Copies exécutoires délivrées aux parties le RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 4 - Chambre 1
ARRÊT DU 11 JUIN 2021
(no , pages)
Numéro d'inscription au répertoire général :RG 18/28821 - Portalis 35L7-V-B7C-B67PV
Décision déférée à la cour : jugement du 26 novembre 2018 -tribunal de grande instance de BOBIGNY - RG 17/06365
APPELANTE
SARL RESTAURANT ALI BABA
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège,
[Adresse 1]
[Adresse 2]
Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477
Ayant pour avocat plaidant Me Laurent MARRIE, avocat au barreau de PARIS
INTIME
COMMUNE DE [Localité 1]
régulièrement représentée par son maire en exercice, domicilié en cette qualité à la mairie,
[Adresse 3]
[Adresse 2]
Représenté par Me Yvon GOUTAL de la SELARL GOUTAL ALIBERT et Associés, avocat au barreau de PARIS, toque : R116
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 25 mars 2021, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Monique Chaulet, conseillère, chargée du rapport et M. Claude Creton, président.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
M. Claude Creton, président
Mme Muriel Page, conseillère
Mme Monique Chaulet, conseillère
Greffier, lors des débats : M. Grégoire Grospellier
Arrêt :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Claude Creton, président et par Grégoire Grospellier, greffier présent lors de la mise à disposition.
*****
Par jugement en date du 30 septembre 2003, la SARL restaurant Ali Baba a été déclarée adjudicataire d'un bien immobilier à usage commercial et d'habitation sis [Adresse 1].
Souhaitant vendre ce bien à la SCI Caserne, bien situé dans le périmètre du droit de préemption de la commune de [Localité 1], la SARL restaurant Ali Baba a établi une déclaration d'intention d'aliéner (ci-après DIA) au prix de 84 000 euros.
Par décision du 5 mars 2007 notifiée le 8 mars suivant à la SCP Revet-Bilbille et Maillot, notaire de la SARL Restaurant Ali Baba, la commune de [Localité 1] a exercé son droit de préemption.
Par courrier en date du 5 avril 2007, la SARL restaurant Ali Baba a fait savoir qu'elle renonçait à la cession de son bien.
Le 26 juillet 2007, la commune a procédé à la consignation du prix auprès de la Caisse des dépôts et consignations et en a informé la société par courrier recommandé du 3 septembre 2007.
Le 31 mai 2011, la SARL restaurant Ali Baba a établi une nouvelle DIA portant sur le même bien sis [Adresse 1].
Par courrier en date du 6 juillet 2011, la commune de [Localité 1] a répondu à la SARL Restaurant Ali Baba que cette nouvelle DIA n'était pas recevable dès lors qu'elle avait déjà exercé son droit de préemption le 5 mars 2007.
Par acte en date du 30 mai 2017, la commune de [Localité 1] a fait assigner la SARL restaurant Ali Baba devant le tribunal de grande instance de Bobigny aux fins de constater la vente parfaite à la date de notification de la préemption et d'ordonner la réalisation de la vente en la forme authentique.
Par jugement en date du 26 novembre 2018, le tribunal de grande instance de Bobigny a :
- rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription,
- déclarée recevable comme non prescrite l'action en réalisation forcée de la vente,
- déclaré parfaite la vente consentie au profit de la Ville de [Localité 1] du bien immobilier sis [Adresse 1] cadastré section BP no[Cadastre 1],
- dit que le présent jugement vaut vente et titre de propriété,
- ordonné la publication du présent jugement au service de la propriété foncière compétent,
- fixé la date du transfert de propriété à la date du jugement,
- condamné la SARL restaurant Ali Baba à payer à la ville de [Localité 1] la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la SARL restaurant Ali Baba aux dépens,
- ordonné l'exécution provisoire.
Pour statuer ainsi, le tribunal a jugé que l'action, de nature mobilière et non personnelle, est soumise au délai de prescription trentenaire et qu'elle n'est pas prescrite ; sur le fond, il a jugé que le renoncement de la SARL restaurant Ali Baba à la vente notifié par son notaire est dépourvu d'effet juridique dès lors qu'elle ne peut plus rétracter unilatéralement son offre après la décision d'exercice du droit de préemption par la ville de [Localité 1] aux conditions de la DIA, cette faculté de rétractation n'existant qu'en cas de désaccord sur les conditions ou le prix et qu'aucune demande de paiement du prix n'étant sollicitée par la SARL Restaurant Ali Baba, aucune condamnation ne pouvait être prononcée à ce titre.
Par acte du 26 décembre 2018, la SARL restaurant Ali Baba a interjeté appel du jugement.
Par ordonnance en date du 7 mars 2019, le magistrat chargé de la mise en état a désigné un médiateur judiciaire en la personne de M. [N] et a fixé la durée de la médiation à trois mois à compter de la première réunion plénière de médiation sauf prorogation dûment sollicitée par les parties et le 15 mars 2019, le médiateur a accepté sa mission.
Aucun accord n'a été trouvé dans le cadre de la médiation ordonnée.
Par ses dernières conclusions, la SARL restaurant Ali Baba demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et de déclarer l'action prescrite ; à titre subsidiaire, elle demande à la cour de dire que la DIA du 6 novembre 2006 et la décision de préemption du 5 mars 2007 n'ont pas emporté la formation d'une vente parfaite et de débouter la ville de [Localité 1] de ses demandes ; elle sollicite, à titre très subsidiaire, la condamnation de la ville de [Localité 1] à lui payer la somme de 430 000 euros de dommages-intérêts pour le manque à gagner du fait du délai écoulé et 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par ses dernières écritures, la ville de [Localité 1] sollicite la confirmation du jugement en toutes ses dispositions, en conséquence de prononcer la réalisation forcée de la vente et demande la condamnation de la SARL restaurant Ali Baba à lui payer 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
SUR CE,
Sur la prescription
La SARL restaurant Ali Baba soutient que le mécanisme de la préemption peut être assimilé à celui d'une promesse synallagmatique de vente, soit une action personnelle ou mobilière dont l'action en réitération se prescrit par cinq ans conformément à l'article 2224 du code civil et qu'en l'espèce l'action est prescrite ; elle fait valoir que la réitération de l'acte aurait dû intervenir dans les trois mois à compter de la décision de préemption conformément aux dispositions de l'article R.213-12 du code de l'urbanisme et qu'étant acquis, dès le 5 avril 2007, que la SARL restaurant Ali Baba refusait la signature de tout acte de vente, le délai de prescription a couru à compter de cette date.
La ville de [Localité 1] conteste que l'exercice du droit de préemption puisse être assimilé à une promesse synallagmatique de vente et soutient que la présente action ayant pour objet de faire reconnaître qu'elle est propriétaire du bien préempté depuis le 8 mars 2007, il s'agit d'une action réelle immobilière et la prescription est trentenaire.
Le premier juge a estimé que l'action de la ville de [Localité 1] visant à faire reconnaître son droit en tant que nouvel acquéreur n'est ni une action personnelle ni une action en revendication de propriété, qu'en conséquence, au visa de l'article 2272 du code civil, le délai de prescription est trentenaire et l'action de la ville de [Localité 1] n'est pas prescrite.
L'article 2224 du code civil dispose que « les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. ».
Cette prescription s'applique aux actions personnelles ou mobilières.
En l'espèce l'action est fondée sur les dispositions de l'article R213-12 du code de l'urbanisme aux termes duquel en cas d'accord sur le prix indiqué par le propriétaire ou sur le prix offert par le titulaire du droit de préemption, un acte authentique est dressé dans un délai de trois mois à compter de cet accord pour constater le transfert de propriété.
En conséquence la ville de [Localité 1] ne revendique aucun droit réel au soutien de son action mais bien une créance personnelle dans le prolongement de son droit de préemption, la présente action engagée visant à contraindre la SARL Restaurant Ali Baba, suite à sa déclaration d'intention d'aliéner le bien sis[Adresse 1], à lui transférer ledit bien ; il s'agit d'une action personnelle exercée contre le vendeur visant à obtenir qu'il respecte son obligation de délivrer le bien et la prescription quinquennale lui est applicable.
Il est constant que suite à la décision de préemption dont se prévaut la ville de [Localité 1] en date du 5 mars 2007, la SARL restaurant Ali Baba a, par courrier parvenu à la mairie le 5 avril 2007, informé la commune qu'elle retirait son offre de vente et lui adressait une nouvelle DIA le 13 mai 2011.
Il résulte de ces éléments que la présente action, engagée par la commune de [Localité 1] par assignation du 30 mai 2017, soit plus de 10 ans après le retrait de son offre par la SARL restaurant Ali Baba et plus de 6 ans après la seconde DIA, est prescrite.
Le jugement sera infirmé en toutes ses dispositions et les demandes de la commune de [Localité 1] seront déclarées irrecevables.
La commune sera condamnée à payer à la SARL restaurant Ali Baba la somme de 5 000 euros pour les frais irrépétibles engagés en première instance et en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS,
Statuant publiquement,
Infirme le jugement en toutes ses dispositions,
Déclare les demandes de la commune Ville de [Localité 1] irrecevables comme prescrites,
Condamne la commune Ville de [Localité 1] à payer à la SARL restaurant Ali Baba la somme de 5 000 euros pour les frais irrépétibles engagés en première instance et en cause d'appel,
Condamne la commune Ville de [Localité 1] aux entiers dépens de l'instance.
Le greffier, Le président