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01/07/2021 | FRANCE | N°20/08364

France | France, Cour d'appel de Paris, 01 juillet 2021, 20/08364


Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS






COUR D'APPEL DE PARIS


Pôle 5 - Chambre 7


ARRÊT DU 01 JUILLET 2021


(no 27 , 12 pages)


Numéro d'inscription au répertoire général : No RG 20/08364 - No Portalis 35L7-V-B7E-CB6SW


Décision déférée à la Cour : décision de l'Autorité des marchés financiers en date du 14 avril 2016




REQUÉRANTE :


SOCIÉTÉ FINANCIÈRE TAULANE S.A.S.
Prise en la personne de son Président en exercice Mons

ieur [L] [V]
Immatriculée au RCS de Versailles sous le no 422 929 836
Ayant son siège social au [Adresse 1]
[Adresse 2]


Élisant domicile au cabinet de l'AARPI JEANTE...

Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 7

ARRÊT DU 01 JUILLET 2021

(no 27 , 12 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : No RG 20/08364 - No Portalis 35L7-V-B7E-CB6SW

Décision déférée à la Cour : décision de l'Autorité des marchés financiers en date du 14 avril 2016

REQUÉRANTE :

SOCIÉTÉ FINANCIÈRE TAULANE S.A.S.
Prise en la personne de son Président en exercice Monsieur [L] [V]
Immatriculée au RCS de Versailles sous le no 422 929 836
Ayant son siège social au [Adresse 1]
[Adresse 2]

Élisant domicile au cabinet de l'AARPI JEANTET
[Adresse 3]
[Localité 1]

Représentée par Me Frank MARTIN LAPRADE de l'AARPI JEANTET, avocat au barreau de PARIS, toque : T04

EN PRÉSENCE DE :

L'AUTORITÉ DES MARCHÉS FINANCIERS
Prise en la personne de son président
[Adresse 4]
[Localité 2]

Représentée par Madame [K] [N], dûment mandatée

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 03 juin 2021, en audience publique, devant la Cour composée de :

? Mme Agnès MAITREPIERRE, présidente de chambre, présidente,
? Mme Frédérique SCHMIDT, présidente de chambre,
? Mme Sylvie TRÉARD, conseillère,

qui en ont délibéré.

GREFFIER, lors des débats : Mme Marie-Gabrielle HARDOIN DE LA REYNERIE

MINISTÈRE PUBLIC : auquel l'affaire a été communiquée et représenté lors des débats par Monsieur François VAISSETTE, avocat général

ARRÊT :

? contradictoire

? prononcé par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

? signé par Mme Agnès MAITREPIERRE, présidente de chambre et par Mme Véronique COUVET, greffière à qui la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire.

* * * * * * * *

Vu l'exposé des moyens déposé au greffe par la société Financière Taulane le 1er juillet 2020 tendant à l'annulation de la décision de l'Autorité des marchés financiers du 14 avril 2016 et à la condamnation de cette dernière à lui verser des dommages et intérêts ;

Vu les observations déposées au greffe par l'Autorité des marchés financiers le 22 février2021;

Vu les observations en réplique déposées au greffe par la société Financière Taulane le 4 mai 2021 ;

Vu l'avis du ministère public du 28 mai 2021 communiqué le même jour à la société Financière Taulane et à l'Autorité des marchés financiers ;

Après avoir entendu à l'audience publique du 3 juin 2021 le conseil de la société Financière Taulane, le représentant de l'Autorité des marchés financiers ainsi que le ministère public.

*
* *

FAITS ET PROCÉDURE

1.La Cour est saisie d'un recours formé par la société Financière Taulane tendant :

? d'une part, à l'annulation de la décision de l'Autorité des marchés financières (ci-après « AMF ») par laquelle cette dernière s'est déclarée incompétente pour examiner sa demande d'enjoindre à des actionnaires de la société de droit luxembourgeois Orco Property Group (ci-après « OPG ») de déposer une offre publique d'acquisition obligatoire en application de l'article 234-2 du règlement général de l'AMF (ci-après « RGAMF ») ;

? d'autre part, à l'indemnisation de son préjudice résultant selon elle du refus de l'AMF d'user de son pouvoir d'injonction.

Les faits à l'origine de la saisine de l'AMF

2.La société OPG est une société de droit luxembourgeois qui a été admise sur le marché réglementé Euronext Paris le 15 décembre 2000. Elle a, en 2007, émis des bons de souscription d'actions remboursables (ci-après « BSAR »).

3.Par un communiqué de presse publié le 18 novembre 2014, OPG a annoncé que les sociétés Aspley Ventures Limited (Îles Vierges Britanniques) et Fetumar Development Limited (Chypre) lui avaient notifié qu'elles avaient chacune, le 10 novembre 2014, franchi les seuils, à la hausse, de 30 % de son capital, et qu'elles détenaient chacune 31,80 % des droits de vote (pièce Financière Taulane no 1).

4.Par ce même communiqué, OPG a précisé que la société Gamala Limited, entité étroitement liée à M. [H] [W], lui avait notifié qu'elle avait franchi, à la baisse, le seuil de 15 % de son capital à la suite d'un événement modifiant la répartition des droits de vote le 10 novembre 2014 et qu'elle détenait 11,19% des droits de vote (pièce Financière Taulane no 1).

La saisine de l'AMF

5.Par une lettre du 10 juillet 2015, la société Financière Taulane (ci-après « Financière Taulane »), porteur de 107 263 BSAR d'OPG, a saisi l'AMF de la question de l'obligation des sociétés Aspley Ventures Limited et Fetumar Development Limited de déposer une offre publique d'acquisition (ci-après « OPA ») visant l'ensemble des titres d'OPG, y compris les BSAR, en application de l'article 234-2 du RGAMF, qui prévoit que celui qui vient à détenir, directement ou indirectement, plus de 30 % des titres de capital ou des droits de vote d'une société doit déposer un projet d'OPA.

6.Le 22 juillet 2015, l'AMF a répondu qu'en application des articles 4.2 e), 8, et 5.3 de la directive 2004/25/CE du 21 avril 2004 concernant les OPA (ci-après la « directive OPA »), « les questions relatives à l'obligation de lancer ou non une OPA, ainsi que le calcul du seuil de déclenchement d'une telle offre, relèvent de la compétence de l'autorité de l'État membre dans lequel la société visée a son siège social » et a invité, en conséquence, Financière Taulane à se rapprocher de son homologue luxembourgeois, la Commission de surveillance du secteur financière ( ci-après la « CSSF »).

7.Par une lettre du 16 septembre 2015, faisant valoir qu'au regard du champ d'application du titre III du RGAMF relatif aux OPA tel que défini à l'article 231-1 de ce règlement, OPG était bien concernée par l'obligation édictée à l'article 234-2 de ce règlement, Financière Taulane a demandé à l'AMF de faire usage de son pouvoir d'injonction à l'égard de l'un ou l'autre des actionnaires d'OPG ayant franchi le seuil de 30%.

8.Le 5 octobre 2015, l'AMF a renouvelé les termes de sa précédente réponse et a, de nouveau, invité la Financière Taulane, à saisir la CSSF.

9.Par une lettre du 8 octobre 2015, Financière Taulane a reitéré sa demande. Cette lettre est restée sans réponse.

10.Le 9 mars 2016, Financière Taulane a adressé une nouvelle correspondance à l'AMF aux termes de laquelle elle a déploré l'absence de réaction de sa part à sa lettre du 8 octobre 2015, souligné qu'OPG, après avoir obtenu une cotation au Luxembourg tout en annonçant le maintien de sa cotation en France le 30 septembre 2015, avait obtenu sa radiation du marché Euronext Paris à compter du 18 février 2016 et indiqué que dans l'hypothèse d' « une éventuelle passivité de l'AMF et/ou son président ayant pour effet de lui faire perdre une chance d'obtenir le rachat de ses BSAR au prix conventionnellement garanti par leur émetteur », elle était prête à demander en justice la réparation du préjudice en résultant.

11.Par une lettre du 14 avril 2016, l'AMF a maintenu sa position et invité Financière Taulane à saisir la CSSF.

Les opérations et procédures portant sur les titres OPG menées au Luxembourg

12.Par un communiqué de presse du 16 février 2017, la CSSF a rendu publique son intention de prendre certaines décisions concernant OPG dans le cadre d'une enquête qu'elle a menée sur l'existence potentielle d'une action de concert non divulguée concernant OPG en violation de la loi luxembourgeoise du 19 mai 2006 portant transposition de la directive OPA.

13.Puis, par un communiqué de presse du 8 décembre 2017, la CSSF a annoncé avoir pris deux décisions à la suite de l'enquête précitée :

? par la première décision, elle a retenu l'existence d'une action de concert non divulguée concernant OPG entre M. [H] [W] agissant directement et indirectement en particulier à travers Crestline Ventures Corp. et Gamala Limited, CPI Property Group SA (« CPIPG ») et Nukasso Holdings Limited (ci-après « Nukasso ») et M. [U] [Q] (en tant qu'actionnaire unique de Stationway Properties Limited et en tant qu'administrateur délégué et président du conseil d'administration de OPG jusqu'à sa révocation et sa démission de ces postes les 18 mars 2014 et 27 mars 2014) en tant que principales parties agissant de concert en violation de l'article 3 (a) et (d) et de l'article 5 (1) et (3) de la Loi OPA, couvrant la période du 1er septembre 2012 au 30 juin 2016. Aux termes de ce communiqué, la CSSF a précisé qu'elle « considère que, par l'effet de l'agrégation de la participation en actions OPG détenue par Monsieur [H] [W] avec la participation en actions OPG détenue par Monsieur [U] [Q], le premier a acquis le contrôle sur OPG au sens de l'article 5(3) de la Loi OPA les 10 et 11 janvier2013, mais a omis, dans ce contexte, de se conformer à ses obligations de lancer une OPA obligatoire sur les actions OPG tel qu'exigé par l'article 5(1) de la même loi. » (Pièce AMF no12, traduction libre).

? par la seconde décision, et en conséquence de la première, la CSSF a refusé d'approuver le document d'OPA obligatoire, OPA qui avait été annoncée le 8 juin 2016 par la société CPI Property Group SA pour le compte de sa filiale à 100% Nukasso Holding Limited pour les actions OPG. La CSSF précise que cette OPA obligatoire doit être considérée comme caduque en raison du contrôle préexistant sur OPG de M.[W] agissant de concert avec M. [Q] depuis les 10 et 11janvier 2013, en violation de l'article 3(a) et (d) et de l'article 5(1) et (3) de la Loi OPA. (Pièce AMF no12, traduction libre).

Les recours entrepris contre la décision d'incompétence de l'AMF

14.Le 14 juin 2016, Financière Taulane a saisi le tribunal administratif de Paris d'une requête en annulation de la décision de l'AMF du 14 avril 2016, et en indemnisation du préjudice qu'elle prétendait avoir subi du fait du refus de cette dernière d'enjoindre à deux actionnaires d'OPG de procéder au dépôt d'une OPA obligatoire sur les BSAR de la Financière Taulane.

15.Par un jugement du 10 juillet 2018, le tribunal administratif de Paris a transmis au Conseil d'État l'ensemble du dossier au motif que les demandes relevaient de la compétence de ce dernier en application des articles R.311-1 et R.341-1 du code de justice administrative.

16.Par un arrêt du 3 avril 2020, le Conseil d'État a rejeté la requête, considérant qu'elle relevait de la compétence des juridictions judiciaires.

17.Le 1er juillet 2020, Financière Taulane a déposé au greffe, un exposé des moyens aux termes duquel elle demande à la Cour de :

? demander à l'AMF de lui transmettre les procès-verbaux et les rapports d'enquête qu'elle détient et dont la production est utile à la solution du présent litige ;

? juger que le refus de l'AMF ? persistant depuis 2015 ? de faire usage de ses pouvoirs légaux pour obtenir le dépôt d'une offre publique visant les BSAR émis par la société OPG ou l'indemnisation de leurs porteurs à raison de son absence, caractérise une faute de nature à engager sa responsabilité civile ;

En conséquence :

? annuler la décision de l'AMF ;

? condamner l'AMF à lui verser une somme de 1 043 669 euros, assortie des intérêts légaux à compter de la réception de sa demande préalable du 10 juillet 2015, en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subi du fait des fautes commises par l'AMF et ses différents organes ;

? condamner l'AMF à lui verser une somme de 15 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

18.L'AMF considère que le recours de la société Financière Taulane en annulation et en réparation doit être rejeté au motif qu'elle a, à bon droit, faute d'être compétente, refusé de faire usage de son pouvoir d'injonction aux fins du dépôt d'un projet d'OPA visant les BSAR émis par la société OPG et négociés sur le marché réglementé Euronext Paris ou de mettre en ?uvre son pouvoir de sanction, dès lors que l'appréciation du dépôt obligatoire d'une offre visant les titres d'une société de droit luxembourgeois relève de la compétence de la CSSF, et les irrégularités commises par les actionnaires mis en cause par la CSSF procèdent non pas d'une violation de l'article 234-2 du RGAMF pris en application de l'article L.433-3 I du code monétaire et financier, mais d'une violation de la loi luxembourgeoise sur les OPA du 19 mai 2006.

19.Le ministère public partage l'analyse de l'AMF et invite la Cour à rejeter le recours.

*
* *

MOTIVATION

Sur la demande de communication de pièce

20.La Cour observe que cette demande, figurant au dispositif des conclusions de Financière Taulane n'est pas motivée. Elle porte sur d'éventuels procès verbaux et rapport d'enquête sans toutefois identifier de documents précis ni indiquer de quelle enquête il s'agit ? alors que Financière Taulane reproche à l'AMF de ne pas avoir usé de son pouvoir d'enquête et de sanction ? et en quoi ces pièces seraient utiles à la Cour pour statuer sur les demandes de Financière Taulane.

21.Cette demande est rejetée.

Sur la nullité de la décision litigieuse

22.La société Financière Taulane soutient, en premier lieu, que l'AMF a commis une erreur de droit en désignant la CSSF comme étant l'autorité boursière compétente en matière d'OPA visant des BSAR dès lors que la loi luxembourgeoise du 19 mai 2006 portant transposition de la directive OPA ne traite que des offres publiques portant sur des « actions », à l'exclusion des « autres titres donnant accès au capital » tels que les BSAR et que sa demande tendant au dépôt d'une OPA portait exclusivement sur ces titres, comme au demeurant, l'AMF l'avait compris, ainsi qu'en attestent les termes de sa lettre du 14 avril 2016.

23.Elle fait valoir que selon la loi luxembourgeoise précitée, la notion de « titres » fait référence uniquement aux « valeurs mobilières auxquelles sont attachés des droits de vote », et que selon la loi luxembourgeoise du 10 août 1915, concernant les sociétés commerciales, seules les actions confèrent à leur titulaire un droit de vote dans une société anonyme comme OPG.

24.Elle relève que le projet d'OPA obligatoire sur les titres OPG examiné en 2016 par la CSSF, ne portait que sur les actions et non sur les BSAR d'OPG.

25.En second lieu, Financière Taulane soutient que l'AMF était territorialement compétente pour se prononcer sur l'OPA obligatoire de BSAR d'OPG et qu'elle a commis une erreur de droit en refusant de faire application de l'article 234-2 du RGAMF.

26.Elle fait valoir d'une part, que la compétence de l'AMF se déduit, de la combinaison des articles L.433-1 du code monétaire et financier et 231-1 du RGAMF dès lors que les titres de capital d'OPG auxquels sont attachés des droits de vote, c'est-à-dire ses actions, n'étaient pas cotés au Luxembourg en 2014 et qu'OPG s'était introduite en bourse pour la première fois à [Localité 3], en 2000. Elle ajoute que l'article L.433-1 du code monétaire et financier ne s'est pas contenté de transposer la directive 2004/25/CE, contrairement à l'approche restrictive de la loi luxembourgeoise, puisqu'il confie plus largement au RGAMF le soin de fixer « les règles relatives aux offres publiques (?) visant des instruments financiers émis par une société », ce qui ne se limite pas aux seules actions, et que les instruments financiers, en vertu des articles L.211-1 et L.212-1, A du code monétaire et financier, désignent à la fois les actions mais aussi les autres titres donnant ou pouvant donner accès au capital ou aux droits de vote tels que les BSAR.

27.Financière Taulane fait observer, d'autre part, que l'article 234-2 du RGAMF ne fait aucune différence selon la nationalité de la société cotée au sein de laquelle le seuil a été franchi et que seul ce texte est applicable, sans qu'il y ait lieu d'invoquer la directive OPA dès lors que :

? les BSAR sont hors champ de la directive OPA qui, conformément à ses articles 1 et 2§1.e), n'a vocation à s'appliquer qu'aux valeurs mobilières auxquelles sont attachés des droits de vote d'une société et non à des titres donnant accès au capital ;

? la directive OPA étant d'harmonisation minimale, l'AMF a la faculté de prévoir des règles impératives en dehors du champ de cette directive, s'inscrivant dans le cadre de sa mission légale telle que définie aux articles L.621-1 et L.621-6 du code monétaire et financier ;

? l'article 234-2 du RGAMF, en ce qu'il est susceptible de conduire au dépôt d'une OPA visant les BSAR, bénéficie par conséquent d'une totale autonomie par rapport aux prescriptions d'autres textes nationaux ou internationaux, dès lors que ceux-ci n'envisagent pas une telle hypothèse et qu'ils ne s'y opposent donc pas, le silence d'un législateur ne pouvant jamais être assimilé à une interdiction.

28.L'AMF répond, en premier lieu, que saisie d'une opération « transfrontière », il lui appartenait de se référer à la directive OPA pour déterminer quelle autorité était compétente pour apprécier s'il y avait lieu de déposer une OPA, et ce, indépendamment du fait que la demande de Financière Taulant ne visait que les BSAR émis par la société OPG.

29.Elle expose que, dans le cas où une société a son siège social dans un État membre, mais que ses titres sont admis aux négociations exclusivement sur un marché réglementé d'un autre État membre, les articles 4.2 e) et 5.3 de la directive OPA attribuent à l'autorité de marché de l'État membre du siège social de la société la compétence pour apprécier les questions relatives à l'obligation de lancer ou non une offre publique et à l'autorité de marché de l'État membre sur lequel les titres sont admis la compétence en matière de contrôle de cette offre qui se déroulera sur son marché, en termes de prix offert et de procédure applicable, notamment en ce qui concerne les informations sur la décision prise par l'offrant de faire une offre, le contenu du document d'offre ou encore la divulgation de l'offre. Elle ajoute que l'article 5.3 de ladite directive dispose que le seuil de déclenchement d'une offre obligatoire et son mode de calcul sont fixés par la réglementation de l'État membre dans lequel la société a son siège social.

30.Elle fait valoir que c'est en application de ces principes qu'il appartenait avant tout à la CSSF de se prononcer sur l'obligation de déposer une OPA, peu important que la loi luxembourgeoise n'ait pas vocation à s'appliquer aux valeurs mobilières donnant accès au capital. A cet égard, elle soutient que Financière Taulane confond le seuil de l'offre obligatoire et la nature des titres visés par cette offre, et souligne que le calcul de seuil de l'OPA obligatoire, tant en droit luxembourgeois qu'en droit français, est exclusif de la prise en considération de la détention des titres donnant accès au capital.

31.Elle souligne qu'en novembre 2014, les sociétés Aspley Ventures Ltd et Fetumar Development Ltd n'avaient pas franchi individuellement le seuil de 33 1/3 % du capital assorti des droits de vote d'OPG, prévu par la loi luxembourgeoise, de sorte qu'elles n'avaient pas d'obligation de déposer une OPA sauf à ce que la CSSF ne démontre qu'elles agissaient de concert au sens du droit luxembougeois. Si la compétence de l'AMF devait être retenue, comme le soutient Financière Taulane, cela permettrait à cette dernière d'écarter l'application de la législation luxembourgeoise dont le seuil d'OPA obligatoire est plus élevé que le seuil prévu par la législation française.

32.L'AMF fait observer, en second lieu, que l'article L.433-1 II du code monétaire et financier, qui transpose l'article 4.2, a) b) et c) sous réserve du e) de la directivre OPA s'applique aux offres volontaires, de sorte qu'elle ne saurait enjoindre le dépôt d'une telle offre sur le fondement de cet article.

33.Le ministère public partage l'analyse de l'AMF.

***

Sur ce, la Cour,

34.Le titre III du RGAMF, consacré aux offres publiques d'acquisition, comprend notamment :

? un chapitre I qui fixe les règles générales et les dispositions communes aux différentes OPA ;

? un chapitre II qui fixe les règles de procédure normale d'OPA ;

? un chapitre III qui fixe les règles de procédure simplifiée d'OPA ;

? un chapitre IV qui fixe les conditions de dépôt d'une OPA obligatoire.

35.Selon l'article 234-2, alinéa 1er, du RGAMF, qui figure au chapitre IV :

« Lorsqu'une personne physique ou morale, agissant seule ou de concert au sens de l'article L.233-10 du code de commerce, vient à détenir, directement ou indirectement, plus de 30 % des titres de capital ou des droits de vote d'une société, elle est tenue à son initiative d'en informer immédiatement l'AMF et de déposer un projet d'offre publique visant la totalité du capital et des titres donnant accès au capital ou aux droits de vote, et libellé à des conditions telles qu'il puisse être déclaré conforme par l'AMF. ».

« Les dispositions des chapitres Ier et, selon le cas, II ou III du présent titre sont applicables aux offres publiques dont le dépôt est obligatoire. ».

36.Ces dispositions, qui ne précisent pas qu'elles s'appliquent à des sociétés émétrices dont le siège social est situé hors de France ne pouvaient à elles seules autoriser l'AMF à apprécier l'obligation des actionnaires d'une société de droit luxembourgeois de déposer une OPA sur les titres de cette société en application des seuils de prise de contrôle prévus par la loi française.

37.Financière Taulane soutient que ces dispositions doivent être lues à la lumière de l'article 231-1 du RGAMF.

38.Cet article, qui figure au chapitre I du titre III du RGAMF, prévoit que les règles édictées à ce titre sont applicables, notamment, à « toute offre faite publiquement aux détenteurs d'instruments financiers négociés sur un marché réglementé d'un État membre de l'Union européenne ou partie à l'accord sur l'Espace économique européen, y compris la France, pour laquelle l'AMF est l'autorité compétente dans les cas prévus aux I et II de l'article L.433-1 du code monétaire et financier (...) ».

39.L'article L.433-1 du code monétaire et financier, auquel renvoie l'arficle 231-1 précité, est une disposition générale de compétence figurant dans une section de ce code intitulée « Offres publiques d'achat et d'échange ». Selon ce texte :

« I. ? Afin d'assurer l'égalité des actionnaires et la transparence des marchés, le règlement général de l'Autorité des marchés financiers fixe les règles relatives aux offres publiques portant sur des instruments financiers émis par une société dont le siège social est établi en France et qui sont admis aux négociations sur un marché réglementé français.

II. ? Ces règles s'appliquent également aux offres publiques visant des instruments financiers émis par une société dont le siège statutaire est établi sur le territoire d'un État membre de l'Union européenne ou d'un autre État partie à l'accord sur l'Espace économique européen autre que la France lorsque les titres de capital de cette société auxquels sont attachés des droits de vote :

1o Ne sont pas admis aux négociations sur un marché réglementé de l'État sur le territoire duquel la société a son siège statutaire et

2o Ont été admis aux négociations sur un marché réglementé d'un État membre de l'Union européenne ou d'un autre État partie à l'Espace économique européen pour la première fois en France.

Lorsque la première admission mentionnée au 2o est intervenue simultanément dans plusieurs États membres de l'Union européenne ou d'autres États parties à l'accord sur l'Espace économique européen avant le 20 mai 2006, l'Autorité des marchés financiers fixe les règles mentionnées au I lorsqu'elle a été déclarée autorité compétente pour le contrôle de l'offre par les autorités de contrôle des autres États membres de l'Union européenne concernés. A défaut, lorsque cette déclaration n'est pas intervenue dans les quatre semaines suivant le 20 mai 2006, l'Autorité des marchés financiers fixe les règles mentionnées au I lorsqu'elle a été déclarée autorité compétente pour le contrôle de l'offre par la société qui fait l'objet de l'offre.

Lorsque la première admission mentionnée au 2o intervient simultanément dans plusieurs États membres de l'Union européenne ou d'autres États parties à l'accord sur l'Espace économique européen après le 20 mai 2006, l'Autorité des marchés financiers fixe les règles lorsqu'elle a été déclarée compétente pour le contrôle de l'offre par la société qui fait l'objet de l'offre.

Dans les conditions et selon les modalités fixées par le règlement général de l'Autorité des marchés financiers, la société qui fait l'objet de l'offre et qui déclare l'Autorité des marchés financiers autorité compétente pour le contrôle de l'offre en informe cette dernière, qui rend cette décision publique. ».

40.Toutefois, selon l'article L.433-3, I du code monétaire et financier, disposition spécifique de compétence figurant dans une section de ce code intitulée « obligation de déposer une offre publique d'acquisition » :

« Le règlement général de l'Autorité des marchés financiers fixe les conditions dans lesquelles toute personne physique ou morale, actionnaire d'une société dont le siège social est établi en France, et dont les actions sont admises aux négociations sur un marché réglementé d'un État membre de l'Union européenne ou d'un autre État partie à l'accord sur l'Espace économique européen, agissant seule ou de concert au sens de l'article L.233-10 du code de commerce, venant à détenir, directement ou indirectement, plus des trois dixièmes du capital ou des droits de vote, ou détenant, directement ou indirectement, un nombre compris entre trois dixièmes et la moitié du capital ou des droits de vote et qui, en moins de douze mois consécutifs, augmente sa détention en capital ou en droits de vote d'au moins un centième du capital ou des droits de vote de la société, est tenue d'en informer immédiatement l'Autorité des marchés financiers et de déposer un projet d'offre publique en vue d'acquérir une quantité déterminée des titres de la société. À défaut d'avoir procédé à ce dépôt, les titres détenus par cette personne au-delà des trois dixièmes ou au-delà de sa détentionaugmentée de la fraction d'un centième susmentionnée du capital ou des droits de vote sont privés du droit de vote. ».

41.Ainsi, les dispositions de l'article L.433-1, II auxquelles renvoient celles de l'article 231-1 du RGAMF ne sont pas pertinentes pour déterminer le champ d'application de l'article 234-2 du RGAMF, et en particulier pour déterminer si ce texte attribue à l'AMF compétence pour apprécier l'obligation d'actionnaires d'une société de droit luxembourgois de déposer une OPA, dès lors qu'il n'a pas été pris en application de l'article L.433-1 du code monétaire et financier, disposition générale de compétence mais en application de L.433-3, I du même code, disposition propre aux OPA obligatoires.

42.Ainsi, contrairement à ce que soutient Financière Taulane, les dispositions combinées des articles 231-1 du RGAMF et L.433-1 du code monétaire et financier ne pouvaient fonder la compétence de l'AMF pour apprécier l'obligation, en application de l'article 234-2 du RGAMF, de déposer une OPA sur les titres OPG.

43.Enfin, l'obligation de déposer une OPA s'appliquant à « toute personne physique ou morale actionnaire d'une société dont le siège social est établi en France, et dont les actions sont admises aux négociations sur un marché réglementé d'un État membre de l'Union européenne ou d'un autre État partie à l'accord sur l'Espace économique européen », l'article L.433-3, I du code monétaire et financier ne pouvait davantage fonder la compétence de l'AMF à l'égard d'une société dont le siège est au Luxembourg.

44.L'absence de compétence de l'AMF est confortée par les dispositions de la directive OPA, et en particulier par ses articles 4.2 intitulé « Autorité de contrôle et droit applicable » et 5 intitulé « Protection des actionnaires minoritaires, offre obligatoire et prix équitable ».

45.Selon l'article 4.2 de cette directive :

« a) L'autorité compétente pour le contrôle de l'offre est celle de l'État membre dans lequel la société visée a son siège social, lorsque les titres de cette société sont admis à la négociation sur un marché réglementé de cet État membre.

b) Si les titres de la société visée ne sont pas admis à la négociation sur un marché réglementé de l'État membre dans lequel cette société a son siège social, l'autorité compétente pour le contrôle de l'offre est celle de l'État membre sur le marché réglementé duquel les titres de la société sont admis à la négociation. ».

46.L'article 4.2 e) précise que « (...) les questions relevant du droit des sociétés, notamment le pourcentage de droits de vote qui donne le contrôle et les dérogations à l'obligation de lancer une offre (...), les règles applicables et l'autorité compétente sont celles de l'État membre dans lequel la société visée a son siège social ».

47.Selon l'article 5.3, « le pourcentage de droits de vote conférant le contrôle aux fins du paragraphe 1 [obligation de déposer une OPA obligatoire] et son mode de calcul sont fixés par la réglementation de l'État membre dans lequel la société a son siège social. ».

48.Il se déduit de ces dispositions, comme l'observe à juste titre l'AMF, que lorsque les titres sont admis à la négociation sur un marché d'un État membre mais qu'ils ont été émis par une société ayant son siège social dans un autre État membre, l'autorité compétente pour le contrôle de l'offre est celle de l'État membre sur le marché réglementé duquel les titres sont admis à la négociation tandis que l'autorité compétente pour apprécier les conditions de lancement d'une OPA obligatoire est celle de l'État membre dans lequel l'émetteur a établi son siège social et que ces conditions sont celles fixées par la réglementation de cet État.

49.En l'espèce, OPG a établi son siège social au Luxembourg, de sorte qu'en application des règles de répartition de compétence et de loi applicable précitées, les conditions de l'obligation de déposer une OPA sur les titres émis par cette société étaient celles fixées par la loi luxembourgeoise et devaient être appréciées par l'autorité luxembourgeoise, laquelle avait donc seule compétence pour déterminer si ces conditions étaient réunies et par voie de conséquence, si les actionnaires visés par Financière Taulane avaient l'obligation de déposer une OPA.

50.La circonstance que, selon la loi luxembourgeoise, une OPA ne vise que des actions à l'exclusion d'instruments comme les BSAR, contrairement à la loi française, est dès lors sans incidence sur la compétence de la CSSF.

51.C'est donc à juste titre que l'AMF a décliné sa compétence et invité Financière Taulane à saisir la CSSF de la question de l'obligation du dépôt d'une OPA sur les titres OPG.

52.La demande d'annulation de la décision de l'AMF du 14 avril 2016 sera donc rejetée.

Sur la demande d'indemnisation

53.Financière Taulane soutient que l'AMF a commis deux fautes :

? l'une consistant à avoir refusé d'user de son pouvoir d'injonction pour obliger les actionnaires d'OPG à se conformer aux dispositions de l'article 234-2 du RGAMF et à persister dans ce refus après 2017 lorsque les sociétés Aspley Vetures Limited et Fetumar Development Limited ont officiellement été identifiées par la CSSF comme agissant de concert avec les actionnaires qui ont secrètement pris le contrôle d'OPG en janvier 2013 sans déposer d'OPA obligatoire ;

? l'autre consistant à ne pas avoir fait usage de son pouvoir d'enquête et de sanction, ainsi que de proposition d'entrer en voie de composition administrative, ce qui lui aurait permis d'obtenir l'indemnisation de son préjudice.
54.L'AMF soutient qu'aucune faute ne peut lui être reprochée dès lors qu'elle n'était pas compétente pour décider s'il y avait lieu d'imposer le dépôt d'une OPA visant les titres de la société luxembourgeoise OPG dont les titres étaient uniquement négociés sur le marché français jusqu'en octobre 2015 et précise qu'à compter du 15 février 2016, les titres OPG n'étaient plus cotés sur le marché français mais uniquement sur le marché luxembourgeois de sorte qu'elle n'était plus compétente pour contrôler l'OPA. Elle souligne qu'elle ne peut exercer son pouvoir d'injonction pour mettre fin à une l'irrégularité résultant du non respect d'une obligation prévue par la loi luxembourgeoise sur les OPA.

55.Le ministère public partage l'analyse de l'AMF.

* * *

Sur ce, la Cour,

56.Comme exposé au paragraphe 48 du présent arrêt, l'appréciation de l'obligation de déposer une OPA se fait au regard de la loi de l'État membre dans lequel la société visée a son siège social et relève de la seule compétence de l'autorité de cet État.

57.L'AMF n'étant pas compétente pour apprécier l'obligation de déposer une OPA sur les titres OPG, elle n'a donc pas pu engager sa responsabilité à l'égard de Financière Taulane en invitant cette dernière, le 14 avril 2016, à saisir la CSSF.

58.Pour le même motif, elle n'a pu davantage engager sa responsabilité en n'exerçant pas le pouvoir d'injonction qu'elle tient de l'article L.621-14, II du code monétaire et financier, selon lequel :

« Le collège peut, après avoir mis la personne concernée en mesure de présenter ses explications, ordonner qu'il soit mis fin, en France et à l'étranger, aux manquements aux obligations des règlements européens, des dispositions législatives ou réglementaires ou des règles professionnelles visant à protéger les investisseurs contre les opérations d'initiés, les manipulations de marché et la divulgation illicite d'informations privilégiées mentionnées aux c et d du II de l'article L.621-15, ou à tout autre manquement de nature à porter atteinte à la protection des investisseurs, au bon fonctionnement des marchés ou à tout autre manquement aux obligations relatives à la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme prévues aux chapitres I et II du titre VI du livre V du présent code ».

59.Il se déduit de ces dispositions que l'exercice du pouvoir d'injonction vise à mettre fin à des manquements aux règlements européens applicables directement en droit national, et aux dispositions législatives et réglementaires issues de ce même droit. Il ne saurait donc être exercé, ainsi que le souligne l'AMF dans ses observations, pour mettre fin au manquement à une obligation de déposer une OPA, qui ne résultait pas de l'article 234-2 du RGAMF, mais de la loi luxembourgeoise sur les OPA du 19 mai 2006 et dont l'appréciation relevait de la seule compétence de la CSSF, comme exposé au 49 du présent arrêt.

60.L'AMF n'a donc pas pu engager sa responsabilité en n'exerçant pas son pouvoir d'injonction, ni suite à sa saisine par Financière Taulane en juillet 2015, ni une fois informée de la décision de la CSSF, rendue publique le 18 décembre 2017, ayant constaté que les seuils de prise de contrôle d'OPG avaient été franchis par des actionnaires agissant de concert dès janvier 2013, d'autant que les titres OPG n'étaient plus admis à la négociation sur le marché réglementé Euronext Paris depuis l'automne 2015.

61.Pour les mêmes motifs tenant à son incompétence, l'AMF n'a pas pu davantage engager sa responsabilité pour ne pas avoir ouvert, en 2015, une enquête pour sanctionner l'absence de dépôt d'une telle OPA, et par suite, en n'ouvrant pas de procédure de composition administrative.

62.La demande d'indemnisation formée par Financière Taulane est donc rejetée.
*
* *

PAR CES MOTIFS

La Cour,

REJETTE les demandes de la société Financière Taulane de communication de pièces, d'annulation de la décision de l'AMF du 14 avril 2016, ainsi que celle relative à la réparation du préjudice qu'elle prétend avoir subi du fait de cette décision ;

CONDAMNE la société Financière Taulane aux dépens.

LA GREFFIÈRE,

Véronique COUVETLA PRÉSIDENTE,

Agnès MAITREPIERRE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Numéro d'arrêt : 20/08364
Date de la décision : 01/07/2021

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2021-07-01;20.08364 ?
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