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02/03/2021 | FRANCE | N°18/22221

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 4 - chambre 4, 02 mars 2021, 18/22221


Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 4



ARRÊT DU 02 MARS 2021



(n° , 10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/22221 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B6QZ6



Décision déférée à la Cour : Jugement du 05 octobre 2018 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 17/15255





APPELANTE



SA LE BELVEDERE prise en la personne de son Président du Co

nseil d'administration domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 2]

[Adresse 2]



représentée par Me Patricia HARDOUIN de la SELARL 2H Avocats à la cour, avocat postula...

Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 4

ARRÊT DU 02 MARS 2021

(n° , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/22221 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B6QZ6

Décision déférée à la Cour : Jugement du 05 octobre 2018 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 17/15255

APPELANTE

SA LE BELVEDERE prise en la personne de son Président du Conseil d'administration domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 2]

[Adresse 2]

représentée par Me Patricia HARDOUIN de la SELARL 2H Avocats à la cour, avocat postulant au barreau de PARIS, toque : L0056

Ayant pour avocat plaidant Me Ariel GOLDMANN, avocat au barreau de Paris, toque : A0266

INTIMES

Maître [P] [J]

Mandataire judiciaire ès qualités de commissaire à l'exécution du plan de la SCM Moray et associés,

[Adresse 3]

[Adresse 3]

représenté et ayant pour avocat plaidant Me Laurence KIFFER de la SARL LAURENCE KIFFER AVOCATE, avocat au barreau de PARIS, toque : J053

SCM MORAY ET ASSOCIES agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Adresse 1]

représentée par Me Anne GRAPPOTTE-BENETREAU, avocat postulant au barreau de PARIS, toque : K0111

Ayant pour avocat plaidant Me Pierre BALLADUR, avocat au barreau de Paris,

toque : E0476

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 02 février 2021, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant M. Michel CHALACHIN, Président de chambre, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

M. Michel CHALACHIN, président de chambre

Mme Marie MONGIN, conseillère

Mme Alexandra PÉLIER-TÉTREAU, conseillère

Greffier, lors des débats : Mme Cynthia GESTY

ARRÊT : contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par M. Michel CHALACHIN, Président de chambre et par Mme Cynthia GESTY, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

*****

EXPOSE DU LITIGE

Par acte sous seing privé du 6 novembre 2003, la société Le Belvédère a donné à bail à la SCM Moray & associés des locaux à usage de bureaux situés [Adresse 1] pour une durée de neuf ans ; par avenant du 6 février 2013, les parties ont convenu de renouveler le bail pour une durée de douze ans à compter du 1er janvier 2013.

A compter de l'année 2015, la bailleresse a fait délivrer à la locataire plusieurs commandements de payer successifs visant la clause résolutoire du bail (16 juin 2015, 16 février 2016, 24 février 2017 et 9 juin 2017).

Par jugement du 6 juillet 2017, la locataire a été placée en redressement judiciaire, Maître [J] étant désigné mandataire judiciaire.

Le 9 octobre 2017, un nouveau commandement de payer a été délivré à la locataire.

Par acte d'huissier du 6 novembre 2017, la SCM Moray & associés a fait assigner la société Le Belvédère devant le tribunal de grande instance de Paris en opposition au commandement de payer en soulevant la nullité du contrat de bail et de son avenant sur le fondement de l'article L.631-7 du code de la construction et de l'habitation.

Le 6 septembre 2018, le plan de redressement de la SCM Moray & associés a été accepté.

Par jugement du 5 octobre 2018, le tribunal de Paris a :

- déclaré régulière l'assignation en intervention forcée de Maître [J] ès qualités de mandataire judiciaire de la SCM et déclaré irrecevable son intervention volontaire,

- déclaré irrecevables les demandes de la SCM dirigées contre la SCI Le Belvédère et M. [L],

- déclaré irrecevable la demande de la société Le Belvédère tendant à voir écarter des débats les pièces 13 à 20 visées par la SCM dans ses conclusions,

- rejeté la fin de non-recevoir formée par la société Le Belvédère tirée de la prescription de l'action en nullité de la SCM,

- annulé le bail du 6 novembre 2003 et son avenant du 6 février 2013 conclus en violation de l'article L.631-7 du code de la construction et de l'habitation,

- déclaré nul le commandement de payer du 9 octobre 2017 et rejeté les demandes en acquisition de la clause résolutoire du bail et en résiliation judiciaire aux torts du preneur,

- condamné la société Le Belvédère au paiement de la somme de 205 214,22 euros avec intérêts au taux légal à compter du 6 novembre 2017 en restitution des sommes dues suite à l'annulation du bail, et ordonné la capitalisation des intérêts,

- condamné la SCM au paiement d'une indemnité d'occupation mensuelle de 8 340 euros du 1er juillet 2018 jusqu'à la libération effective des locaux,

- ordonné l'expulsion des occupants des locaux,

- rejeté les demandes de la SCM en paiement de dépenses de réinstallation et de dommages-intérêts,

- rejeté la demande de la société Le Belvédère en paiement de dommages-intérêts,

- condamné la société Le Belvédère aux dépens,

- condamné la société Le Belvédère à payer la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonné l'exécution provisoire du jugement,

- rejeté toute demande plus ample ou contraire.

Par déclaration reçue au greffe de la cour le 12 octobre 2018, la société Le Belvédère a interjeté appel de cette décision.

Le 28 décembre 2018, la SCM Moray & associés a fait l'objet d'une transmission universelle de son patrimoine au profit de la SARL M&A Partners ; celle-ci a quitté les locaux litigieux le 12 août 2019.

Par dernières conclusions notifiées le 8 juin 2020, l'appelante demande à la cour de :

- in limine litis, constater que la SARL M&A Partners ne justifie aucunement venir aux droits de la SCM Moray & associés, en conséquence la dire irrecevable pour défaut d'intérêt et de qualité à agir et dire son action et ses demandes irrecevables et à tout le moins mal fondées,

- à titre principal, infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription, annulé le bail et son avenant, déclaré nul le commandement de payer du 9 octobre 2017, rejeté ses demandes en acquisition de la clause résolutoire et en prononcé de la résiliation judiciaire du bail et condamné l'appelante au paiement de la somme de 205 214,22 euros, et confirmer le jugement pour le surplus,

- statuant à nouveau, déclarer ses demandes recevables en cause d'appel, dire l'action prescrite, dire irrecevables les demandes nouvelles de la société M&A Partners (notamment celles concernant les dommages-intérêts pour un montant total de 31 162 euros), débouter l'intimée de toutes ses demandes, constater l'acquisition de la clause résolutoire aux torts exclusifs de la locataire, ordonner l'expulsion des occupants des locaux, condamner l'intimée au paiement de la somme de 137 426 euros à titre provisionnel, sauf à parfaire, correspondant à l'arriéré locatif échu depuis le 6 juillet 2017, date du redressement judiciaire, jusqu'au mois de juin 2018 terme inclus, fixer l'indemnité d'occupation à 9 798 euros mensuels à compter du 1er juillet 2018 jusqu'au 29 août 2019, date de libération des lieux, soit une somme totale de 127 374 euros au titre de l'indemnité d'occupation post jugement et dire que la prescription quinquennale a vocation à s'appliquer,

- à titre subsidiaire, en cas d'annulation des baux, fixer l'indemnité d'occupation due par la société M&A Partners à la somme de 2 174 741,20 euros, charges et taxes incluses, ordonner la compensation entre les sommes dues par les parties, condamner l'intimée au paiement de la somme de 303 911,20 euros avec intérêts à compter de la signification des conclusions, la condamner en outre au paiement de la somme supplémentaire de 50 000 euros en remboursement des avantages consentis dans l'avenant du 6 février 2013,

- en toute hypothèse, fixer à la somme de 9 798 euros mensuels le montant de l'indemnité d'occupation due à compter du 1er juillet 2018 jusqu'à parfaite libération des lieux et condamner l'intimée au paiement de la somme de 127 374 euros, la condamner en outre au paiement de la somme supplémentaire de 50 000 euros en remboursement des avantages consentis dans l'avenant du 6 février 2013, débouter l'intimée de toutes ses demandes, débouter Maître [J] de toutes ses demandes, condamner l'intimée au paiement de la somme de 150 000 euros à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive, la condamner au paiement de la somme de 20 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens, et condamner Maïtre [J] au paiement de la somme de 20 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Par dernières conclusions notifiées le 23 juin 2020, la SARL M&A Partners venant aux droits de la SCM Moray & associés, demande à la cour de :

- la recevoir en son appel incident et le dire bien fondé,

- la recevoir en son opposition au commandement de payer du 9 octobre 2017,

- prononcer l'irrecevabilité de toutes les demandes nouvelles de l'appelante en cause d'appel en ce qui concerne la fixation d'une quelconque indemnité d'occupation pour n'avoir pas été présentées en première instance,

- confirmer le jugement en ce qu'il a prononcé l'annulation du bail, de son avenant, de tous les actes pris sur leur fondement, a condamné l'appelante au paiement de la somme de

1 857 113 euros au titre des loyers commerciaux indûment versés et de celle de 26 875 euros au titre du dépôt de garantie, a ordonné la compensation entre ces sommes et l'indemnité d'occupation, en ce qu'il a rejeté les demandes d'acquisition de la clause résolutoire et de résiliation du bail,

- infirmer le jugement en ce qu'il se prononce ultra petita sur le montant de l'indemnité d'occupation proposée par elle-même par référence aux évaluations de l'OLAP et qui fixe celle-ci à un montant supérieur, en l'absence de toute demande de ce chef de l'appelante, et qui rejette ses demandes de dommages-intérêts,

- statuant à nouveau sur le montant de l'indemnité d'occupation, retenir comme satisfactoire son offre d'indemnité de 3 750 euros par mois jusqu'à son départ des lieux le 12 août 2019 dans le délai de prescription quinquennale et fixer celle-ci à la somme totale de 225 000 euros, sans majorer celle-ci de la TVA,

- statuant à nouveau sur le montant de la condamnation de la société Le Belvédère, la condamner au remboursement des loyers commerciaux à hauteur de 1 857 113 euros et du dépôt de garantie à hauteur de 26 875 euros, au remboursement de l'indemnité d'occupation réglée au coût retenu par le jugement pour la période du 1er juillet 2018 au 12 août 2019 pour un montant de 61 446 euros correspondant à la somme globale de 1 945 434 euros, la condamner au paiement des intérêts sur la somme de 1 883 988 euros à compter de la demande introduite par conclusions du 12 janvier 2018, ordonner la capitalisation des intérêts, la condamner au paiement des intérêts sur la somme de 61 446 euros à compter de la demande introduite par ses conclusions en appel et ordonner la capitalisation des intérêts,

- statuant à nouveau sur les montants de la compensation, ordonner la compensation entre les deux créances de 1 945 434 euros et 225 000 euros,

- infirmer le jugement sur la non-condamnation de l'appelante au paiement de dommages-intérêts et, statuant à nouveau, condamner celle-ci au paiement des sommes de 35 880 euros au titre des honoraires de commercialisation, 50 000 euros au titre du trouble professionnel, 70 000 euros au titre de l'absence de droit au bail, et 50 000 euros pour refus d'exécuter le jugement, le tout avec intérêts à compter de la demande formulée par conclusions du 12 janvier 2018 et capitalisation des intérêts,

- débouter l'appelante de toutes ses demandes fondées sur l'application du bail et de son avenant,

- la condamner au paiement d'une somme de 25 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, celle de 2 167 euros au titre des frais d'actes d'huissier, ainsi qu'aux dépens,

- ordonner communication de l'arrêt au Procureur de la République en charge des poursuites relatives à la protection des habitations.

Par dernières conclusions notifiées le 2 juin 2020, Maître [J], ès qualités de commissaire à l'exécution du plan de la SCM Moray & associés, reprend à son compte les conclusions de cette dernière et sollicite en outre le paiement de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre celle de 2 226 euros au titre des frais d'actes d'huissier.

Il est fait référence aux écritures ainsi déposées de part et d'autre pour un plus ample exposé des moyens proposés par les parties au soutien de leurs prétentions.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 30 juin 2020.

MOTIFS

Sur la qualité et l'intérêt à agir de la société M&A Partners

La société Le Belvédère soutient que la société M&A Partners n'a aucun droit à agir car elle n'avait pas à utiliser l'adresse des lieux loués comme siège social et qu'elle n'était pas partie au bail litigieux.

Mais l'appelante reconnaît que le bail objet du présent litige était un bail commercial ; or, aux termes de l'article L.145-16 du code de commerce, en cas de transmission universelle de patrimoine, la société bénéficiaire de cette transmission est substituée à celle au profit de laquelle le bail était consenti dans tous les droits et obligations découlant de ce bail.

Ainsi, la société M&A Partners, qui a bénéficié de la transmission universelle du patrimoine de la SCM Moray & associés, est substituée à celle-ci dans les droits et obligations découlant du bail litigieux.

La société M&A Partners a donc à la fois qualité et intérêt à agir sur le fondement de ce bail.

Sur la recevabilité des demandes de la société Le Belvédère

L'intimée soulève l'irrecevabilité en cause d'appel de la demande subsidiaire formée par l'appelante aux fins d'obtenir le paiement d'une indemnité d'occupation en cas de nullité du bail, une telle demande n'ayant pas été formulée devant le tribunal.

Mais, aux termes de l'article 565 du code de procédure civile, les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge même si leur fondement juridique est différent ; or, en l'occurrence, il ressort du jugement entrepris que la bailleresse avait demandé au premier juge le paiement d'une 'indemnité d'occupation provisionnelle au taux du dernier loyer contractuel, soit 12 180 euros TTC par mois', soit une somme de 137 426 euros arrêtée au mois de juin 2018, sur le fondement de l'acquisition de la clause résolutoire du bail ou de la résiliation judiciaire de celui-ci, voire même ' en raison de la disparition de l'obligation de la locataire de payer un loyer contractuel en contrepartie de l'occupation des lieux' ; la demande en paiement d'une indemnité d'occupation avait donc été formulée devant le premier juge, peu important le fondement juridique alors invoqué par la bailleresse.

De plus, l'intimée avait elle-même formulé devant le premier juge une offre de paiement d'une 'indemnité d'usage pour un local d'habitation de 3 750 euros par mois, soit 45 000 euros par an, jusqu'à son départ des lieux dans le délai de la prescription quinquennale' et avait proposé au tribunal d'ordonner la compensation entre cette indemnité et les sommes dues par la bailleresse.

Cette demande subsidiaire est donc recevable devant la cour.

Sur la recevabilité des demandes de la société M&A Partners

L'appelante soulève l'irrecevabilité en cause d'appel de la demande en remboursement du dépôt de garantie et de celle en paiement de dommages-intérêts pour fraude.

Mais la question du dépôt de garantie n'est pas nouvelle puisque, dans son jugement, le tribunal a indiqué que 'l'annulation du bail entraînait aussi obligation pour le bailleur de restituer au preneur le dépôt de garantie versé par ce dernier lors de l'entrée dans les lieux et actualisé le 8 février 2004 d'un montant total de 26 875 euros selon les pièces versées aux débats' ; le tribunal a donc statué sur ce point en se basant sur la demande formée par la locataire et les pièces produites par celle-ci.

De plus, la locataire avait formé devant le tribunal plusieurs demandes indemnitaires, et peut donc en ajouter une devant la cour, même si son fondement juridique est différent de celles qui avaient été soumises à l'appréciation du premier juge.

Sur la prescription

L'appelante invoque la prescription de la demande en nullité du bail, lequel était soumis à la prescription biennale de l'article L.145-60 du code de commerce.

Mais cette demande de nullité avait été formée en première instance par la locataire dans le cadre d'une opposition à un commandement de payer visant la clause résolutoire ; il s'agissait donc d'une défense au fond qui pouvait être proposée en tout état de cause, conformément aux dispositions des articles 71 et 72 du code de procédure civile.

Le jugement doit donc être confirmé en ce qu'il a écarté l'argument de la prescription de la demande de nullité du bail.

Sur la demande de nullité du bail et des actes subséquents

Le tribunal a à juste titre rappelé les dispositions d'ordre public de l'article L.631-7 du code de la construction et de l'habitation dans sa version en vigueur à la date du bail, aux termes desquelles, à Paris, les locaux à usage d'habitation ne peuvent être affectés à un usage autre que l'habitation sans autorisation administrative préalable.

En l'espèce, l'acte d'achat du bien litigieux par la société Le Belvédère, en date du 19 septembre 1961, indiquait que le lot vendu était affecté pour partie à l'habitation et pour partie à un usage professionnel, et rappelait à l'acquéreur que l'article 76 de la loi du 1er septembre 1948 lui interdisait la transformation de locaux d'habitation ou à usage professionnel en locaux commerciaux ou industriels.

La déclaration foncière dénommée H2 pour la révision foncière faite le 12 septembre 1970 par la société Le Belvédère, qui était destinée à réviser les évaluations servant de base aux impôts directs des locaux d'habitation et à usage professionnel, mentionnait que les locaux étaient pour partie occupés par un laboratoire d'analyses médicales et pour le surplus à usage d'habitation ; dans ses conclusions, l'appelante déclare que le laboratoire occupait la partie à usage de bureaux depuis 1961.

Le 8 novembre 2017, la Mairie de [Localité 4] a attesté qu'aucune autorisation subordonnée à une compensation n'avait été délivrée pour ces locaux depuis 1970 et que ceux-ci n'avaient pas été proposés en compensation dans le cadre d'une opération de changement d'usage depuis 1970.

Il ressort de ces éléments que, au 1er janvier 1970, les locaux étaient pour partie à usage d'habitation et que, depuis cette date, aucune autorisation administrative n'a été délivrée pour transformer l'ensemble de ce bien en bureaux

Il importe peu que la partie réservée à l'habitation ait été minoritaire, l'importance respective des surfaces consacrées à l'usage d'habitation et de celles consacrées à l'usage professionnel étant indifférente dans l'appréciation des conditions d'application de l'article L.631-7 du code de la construction et de l'habitation.

De plus, il importe peu que la locataire ait été un professionnel du droit, dès lors qu'il n'est pas démontré qu'elle avait connaissance, au moment de la conclusion du bail, du caractère mixte des locaux.

Enfin, il importe peu que les autorités administratives ne se soient pas manifestées pour contester la transformation de la totalité des locaux en bureaux, dès lors que les dispositions de l'article L.631-7 sont d'ordre public et peuvent être invoquées par toute personne qui y a intérêt.

C'est donc à bon droit que le tribunal a dit que ces locaux ne pouvaient faire l'objet d'un bail commercial sans qu'une autorisation administrative préalable ait été délivrée et a déclaré nuls le bail conclu le 6 novembre 2003 et son avenant du 6 février 2013, ainsi que les commandements de payer visant la clause résolutoire délivrés à la locataire, notamment celui du 9 octobre 2017 qui servait de fondement aux demandes formées par la bailleresse.

Le jugement sera confirmé sur ce point.

Sur les conséquences de la nullité du bail et de son avenant

Le tribunal a à juste titre rappelé la règle selon laquelle la nullité du contrat entraîne son effacement rétroactif et a pour effet de remettre les parties dans l'état où elles se trouvaient avant la conclusion de l'acte.

Il en a logiquement déduit que la bailleresse devait restituer à la locataire l'intégralité des loyers et charges réglés par celle-ci depuis son entrée dans les lieux, sans que la prescription quinquennale ne puisse être appliquée puisque cette restitution ne relevait pas de la répétition de l'indu mais des règles de la nullité.

Sur ce point, l'intimée actualise sa demande à la somme de 1 857 113 euros au titre des loyers et charges réglés jusqu'à son départ des lieux, somme dont elle justifie par ses pièces n°27/1 à 27/177 ; l'appelante, qui ne conteste pas le calcul opéré par la locataire dans ses conclusions et ne fournit pas son propre décompte pour s'opposer à la demande, doit être condamnée au paiement de cette somme.

De même, elle devra rembourser à l'intimée la somme de 26 875 euros correspondant au dépôt de garantie.

De son côté, l'intimée devra rembourser à la bailleresse la somme de 50 000 euros correspondant aux avantages consentis par celle-ci dans l'avenant du 6 février 2013.

L'intimée est également redevable d'indemnités d'occupation pour avoir eu la jouissance des locaux jusqu'à son départ en août 2019.

Le jugement doit être infirmé en ce qu'il a calculé le montant de l'indemnité d'occupation à compter de l'entrée de la locataire dans les lieux, alors que cette indemnité était soumise à la prescription quinquennale de l'article 2277 ancien du code civil ; en outre, cette prescription ne pouvait courir avant le prononcé de la nullité du bail par le tribunal ; les indemnités dues par l'intimée doivent donc être calculées sur les cinq années ayant précédé le jugement entrepris, soit depuis le 5 octobre 2013.

Pour la fixation du montant de l'indemnité d'occupation, l'appelante propose à la cour de se baser sur le rapport de l'expert qu'elle a mandaté, M. [F], lequel a évalué l'indemnité à la somme mensuelle de 9 798 euros en se basant sur l'estimation de locaux à usage mixte professionnel et d'habitation situés dans le quartier du bien litigieux.

Mais le montant de cette indemnité ne peut être fixé qu'en se référant à des loyers d'habitation dans la mesure où la locataire n'étant pas censée exercer une activité professionnelle au sein des lieux loués, puisque sa bailleresse n'avait pas été autorisée à transformer les lieux en locaux à usage de bureaux.

Au vu des références de l'observatoire des loyers de l'agglomération parisienne produites par l'intimée, la fourchette des loyers annuels pratiqués dans le quartier en 2013 (point de départ de l'indemnité), pour un appartement de huit pièces de 250 m², allait de 38 333 euros à 60 737 euros ; compte tenu de l'adresse prestigieuse et du standing de l'immeuble en question, il apparaît raisonnable de fixer l'indemnité, en tenant compte du haut de la fourchette, à la somme annuelle de 60 000 euros, soit à la somme de 5 000 euros par mois.

Ainsi, sur la période de cinq ans ayant précédé l'annulation du bail, le montant total de l'indemnité d'occupation s'est élevé à 5 000 x 12 x 5 = 300 000 euros.

Entre le jugement entrepris (5 octobre 2018) et le départ de la locataire (12 août 2019) se sont écoulés dix mois et sept jours, ce qui représente une indemnité de (5 000 x 10) + 1 129,03 = 51 129,03 euros.

Après compensation entre les sommes dues par les parties, la somme due par l'appelante s'élève à : 1 883 988 - 50 000 - 300 000 - 51 129,03 = 1 482 858,97 euros.

Les intérêts au taux légal doivent courir sur cette somme à compter du présent arrêt, les conclusions de l'intimée ne valant pas mise en demeure.

Ces intérêts seront capitalisés conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil.

Sur les demandes indemnitaires formées par la société M&A Partners

A titre liminaire, il convient de répondre à l'argument de l'appelante selon lequel l'intimée ne peut solliciter des indemnités en se prévalant de sa propre turpitude.

Sur ce point, la cour rappelle que la bailleresse ne démontre pas que sa locataire avait eu connaissance du caractère mixte des locaux donnés à bail avant la signature du bail, ni même celle de l'avenant de 2013 ; à ce sujet, l'intimée explique que le caractère illicite du bail lui a été révélé lors de discussions préparatoires à l'adoption de son plan de continuation menées avec l'une de ses sous-locataires, une société d'expertise comptable, en vue de la reprise du droit au bail, soit en juillet 2017 ; quoiqu'il en soit, pour pouvoir invoquer la turpitude de sa locataire, l'appelante aurait dû prouver que celle-ci savait, dès la conclusion du bail, que celui-ci était illicite ; cette preuve n'étant pas rapportée, l'intimée est parfaitement en droit de solliciter des indemnités consécutives à l'annulation du bail.

La société M&A Partners demande le remboursement des honoraires de négociation et de commercialisation qu'elle a dû régler à l'agence immobilière Flabeau à hauteur de la somme de 35 880 euros lors de la conclusion du bail ; le tribunal a rejeté cette demande au motif que la preuve de l'existence d'un lien contractuel entre la bailleresse et l'agence n'était pas rapportée ; pourtant, la commercialisation des locaux loués avait été commandée par la société Le Belvédère à l'agence Flabeau, laquelle avait donc reçu un mandat de sa part à cette fin ; les frais mis à la charge de la locataire doivent donc être remboursés à celle-ci, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt et capitalisation des intérêts.

L'intimée invoque ensuite un préjudice professionnel lié à la nécessité de rechercher de nouveaux locaux pour exercer sa profession d'avocat, alors que ses clients la connaissaient à l'adresse de l'avenue Victor Hugo, quartier réputé pour les cabinets d'avocats ; mais elle ne démontre pas que son départ ait été motivé par le caractère illicite du bail, dans la mesure où le protocole d'accord conclu avec sa sous-locataire le 15 juillet 2017 révèle que la cession du droit au bail qu'elle avait négociée avait pour but de lui permettre de régler son arriéré de loyers tout en se maintenant dans les lieux ; elle reconnaît elle-même dans ses conclusions que la cession du droit au bail avait été négociée en vue de permettre l'adoption de son plan de continuation ; le protocole avait été conclu sous la condition suspensive d'obtenir une autorisation administrative d'usage des locaux à des fins professionnelles ; or, plutôt que d'effectuer des démarches en ce sens ou de demander à la bailleresse de régulariser cette situation, elle a préféré agir en annulation du bail sur le fondement de l'article L.631-7 du code de la construction et de l'habitation ; son départ des lieux est donc dû à son propre choix procédural, alors qu'elle aurait pu tenter de faire régulariser la situation avec sa bailleresse afin de faire aboutir le projet de cession du droit au bail ; dans ces conditions, le jugement doit être confirmé en ce qu'il l'a déboutée de ce chef de demande.

Pour la même raison que celle qui vient d'être exposée, la société M&A Partners doit être déboutée de sa demande liée à l'absence de droit au bail, puisque son départ anticipé est dû à son propre choix procédural et non à la faute commise par la bailleresse ; sa demande sur ce point doit donc être rejetée.

Enfin, l'intimée doit être déboutée de sa demande indemnitaire pour 'fraude manifeste et récurrente' de la bailleresse qui a refusé d'exécuter le jugement, aucune explication n'étant fournie quant au préjudice que lui aurait causé l'attitude de l'appelante.

Sur les demandes accessoires

L'appelante, qui succombe en ses demandes, doit être déboutée de sa demande indemnitaire pour résistance abusive, de celles fondées sur l'article 700 du code de procédure civile, et doit être condamnée aux dépens de la procédure d'appel, lesquels comprendront les frais d'actes d'huissier.

L'équité commande d'allouer à la société M&A Partners la somme supplémentaire de 8 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et à Maître [J] ès qualités la somme de 2 000 euros sur le même fondement.

PAR CES MOTIFS :

La cour,

Déclare la société M&A Partners recevable en toutes ses demandes,

Déclare la société Le Belvédère recevable en toutes ses demandes,

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, sauf en ce qui concerne le montant des condamnations pécuniaires et le rejet de la demande en paiement des honoraires de commercialisation et de négociation,

Statuant à nouveau sur ces points :

Condamne la société Le Belvédère à payer à la société M&A Partners la somme de 1 482 858,97 euros suite à l'annulation du bail litigieux et de son avenant, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt et capitalisation des intérêts,

Condamne la société Le Belvédère à payer à la société M&A Partners la somme de 35 880 euros au titre des honoraires de commercialisation et de négociation, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt et capitalisation des intérêts,

Y ajoutant :

Déboute la société Le Belvédère de toutes ses demandes formées devant la cour,

Déboute la société M&A Partners de ses demandes plus amples ou contraires,

Condamne la société Le Belvédère à payer à la société M&A Partners la somme supplémentaire de 8 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,et à Maître [J], ès qualités de commissaire à l'exécution du plan de la SCM Moray & associés, la somme de 2 000 euros sur le même fondement,

Condamne la société Le Belvédère aux dépens d'appel, lesquels seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile, et qui comprendront les frais d'actes d'huissier.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 4 - chambre 4
Numéro d'arrêt : 18/22221
Date de la décision : 02/03/2021

Références :

Cour d'appel de Paris G4, arrêt n°18/22221 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2021-03-02;18.22221 ?
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