait l'objet d'un certificat de titre exécutoire européen.

Elle soutient que le contrat de prêt ayant fondé la créance de la société Talus Finance a été jugé inopposable et faux par le juge russe et que la décision de celui-ci s'imposant au juge français, elle ne saurait être contrainte, au stade de la contribution à la dette, d'acquitter ce prêt.

Elle ajoute que la créance invoquée par la société Allied Consulting est éteinte depuis l'origine par confusion puisque M. [U] serait son propre créancier comme étant le bénéficiaire réel de la société Allied Consulting, ou, s'il était considéré que la dette est commune bien qu'elle n'ait pas consenti au prêt, que la communauté cumulerait les qualités de créancier et débiteur.

Elle fait encore valoir que le jugement estonien est contraire à l'ordre public procédural international français comme ayant été obtenu sans qu'elle ait été convoquée alors que la dette qu'elle constate serait, selon M. [U], une dette commune, et que le certificat présenté par la société Allied Consulting pour asseoir néanmoins son caractère exécutoire est manifestement un faux en ce qu'il n'est pas conforme aux prescriptions de l'article 9 du règlement portant création d'un titre exécutoire européen, aux termes desquelles ce certificat est rempli dans la langue de la décision alors qu'en l'espèce, il est fourni en version française, qu'il n'est revêtu d'aucune légalisation et que la décision estonienne a été rendue de façon non contradictoire à son égard.

Elle soutient enfin qu'elle n'a pas consenti à la cession de créance dont se prévaut la société Allied Consulting, qui lui serait donc inopposable.

Il y a lieu de rappeler que la société Allied Consulting, défaillante en appel, ne forme aucune demande en paiement et que la cour est uniquement appelée à statuer sur la demande de radiation d'hypothèque présentée par Mme [I].

En vertu de l'article 2443 du code civil, dans sa version en vigueur du 24 mars 2006 au 1er janvier 2022 applicable en l'espèce, la radiation doit être ordonnée par les tribunaux, lorsque l'inscription a été faite sans être fondée ni sur la loi, ni sur un titre, ou lorsqu'elle l'a été en vertu d'un titre soit irrégulier, soit éteint ou soldé, ou lorsque les droits de privilège ou d'hypothèque sont effacés par les voies légales.

Seuls les moyens de l'appelante relatifs à l'irrégularité du titre ayant fondé l'inscription hypothécaire sont donc opérants.

Or au vu du bordereau d'inscription versé aux débats, l'hypothèque judiciaire a été inscrite au profit de la société Allied Consulting en vertu du jugement rendu par le tribunal de la région de Harju, palais de justice de Tallinn, en date du 29 avril 2019 et d'un certificat de titre exécutoire européen Annexe I en date du 26 juillet 2019, qui constituent donc les titres ayant fondé l'inscription.

Celle-ci n'est pas directement fondée sur le prêt qui aurait été souscrit par M. [U] auprès de la société Talus Finance.

S'il ressort bien de la décision de la cour de Saint-Pétersbourg du 8 septembre 2020 qu'une expertise a mis en cause l'authenticité du contrat de prêt dont le remboursement a été ordonné par la décision estonienne du 29 avril 2019, cette décision russe, qui se contente de rejeter le recours de M. [U] contre le jugement du tribunal de Saint-Pétersbourg en date du 21 août 2019 concernant le partage de biens communs, ne suffit pas à rendre la décision estonienne sans effet en France. A ce jour, le jugement rendu par le tribunal de Tallinn le 29 avril 2019 conserve néanmoins son autorité de chose jugée et il appartient à Mme [I] d'utiliser les voies de droit qui lui sont ouvertes le cas échéant pour la contester ou la voir réviser.

Par ailleurs, si la cour de Saint-Pétersbourg a, par sa décision du 8 septembre 2020, considéré que le jugement du tribunal de Tallinn en date du 29 avril 2019 n'était pas opposable à Mme [I] puisque celle-ci n'était pas partie à la procédure, cette inopposabilité subjective n'interdit pas à la société Allied Consulting de continuer à se prévaloir de la décision estonienne à l'encontre de M. [U], dont l'appelante ne conteste pas qu'il dispose également de droits dans le bien situé à Paris. Selon le bordereau d'inscription d'hypothèque, seul M. [U] est mentionné en qualité de « propriétaire grevé ».

Pour le même motif, il importe peu que la décision estonienne ait été rendue de façon non contradictoire à l'égard de Mme [I] ou qu'elle n'ait pas consenti à la cession de créance dont se prévaut la société Allied Consulting, laquelle était elle-même demanderesse devant le tribunal de Tallinn qui l'a rendu directement créancière de M. [U] seul.

Il sera ensuite rappelé que les certificats européens, y compris celui prévu à l'annexe I du règlement (CE) n° 805/2004 du 21 avril 2004 portant création d'un titre exécutoire européen pour les créances incontestées, sont des formulaires plurilingues. Ils existent dans toutes les langues des pays de l'Union européenne de sorte qu'il est loisible à la juridiction ayant prononcé la décision d'utiliser une version linguistique différente du même certificat en vue de faciliter sa compréhension dans l'Etat membre requis, même si les mentions renseignées par la juridiction d'origine sont rédigées dans sa propre langue. La numérotation des mentions à renseigner est justement prévue à cette fin. En outre, l'article 20 du règlement n° 805/2004 dispose qu'au besoin, une traduction du certificat de titre exécutoire européen dans la langue officielle de l'Etat membre d'exécution est fournie par le créancier. Il ne saurait donc se déduire du fait que le certificat dont s'est prévalue la société Allied Consulting est établi sur un formulaire français qu'il s'agit d'un faux.

Enfin, outre que la légalisation du certificat n'est nullement exigée, l'article 20 imposant une expédition de la décision et du certificat « réunissant les conditions nécessaires pour en établir l'authenticité », la cour n'est pas en mesure de savoir si la copie du jugement estonien et du certificat de titre exécutoire européen produits par l'appelante correspondent aux documents adressés au service de la publicité foncière pour solliciter l'inscription de l'hypothèque litigieuse. Elle ne saurait donc remettre en cause l'appréciation de ce service quant à la validité des pièces justificatives qu'il a examinées.

Par conséquent, faute pour Mme [I] de démontrer l'irrégularité du jugement rendu par le tribunal de la région de Harju, palais de justice de Tallinn le 29 avril 2019 et du certificat de titre exécutoire européen du 26 juillet 2019 l'accompagnant, il y a lieu de rejeter sa demande de radiation de l'hypothèque inscrite à ce titre sur le bien situé [Adresse 4].

Sur les frais et dépens

Aux termes de l'article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie.

Il convient, en application de cette disposition, de condamner l'appelante aux dépens.

Il ne saurait dès lors être fait application à son profit de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Confirme le jugement prononcé le 1er mars 2021 par le juge aux affaires familiales du tribunal judiciaire de Paris en tous ses chefs de dispositif dévolus à la cour ;

Y ajoutant,

Rejette la demande de Mme [W] [I] aux fins de radiation de l'hypothèque judiciaire inscrite le 15 novembre 2019 au pro't d'Allied Consulting sur l'appartement du [Adresse 4], représentant les lots 4 et 36 de la parcelle [Cadastre 5] ;

Condamne Mme [W] [I] aux dépens ;

Rejette la demande de Mme [W] [I] au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Le Greffier, Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 3 - chambre 1
Numéro d'arrêt : 21/05772
Date de la décision : 20/04/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-04-20;21.05772 ?
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