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12/03/2021 | FRANCE | N°20/086507

France | France, Cour d'appel de Paris, G1, 12 mars 2021, 20/086507


Copies exécutoires délivrées aux parties le RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Cour d'appel de Paris

Pôle 4 - chambre 1

Arrêt du 12 mars 2021

(no , pages)

Numéro d'inscription au répertoire général :RG 20/08650 -Portalis 35L7-V-B7E-CB7K2

Décision déférée à la Cour : Jugement du 26 mai 2020 -tribunal judiciaire de PARIS - RG no 18/04352

APPELANT

Monsieur [C] [P]
[Adresse 1]
[Localité 1]

Représenté par Me Claire HOCQUET de la SCP RAPPAPORT-HOCQUET-SCHOR, avocat au barreau de PARIS, toque : P03

29 substituée par Me Judith SCHOR du même cabinet

INTIMÉE

S.A.R.L. EUROPE FINANCES CRÉATIONS
prise en la personne de son présid...

Copies exécutoires délivrées aux parties le RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Cour d'appel de Paris

Pôle 4 - chambre 1

Arrêt du 12 mars 2021

(no , pages)

Numéro d'inscription au répertoire général :RG 20/08650 -Portalis 35L7-V-B7E-CB7K2

Décision déférée à la Cour : Jugement du 26 mai 2020 -tribunal judiciaire de PARIS - RG no 18/04352

APPELANT

Monsieur [C] [P]
[Adresse 1]
[Localité 1]

Représenté par Me Claire HOCQUET de la SCP RAPPAPORT-HOCQUET-SCHOR, avocat au barreau de PARIS, toque : P0329 substituée par Me Judith SCHOR du même cabinet

INTIMÉE

S.A.R.L. EUROPE FINANCES CRÉATIONS
prise en la personne de son président en exercice,

[Adresse 2]
[Localité 1]

Représentée par Me Loïc HENRIOT de l'AARPI COHEN et GRESSER, avocat au barreau de PARIS, toque : E 0092

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 27 janvier 2021, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant M. Claude Creton, président, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

M. Claude Creton, président
Mme Christine Barberot, conseillère
Mme Monique Chaulet, conseillère

Greffier, lors des débats : M. Grégoire Grospellier

Arrêt :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Claude Creton,président et par Grégoire Grospellier, greffier présent lors de la mise à disposition.

*****
Par acte du 25 novembre 2016 reçu par M. [S], notaire, [T] [Q] a vendu à la société Europe finances créations un appartement de 112,09 m2 situé à [Adresse 1]. Lors de la signature de l'acte, [T] [Q] était représentée par M. [P] à qui elle avait donné une procuration le 11 septembre 2016. L'acte de vente accordait à [T] [Q] un droit d'usage et d'habitation de l'appartement jusqu'à son décès.

[T] [Q] est décédée le [Date décès 1] 2017.

Son légataire universel, M. [P], a assigné la société Europe finances créations sur le fondement de la rescision pour lésion en demandant au tribunal d'organiser une expertise. A titre subsidiaire, il a sollicité l'annulation de la vente pour vileté du prix et plus subsidiairement il a conclu à la nullité de la procuration.

La société Europe finances créations a appelé en intervention forcée M. [S].

Par jugement du 26 mai 2020, le tribunal judiciaire de Paris a :
- déclaré irrecevable l'action en rescision pour lésion ;
- débouté M. [P] de sa demande d'expertise, de résolution de la vente et de nullité de la procuration ;
- débouté la société Europe finances créations de sa demande en condamnation de M. [P] à une amende civile ;
- condamné M. [P] à payer à la société Europe finances créations une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Pour statuer ainsi, le tribunal a d'abord retenu qu'il n'était pas établi que la société Europe finances créations avait connaissance de l'état de santé de [T] [Q] qui était atteinte d'une grave maladie au moment de la signature de l'acte, que si la rescision pour lésion de la vente est possible, elle n'est pas recevable dès lors que les estimations produites par M. [P], qui situent la valeur du bien dans une fourchette entre 1 150 000 euros et 1 250 000 euros, sont datées des mois de mars et novembre 2018 et non de l'époque de la vente ; qu'en outre ces estimations ne tiennent pas compte de la valeur du droit d'usage et d'habitation qui doit venir en déduction ; qu'enfin il résulte des pièces produites qu'en 2016 des biens de superficie équivalente situés dans le même quartier ont été vendus à un prix inférieur à ces estimations.

Il a ajouté que le prix de 500 000 euros ne peut être considéré comme un prix dérisoire.

Il a enfin retenu que pour demander l'annulation de la procuration en raison du dol et de la violence affectant le consentement de [T] [Q], M. [P] ne peut invoquer le comportement imputé à la société Europe finances créations qui est tiers à cet acte.

M. [P] a interjeté appel de ce jugement.

Sur la demande en rescision pour lésion, il fait valoir que [T] [Q] avait refusé en septembre 2016 de vendre son appartement au prix de 970 000 euros qu'elle jugeait insuffisant. Il soutient que des éléments rendent vraisemblable l'existence d'une lésion et qu'il convient d'ordonner une expertise en application des dispositions des articles 1678 et suivants du code civil. Il précise que le droit d'usage et d'habitation qui avait été consenti à [T] [Q] n'est pas de nature à modifier cette appréciation dès lors que lors de la conclusion de la vente, celle-ci, atteinte d'une très grave maladie, était en fin de vie puisque les traitements de cette maladie avaient été arrêtés deux mois plus tôt, que des soins palliatifs devaient commencer en décembre 2016 et qu'elle est décédée en [Date décès 1] 2017.

Sur l'action subsidiaire fondée sur la vileté du prix, M. [P] fait valoir que l'appartement a été vendu pour un prix de près de la moitié de sa valeur. Il soutient que la vente était dépourvue de tout aléa puisqu'au jour de sa conclusion l'issue rapide de la maladie dont était atteinte la venderesse était certaine, ce dont ne pouvait ignorer la société Europe finances créations compte tenu des circonstances dans lesquelles a été conclue la vente, le notaire s'étant déplacé au domicile de la venderesse pour recueillir la signature de son mandant alors qu'elle-même a signé l'acte le même jour en l'étude du notaire. Il ajoute que cette connaissance par la société Europe finances créations de l'espérance de vie très limitée de la venderesse résulte encore du fait que la réserve de droit d'usage et d'habitation n'a été évaluée dans l'acte qu'à 10 000 euros alors que, conformément aux dispositions de l'article 762 bis du code général des impôts, la valeur de ce droit à 60 % de celle de l'usufruit déterminée conformément à l'article 669 I aurait dû être d'au moins 90 000 euros pour un bénéficiaire âgé de 81 ans.

Enfin, sur la demande encore plus subsidiaire fondée sur l'existence d'un vice du consentement ou d'un défaut de consentement affectant la procuration donnée par [T] [Q] et, partant, de l'acte de vente M. [P] soutient que celle-ci a été trompée sur la valeur du bien du fait de sa vulnérabilité face à la maladie.

M. [P] conclut en conséquence à l'infirmation du jugement et demande à la cour :
- d'ordonner une expertise en application des articles 1678 et suivants du code civil ;
- à titre subsidiaire, de constater l'absence d'aléa et ordonner la résolution de la vente pour vileté du prix en application de l'article 1658 du code civil ;
- plus subsidiairement, de prononcer la nullité de la procuration pour vice du consentement ou, à défaut, pour absence de consentement de [T] [Q] ;
- condamner la société Europe finances créations à lui payer la somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

La société Europe finances créations, qui a formé un appel incident, conclut de son côté à l'irrecevabilité de la demande en rescision pour lésion et au rejet des autres demandes.

Elle sollicite en outre la condamnation de M. [P] au paiement d'une amende civile et à lui payer 10 000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et 20 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle soutient d'abord que la vente avec réserve d'un droit d'usage et d'habitation présente un caractère aléatoire en raison du caractère indéterminé des obligations de l'acquéreur qui dépendent de la durée de vie de la venderesse, toujours incertaine, et qu'ainsi l'action en rescision pour lésion n'est pas recevable. Elle ajoute qu'elle n'avait pas connaissance de l'imminence du décès de [T] [Q].

Elle fait enfin valoir que le prix de 500 000 euros ne peut être qualifié de vil.

SUR CE,

Sur la rescision pour lésion

Aux termes de l'article 1674 du code civil, si le vendeur a été lésé de plus de sept douzièmes dans le prix d'un immeuble, il a le droit de demander la rescision de la vente, quand même il aurait expressément renoncé dans le contrat à la faculté de demander cette rescision, et qu'il aurait déclaré donner la plus-value. Toutefois, le caractère aléatoire d'une vente immobilière s'oppose à ce qu'elle puisse faire l'objet d'une telle action.

Ainsi, le caractère aléatoire échappe à la vente si le montant, la durée et le coût des obligations sont déterminés ou si l'acquéreur avait connaissance de l'imminence du décès de la propriétaire.

Tel est le cas en l'espèce compte tenu de la réserve d'un droit d'usage et d'habitation dont bénéficiait [T] [Q], cette réserve privant l'acquéreur de la jouissance immédiate des biens vendus et lui imposant des obligations dont la durée, l'étendue et le coût, indépendamment de l'âge de la venderesse étaient indéterminés.

De plus, aucune preuve n'est rapportée par M. [P] de la connaissance par l'acquéreur de la maladie et de l'imminence du décès de la venderesse.

Si l'action en rescision pour lésion reste possible lorsque les circonstances donnent au juge le moyen de déterminer la valeur des obligations soumises à l'aléa, la lésion n'est admise que si ces faits sont vraisemblables et assez graves.

La cour constate que la vente a été consentie au prix de 500 000€, pour déterminer s'il y a lésion de plus de sept douzièmes, il faut estimer l'immeuble suivant son état et sa valeur au moment de la vente. La valeur du droit d'usage et d'habitation doit être prise en compte pour l'appréciation de l'existence de la lésion.

Or, force est de constater tout d'abord que si les estimations produites par M. [P] situent la valeur du bien dans une fourchette comprise entre 1 150 000 et 1 250 000 euros, ces estimations sont datées des mois de mars et novembre 2018 et non de l'époque de la vente. En outre, aucune estimation produite par le demandeur ne prend en compte la valeur du droit d'usage et d'habitation.

Les faits articulés n'étant pas assez vraisemblables et assez graves pour faire présumer la lésion, il y a lieu de confirmer le jugement en ce qu'il déboute M. [P] de sa demande d'expertise.

Sur la demande de résolution pour vileté du prix

Aux termes de l'article 1658 du code civil, indépendamment des causes de nullité ou de résolution déjà expliquées dans ce titre, et de celles qui sont communes à toutes les conventions, le contrat de vente peut être résolu par la vileté du prix.

Le prix vil est un prix dérisoire, tellement insignifiant qu'il équivaut à une absence de prix provoquant la nullité du contrat. Un prix de 500 000 euros n'est donc pas dérisoire.

Il convient de confirmer le jugement en ce qu'il rejette la demande de M. [P] pour vileté du prix.

Sur la nullité de la procuration pour vice de consentement

En application des articles 1137 et suivants du code civil, le dol est le fait pour un contractant d'obtenir le consentement de l'autre par des manœuvres ou des mensonges. Constitue également un dol la dissimulation intentionnelle par l'un des contractants d'une information dont il sait le caractère déterminant pour l'autre partie. Le dol est également constitué lorsqu'il émane d'un tiers de connivence.

M. [P] ne peut donc solliciter l'annulation de la procuration pour dol en raison du comportement imputé à un tiers à l'acte.

La cour confirme le jugement en ce qu'il déboute M. [P] de sa demande en nullité de la procuration et la demande subséquente de résolution de la vente.

Sur la demande reconventionnelle en paiement de dommages-intérêts pour procédure abusive
L'exercice d'une action en justice constitue un droit et ne dégénère en abus pouvant donner lieu à indemnisation que dans le cas de malice, mauvaise foi ou erreur grossière équipollente au dol. En l'espèce, la société Europe finances ne rapporte pas la preuve d'une telle faute et sera en conséquence déboutée de sa demande de dommages-intérêts.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant contradictoirement et par mise à disposition au greffe,

Confirme le jugement en toutes ses dispositions,

Déboute la société Europe finances créations de sa demande de condamnation à une amende civile et de dommages-intérêts ;

Condamne M. [C] [P] à payer à la société Europe finances créations la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne M. [C] [P] aux entiers dépens et accorde le bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile à maître Loïc Henriot.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : G1
Numéro d'arrêt : 20/086507
Date de la décision : 12/03/2021
Sens de l'arrêt : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.paris;arret;2021-03-12;20.086507 ?
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