Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 7
ARRÊT DU 16 FÉVRIER 2021
(no 11, 24 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : RG 20/01342 - No Portalis 35L7-V-B7E-CBJ7D
Décision déférée à la Cour : Décision no SAN-2019-15 de l'Autorité des marchés financiers en date du 19 novembre 2019
REQUÉRANTES :
SOCIÉTÉ NOVAXIA DEVELOPPEMENT S.A.S.
prise en la personne de son Président
immatriculée au RCS de Paris sous le no 491 385 613
ayant son siège social [Adresse 1]
SOCIÉTÉ NOVAXIA GESTION S.A.R.L.
prise en la personne de son gérant
immatriculée au RCS de Paris sous le no 520 656 570
ayant son siège social [Adresse 1]
SOCIÉTÉ NOVAXIA S.A.S.
prise en la personne de son Président
immatriculée au RCS de Paris sous le no 495 081 051
ayant son siège social [Adresse 1]
Élisant toutes domicile au cabinet de l'AARPI GIDE LOYRETTE NOUEL
[Adresse 2]
[Adresse 3]
Représentées par Me Harold HERMAN, avocat au barreau de PARIS, toque : T03
Assistées de Me Jean-philippe PONS-HENRY du cabinet de l'AARPI GIDE LOYRETTE NOUEL, avocat au barreau de PARIS, toque : T 03
EN PRÉSENCE DE :
L'AUTORITÉ DES MARCHÉS FINANCIERS
prise en la personne de son président en exercice
[Adresse 4]
[Adresse 5]
Représentée par Mme [R] [I], dûment mandatée
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 17 décembre 2020, en audience publique, devant la cour composée de :
– Mme Brigitte BRUN-LALLEMAND, présidente de chambre, présidente,
– Mme Agnès MAITREPIERRE, présidente de chambre,
– Mme Frédérique SCHMIDT, présidente de chambre,
qui en ont délibéré.
GREFFIER, lors des débats : Mme Véronique COUVET
MINISTÈRE PUBLIC : auquel l'affaire a été communiquée et représenté lors des débats par Mme Madeleine GUIDONI, avocat général
ARRÊT :
– contradictoire
– rendu par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
– signé par Mme Brigitte BRUN-LALLEMAND, présidente de chambre et par Mme Véronique COUVET, greffière à qui la minute du présent arrêt a été rendue par le magistrat signataire.
* * * * * * * *
Vu la décision no15 du 19 novembre 2019 de la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers ;
Vu la déclaration de recours contre cette décision déposée au greffe de la cour d'appel le 24 janvier 2020 par les sociétés Novaxia, Novaxia Développement et Novaxia Gestion ;
Vu l'exposé complet des moyens déposé par ces sociétés au greffe de la cour d'appel le 7 février 2020 ;
Vu les observations en réponse déposées par l'Autorité des marchés financiers au greffe de la cour d'appel le 7 octobre 2020 ;
Vu les observations en réplique des sociétés Novaxia, Novaxia Développement et Novaxia Gestion déposées au greffe de la cour d'appel le 3 décembre 2020 ;
Vu les observations en duplique de l'Autorité des marchés financiers déposées au greffe de la cour le 14 décembre 2020 ;
Après avoir entendu à l'audience publique du 17 décembre 2020 en leurs observations orales le conseil des sociétés Novaxia, Novaxia Développement et Novaxia Gestion, qui a été mis en mesure de répliquer, la représentante de l'Autorité des marchés financiers ainsi que le ministère public.
*
* *
SOMMAIRE
FAITS ET PROCÉDURE4
Le groupe Novaxia4
La mission de contrôle5
Les griefs notifiés7
La décision attaquée8
Les recours entrepris8
MOTIVATION9
I. SUR LA RECEVABILITÉ DES OBSERVATIONS DE L'AMF9
II. SUR LA DEMANDE DE TRANSMISSION D'UNE QPC ET DE SURSIS À STATUER10
III. SUR LE MANQUEMENT D'ENTRAVE11
A. Sur le caractère nécessaire de la demande de communication de pièces11
B. Sur le refus des entités Novaxia13
IV. SUR LA MÉCONNAISSANCE DES DROITS ET LIBERTÉS PROTÉGÉS PAR LA CONVENTION DE SAUVEGARDE DES DROITS DE L'HOMME ET DES LIBERTÉS FONDAMENTALES15
A. Sur la violation du principe de la légalité des délits et des peines garanti à l'article 7 de la CSDH15
B. Sur la violation du droit à un procès équitable garanti par l'article 6 CSDH et à l'exigence de loyauté du contrôle17
C. Sur la violation du droit au respect de la vie privée garanti à l'article 8 de la CSDH19
III. SUR LA SANCTION21
A. Sur les sanctions pécuniaires21
B. Sur la publication22
*
* *
FAITS ET PROCÉDURE
1.Par la décision susvisée, la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers a notamment prononcé une sanction pécuniaire à l'encontre des sociétés Novaxia Développement, Novaxia Gestion et Novaxia pour avoir entravé le bon déroulement des opérations de contrôle de la société Novaxia Investissement (anciennement dénommée Novaxia Asset Management, ci-après « Novaxia AM »).
Le groupe Novaxia
2.Les auteures du recours présentent le groupe Novaxia, créé en 2006, comme un acteur majeur du capital-développement immobilier, activité qui consiste à investir dans la transformation immobilière : Novaxia acquiert des actifs immobiliers obsolètes (friches ou bâtiment en mauvais état) pour les transformer en appartements, résidences étudiantes ou hôtels, lesquels actifs sont soit revendus à des professionnels, soit gérés par Novaxia. Pour financer ces opérations de transformations immobilières, Novaxia lève des fonds auprès de particuliers ou d'institutionnels.
3.À la suite de la transposition en droit interne de la directive no 2011/61/UE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2011 sur les gestionnaires des fonds d'investissement alternatifs, directive dite « AIFM », par l'ordonnance no 2013-676 du 25 juillet 2013, une partie de l'activité du groupe Novaxia est entrée dans le champ de la réglementation financière, s'agissant d'une activité désormais qualifiée de gestion de « fonds d'investissement alternatif » (ci-après « FIA» ).
4.La société Novaxia AM a été créée pour poursuivre cette activité de FIA et été agréée à cette fin par l'AMF le 8 juillet 2014.
5.Au 31 décembre 2017, la société Novaxia AM gérait 10 fonds dont 3 fonds communs de placement dans l'innovation (ci-après « FCPI »), des sociétés en commandite par actions (ci-après, « SCA ») ou des offres liées regroupant plusieurs SCA pour un encours total de près de 205 685 804 euros.
6.Entre 2014 et 2017, la société Novaxia AM a réalisé pour le compte des fonds 21 opérations d'achat de biens immobiliers concernant 19 immeubles (3 opérations étant relatives à un immeuble situé avenue Reille à Paris) pour un montant global de 163 millions d'euros.
7.Jusqu'en mai 2019, la société Novaxia AM était intégralement détenue par son président, M. [D] [W], par l'intermédiaire de la société holding Novaxia Finance.
8.M. [W] détenait également, directement et indirectement par l'intermédiaire de la société Novaxia Finance, la société Novaxia SARL dont il était également le gérant, société qui avait pour objet la recherche foncière, la réalisation et la commercialisation de projets immobiliers.
9.Cette société Novaxia SARL, détenait quant à elle la société Novaxia Gestion, société de gestion qui gérait notamment les offres liées. La société Novaxia Gestion était également l'associé commandité de toutes les SCA gérées par la société Novaxia AM.
[D] [W]
100 %
NOVAXIA FINANCE (Novaxia)
99,9%100%
NOVAXIA SARL
NOVAXIA AM
100%
NOVAXIA GESTION
10.Dans ses observations écrites, l'Autorité des marchés financiers (ci-après « l'AMF »), non contredite sur ce point, expose que tous les fonds et produits du groupe Novaxia proposés au public étaient gérés par Novaxia AM, les actifs détenus en compte propre l'étaient par l'intermédiaire des autres sociétés Novaxia.
11.En 2019, la composition du groupe Novaxia a sensiblement évolué et :
– Novaxia AM est devenue Novaxia Investissement ;
– Novaxia SARL est devenue Novaxia Développement SAS ;
– Novaxia Finance, qui était une SARL est devenue Novaxia SAS.
12.Les sociétés Novaxia Gestion, Novaxia Développement et Novaxia SAS seront ci-après désignées ensemble les « entités Novaxia ».
La mission de contrôle
13.Le 11 mai 2017, le secrétaire général de l'AMF a décidé de procéder au contrôle du respect par la société Novaxia AM de ses obligations professionnelles. Il a désigné le chef de mission et les contrôleurs en charge de cette mission de contrôle.
14.Par trois courriels séparés du 6 juillet 2017, le chef de mission a adressé à M. [W], en sa qualité de dirigeant de chacune des entités Novaxia, une demande de renseignements et de communication de pièces au visa de l'article L.621-10 du code monétaire et financier, portant sur leurs activités détaillées, les co-investissements, transactions, relations d'affaires entre elles ou leur filiale et Novaxia AM, leurs comptes sociaux et leurs grands-livres pour les années 2014 à 2016.
15.Dans sa réponse adressée le 10 juillet 2017, M. [W] a interrogé le chef de mission sur les pouvoirs des contrôleurs de l'AMF de lui demander des documents confidentiels concernant des sociétés qui ne sont pas régulées par cette autorité, de la manière suivante :
« – Pourquoi considérez-vous que l'ordre de mission qui vise Novaxia Asset Management vous permet de requérir des informations confidentielles sur chacune de ces trois sociétés, alors qu'elles ne sont pas des établissements financiers ?
– L'article 621-10 que vous citez ne fait pas de lien entre votre pouvoir d'enquêteur et les sociétés qui ne sont pas placées sous le contrôle de l'AMF. Les trois sociétés que vous citez n'étant pas placées sous l'autorité de l'AMF, comment justifiez-vous vos demandes ?
– Certains documents que vous demandez (description des activités de Novaxia SARL, Novaxia Gestion et Novaxia Finance, les différentes listes) n'existent pas en tant que tels dans ces sociétés puisque celles-ci ne sont pas des établissements financiers régulés. Dois-je comprendre que vo[u]s demandes visent à me faire rédiger des documents qui n'existent pas formellement, qui ne sont pas requis réglementairement pour ces sociétés et dont la communication s'effectue hors du cadre de votre contrôle sur Novaxia Asset Management ?
– Le document que vous m'avez transmis rappelle les obligations de Novaxia AM en cas de contrôle et notamment l'impossibilité d'opposer le secret professionnel de Novaxia Asset Management en cas de contrôle. Mais, comment pourrais-[je] justifier la communication d'information confidentielles sur ces trois sociétés alors que l'ordre de mission ne concerne que Novaxia Asset Management ? N'y-a-t-il pas un risque que j'enfrei[n]gne le secret professionnel de ses trois sociétés puisque la charte communiquée ne vise pas les sociétés non régulées par l'AMF ?
– Concernant plus largement l'ensemble des information relatives à ces trois sociétés, pourriez-vous également m'éclairer sur la manière dont je pourrais vous transmettre ces informations de manière confidentielle vis-à-vis de Novaxia Asset management et de ces collaborateurs ? (..)
– Enfin, vous disposez déjà de certaines informations (co-investissement, transactions, relations d'affaires) demandées via les informations que vous avez obtenues sur Novaxia Asset Management. Sauf à considérer que l'ordre de mission vise Novaxia SARL, Novaxia Gestion et Novaxia Finance, pourquoi réclamer des informations dont vous disposez par ailleurs ? ».
16.Le 12 juillet 2017, le chef de mission de l'AMF a répondu en indiquant :
« Les trois demandes que vous avez reçues ne sont pas adressées à Novaxia AM mais à Novaxia SARL, Novaxia Gestion et Novaxia Finance et c'est en votre qualité de dirigeant de chacune de ces trois structures que nous vous les avons envoyées.
Ces demandes s'inscrivent dans le cadre de l'article L.621-10 du code monétaire et financier. La charte du contrôle que nous vous avons remise au début de la mission précise au sujet de cet article que : « Les contrôleurs peuvent exercer leur droit de communication à l'égard de toutes personnes susceptibles de leur fournir des informations (…) . (point 2.5 page 16).
Par ailleurs, nous vous rappelons que selon les termes de l'article L.621-9-3, "Dans le cadre des contrôles […], le secret professionnel ne peut être opposé à l'Autorité des marchés financiers […] sauf par les auxiliaires de justice".
Vous pouvez nous transmettre les informations demandées par courriel. Si vous l'estimez nécessaire, nous pouvons également vous ouvrir un accès au système Sesterce qui permet l'envoi sécurisé d'un gros volume de documents ».
17.Par un courriel du 27 juillet 2017, M. [W] a indiqué au chef de mission :
« Nous maintenons notre analyse selon laquelle votre Ordre de mission vise Novaxia Asset Management et ne concerne pas les sociétés Novaxia Gestion, Novaxia Finance et Novaxia SARL qui, en tant qu'entités non financières, sont par définition hors du champ de contrôle de l'AMF.
Sauf à disposer d'un courrier officiel émanant du Secrétaire général de l'AMF et visant une demande de pièces dument fondée sur l'une des dispositions du Code monétaire et financier, pour chacune des sociétés, nous ne sommes pas en mesure d'apporter une suite favorable à vos demandes sur ces sociétés.
Nous considérons que Novaxia Asset Management, en tant qu'entité financière régulée par l'AMF, est le destinataire unique du contrôle de ses obligations professionnelles par vos services tel que ceci ressort de l'ordre de mission et de l'article L.621-10 du code monétaire et financier.
Néanmoins, dans un souci de bonne coopération, vous trouverez les éléments suivants relatifs aux sociétés Novaxia Gestion, Novaxia Finance et Novaxia SARL ».
18.Il est constant que les grands-livres des entités Novaxia ne figuraient pas parmi les éléments communiqués dans ce courriel du 27 juillet 2017.
19.Par un courriel adressé le 2 août 2017, le chef de mission a indiqué à M. [W] : « le contrôle actuellement en cours porte sur le respect par Novaxia AM de ses obligations professionnelles parmi lesquelles figure la gestion des conflits d'intérêts, et notamment ceux pouvant exister avec les autres sociétés du groupe Novaxia. C'est pourquoi nous sommes amenés à vous poser des questions concernant Novaxia SARL, Novaxia Gestion et Novaxia Finance ».
20.Ce courriel récapitulait les éléments reçus et soulignait : « vous nous avez communiqué dans votre réponse les comptes sociaux 2016 de Novaxia SARL, Novaxia Gestion et Novaxia Finance, ainsi qu'une brève description de leur activité. […] Pouvez-vous nous confirmer que vous ne souhaitez pas nous transmettre les comptes sociaux 2014 et 2015 de ces trois sociétés ainsi que leurs grands-livres 2014, 2015 et 2016 ? ».
21.Par un courriel du 9 août 2017, M. [W] a répondu que les transactions financières avec les entités Novaxia étaient retracées dans les éléments comptables transmis à la mission de contrôle via des documents concernant Novaxia AM et que la demande de communication des grands-livres des entités Novaxia excédait le périmètre de l'ordre de mission qui vise exclusivement Novaxia AM de sorte qu'il ne donnait pas une suite favorable à la demande.
22.Le contrôle a donné lieu à un rapport daté du 10 avril 2018 qui a été adressé à la société Novaxia AM et M. [W] le 17 avril 2018 par lettres les avisant que plusieurs manquements à leurs obligations professionnelles étaient susceptibles de leur être reprochés et les informant qu'ils disposaient d'un délai d'un mois pour présenter des observations.
23.Le même jour, la direction des contrôles et des enquêtes de l'AMF a adressé des lettres de synthèse à chacune des entités Novaxia leur indiquant que leur refus de communiquer leurs grand-livres pour les années 2014 à 2016 était susceptible de caractériser un manquement d'entrave à la mission de contrôle et les informant qu'elles disposaient d'un délai d'un mois à compter de la réception de ces lettres de synthèse pour présenter des observations.
24.Le 1er juin 2018, Novaxia AM, M. [W] et les entités Novaxia ont transmis leurs observations respectives. Les entités Novaxia ont, à cette occasion, communiqué des extraits de grands-livres de la société Novaxia SARL portant sur certains transferts intervenus entre la société et les fonds gérés par Novaxia AM sur la période objet du contrôle ainsi que les extraits de grands-livres de plusieurs filiales de la société Novaxia SARL.
Les griefs notifiés
25.Lors de sa séance du 27 septembre 2018, la commission spécialisée du collège de l'AMF a décidé de notifier à la société Novaxia AM et à M. [W] plusieurs griefs relatifs au non-respect de leurs obligations professionnelles.
26.Au cours de cette même séance, elle a décidé de notifier à chacune des entités Novaxia un grief portant sur un manquement d'entrave à la mission de contrôle.
27.Ces notifications de griefs reprochent à chacune de ces sociétés d'avoir refusé de communiquer leurs grands-livres pour les années 2014 à 2016 alors que ces éléments étaient nécessaires pour les besoins du contrôle de Novaxia AM, en particulier pour apprécier l'existence d'éventuels conflits d'intérêts entre Novaxia AM et les entités qui lui sont liées. Ces notifications de griefs précisent qu'en refusant de communiquer ces documents qui auraient permis aux contrôleurs d'exercer leurs vérifications sur le respect par Novaxia AM de ses obligations professionnelles, les sociétés mises en cause pourraient ne pas avoir respecté les dispositions de l'article L.621-10 du code monétaire et financier et s'exposer ainsi à la caractérisation, à leur encontre, du manquement d'entrave sur le fondement de l'article L.621-15 II f) du même code.
La décision attaquée
28.Par la décision no15 du 19 novembre 2019, la commission des sanctions de l'AMF a prononcé :
– à l'encontre de la société Novaxia AM et de M. [W], son dirigeant au moment des faits, des sanctions pécuniaires de 300 000 euros chacun, assortie d'un avertissement à l'égard de ce dernier, pour avoir manqué à leurs obligations professionnelles ; et,
– à l'encontre de Novaxia Développement (anciennement Novaxia SARL), de Novaxia Gestion et de Novaxia (anciennement Novaxia Finance), des sanctions pécuniaires de, respectivement, 50 000, 10 000 et 20 000 euros, pour avoir entravé le bon déroulement de la mission de contrôle.
Les recours entrepris
29.Les entités Novaxia ont formé un recours contre cette décision.
30.Au soutien de ce recours, ces sociétés ont notamment contesté, dans l'exposé des moyens, la conformité des articles L.621-15, II, f) et III, c) et de l'article L.621-10 du code monétaire et financier à la Constitution et demandé à la Cour, par un mémoire écrit et séparé déposé le 26 mars 2020, de transmettre une question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation. Par arrêt rendu le 7 janvier 2021, la Cour a déclaré cette demande irrecevable comme tardive.
31.Aux termes de leur mémoire déposé le 3 décembre 2020, elles demandent à la Cour de :
– juger que les observations de l'AMF sont irrecevables, faute d'avoir été notifiées dans le délai prévu à l'article R.621-46,V du code monétaire et financier,
À titre principal,
– transmettre à la Cour de cassation la question prioritaire de constitutionnalité présentée dans leur mémoire distinct et motivé et surseoir à statuer dans l'attente de la décision de la Cour de cassation ou, le cas échéant, jusqu'à celle du Conseil constitutionnel,
À titre subsidiaire,
– d'annuler, et subsidiairement, de réformer la décision de la commission des sanctions de l'AMFen ce qu'elle a retenu qu'elles avaient commis un manquement d'entrave et ordonné la publication de sa décision,
Encore plus subsidiairement,
– de réformer la décision quant au montant de la sanction prononcée, de la ramener à de plus justes proportions,
– de limiter à un an la durée de la publication de la décision non anonymisée.
32.L'AMF considère que le recours doit être rejeté.
33.Le ministère public a, à l'audience, invité la Cour à rejeter le recours.
*
* *
MOTIVATION
34.À titre liminaire, la Cour constate que les entités Novaxia n'ont pas repris dans leurs dernières écritures, les moyens, présentés dans leur exposé des moyens, pris, d'une part, d'une méconnaissance du droit à ne pas s'auto-incriminer, et d'autre part, d'une erreur de droit de la commission des sanctions pour avoir refusé de procéder au contrôle de conventionnalité de l'article L.621-15, II, f) du code monétaire et financier, et avoir écarté les moyens pris de l'imprévisibilité de ce texte et d'une violation du secret des affaires.
35.À l'audience, elles ont confirmé avoir abandonné ces moyens.
I. SUR LA RECEVABILITÉ DES OBSERVATIONS DE L'AMF
36.Les entités Novaxia soutiennent que l'AMF ne leur a pas communiqué ses observations dans le délai fixé à l'article R.621-46, V du code monétaire et financier, l'AMF ne leur ayant transmis ses écritures que le 14 octobre 2020 après qu'elles se soient inquiétées de n'avoir rien reçu à la date initialement fixée par le délégué du premier président au 8 octobre 2020.
37.L'AMF répond que les délais fixés en application de l'article R.621-46,V du code monétaire et financier ne sont pas prescrits à peine d'irrecevabilité et que ce texte ne prévoit pas que le dépôt des observations au greffe et la communication aux parties doivent être simultanés. Elle souligne qu'une telle simultanéité ne serait matériellement pas possible dès lors que, en pratique, une fois qu'elle a déposé ses écritures au greffe, elle les adresse aux parties, dans leur version visée par le greffe, par courrier recommandé avec demande d'avis de réception pour s'assurer de leur réception de sorte qu'il existe un délai incompressible entre le dépôt des observations au greffe et leur réception par les parties.
38.Elle ajoute qu'en l'espèce, l'ordonnance du délégué du premier président lui a imparti jusqu'au 8 octobre 2020 pour déposer ses observations au greffe, mais ne lui a imparti aucun délai pour communiquer lesdites observations aux parties.
Sur ce, la Cour,
39.Les dispositions de l'article R.621-46, V du code monétaire et financier ne précisent pas le délai dans lequel les observations de l'AMF doivent être notifiées à l'auteur du recours contrairement à ce que laissent entendre les entités Novaxia.
40.Ces dispositions disposent que c'est au premier président de la cour d'appel de Paris ou à son délégué de fixer les délais dans lesquels les auteurs du recours principal puis l'AMF doivent se communiquer leurs observations et en remettre une copie au greffe. Elles prévoient également que lorsque le premier président ou son délégué fixe les délais des échanges, il fixe dans le même temps la date des débats.
41.Ces dispositions ne prévoyant pas de sanction particulière de la méconnaissance de ces délais, les observations de l'AMF ne sauraient donc être écartées des débats au seul motif qu'elles n'ont pas été notifiées dans les délais. Elles ne peuvent l'être que si le retard a porté atteinte au principe de la contradiction, en empêchant l'auteur du recours d'y répondre utilement avant que la Cour ne statue.
42.En l'espèce, il résulte du dossier que si l'AMF a bien déposé au greffe de la Cour le 8 octobre 2020 ses observations sur le mérite des recours formés par les sociétés Novaxia, soit dans le délai qui a été fixé par le délégué du premier président conformément à l'article R.621-46,V, du code monétaire de financier, elle n'a communiqué ses observations que le 14 octobre suivant aux entités Novaxia, soit 6 jours plus tard et sur interpellation de ces dernières par un courriel du 13 octobre.
43.Il y a lieu de relever que l'ordonnance du délégué du premier président, qui a été prise en application des dispositions précitées pour organiser les échanges des parties dans le respect du principe de la contradiction et de la loyauté des débats, fixe, en son article 1, au 8 octobre 2020 la date de dépôt des observations de l'AMF au greffe et rappelle, en son article 3, l'obligation des parties et de l'AMF de se communiquer leurs écritures, de sorte qu'il appartenait à l'AMF d'adresser ses observations aux entités Novaxia le même jour que celui fixé pour leur dépôt au greffe. C'est donc en vain que l'AMF prétend que l'ordonnance ne lui impartissait aucun délai pour communiquer ses écritures pour justifier ce retard de six jours.
44.Toutefois, les entités Novaxia n'ont pas informé le délégué du premier président que ce retard les plaçait dans l'impossibilité de répliquer dans le délai qui leur a été imparti et au contraire, il résulte des éléments du dossier de procédure qu'elles ont été en mesure de préparer et de déposer, en temps utile, leurs observations en réplique, lesquelles ont été déposées le 3 décembre 2020, conformément au calendrier de procédure, de sorte qu'elles ne justifient d'aucun grief.
45.La demande tendant à voir écarter des débats les observations de l'AMF est donc rejetée.
II. SUR LA DEMANDE DE TRANSMISSION D'UNE QPC ET DE SURSIS À STATUER
46.Aux termes de l'article 23-1 de l'ordonnance no 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel et de l'article 126-2 du code de procédure civile, la contestation de la conformité d'une disposition législative aux droits et libertés garantis par la Constitution est un moyen qui doit, à peine d'irrecevabilité devant être relevée d'office par le juge, être présenté dans un écrit distinct et motivé.
47.Les moyens d'inconstitutionnalité présentés dans l'exposé des moyens des entités Novaxia, ainsi que la demande de transmission formée dans leur mémoire au fond, sont dès lors irrecevables en application des textes précités.
48.La demande de transmission, formée par mémoire distinct et motivé, ayant été déclarée irrecevable pour avoir été déposée au-delà du délai prévu à l'article R.621-46 du code monétaire et financier par un arrêt de la Cour du 7 janvier 2021, la demande de sursis à statuer au fond jusqu'à la décision de la Cour de cassation est sans objet.
III. SUR LE MANQUEMENT D'ENTRAVE
49.Au soutien de leur recours, les entités Novaxia font valoir, d'une part, que la demande de communication n'était pas nécessaire au contrôle et, d'autre part, que les réponses apportées à cette demande ne sont pas des refus de nature à caractériser un manquement d'entrave.
A. Sur le caractère nécessaire de la demande de communication de pièces
50.Pour retenir que la demande de communication était justifiée par les nécessités du contrôle, la commission des sanctions a, dans la décision attaquée, retenu que « l'intensité des liens capitalistiques unissant les différentes sociétés du groupe Novaxia, de même que le caractère très étroit de leurs relations d'affaires étaient de nature à permettre aux contrôleurs, dans le cadre de l'enquête qu'ils diligentaient, de compléter leur information par l'examen des grands-livres dont ils demandaient la communication et d'approfondir leur analyse des situations de conflits d'intérêts existant entre Novaxia AM, société contrôlée, et les autres sociétés du groupe. Ainsi ces grands-livres pouvaient-ils comprendre des informations relatives, par exemple, aux coûts d'acquisition ou aux coûts des travaux engagés sur des biens qui ont ensuite été transférés à des fonds gérés par Novaxia AM. ».
51.Les entités Novaxia contestent cette analyse et font valoir que la demande de communication litigieuse, à supposer qu'elle ait pu être utile, ne pouvait en tout état de cause être nécessaire à l'accomplissement des opérations de contrôle dès lors :
– qu'à la date à laquelle la demande a été faite par les contrôleurs, soit le 6 juillet 2017, ces derniers ignoraient quelle était l'activité précise de ces sociétés et leurs liens, et ne pouvaient donc évaluer la pertinence de leur demande ;
– que la vérification de l'exhaustivité de la liste des transferts d'actifs déjà communiquée par Novaxia AM ne nécessitait aucunement la communication des documents demandés, mais pouvait s'opérer par une simple demande de confirmation leur étant adressée, ce qu'au demeurant les contrôleurs ont fait par la suite par un courriel du 2 août 2017 ;
– que les transferts d'actifs ayant essentiellement été opérés par des filiales des entités Novaxia, et non par ces entités elles-mêmes, ce que la mission de contrôle a parfaitement identifié, c'était dans les grands-livres de ces filiales, et non dans ceux des entités Novaxia, qu'il convenait de rechercher les informations relatives aux coûts d'acquisition ou des travaux.
52.L'AMF répond qu'il n'appartient pas aux personnes sollicitées par les contrôleurs d'apprécier elles-mêmes la pertinence des demandes qui leur sont adressées et que seule la consultation des grands-livres aurait permis aux contrôleurs de s'assurer qu'ils ne contenaient aucun élément susceptible d'intéresser le contrôle en cours. Elle fait valoir que les entités Novaxia ne sont pas fondées à affirmer que l'exhaustivité de la liste des transferts d'actifs communiquée par Novaxia AM était susceptible d'être vérifiée par le seul biais d'une demande de confirmation adressée aux entités Novaxia.
***
Sur ce, la Cour,
53.Aux termes de l'article L.621-10 du code monétaire et financier, « les enquêteurs et les contrôleurs peuvent, pour les nécessités de l'enquête ou du contrôle, se faire communiquer tous documents, quel qu'en soit le support ».
54.La Charte du contrôle de l'AMF précise que « Les travaux d'une mission de contrôle consistent à obtenir et analyser des informations recueillies auprès des personnes contrôlées ainsi que des personnes physiques placées sous leur autorité ou agissant pour leur compte ou de toute personne susceptible de leur fournir des informations. Ces informations sont recueillies essentiellement dans les locaux professionnels ou par des demandes écrites ou lors d'entretiens ou d'auditions ».
55.Il est constant que parmi les obligations professionnelles auxquelles est tenue une société de gestion telle que la société Novaxia AM, figurent celles consistant en la mise en place d'un dispositif d'identification et de gestion d'éventuelles situations de conflits d'intérêts pouvant exister avec les autres sociétés du groupe auquel appartient la société régulée.
56.Le contrôle par l'AMF de l'existence et de la gestion d'éventuelles situations de conflits d'intérêts impliquait donc que les contrôleurs puissent vérifier les co-investissements, les transactions et les relations d'affaires entre, d'une part, les sociétés du groupe ou leur filiale et, d'autre part, la société régulée, ce que les entités Novaxia ne contestent pas.
57.Un tel contrôle impliquait qu'ils puissent obtenir communication des documents comptables dont les grands-livres afin de vérifier l'exhaustivité des éléments de réponse déjà communiqués par la société Novaxia AM, de ceux demandés aux entités Novaxia, et d'identifier tout autre élément susceptible de caractériser une situation de conflit d'intérêts, ce qu'ils ont fait par trois courriels du 6 juillet 2017 adressés à M. [W] en sa qualité de dirigeant de chacune d'entre elles.
58.Une mission de contrôle ne peut se contenter des déclarations faites par la société régulée ou par les personnes destinataires des demandes et doit pouvoir, dans la mesure du possible, vérifier lesdites déclarations.
59.À cet égard, les entités Novaxia ne peuvent utilement, pour soutenir le contraire, invoquer le courriel du 2 août 2017 de la mission de contrôle leur demandant de confirmer qu'il n'y avait pas d'autres transactions, co-investissements ou relations d'affaires que ceux mentionnés dans le registre des conflits d'intérêts ou résultant des conventions intra-groupe déjà fournis par Novaxia AM, ce courriel faisant suite au refus des entités Novaxia du 27 juillet 2017 de communiquer les documents comptables demandés par la mission de contrôle pour précisément vérifier l'exhaustivité des éléments déjà fournis.
60.La circonstance que des transferts d'actifs susceptibles d'intéresser la mission de contrôle soient intervenus entre des filiales des entités Novaxia et Novaxia AM, la société régulée, n'est pas de nature à démontrer que les documents demandés, qui portaient sur les liens entre ces entités et la société régulée, n'étaient pas nécessaires à la mission de contrôle pour vérifier les tranferts entre les entités Novaxia et la société régulée.
61.L'ignorance par la mission de contrôle des activités détaillées des entités Novaxia, à la date de la demande litigieuse, ne saurait priver de pertinence sa demande d'informations et de pièces dès lors qu'à cette date, elle connaissait l'existence de ces entités et leur activité telle que précisée dans leur extrait K-bis que leur avait transmis Novaxia AM en réponse à une précédente demande des contrôleurs par courriel du 21 juin 2017 (pièce no 5 des entités Novaxia). Il convient en outre de relever que par ce courriel, ces derniers avaient notamment demandé à Novaxia AM une description détaillée des activités des entités Novaxia et que c'est en raison de l'absence de réponse de cette dernière sur ce point en particulier que la mission de contrôle a réitéré cette demande auprès de chacune des entités, dans les trois courriels envoyés le 6 juillet 2017 à M. [W], ès qualités (voir p.36 du rapport de contrôle, pièce no 3 des entités Novaxia)
62.C'est donc à juste titre, pour des motifs que la Cour fait siens, que la commission des sanctions a retenu que la communication des grands-livres des entités Novaxia était nécessaire au contrôle en cours mené par l'AMF du dispositif mis en place par la société Novaxia AM pour la gestion des conflits d'intérêts avec les autres sociétés de son groupe.
63.Le moyen est donc rejeté.
B. Sur le refus des entités Novaxia
64.Pour caractériser le manquement d'entrave, la commission des sanctions, dans la décision attaquée, a retenu, après avoir rappelé la teneur des échanges entre les entités Novaxia et les contrôleurs, rappelés aux paragraphes 14 à 21 du présent arrêt, qu' « ainsi, la demande de communication litigieuse a [...] bien été réitérée, dans le contexte d'une situation de fait dans laquelle les Entités Novaxia, bien qu'ayant la qualité de tiers au contrôle, appartenaient, (..), au même groupe, étaient dirigées par la même personne physique, et avaient été averties par les contrôleurs de la procédure ouverte à l'encontre de Novaxia AM, et informées de l'attention particulière accordée par les contrôleurs à la problématique de la gestion des conflits d'intérêts au sein du groupe. Dans ces circonstances, le refus persistant des Entités Novaxia de communiquer aux contrôleurs l'intégralité de leurs grands-livres portant sur les années 2014, 2015 et 2016 constitue une entrave au contrôle au sens des dispositions de l'article L.621-15 II f) du code monétaire et financier ».
65.Les entités Novaxia contestent cette analyse et soutiennent que les réponses qu'elles ont faites aux demandes de la mission de contrôle ne peuvent caractériser un refus de communication visé à l'article L.621-15 II. f) du code monétaire et financier, dès lors :
– qu'elles se sont bornées à interroger la mission de contrôle sur le fondement de ces demandes et leur utilité, les éléments relatifs aux co-investissements et aux transactions avec Novaxia AM ayant été déjà communiqués dans les documents transmis par cette dernière ;
– que la mission de contrôle n'ayant pas répondu de manière satisfaisante à leurs interrogations, elles ont indiqué leur souhait de voir confirmer cette demande par la hiérarchie des contrôleurs ;
– que la mission de contrôle n'a pas réitéré sa demande laissant au contraire entendre, dans un courriel du 29 août 2017 destiné à faire la point sur les demandes en suspens parmi lesquelles ne figurait pas celle tendant à la production de leur grand-livre, qu'elle était satisfaite des éléments communiqués ;
– que la mission de contrôle n'a pas donné suite à leur proposition de rendez-vous, faite dès le 23 avril 2018, moins d'une semaine après avoir reçu les lettres de synthèse, pour identifier les documents qui seraient encore nécessaires à ses investigations.
66.Elles soulignent que, contrairement à ce que laisse entendre la décision attaquée, les extraits de grands-livres communiqués le 1er juin 2018, ne provenaient pas des grands-livres dont la communication avait été demandée par la mission de contrôle mais essentiellement de ceux de leurs filiales et qui ont été volontairement communiqués lorsque les entités Novaxia ont pris connaissance, dans le rapport de contrôle, de la volonté des contrôleurs de calculer le prix d'acquisition de certains biens immobiliers.
67.L'AMF répond que la demande portant sur l'intégralité des grands-livres des entités Novaxia a été formulée par les contrôleurs pour la première fois le 6 juillet 2017, puis réitérée dans un courriel du 2 août 2017 et enfin mentionnée dans les lettres de synthèse adressées aux entités Novaxia, et qu'en dépit de la régularité de cette demande, tant au regard des stipulations conventionnelles que des dispositions du code monétaire et financier applicables, les entités Novaxia n'ont jamais communiqué l'intégralité de ces documents.
Sur ce, la Cour,
68.Aux termes de l'article L.621-15, II, f) du code monétaire et financier, « la commission des sanctions peut, après une procédure contradictoire, prononcer une sanction à l'encontre de toute personne qui, dans le cadre d'une enquête ou d'un contrôle effectués en application du I de l'article L.621-9, sur demande des enquêteurs ou des contrôleurs et sous réserve de la préservation d'un secret légalement protégé et opposable à l'Autorité des marchés financiers, refuse de donner accès à un document, quel qu'en soit le support, et d'en fournir une copie, refuse de communiquer des informations ou de répondre à une convocation, ou refuse de donner accès à des locaux professionnels ».
69.Il résulte des courriels rappelés aux paragraphes 14 à 21 du présent arrêt que les entités Novaxia ont contesté l'utilité des documents demandés et le pouvoir de la mission de contrôle de leur demander des informations et des pièces, considérant que cette dernière ne pouvait exercer son droit de communication qu'à l'égard de la société régulée et qu'elles ont opposé la nature confidentielle de certains éléments demandés, leur faisant craindre une violation du secret professionnel.
70.Les contrôleurs leur ont répondu en leur indiquant :
– que leur demande s'inscrivait dans le cadre des pouvoirs que leur confère l'article L.621-10 du code monétaire et financier et que la Charte du contrôle de l'AMF précise que « les contrôleurs peuvent exercer leur droit de communication à l'égard de toutes personnes susceptibles de leur fournir des informations » (courriel du 12 juillet 2017, pièces no11 des entites Novaxia) ;
– que le secret professionnel ne pouvait être opposé à l'AMF en application de l'article L.621-9-3 du code monétaire et financier (courriel du 12 juillet 2017 précité) ;
– à titre d'explication, que le contrôle en cours portait sur le respect par Novaxia AM de ses obligations professionnelles parmi lesquelles figure la gestion de conflits d'intérêts pouvant notamment exister avec les autres sociétés du groupe (courriel du 2 août 2017, pièce no 13 des entites Novaxia).
71.[Localité 1] est de constater qu'en dépit de ces réponses, les entités Novaxia ont indiqué à la mission de contrôle que la demande, en ce qu'elle portait sur leurs grands-livres, excédait le périmètre de l'ordre de mission des contrôleurs et que « sauf à disposer d'une demande officielle dûment fondée sur l'une des dispositions du code monéraire et financier pour chacune des sociétés visées, nous ne sommes pas en mesure de leur donner une suite favorable » (courriel du 9 août 2017, pièce no 14 des entités Novaxia).
72.Ainsi, contrairement à ce que soutiennent les entités Novaxia, ces dernières ne se sont pas bornées à interroger la mission de contrôle sur l'étendue de ses pouvoirs et l'utilité des documents demandés mais ont refusé de communiquer leurs grands-livres parce qu'elles estimaient, à tort, que ces demandes n'étaient ni nécessaires ni légitimes.
73.La circonstance que la mission de contrôle n'a pas fait état de cette demande dans son courriel du 29 août 2017, qui récapitulait les demandes restées en suspens, ne peut signifier qu'elle l'avait abandonnée ou considéré que ces documents n'étaient plus nécessaires dès lors que ce courriel n'était pas adressé aux entités Novaxia mais uniquement à Novaxia AM.
74.Enfin, à réception des lettres de synthèse du 17 avril 2018 qui leur indiquaient que leur refus de communiquer leurs grands-livres pour les années 2014 à 2016 était susceptible de caractériser un manquement d'entrave à la mission de contrôle, les entités Novaxia n'ont pas proposé de transmettre les documents visés par ces lettres, mais ont répondu en demandant un entretien afin de « procéder à la remise des documents utiles », comportement traduisant à nouveau leur contestation de la nécessité de l'intégralité des documents demandés et, partant, leur refus persistant de les communiquer.
75.Il convient de relever que, l'AMF n'ayant pas donné suite à leur demande d'entretien, elles lui ont transmis des extraits de grands-livres de l'une des entités Novaxia (Novaxia SARL) portant sur des opérations de 2016 et de trois filiales de cette dernière en réponse aux lettres de synthèse, documents qu'elles jugeaient utiles aux contrôleurs, mais elles n'ont pas transmis l'intégralité des grands-livres des trois entités pour les périodes 2014, 2015 et 2016.
76.Ainsi, c'est à juste titre que la commission des sanctions a retenu que les entités Novaxia avaient entravé le bon déroulement de la mission de contrôle au sens de l'article L.621-15, II, f) du code monétaire financière en refusant de communiquer l'intégralité de leurs grands-livres comptables pour les années 2014, 2015 et 2016, en dépit de la réponse de la mission de contrôle leur précisant qu'elle pouvait obtenir de toute personne les documents nécessaires au contrôle qu'elle menait et en quoi les documents qu'elle demandait étaient nécessaires à ce contrôle.
77.Le moyen doit être rejeté.
IV. SUR LA MÉCONNAISSANCE DES DROITS ET LIBERTÉS PROTÉGÉS PAR LA CONVENTION DE SAUVEGARDE DES DROITS DE L'HOMME ET DES LIBERTÉS FONDAMENTALES
78.Les entités Novaxia font valoir que la sanction prononcée à leur encontre méconnaît le principe de légalité tel qu'issu de l'article 7 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (ci-après la « CSDH »), l'exigence de loyauté du contrôle telle qu'elle découle de l'article 6 de ladite convention et l'article 14§3 du Pacte international relatif aux droits civils et le droit au respect de la vie privée tel que garanti par l'article 8 de la CSDH.
A. Sur la violation du principe de la légalité des délits et des peines garanti à l'article 7 de la CSDH
79.Les entités Novaxia font valoir que ce principe exige que la loi pénale, au sens de la CSDH, soit claire, accessible et raisonnablement prévisible.
80.Elles soulignent qu'en l'espèce, en l'absence de décision juridictionnelle faisant application à des tiers des dispositions de l'article L.621-15, II, f), du code monétaire et financier, il leur était impossible de prévoir qu'elles étaient susceptibles d'être poursuivies sur le fondement de ces dispositions, compte tenu de l'absence manifeste de clarté de celles-ci au regard de l'intention du législateur, exprimée lors des travaux parlementaires, de réserver la sanction attachée au refus de transmettre un document à la seule personne régulée objet du contrôle de l'AMF, et ce d'autant que les dispositions de l'alinéa 1er de l'article L.621-10 du code monétaire et financier, encadrant le droit de communication des contrôleurs, ne sont elles-mêmes pas explicites quant à leur applicabilité à des tiers au contrôle. Elles soulignent que la Charte du contrôle de l'AMF en vigueur à l'époque des faits, et qui au demeurant ne leur avait pas été remise, n'évoquait pas le « manquement d'entrave », et a fortiori pas s'agissant d'un tiers au contrôle mais, en revanche, indiquait explicitement que, outre l'entité régulée, seules des personnes agissant pour son compte pouvaient être destinataires d'une lettre de synthèse et poursuivies.
81.Elles font valoir en outre, que l'article L.621-10 du code monétaire et financier ne permet aux contrôleurs de se faire remettre des documents que « pour les nécessités » du contrôle de sorte qu'il était permis de considérer qu'un refus légitime et motivé, notamment au regard de ces nécessités, n'était pas susceptible de constituer un « manquement d'entrave » et que particulièrement, en l'occurrence, elles se sont bornées à interroger la mission de contrôle sur la légitimité et la nécessité de ses demandes de sorte qu'elles ne pouvaient pas prévoir qu'un tel comportement les exposerait à une sanction.
82.Elles rappellent également que ce texte ne confère pas aux agents de l'AMF un pouvoir d'exécution forcée, la remise d'un document étant nécessairement volontaire, de sorte qu'elles ne pouvaient anticiper qu'un refus de communiquer l'intégralité d'un document puisse conduire au prononcé d'une sanction administrative d'un montant pouvant aller jusqu'à 100 millions d'euros.
83.Elle soulignent que l'article L.621-15 II. f) du code monétaire et financier n'indique pas que le refus opposé à une demande de communication n'est sanctionnable que pour autant que la demande soit légitime, ce texte ne précisant pas par ailleurs, que la demande doit être justifiée par « les nécessités du contrôle », alors même qu'il s'agit d'une condition de légitimité du droit de communication qui leur est conféré par l'article L.621-10 du code monétaire et financier. Il ne précise pas non plus à partir de quel moment et dans quelles circonstances il peut être considéré qu'un refus de communiquer est caractérisé, en particulier lorsque, comme en l'espèce, l'absence de communication immédiate est motivée de bonne foi.
84.L'AMF répond que les dispositions de l'article L.621-15 II f) du code monétaire et financier, sont compréhensibles, accessibles et prévisibles en ce qu'elles n'excluent aucune personne de son champ d'application et visent au contraire « toute personne », sans distinction entre la personne objet du contrôle et les tiers, ce qui est parfaitement cohérent avec l'article L.621-10 du même code qui permet aux contrôleurs, pour les nécessités d'un contrôle, de se faire communiquer tout document, sollicité auprès de toute personne. Elle en déduit qu'il était donc raisonnablement prévisible, à partir de la seule lettre du f) du II de l'article L.621-15 du code monétaire et financier, d'inclure les tiers à l'entité contrôlée parmi les personnes pouvant être sanctionnées pour un manquement à ses dispositions.
85.Elle expose qu'il ne saurait être tiré du fait que les travaux préparatoires ne mentionnent pas les tiers à l'entité contrôlée comme des personnes susceptibles d'être sanctionnées pour un manquement d'entrave, sans toutefois les exclure, que le législateur ait voulu instaurer une restriction au champ d'application du texte législatif.
86.Elle rappelle que la Charte des contrôles de l'AMF, dans sa version applicable à l'espèce, prévoit bien, en page 2, que des tiers à l'entité régulée peuvent être sollicités par les contrôleurs et que, contrairement à ce que soutiennent les sociétés Novaxia, ce document n'indiquait nullement que seule l'entité régulée et les personnes agissant pour son compte pouvaient être destinataires d'une lettre de synthèse et ne limitait pas non plus le champ des personnes pouvant être poursuivies.
***
Sur ce, la Cour,
87.Aux termes de l'article L.621-15, II, f) du code monétaire et financier, « la commission des sanctions peut, après une procédure contradictoire, prononcer une sanction à l'encontre de toute personne qui, dans le cadre d'une enquête ou d'un contrôle effectués en application du I de l'article L.621-9, sur demande des enquêteurs ou des contrôleurs et sous réserve de la préservation d'un secret légalement protégé et opposable à l'Autorité des marchés financiers, refuse de donner accès à un document, quel qu'en soit le support, et d'en fournir une copie, refuse de communiquer des informations ou de répondre à une convocation, ou refuse de donner accès à des locaux professionnels ».
88.Ces dispositions sont claires et intelligibles en ce qu'elles visent toute personne qui refuse de communiquer un document lorsque ce document est demandé dans le cadre d'une enquête ou d'un contrôle. Dès lors qu'elles visent « toute personne » et s'inscrivent dans les prérogatives dévolues à l'AMF afin d'assurer l'exécution de sa mission, il était raisonnablement prévisible qu'elles puissent s'appliquer à d'autres personnes que la société régulée, peu important l'absence de précédent de la commission des sanctions ayant retenu une telle interprétation. La Cour rappelle, à cet égard, que le caractère inédit d'une question juridique posée ne constitue pas en soi une atteinte aux exigences d'accessibilité et de prévisibilité de la loi dès lors que la solution retenue fait partie des interprétations possibles et raisonnablement prévisibles, ce qui était le cas en l'espèce.
89.Contrairement à ce que soutiennent les entités Novaxia, la circonstance qu'au cours des travaux parlementaires préparatoires à l'adoption de ces dispositions, il a été envisagé de réserver la sanction à la personne faisant objet du contrôle n'est pas de nature à exclure leur application à un tiers au contrôle dès lors que le texte finalement adopté vise « toute personne », ce qui démontre que l'option restrictive initialement envisagée n'a pas été retenue par le législateur et que partant, il était prévisible qu'il s'applique à un tiers.
90.Il convient également de relever que les dispositions critiquées renvoient aux pouvoirs d'enquête et de contrôle de l'AMF tels que prévus à l'article L.621-9, I du code monétaire et financier et précisés à l'article L.621-10 du même code qui dispose que « les enquêteurs et les contrôleurs peuvent, pour les nécessités de l'enquête ou du contrôle, se faire communiquer tous documents, quel qu'en soit le support ». Ce dernier texte ne limite pas le droit de communication auprès des seules personnes régulées mais est rédigé de manière suffisamment large pour autoriser les enquêteurs et les contrôleurs à se faire communiquer tout document dès lors que cette communication est commandée par les nécessités de l'enquête ou du contrôle afin de garantir l'effet utile des pouvoirs d'investigation de l'AMF.
91.En outre, la Charte du contrôle de l'AMF, que versent aux débats les entités Novaxia (leur pièce no21), précise en page 2 que les travaux d'une mission de contrôle consistent à obtenir et analyser des informations recueillies « auprès des personnes contrôlées ainsi que des personnes physiques placées sous leur autorité ou agissant pour leur compte ou de toute personne susceptible de leur fournir des informations » ( soulignement ajouté par la Cour). Contrairement à ce que soutiennent les sociétés Novaxia, ce document ne contient aucune indication laissant croire que seules les personnes régulées peuvent être poursuivies devant la commission des sanctions pour un manquement d'entrave.
92.Le fait que les contrôleurs ne disposent que d'un droit de communication, sans pouvoir de contrainte, n'est pas de nature à écarter la sanction d'un manquement d'entrave commis par un tiers puisque précisément, l'article L.621-15,II, f) tend à sanctionner le refus de communiquer les éléments demandés par les contrôleurs dans l'exercice de leur droit de communication prévu à l'article L.621-10 du code monétaire et financier.
93.En outre, il ressort des courriers rappelés aux paragraphes 15 et 17 du présent arrêt que les entités Novaxia ne se sont pas bornées à interroger la mission de contrôle sur la légitimité et la nécessité de ses demandes mais ont refusé d'y accéder en estimant, à tort, qu'elles n'étaient ni nécessaires ni légitimes, s'exposant ainsi à être sanctionnées pour un manquement d'entrave.
94.Enfin, l'article L.621-15, III, c) précité, réprimant le manquement d'entrave, prévoit une sanction pécuniaire « pour les personnes autres que l'une des personnes mentionnées au II de l'article L.621-9, auteurs des faits mentionnés aux c à h du II du présent article ». Ainsi, ce texte inclut dans le champ d'application de la sanction qu'il détermine, les personnes, auteurs des faits prévus au f) de son point II, autres que celles qui sont soumises au contrôle de l'AMF.
95.Le moyen mal fondé, est écarté.
B. Sur la violation du droit à un procès équitable garanti par l'article 6 CSDH et à l'exigence de loyauté du contrôle
96.Les entités Novaxia soutiennent que la procédure de contrôle qui a conduit à leur condamnation sur le fondement du manquement d'entrave n'était pas loyale, en ce que :
– les contrôleurs n'ont initialement pas motivé leurs demandes de communication, en particulier au regard des nécessités du contrôle, de sorte qu'elles ne pouvaient apprécier leur légitimité ;
– ils leur ont laissé entendre, postérieurement à leur courriel du 29 août 2017, que la demande de communication de leurs grands-livres n'était pas maintenue ;
– elles n'ont jamais été entendues en audition alors qu'elles étaient susceptibles d'être mises en cause, ni avisées qu'elles s'exposaient à des poursuites sur le fondement du manquement d'entrave avant la lettre de synthèse qui leur a été adressée alors qu'elles ont proposé, à la réception de cette lettre, l'organisation d'une réunion avec la Direction des enquêtes et des contrôles afin de lui remettre les documents encore nécessaires au contrôle. Cette dernière a refusé et obéré toute possibilité de régularisation.
97.L'AMF répond, s'agissant de l'absence de motivation alléguée de la demande de communication de pièces, qu'aucun texte legislatif ou réglementaire n'exige que les demandes des contrôleurs formulées dans le cadre d'un contrôle soit motivée et qu'en dépit d'obligation en ce sens, les demandes qui ont été adressées aux sociétés Novaxia étaient bien motivées, dans la mesure où les contrôleurs ont expliqué aux sociétés Novaxia que « le contrôle actuellement en cours porte sur le respect par Novaxia AM de ses obligations professionnelles parmi lesquelles figure la gestion des conflits d'intérêts, et notamment ceux pouvant exister avec les autres sociétés du groupe Novaxia ».
98.Elle fait valoir, s'agissant du prétendu abandon de la demande de communication des grands-livres, que le courriel du 29 août 2017 contient une liste de demandes en suspens qui ont toutes été adressées exclusivement à la société Novaxia AM, et que les contrôleurs n'ont jamais, dans la même communication, contacté M. [W] à la fois en tant que dirigeant de Novaxia AM et des autres sociétés Novaxia, en veillant au contraire à bien distinguer les demandes adressées aux différentes personnes morales concernées. Elle souligne que les personnes sollicitées par les contrôleurs ne sont pas en position de déterminer que des demandes sont abandonnées, sauf indication expresse des contrôleurs en ce sens et qu'elles étaient d'autant moins fondées à croire à un tel abandon que, le 2 août 2017, les contrôleurs leur avaient demandé de confirmer leur souhait de ne pas transmettre ces éléments.
99.Elle soutient que ce courriel du 29 août 2017 constituait une opportunité laissée aux entités Novaxia de se conformer à la demande, ce qui ne constitue évidemment pas une déloyauté des contrôleurs, bien au contraire, étant rappelé que les contrôleurs n'étaient absolument pas tenus de leur indiquer, avant la lettre de synthèse, qu'elles s'exposaient à des poursuites pour entrave.
100.Enfin, elle expose que contrairement à ce que soutiennent les sociétés Novaxia, celles-ci n'ont jamais proposé de remettre les documents litigieux aux contrôleurs. Le courrier de leur conseil du 23 avril 2018 proposait ainsi une réunion pour remettre des éléments utiles sans autre précision. Elle rappelle que l'article L.621-10 du code monétaire et financier, prévoit une faculté, et non une obligation des contrôleurs de procéder à des auditions des personnes susceptibles de leur fournir des renseignements, de sorte que l'absence d'audition des entités Novaxia ne saurait être reprochée et ne constitue en rien un comportement déloyal de nature à porter une atteinte irrémédiable à leurs droits de la défense. Elle souligne à cet égard que les entités Novaxia ont pu faire valoir leur position tout au long de la procédure.
***
Sur ce, la Cour,
101.Il convient de rappeler que le droit à un procès équitable et son corollaire, le respect des droits de la défense, garanti par le premier alinéa de l'article 6 de la CSDH, ne s'applique qu'à la procédure de sanction ouverte par la notification des griefs décidée par le collège de l'AMF et par la saisine de la commission des sanctions, et non à la phase préalable des enquêtes et contrôles réalisés par les agents de l'AMF.
102.En revanche, le principe de loyauté dans la conduite des enquêtes et des contrôles impose que ceux-ci se déroulent dans des conditions garantissant qu'il ne soit pas porté une atteinte irrémédiable aux droits de la défense des personnes mises en cause.
103.En l'espèce, la Cour constate que les entités Novaxia ne démontrent pas en quoi les prétendus comportements déloyaux des contrôleurs consistant, selon elles, à ne pas avoir motivé la demande de communication de leurs grands-livres, à leur laisser croire que cette demande avait été abandonnée, à avoir omis de les avertir qu'elles risquaient d'être poursuivies pour un manquement d'entrave, à ne pas avoir procédé à leur audition, ou encore à avoir obéré toute possibilité de régularisation, ont porté une atteinte irrémédiable à leur droit de défendre au grief de manquement d'entrave qui leur a été notifié, c'est à dire une atteinte qui ne peut être réparée pendant la phase contradictoire de la procédure, devant la commission des sanctions et enfin devant la Cour. Ainsi, les entités Novaxia, tout en se prévalant d'une telle atteinte, n'établissent pas qu'elles ont été privées, de manière définitive, d'apporter tout élément utile à leur défense, et notamment d'établir l'irrégularité de la demande de communication des documents litigieux ou au contraire, qu'elles ont été placées dans l'impossibilité de produire lesdits documents.
104.Au demeurant, contrairement à ce que soutiennent les entités Novaxia :
– les demandes de communication n'ont pas à être motivées au regard notamment des nécessités du contrôle, aucun texte ne posant une telle exigence et les personnes mises en cause disposant de la faculté de contester, a posteriori, la légitimité de la demande de communication ;
– les échanges entre la mission de contrôle et les entités Novaxia, tels que rappelés aux paragraphes 14 à 20 et suivants du présent arrêt, ne contiennent aucun élément de nature à laisser croire à ces dernières que la demande litigieuse a été abandonnée ;
– l'audition par la mission de contrôle n'est qu'une faculté et non une obligation et aucun texte n'imposait aux contrôleurs d'aviser les entités Novaxia que leur refus de transmettre les documents qui leur étaient demandés les exposait à des poursuites pour entrave. La Cour relève en outre qu'après la réception des lettres de synthèse, les avisant que leur refus est suceptible de constituer un manquement d'entrave pouvant donner lieu à une sanction pécuniaire, elles n'ont pas transmis l'intégralité des documents demandés mais uniquement ceux qu'elles jugeaient nécessaires au contrôle ;
– aucune « possibilité de régularisation » ne leur a été refusée, l'échange de courriels précité démontrant au contraire que les contrôleurs ont pris le soin de rappeler le cadre de leur mission, la teneur des dispositions de l'article L.621-10 du code monétaire et financier ainsi que la Charte du contrôle de l'AMF les autorisant à exiger de toute personne les éléments utiles à leur mission ainsi que les modalités de transmission de documents confidentiels.
105.Enfin, comme il a été démontré aux paragraphes 53 à 63 du présent arrêt, les documents étaient nécessaires aux contrôleurs pour mener à bien leur mission de contrôle de sorte que les entités Novaxia ne peuvent soutenir que les contrôleurs se sont placés dans une logique de préparation de leur dossier en vue de poursuites sur le fondement d'un manquement d'entrave.
106.Le moyen, tiré de la déloyauté de l'enquête, doit être rejeté.
C. Sur la violation du droit au respect de la vie privée garanti à l'article 8 de la CSDH
107.Les entités Novaxia soutiennent que la sanction prononcée à leur encontre sur le fondement de l'article L.621-15 II. f) du code monétaire et financier, pour avoir refusé de communiquer l'intégralité de leur grand-livre comptable, constitue une ingérence disproportionnée au droit à la protection de la vie privée des personnes concernées par ces documents dans le cadre d'un contrôle, sans considération pour la légitimité de la demande et en cantonnant la légitimité d'un refus à l'invocation d'un secret légalement protégé et opposable à l'AMF, sans assortir par ailleurs le droit de communication des contrôleurs de la moindre garantie, notamment en termes de confidentialisation des pièces ou d'astreinte au secret des parties à la procédure. Elles font valoir que cette atteinte est disproportionnée à l'objectif poursuivi de prévention des atteintes à la protection des investisseurs ou au bon fonctionnement du marché et de recherches d'auteurs d'infraction.
108.Elles soutiennent que les grands-livres comptables sollicités contiennent par définition les écritures du livre-journal, autrement dit tous les mouvements affectant le patrimoine de l'entreprise sur une année complète de sorte qu'il peut être considéré, au regard de l'étendue des informations qu'ils contiennent et qui permettent de reconstituer l'intégralité de la « vie » de la société, qu'ils relèvent ainsi de la vie privée de la société concernée.
109.Elles ajoutent que ces grands-livres permettent d'observer le montant des rémunérations versées aux dirigeants de ces entités, informations qui relèvent à l'évidence des données à caractère personnel relatives à ces personnes physiques, données personnelles qu'elles ont intérêt à protéger.
110.L'AMF répond que la protection de la vie privée, tel que garantie par la CSDH et interprétée par la Cour européenne des droits l'homme ne comprend pas les documents qui ont été demandés par les contrôleurs, lesquels sont purement comptables et que la seule catégorie à laquelle ils pourraient être rattachés est celle relative à la protection des données, laquelle n'a pourtant jamais été retenue par cette juridiction au profit d'une personne morale.
***
Sur ce, la Cour,
111.Il résulte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme que la notion de vie privée, au sens de l'article 8 de la CSDH inclut l'intégrité physique et morale d'une personne physique, son nom, sa réputation, sa sexualité, son droit à l'image, ses données personnelles, et sa vie sociale.
112.Il s'en déduit que les documents litigieux, qui sont des documents comptables établis par une personne morale en exécution de ses obligations légales, n'ont pas vocation à être protégés, par l'article 8 de la CSDH, au titre du droit au respect de la vie privée.
113.À supposer que de tels documents puissent bénéficier d'une telle protection au motif, selon les entités Novaxia, qu'ils contiennent tous les flux financiers entrants et sortants d'une entreprise et des éléments confidentiels tenant à la rémunération versée à ses dirigeants, il convient de rappeler que la demande de communication de ces documents a été faite dans le cadre des missions de contrôle dévolues par la loi à l'AMF, sans pouvoir de contrainte, pour la recherche et la prévention des manquements d'une entreprise régulée à ses obligations professionnelles.
114.Le manquement d'entrave, prévu par la loi et défini à l'article L.621-15, II, f) du code monétaire et financier, qui sanctionne l'absence de réponse à ce droit de communication, vise ainsi à conférer un effet utile aux pouvoirs de contrôle confiés aux agents de l'AMF, lesquels répondent au but légitime de protection de l'ordre public financier et de la sécurité des investisseurs. En conséquence, ce dispositif ne porte pas en lui-même une atteinte disproportionnée au droit à la protection de la vie privée.
115.Contrairement à ce que suggèrent les entités Novaxia dans leurs écritures, ce manquement n'est caractérisé que si le droit de communication exercé par les contrôleurs porte sur des documents nécessaires à leur mission, nécessité qui est appréciée par la commission des sanctions de l'AMF après un débat contradictoire avec la personne mise en cause, sous le contrôle de la Cour.
116.En l'espèce, les documents demandés étaient nécessaires aux opérations de contrôle, en ce que précisément, ils retracent tous les flux financiers entrants et sortants des entités Novaxia, appartenant au même groupe que la société Novaxia AM, entité régulée, et devaient ainsi permettre aux contrôleurs de vérifier l'existence d'éventuelles situations de conflits d'intérêts et la gestion par la société Novaxia AM de ces conflits d'intérêts.
117.Les entités Novaxia ne précisent pas quelles personnes, à part M. [W], ont eu accès au dossier de contrôle, lequel n'est accessible qu'aux personnes mises en cause – soit, en l'espèce, les entités Novaxia et Novaxia AM, qui appartiennent au même groupe, et M. [W] leur dirigeant et représentant légal au cours des opérations de contrôle – ainsi qu'au personnel de l'AMF, lequel est soumis au secret professionnel en application de l'article L.621-4, II du code monétaire et financier.
118.Les sanctions prononcées à l'encontre des entités Novaxia pour avoir entravé la mission de contrôle, sur le fondement de l'article L.621-15,II, f) en refusant de communiquer aux contrôleurs des documents nécessaires à leur mission ne constituent donc pas une atteinte disproportionnée au droit invoqué au regard du but légitime poursuivi par ce texte.
119.Le moyen est rejeté.
III. SUR LA SANCTION
A. Sur les sanctions pécuniaires
120.La commission des sanctions a prononcé des sanctions pécuniaires de 50 000, 10 000 et 20 000 euros à l'encontre de, respectivement, Novaxia Développement, Novaxia Gestion et Novaxia.
121.Les entités Novaxia soutiennent que les sanctions pécuniaires prononcées à leur encontre ne sont pas motivées et sont manifestement disproportionnées. Elles reprochent à la commission des sanctions de ne pas avoir tenu compte :
– du fait qu'elles n'ont jamais eu l'intention d'entraver le bon déroulement des opérations de contrôle, et qu'elles ont systématiquement apporté leur concours dès lors qu'elles comprenaient la nécessité et l'utilité des demandes qui leur étaient formulées ;
– de la faible gravité des faits reprochés, notamment par comparaison avec les sanctions prononcées sur le fondement du délit d'entrave ;
– de leur qualité de « témoin », tiers au contrôle ;
– de l'absence de manquement commis précédemment.
122.L'AMF observe que les entités Novaxia ne fournissent aucune actualisation de leurs situations financières, et n'allèguent aucune disproportion à cet égard.
123.Elle considère que la commission des sanctions n'avait pas à tenir de compte de l'absence d'intention d'entraver le bon déroulement des opérations de contrôle alléguée par les entités Novaxia, qui n'est, au demeurant, pas démontrée en l'espèce et que les faits reprochés n'étaient nullement dépourvus de gravité, le manquement d'entrave revêtant une gravité intrinsèque. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle ce manquement est le seul à ne pas pouvoir faire l'objet d'un accord de composition administrative en application de l'article L.621-14-1 du code monétaire et financier.
124.Elle ajoute que si la qualité de tiers des entités Novaxia a été maintes fois rappelée dans la décision contestée, la commission n'a évidemment pas tenu compte du statut de « témoin » invoqué par les entités Novaxia pour demander à la Cour d'adoucir leur sanction, celui-ci ne correspondant à aucune catégorie juridique dans la procédure qui se déroule devant la commission des sanctions.
125.Enfin, elle souligne que le critère tenant à l'existence éventuelle de manquements commis précédemment constitue un critère d'aggravation de la sanction et non de modération, l'article L.621-15 du code monétaire et financier visant l'existence de manquements commis précédemment et non leur absence.
***
Sur ce, la Cour,
126.Aux termes du c) du III de l'article L.621-15 du code monétaire et financier, les sanctions applicables au manquement d'entrave sont, « pour les personnes autres que l'une des personnes mentionnées au II de l'article L.621-9, auteurs des faits mentionnés aux c à h du II du présent article, une sanction pécuniaire dont le montant ne peut être supérieur à 100 millions d'euros ou au décuple du montant de l'avantage retiré du manquement si celui-ci peut être déterminé ; ».
127.Dans la décision attaquée, aux paragraphes 226, 227 et 228, la commission des sanctions a fixé le montant des sanctions après avoir, dans ses motifs, tenu compte de la nature du manquement commis par les entités Novaxia, de leur capacité contributive, de l'absence de profit ou d'avantage directement tirés par ces dernières et de l'absence de pertes subies par des tiers, de sorte que contrairement à ce qu'elles soutiennent, la commission des sanctions a motivé la sanction qu'elle a prononcé à l'encontre de chacune d'enetre elles.
128.S'agissant de leurs capacités contributives, la commission des sanctions a relevé qu'il résultait des derniers états financiers versés au dossier que :
– que Novaxia SARL a réalisé un résultat net de 6 726 602 euros au 31 décembre 2018, contre 3 855 310 euros au 31 décembre 2017, pour un chiffre d'affaires de 16 220 682 euros au 31 décembre 2018 contre 10 350 711 au 31 décembre 2017.
– Novaxia Gestion a réalisé une perte nette de 18 009 euros au 31 décembre 2018 contre une perte nette de 12 010 euros au 31 décembre 2017, pour un chiffre d'affaires de 123 896 euros au 31 décembre 2018 contre 122 729 euros au 31 décembre 2017.
– Novaxia Finance a réalisé un résultat net de 22 900 700 euros au 31 décembre 2018 contre 3 366 117 euros au 31 décembre 2017, pour un chiffre d'affaires de 386 504 euros au 31 décembre 2018 contre 386 462 euros au 31 décembre 2017, cette variation entre les deux exercices s'expliquant par une forte augmentation du résultat financier, de plus de 20 millions d'euros, entre 2017 et 2018.
129.Contrairement à ce que soutiennent les entités Novaxia, les faits ne sont pas d'une faible gravité dès lors que par leur refus de communiquer l'intégralité de leurs grands-livres, qu'elles ont réitéré en dépit des explications données par la mission de contrôle sur l'étendue de son droit de communication et le cadre dans lequel elle l'exerçait, comme rappelé aux paragraphes 69 à 76 du présent arrêt, elles ont empêché les contrôleurs de vérifier leurs déclarations ainsi que celles de Novaxia AM et de rechercher l'existence d'éventuelle situations caractérisant d'autres situations de conflit d'intérêts que ceux déjà identifiés, et partant, de mener à bien leur mission, ce qu'elles ne pouvaient ignorer.
130.La Cour considère que la circonstance qu'elles n'aient pas la qualité de société régulée, qu'elles aient par ailleurs collaboré en fournissant à la mission de contrôle les autres éléments demandés et d'autres éléments que ceux demandés, n'est pas de nature justifier la réduction du montant des sanctions prononcées.
131.Ainsi, eu égard à la particulière gravité du manquement d'entrave, au caractère nécessairement dissuasif des sanctions infligées à ce titre, aux capacités contributives telles que résultant des états financiers précités que les entités Novaxia n'ont pas souhaité actualiser, et en tenant compte de l'absence de manquement commis précédemment, le montant des sanctions infligées n'est pas disproportionné.
132.Le moyen est rejeté.
B. Sur la publication
133.Les entités Novaxia font valoir que la publication ordonnée par la commission des sanctions n'est ni justifiée en son principe, ni proportionnée, en particulier parce que la publication nominative de la décision, en ce qui concerne des personnes non régulées ne peut avoir aucun effet utile. Elles ajoutent que la fixation de la durée du maintien en ligne non anonyme à 5 ans, qui correspond à la durée maximale prévue par le législateur et par conséquent, au plafond de la sanction complémentaire de publication nominative, est à l'évidence disproportionnée.
134.Elles soulignent l'ampleur de la campagne de presse qui a suivi la mise en ligne de la décision attaquée y compris dans la presse spécialisée dans le domaine de l'immobilier et estime que le maintien de cette publication sous une forme nominative au-delà d'un an à compter de la décision serait ainsi disproportionné. Elles demandent à la Cour de limiter à une année la durée de la publication non anonymisée.
135.L'AMF répond que les entités Novaxia ne fournissent aucun élément ni explication établissant en quoi la publication ordonnée leur occasionnerait un préjudice grave et disproportionné.
***
Sur ce, la Cour,
136.Le V de l'article L.621-15 du code monétaire et financier, dans sa version applicable à compter du 11 décembre 2016, dispose :
« La décision de la commission des sanctions est rendue publique dans les publications, journaux ou supports qu'elle désigne, dans un format proportionné à la faute commise et à la sanction infligée. Les frais sont supportés par les personnes sanctionnées.
La commission des sanctions peut décider de reporter la publication d'une décision ou de publier cette dernière sous une forme anonymisée ou de ne pas la publier dans l'une ou l'autre des circonstances suivantes :
a) lorsque la publication de la décision est susceptible de causer à la personne en cause un préjudice grave et disproportionné, notamment, dans le cas d'une sanction infligée à une personne physique, lorsque la publication inclut des données personnelles ;
b) lorsque la publication serait de nature à perturber gravement la stabilité du système financier, de même que le déroulement d'une enquête ou d'un contrôle en cours. […] ».
137.Il se déduit de ce texte que toute décision de la commission des sanctions est, par principe, publiée et que ce n'est que si cette publication est susceptible d'entraîner l'un des effets prévus aux a) et b) de ce texte que la commission des sanctions peut décider de ne pas publier la décision, de reporter sa publication ou de la publier sous une forme anonymisée.
138.En l'espèce, force est de constater que les entités Novaxia ne versent aucun élément établissant le préjudice réputationnel, grave et disproportionné, qu'elles prétendent avoir subi.
139.La demande est donc rejetée.
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* *
PAR CES MOTIFS
La Cour,
DÉCLARE recevables les observations de l'AMF ;
DÉCLARE irrecevable la demande de transmmission d'une question prioritaire de constitutionnalité ;
REJETTE le recours formé par les sociétés Novaxia Gestion, Novaxia Développement (anciennement dénommée Novaxia SARL), et Novaxia (anciennement dénommée Novaxia Finance) à l'encontre de la décision no15 du 19 novembre 2019 de la commission des sanctions ;
LES CONDAMNE aux dépens.
LA GREFFIÈRE,
Véronique COUVETLA PRÉSIDENTE,
Brigitte BRUN-LALLEMAND