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24/02/2022 | FRANCE | N°19/06402

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 8, 24 février 2022, 19/06402


Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 8



ARRET DU 24 FEVRIER 2022



(n° , 9 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/06402 - N° Portalis 35L7-V-B7D-CABFW



Décision déférée à la Cour : Jugement du 29 Janvier 2019 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'EVRY - RG n° 17/00850





APPELANTE



Madame [V] [E]

[Adresse 2]

[Localité

3]



Représentée par Me Laurence IMBERT, avocat au barreau de MELUN







INTIMÉ



Monsieur [P] [B] exerçant sous l'enseigne ' [P] [B] métreur vérificateur '

[Adresse 1]

[Localité 4]

...

Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 8

ARRET DU 24 FEVRIER 2022

(n° , 9 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/06402 - N° Portalis 35L7-V-B7D-CABFW

Décision déférée à la Cour : Jugement du 29 Janvier 2019 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'EVRY - RG n° 17/00850

APPELANTE

Madame [V] [E]

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Laurence IMBERT, avocat au barreau de MELUN

INTIMÉ

Monsieur [P] [B] exerçant sous l'enseigne ' [P] [B] métreur vérificateur '

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représenté par Me Fabienne FENART, avocat au barreau d'ESSONNE

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 13 Décembre 2021, en audience publique, les avocats ne s'étant pas opposés à la composition non collégiale de la formation, devant Madame Emmanuelle DEMAZIERE, vice-présidente placée, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Madame Nathalie FRENOY, présidente

Mme Corinne JACQUEMIN, conseillère

Madame Emmanuelle DEMAZIERE, vice-présidente placée, rédactrice

Greffier, lors des débats : Mme Nolwenn CADIOU

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- signé par Madame Nathalie FRENOY, présidente et par Madame Nolwenn CADIOU, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

Mme [E] a été engagée le 1er février 2011 par M.[P] [B], exerçant en nom propre l'activité de métreur vérificateur, dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée, en qualité de métreur, statut cadre, niveau 1 de la convention collective nationale des collaborateurs salariés des entreprises d'économistes de la construction et des métreurs vérificateurs.

Le 8 novembre 2016, elle a subi une intervention chirurgicale et été placée en arrêt de travail jusqu'au 29 mars 2017.

La salariée a de nouveau été placée en arrêt de travail à compter du 30 mars 2017, arrêt pour cause de maladie ensuite prolongé jusqu'à la rupture de son contrat de travail.

Suite aux deux visites médicales de reprise organisées les 22 juin 2017 et 13 juillet 2017, Mme [E] a été déclarée 'inapte au poste de mettreur et à tout poste dans cette entreprise', le médecin du travail précisant : 'serait apte à un poste identique dans une autre entreprise.'

Elle a par la suite été convoquée par son employeur à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 4 août 2017.

Le 8 août 2017, M. [B] a notifié à Mme [E] son licenciement pour inaptitude, avec impossibilité de reclassement.

Le 23 octobre 2017, la salariée a saisi le conseil de prud'hommes d'Evry afin de contester son licenciement et faire valoir ses droits.

Par jugement du 29 janvier 2019, le conseil de prud'hommes a :

- déclaré partiellement recevable le constat d'huissier en date du 17 mai 2017 relatif aux échanges de SMS (pages 1 à 5),

- déclaré que le harcèlement moral n'est pas constitué et que le licenciement de Mme [E] est bien un licenciement pour inaptitude,

- débouté Mme [E] de l'ensemble de ses demandes,

- débouté M. [B] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- laissé les éventuels dépens à la charge respective des parties.

Mme [E] a interjeté appel du jugement par déclaration du 20 mai 2019.

Dans ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 24 juillet 2019, Mme [E] demande à la cour :

- d'infirmer le jugement en ce qu'il a déclaré que le harcèlement moral n'était pas constitué et que le licenciement de Mme [E] est bien un licenciement pour inaptitude,

- d'infirmer le jugement en ce qu'il a débouté Mme [E] de l'ensemble de ses demandes,

- de confirmer le jugement pour le surplus,

statuant à nouveau :

- de dire et juger que le harcèlement moral est constitué,

- de dire et juger en conséquence que le licenciement de Mme [E] est nul,

en tout état de cause :

- de condamner M. [B] à régler à Mme [E] les sommes suivantes :

* 54 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul (12 mois),

* 9 000 euros à titre d'indemnité de préavis (2 mois),

* 900 euros à titre de congés payés sur préavis,

* 20 000 euros au titre du préjudice moral,

* 1 204,50 euros au titre de sa note de frais du mois d'octobre 2016,

* 1 000 euros à titre de dommages et intérêts pour retard de paiement des indemnités de la prévoyance,

- de dire et juger que lesdites sommes porteront intérêts au taux légal à compter du dépôt de la requête, soit le 30/10/2017,

- d'ordonner la capitalisation des intérêts dus pour une année entière en application des dispositions de l'article 1343-2 du Code civil,

- de condamner M. [B] à régler à Mme [E] la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- de condamner M. [B] aux entiers dépens de la présente instance.

Dans ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 23 octobre 2019, M. [P] [B] demande à la cour :

- de le recevoir en ses écritures et l'y déclaré bien fondé,

- de confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le conseil de prud'hommes d'Evry le 29 janvier 2019,

en conséquence,

- de débouter Mme [E] en toutes ses demandes, fins et conclusions,

- de condamner Mme [E] à verser à M. [P] [B], exerçant sous l'enseigne '[P] [B] Métreur vérificateur', une somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- de condamner Mme [E] aux entiers dépens.

Par ordonnance du 5 janvier 2021, le conseiller de la mise en état, saisi de conclusions d'incident de M.[B] tendant à voir écarter des débats les pièces 2 (contrat de travail de Mme [C]) et 4 (procès verbal de constat) de l'appelante s'est déclaré incompétent au profit de la cour d'appel.

Cependant, la cour n'a pas été saisie de cet incident.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 12 octobre 2021 et l'audience de plaidoiries a été fixée au 13 décembre 2021.

Il convient de se reporter aux énonciations de la décision déférée pour plus ample exposé des faits et de la procédure antérieure, ainsi qu'aux conclusions susvisées pour l'exposé des moyens des parties devant la cour.

MOTIFS DE L'ARRÊT

Sur le harcèlement moral

Le harcèlement moral s'entend aux termes de l'article L 1152-1 du code du travail, d'agissements répétés qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail du salarié, susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Par ailleurs, aux termes de l'article 1154-1 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, lorsque survient un litige au cours duquel le salarié évoque une situation de harcèlement moral, celui-ci doit présenter des éléments de faits laissant supposer l'existence d'un harcèlement, l'employeur devant prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Mme [E] soutient que le traitement que lui a réservé M. [B] après l'arrivée de Mme [C], sa nouvelle compagne, est constitutif de harcèlement moral et qu'il a tout mis en oeuvre pour la contraindre à quitter son entreprise.

Elle reproche à son employeur de l'avoir 'mise au placard ' en ne lui fournissant plus de travail et en embauchant sa nouvelle compagne à sa place, Mme [C], de l'avoir humiliée, d'avoir exercé des pressions sur elle pour qu'elle quitte l'entreprise, de ne pas lui avoir réglé sa note de frais d'octobre 2016 et d'avoir tardé à lui reverser les indemnités journalières qui lui étaient reversées par la PROBTP.

Au soutien de ce moyen, elle produit au débat :

- des échanges de sms du 3 novembre 2016 dans lesquels à sa demande de paiement de sa note de frais, son employeur lui répond : 'je n'ai pas d'argent et je le ferai quand il y en aura. Par contre il va falloir trouver une solution ça me revient trop cher et je m'en sors plus financièrement, je suis à découvert toutes les fins de mois. Je n'arrive plus à m'en sortir' et à sa question : 'de quelles solutions parles-tu '', 'je n'ai pas d'idées spécialement mais il faut qu'on réfléchisse',

- un sms du même jour de la salariée indiquant : 'comme tu ne souhaites pas que je vienne demain au bureau' et, le lendemain, le 4 novembre 2016 :' bon' pas de rappel ni de réponse à mon SMS. J'espère que tout va pour le mieux. Hier tu ne m'as pas dit pour lundi si je dois venir au bureau. J'attends ta réponse. En attendant je te souhaite un bon week-end.'

- un sms du 6 novembre 2016 :'cc [P], puisque je reste sans réponse à mes derniers messages, je viens demain à [Adresse 6] au bureau, en espérant que tu me donnes du travail à effectuer. Bonne soirée à toi et à demain.'

- le contrat de travail de Mme [C], engagée en qualité d'aide-métreur à effet du 3 octobre 2016 et le livre d'entrée et de sortie du personnel dont il ressort qu'elle est devenue mettreur à compter du 31 mai 2018,

- un courrier du 8 novembre 2016 dans lequel elle écrit à son employeur : '[P], je profite de confirmer mon arrêt maladie, que je t'adresse par courrier, pour te faire part de mon mal-être depuis hier matin 10h30 sur la façon abjecte dont tu t'es comporté à mon égard alors que je te demandais simplement un point sur le travail à effectuer. Tes seules réponses ont été : « je souhaite une rupture conventionnelle car je ne peux pas te payer », alors que tu viens d'embaucher [F] en CDI depuis le 1er octobre, et pour finir : « rends moi les clés et casse toi », ce que j'ai été contrainte de faire même si je fais toujours partie de ton entreprise mais tu ne m'as pas laissé le choix. Sache que ton attitude d'hier matin, à la veille de mon opération, me déstabilise psychologiquement. Je ne pensais pas qu'un jour tu aurais pu te comporter de la sorte alors qu'il y a encore quelques mois je devais reprendre le cabinet et toutes les ambitions qui allaient avec... . je te demande une dernière fois de me régler ma note de frais pour le mois d'octobre et le solde du mois de septembre d'un montant de 1204,50 €. Ce montant correspond aux trajets professionnels. J'ai avancé des frais dans ce sens. Je suis débitée le 10 du mois je serai à découvert si tu ne régularises pas la situation. Je te remercie de bien vouloir faire le nécessaire afin de m'éviter de payer des agios',

- un courrier du 16 janvier 2017 envoyé en LRAR dans lequel elle lui écrit ' (...) Je tenais à te faire part de mon mal-être psychologique depuis le 7 novembre 2016 à 10h20. Ce jour restera gravé à jamais dans ma mémoire. Ce jour où tu as voulu une rupture de mon contrat de travail, ce jour où tu as eu des mots insultants à mon égard. Ce jour où tu m'as viré de ton bureau comme une malpropre devant [F], même pas tu as eu le respect qu'on s'entretienne tous les deux. Ce jour où tous les espoirs de s'associer se sont envolés. Ce jour où j'ai été lamentablement trahie, repoussée, renvoyée (...) Nos relations tant professionnelles que privées se sont dégradées au fil des mois et même se sont empirés depuis février 2016 lorsque tu m'as annoncé que nous ne pouvions plus déjeuner ensemble professionnellement parlant par jalousie de ta compagne. De là, l'atmosphère professionnelle s'est largement dégradée par un mutisme total de ta part sur des questions techniques, des projets de développement de l'entreprise, et même des journées entières sans aucune communication de ta part. Lorsque tu as décidé d'embaucher [F] au 1er octobre 2016, tu m'as complètement évincée dès son arrivée. Tu ne communiquais plus avec moi, peut-être par peur de représailles de sa part et en a découlé un mois plus tard l'annonce brutale de vouloir une rupture conventionnelle, pour rappel à la veille de mon opération. Quelle délicatesse ! Ton silence m'affecte moralement après plusieurs tentatives de dialogue de ma part (...)',

- un courrier du 16 février 2017 dans lequel elle écrit : ' suite à mes derniers courriers envoyés en AR, je n'ai eu aucun retour de votre part. Je ne comprends pas votre silence (...),'

- une note qu'elle indique avoir trouvée sur son bureau à son retour de congé maladie le 29 mars 2017 précisant notamment : « nos bureaux sont fermés entre 12 heures et 14 heures.»

- un compte rendu de l'entretien préalable à licenciement établi par le conseiller du salarié dont il ressort notamment qu'à la question du conseiller du salarié :' pourquoi ne pas avoir accepté la rupture conventionnelle'', l'employeur a répondu : ' parce que mon avocat m'a dit que 90 % des ruptures conventionnelles se terminent aux prud'hommes ',

- un certificat médical du Docteur P. daté 5 avril 2017 indiquant qu'« elle présente une anxiété symptomatique avec crises d'angoisse et troubles du sommeil nécessitant une prescription d'anxiolytiques » ainsi qu'une prescription de Lexomil,

- une attestation d'une thérapeute, Mme B. en date du 25 avril 2017, attestant suivre Mme [E] en consultation dans le cadre d'un accompagnement thérapeutique lié aux difficultés qu'elle rencontre sur son lieu de travail,

- un certificat médical du Docteur B. daté du 5 avril 2017 indiquant : « Mme [E] présente actuellement des angoisses importantes avec troubles du sommeil et troubles alimentaires (...) » et lui prescrivant du Xanax,

- une prescription de Lexomil du 22 juin 2017,

- quatre témoignages de ses proches faisant état de sa fragilité mentale dans les suites des difficultés qu'elle a rencontrées dans le cadre de son travail.

La cour constate qu'il ressort des pièces ainsi produites et plus particulièrement des échanges de sms entre l'appelante et son employeur et des courriers qu'elle lui a adressés, que concomitamment à l'embauche de Mme [C] à effet du 3 octobre 2016, M. [B] a fait valoir auprès de Mme [E] qu'ils devaient trouver une solution parce qu'il ne s'en sortait plus financièrement et que cette dernière lui alors réclamé en vain de lui fournir du travail. Il ressort par ailleurs des témoignages et certificats médicaux produits aux débats que concomitamment à ces faits, Mme [E] a souffert d'une dégradation de son état de santé.

Mme [E] établit donc des faits précis qui, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral à son encontre.

En réponse, M. [B] fait valoir que l'embauche de Mme [C] n'a aucun lien avec le prétendu harcèlement moral dont l'appelante se prétend victime et que c'est elle qui a souhaité moins travailler. Il produit au débat les témoignages de trois salariés dont celui de Mme [C] faisant état du manque d'investissement de Mme [E] dans le travail et notamment pendant l'arrêt maladie de M. [B] en octobre 2016.

Or, si ces témoignages remettent en cause l'engagement professionnel de Mme [E], et ce, en dépit de l'absence de tout élément émanant directement de l'employeur permettant d'établir qu'il n'était pas satisfait de son travail et de son investissement depuis son embauche cinq ans auparavant, ils n'apportent aucun élément objectif sur les agissements décrits par la salariée.

Ainsi, M.[B] ne produit au débat aucune pièce permettant d'établir que, contrairement à ce que fait valoir Mme [E] et aux pièces qu'elle produit au débat pour le confirmer (échanges de sms, courriers qu'elle lui a adressés et auxquels il n'a pas répondu), il a continué à lui fournir du travail et n'a pas souhaité l'évincer. Il n'explique pas non plus pourquoi il lui a adressé un sms le 3 novembre 2016 ainsi libellé 'il va falloir trouver une solution ça me revient trop cher et je m'en sors plus financièrement', alors que dans le même temps il avait embauché Mme [C] en qualité d'aide-métreur puis de métreur, ni pourquoi il n'a pas répondu à ses courriers dans lesquels elle reprenait les propos prétendument tenus à son encontre et notamment: « je souhaite une rupture conventionnelle car je ne peux pas te payer », « rends moi les clés et casse toi ».

M.[B] ne justifie donc pas d'éléments objectifs permettant d'établir que le comportement qu'il a adopté à l'égard de Mme [E] et notamment sa volonté de mettre un terme à son contrat de travail est étranger à tout harcèlement.

De surcroît, la dégradation concomitante de l'état de santé de Mme [E] dont elle justifie par ses arrêts de travail, le suivi psychologique qu'elle a entrepris, les prescriptions médicamenteuses et témoignages qu'elle produit au débat ainsi que les conclusions du médecin du travail indiquant : 'inapte au poste de mettreur et à tout poste dans cette entreprise', 'serait apte à un poste identique dans une autre entreprise' permettent de retenir le lien entre la dégradation de l'état de santé de la salariée et ses conditions de travail.

Il y a donc lieu, par infirmation du jugement entrepris, de retenir l'existence d'un harcèlement moral et d'allouer à la salariée une somme de 5000 € en réparation de ce chef de préjudice.

Sur la nullité du licenciement

En application de l'article L. 1152-3 du code du travail, toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des articles L. 1152-1 et L. 1152-2, tout acte contraire est nul.

En conséquence, toute rupture du contrat ayant pour origine le harcèlement moral dont le salarié a été victime est nulle.

Le salarié victime d'un licenciement nul et qui ne réclame pas sa réintégration a droit, quelle que soit son ancienneté dans l'entreprise, d'une part aux indemnités de rupture, d'autre part, à une indemnité réparant l'intégralité du préjudice résultant du caractère illicite du licenciement et au moins égale à six mois de salaire.

En l'espèce, la salariée fait valoir que le lien entre le harcèlement moral et le licenciement est établi tandis que l'employeur soutient que le licenciement pour inaptitude qu'il a prononcé est justifié compte tenu des avis de la médecine du travail et en l'absence de possibilité de reclassement.

Or, il ressort de l'avis de la médecine du travail que si la salariée est ' inapte au poste de mettreur et à tout poste dans cette entreprise', elle 'serait apte à un poste identique dans une autre entreprise'.

Il ressort donc de cet avis que l'inaptitude de la salariée est en lien direct avec ses conditions de travail dans l'entreprise.

Il a en outre été démontré que concomitamment à la dégradation de ses conditions de travail, l'état de santé de la salariée s'est également dégradé.

L'inaptitude et le licenciement qui s'en est suivi résultent donc du harcèlement moral dont Mme [E] a été victime.

La rupture sera en conséquence déclarée nulle.

L'inaptitude en raison de laquelle Mme [E] n'a pu exécuter son préavis a pour origine le harcèlement moral dont elle a été reconnue victime ; la salariée peut prétendre en premier lieu à l'indemnité compensatrice de préavis.

Cette indemnité est égale au salaire brut qu'elle aurait perçu si elle avait travaillé pendant cette période.

Sur la base d'un salaire brut de 4500 euros, il doit lui être alloué de ce chef la somme de

9 000 euros et 900 euros au titre des congés payés afférents.

Concernant les dommages-intérêts pour licenciement nul, tenant compte de l'âge de la salariée au moment de la rupture (41 ans), de son ancienneté (6 ans), de son salaire brut moyen (4500 €) et en l'absence d'éléments sur sa situation après la rupture de son contrat de travail, il y a lieu de lui allouer une indemnité de 30 000 euros à ce titre.

Sur le retard de paiement des indemnités de prévoyance

Mme [E] fait valoir que son employeur lui a reversé avec retard les sommes qu'il a perçues de la PROBTP pendant son arrêt de travail pour cause de maladie et qu'ainsi, ce n'est qu'en septembre 2018 qu'elle a perçu la somme de 2 922,50 € qui lui était due à ce titre. Elle sollicite une somme de 1000 € pour retard de paiement de ces sommes.

M. [B] fait valoir qu'il lui a versé les sommes qu'il lui devait et sollicite qu'elle soit déboutée de sa demande à ce titre.

Or, Mme [E] n'établit pas avoir subi un préjudice spécifique sur ce point.

Par confirmation du jugement entrepris, elle sera en conséquence déboutée de cette demande.

Sur la note de frais d'octobre 2016

Mme [E] demande le règlement de sa note de frais au titre du mois d'octobre 2016 pour un montant de 1204,50 €. Elle fait valoir que ses frais incluant les indemnités kilométriques relatives à ses trajets lui ont toujours été réglés par le passé et que son employeur ne peut revenir sur cet usage.

M.[B] s'y oppose en faisant valoir qu'il n'est pas tenu de payer les frais domicile/travail de la salariée.

Or, il ressort des échanges de sms produits au débat que lorsque Mme [E] lui a demandé le paiement de sa note de frais, M. [B] ne s'y est pas opposé sur le principe mais lui a répondu : 'je n'ai pas d'argent et je le ferai quand il y en aura.'

En outre, M. [B] ne critique pas valablement l'usage dont fait état la salariée de lui rembourser ses trajets domicile /travail et il ressort par ailleurs de la note de frais produite au débat par la salariée que celle-ci ne porte pas exclusivement sur des déplacements domicile/ travail mais aussi sur des déplacements sur des chantiers notamment à [Localité 7] et à [Localité 5].

Enfin, il ressort des relevés bancaires produits au débat par la salariée sur l'année 2016 qu'avant le mois d'octobre 2016, son employeur lui remboursait chaque mois ses frais notamment kilométriques.

L'employeur n'établit donc pas que, contrairement à ce que soutient la salariée, il ne lui réglait pas de manière habituelle ses frais kilométriques et notamment ceux relatifs à ses trajets domicile/travail.

Il sera en conséquence fait droit à la demande de la salariée à ce titre.

Sur les intérêts

Conformément aux dispositions des articles 1153, 1153-1 (anciens), 1231-6 et 1231-7 (nouveaux) du Code civil et R1452-5 du code du travail, les intérêts au taux légal courent sur les créances salariales ( indemnités compensatrices de préavis et de congés payés sur préavis) à compter de l'accusé de réception de la convocation de l'employeur devant le bureau de conciliation et sur les autres sommes à compter du présent arrêt.

Sur les frais irrépétibles et les dépens

L'équité commande de faire application de l'article 700 du code de procédure civile et d'allouer à ce titre la somme de 2500 € à Mme [E].

L'employeur, qui succombe, sera débouté de sa demande au titre des dipositions de l'article 700 du code de procédure civile par confirmation du jugement de première instance et tenu aux dépens de première instance, par infirmation du jugement entrepris, et d'appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

INFIRME le jugement déféré, sauf en ce qu'il a débouté Mme [E] de sa demande de dommages et intérêts pour retard de paiement des indemnités de prévoyance et débouté M. [B] de sa demande au titre des frais irrépétibles,

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

PRONONCE la nullité du licenciement de Mme [E],

CONDAMNE M. [B] à payer à Mme [E] les sommes de :

- 1 204,50 € au titre du remboursement des frais exposés en octobre 2016,

- 5 000 € à titre de dommage et intérêts pour harcèlement moral,

- 9 000 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 900 € au titre des congés payés y afférents,

- 30 000 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement licenciement nul,

- 2 500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

DIT que les intérêts au taux légal, avec capitalisation dans les conditions de l'article 1343-2 du Code civil, sont dus à compter de la convocation de l'employeur devant le bureau de conciliation pour les créances salariales et à compter du présent arrêt pour le surplus,

REJETTE les autres demandes des parties,

CONDAMNE M.[B] aux dépens de première instance et d'appel.

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 8
Numéro d'arrêt : 19/06402
Date de la décision : 24/02/2022

Références :

Cour d'appel de Paris K8, arrêt n°19/06402 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-02-24;19.06402 ?
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