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26/01/2021 | FRANCE | N°20/06142

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 4 - chambre 4, 26 janvier 2021, 20/06142


Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 4



ARRET DU 26 JANVIER 2021



(n° , 10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/06142 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CBXLL



Décision déférée à la Cour : Jugement du 30 Janvier 2020 -Tribunal paritaire des baux ruraux de MEAUX - RG n° 51-18-4





APPELANTES



Madame [J] [O] veuve [F]

Née le [Date naiss

ance 10] 1934 à [Localité 27]

[Adresse 8]

[Localité 17]



représentée par Me Pierre DEVARENNE de la SELAS DEVARENNE ASSOCIES GRAND-EST, avocat au barreau de CHALONS-EN-CHAMPAGNE

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Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 4

ARRET DU 26 JANVIER 2021

(n° , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/06142 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CBXLL

Décision déférée à la Cour : Jugement du 30 Janvier 2020 -Tribunal paritaire des baux ruraux de MEAUX - RG n° 51-18-4

APPELANTES

Madame [J] [O] veuve [F]

Née le [Date naissance 10] 1934 à [Localité 27]

[Adresse 8]

[Localité 17]

représentée par Me Pierre DEVARENNE de la SELAS DEVARENNE ASSOCIES GRAND-EST, avocat au barreau de CHALONS-EN-CHAMPAGNE

Madame [K] [F] épouse [I]

Née le [Date naissance 4] 1963 à [Localité 22]

[Adresse 12]

[Localité 19]

représentée et ayant pour avocat plaidant Me Pierre DEVARENNE de la SELAS DEVARENNE ASSOCIES GRAND-EST substitué par Me Nathalie DEVARENNE avocat au barreau de CHALONS-EN-CHAMPAGNE

Madame [M] [F] veuve [D]

Née le [Date naissance 2] 1964 à [Localité 22]

[Adresse 16]

[Localité 18]

représentée par Me Pierre DEVARENNE de la SELAS DEVARENNE ASSOCIES GRAND-EST substitué par Me Nathalie DEVARENNE avocat au barreau de CHALONS-EN-CHAMPAGNE

INTIMES

Monsieur [B] [E]

Né le [Date naissance 13] 1954 à [Localité 21]

[Adresse 15]

[Localité 21]

représenté et ayant pour avocat plaidant Me Christine HEUSELE, avocat au barreau de MEAUX

Monsieur [S] [E]

Né le [Date naissance 11] 1992 à [Localité 22]

[Adresse 5]

[Localité 21]

comparant et assisté de Me Christine HEUSELE, avocat au barreau de MEAUX

Monsieur [Y] [E]

Né le [Date naissance 3] 1951 à [Localité 21]

[Adresse 6]

[Localité 22]

représenté et ayant pour avocat plaidant Me Christine HEUSELE, avocat au barreau de MEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 905 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 20 octobre 2020, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant Mme Marie MONGIN, conseillère, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

M. Michel CHALACHIN, président

Mme Marie MONGIN, conseillère

Mme Claire DAVID,conseillère

Greffier, lors des débats : Mme Cynthia GESTY

ARRÊT : contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par M. Michel CHALACHIN, président et par Mme Cynthia GESTY, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

*****

EXPOSÉ DU LITIGE

Par acte authentique en date du 30 septembre 1993, Mme [G] [T], usufruitière, et M. [Z] [F], nu-propriétaire, aux droits de qui viennent les appelants, ont donné à bail à long terme pour une durée de 27 ans à M. [Y] [E], son épouse Mme [J] [A], M. [B] [E] et son épouse Mme [C] [U] épouse trois parcelles de terre situées sur la commune de [Localité 20] (Seine-et-Marne) pour une contenance totale de 57 hectares, 11 ares et 40 centiares. Les parcelles étaient les suivantes':

- ZK numéro [Cadastre 7], lieudit «'[Localité 24]'», d'une superficie de 14 ha 94 a 10 ca';

- ZK numéro [Cadastre 1], lieudit «'[Localité 25]'», d'une superficie de 41 ha 66 a 10 ca';

- ZK numéro [Cadastre 14], lieudit «'[Localité 23]'», d'une superficie de 0 ha 51 a 20 ca.

La date d'expiration du bail était donc fixée au 31 août 2020.

Mme [C] [U] est décédée le [Date décès 9] 1996, laissant pour lui succéder M. [B] [E], son époux, et ses deux enfants, [W] [E] et [S] [E].

Mme [J] [O] veuve [F] et ses deux filles, Mme [K] [F] épouse [I] et Mme [M] [F] épouse [D] (les consorts [F]) ont fait délivrer par Maître [X], huissier de justice, le 10 janvier 2018, à M. [B] [E], à M. [Y] [E] et à Mme [J] [A] épouse divorcée de M. [Y] [E], un « avis donné en raison de l'âge du preneur en place (article L416-1 du code rural) », pour le 31 août 2020.

Par une requête déposée le 9 mai 2018, M. [B] [E] et M. [S] [E] ont déféré « le congé signifié le 10 janvier 2018 » à M. [B] [E] devant le tribunal paritaire des baux ruraux de Meaux.

Par jugement en date du 30 janvier 2020, le tribunal paritaire des baux ruraux de Meaux, sous le bénéfice de l'exécution provisoire, a':

- Validé l'avis délivré le 10 janvier 2018 par les consorts [F] à M. [Y] [E], Mme [J] [A] et à M. [B] [E] relatif au bail du 30 septembre 1993 et portant sur les parcelles suivantes, toutes situées sur la commune de [Localité 20] en Seine-et-Marne':

La parcelle cadastrée ZK section n° [Cadastre 7] lieu-dit «'[Localité 24]'»';

La parcelle cadastrée ZM section n° [Cadastre 1] lieu-dit «'[Localité 26]'»';

La parcelle cadastrée ZN section n° [Cadastre 14] lieu-dit «'[Localité 23]»';

- Déclaré recevable la demande formée par M. [B] [E] et M. [Y] [E] tendant à obtenir l'autorisation de céder le bail à M. [S] [E]';

- Autorisé la cession par M. [B] [E] et M. [Y] [E] à M. [S] [E] du bail issu d'un acte authentique du 30 septembre 1993 consenti par Mme [T] et M. [Z] [F] portant sur l'exploitation de diverses parcelles sises sur la commune de [Localité 20] en Seine-et-Marne, d'une contenance totale de 57 hectares 11 ares et 40 centiares, ainsi cadastrée':

- La parcelle cadastrée ZK section n° [Cadastre 7] lieu-dit «'[Localité 24]'»';

- La parcelle cadastrée ZM section n° [Cadastre 1] lieu-dit «'[Localité 26]'»';

- La parcelle cadastrée ZN section n° [Cadastre 14] lieu-dit «'[Localité 23]»';

- Débouté les consorts [F] de leur demande tendant à la résiliation du bail conclu le 30 septembre 1993';

- Débouté les consorts [F] de leur demande d'expulsion des terres louées';

- Condamné in solidum les consorts [F] à verser à M. [B] [E] et à M. [Y] [E] la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile';

- Condamné in solidum les consorts [F] aux dépens.

Le consorts [F] ont interjeté appel de ce jugement par lettre recommandée avec accusé de réception expédiée le 24 février 2020.

A l'audience du 20 octobre 2020 les parties ont déposé des conclusions et ont indiqué s'en rapporter à celles-ci.

Dans leurs conclusions déposées à l'audience par leur conseil qui a indiqué s'en rapporter à ses écritures, les consorts [F] demandent à la cour de':

- Prononcer la nullité du jugement et user de sa faculté d'évocation';

A défaut':

- Infirmer la décision entreprise en ses dispositions ayant':

1°) Déclaré recevable la demande formée par M. [B] [E] et M. [Y] [E] tendant à obtenir l'autorisation de céder le bail à M. [S] [E]';

2°) Autorisé la cession par M. [B] et M. [Y] [E] à M. [S] [E]';

3°) Débouté les consorts [F] de leur demande tendant à la résiliation du bail conclu le 30 septembre 1993';

4°) Débouté les consorts [F] de leur demande d'expulsion des terres louées';

5°) Condamné in solidum les consorts [F] à verser aux consorts [E] la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens';

Dans tous les cas':

- Prononcer la résiliation judiciaire du bail en date du 30 septembre 1993';

- Ordonner à M. [Y] [E], Mme [J] [A] et à M. [B] [E] ainsi que tous occupants de leur chef la libération sur signification de l'arrêt à intervenir des parcelles ci-après désignées':

- Commune de [Localité 20] (Seine-et-Marne)':

- Cadastrée section ZK n° [Cadastre 7] lieudit «'[Localité 24]'» pour 14 ha 94 a 10 ca

- Cadastrée section ZM n° lieudit «'[Localité 26]'» pour 41 ha 66 a 10 ca

- Cadastrée section ZN n° [Cadastre 14] lieudit «'[Localité 23]'» pour 00 ha 51 a 20 ca

TOTAL': 57 ha 11 a 40 ca

- Dire et juger qu'à défaut de libération des parcelles dans ce délai, M. [Y] [E], Mme [J] [A] et à M. [B] [E] seront tenus d'une astreinte de 500 euros par jour de retard pendant trois mois, passé lequel délai il sera à nouveau fait droit';

- Autoriser également à défaut de libération des parcelles dans ce délai les consorts [F] à procéder à l'expulsion des consorts [E] ainsi que de tous occupants de leur chef';

- Déclarer irrecevable la contestation des consorts [E] à l'encontre de l'avis délivré le 10 janvier 2018 en raison de l'âge du preneur en place, sur le fondement de l'article L. 416-1 du code rural et subsidiairement la déclarer mal fondée';

Et à défaut de résiliation judiciaire du bail':

- Valider cet avis en ses termes et teneurs, à effet du 31 août 2020';

- Ordonner à M. [Y] [E], Mme [J] [A] et à M. [B] [E] la libération sur signification de la décision à intervenir des parcelles susvisées, dans les mêmes conditions et selon les mêmes modalités qu'indiqué précédemment en cas de résiliation judiciaire du bail';

- Déclarer irrecevable et subsidiairement mal fondée la demande formée par M. [B] [E] aux fins de cession de bail au profit de son fils [S] [E] et l'en débouter;

- Déclarer mal fondés les consorts [E] en leur appel incident';

- Le rejeter';

- Les débouter de l'ensemble de leurs demandes';

- Condamner solidairement M. [B] [E], M. [S] [E] et M. [Y] [E] à payer aux consorts [F] la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile';

- Condamner solidairement les consorts [E] aux entiers dépens tant de première instance que d'appel.

Dans leurs conclusions déposées à l'audience du 20 octobre 2020 par leur conseil qui a indiqué s'en rapporter à ses écritures, les consorts [E] demandent à la cour de':

- Déclarer les consorts [F] irrecevables et, en toutes hypothèses, mal fondés en l'ensemble de leurs demandes, notamment de nullité du jugement et de résiliation du bail rural à long terme du 30 septembre 1993'; les en débouter';

- Infirmer le jugement en ce qu'il a validé l'avis de fin de bail signifié à la requête des consorts [F] le 10 janvier 2018';

Statuant à nouveau':

- Dire et juger que les droits de Mme [C] [U] épouse [E] au bail du 30 septembre 1993 ont été transmis à ses deux enfants, dont [S] [E], à son décès';

- Dire nul et de nul effet l'avis donné en raison de l'âge du preneur en place à la requête des consorts [F] faute d'avoir été signifié à M. [S] [E] venant aux droits de sa mère [C] [U] épouse [E], décédée le [Date décès 9] 1996';

- Confirmer le jugement entrepris en ses autres dispositions, sauf à préciser que les droits au bail rural à long terme du 30 septembre 1993 sur les parcelles'suivantes':

- ZK numéro [Cadastre 7], lieudit «'[Localité 24]'», d'une superficie de 14 ha 94 a 10 ca';

- ZK numéro [Cadastre 1], lieudit «'[Localité 25]'», d'une superficie de 41 ha 66 a 10 ca';

- ZK numéro [Cadastre 14], lieudit «'[Localité 23]'», d'une superficie de 0 ha 51 a 20 ca';

cédés à M. [S] [E] sont ceux de son père [B] [E] et que le bail du 30 septembre 1993 se renouvellera pour une durée de 9 ans à compter du 1er septembre 2020';

Y ajoutant':

- Condamner in solidum les consorts [F] à payer à M. [B] [E], M. [S] [E] et M. [Y] [E] chacun une somme de 1 800 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile';

- Condamner in solidum les consorts [F] aux entiers dépens de la procédure d'appel.

A l'audience du 20 octobre 2020, le conseil des consorts [F] a indiqué que ses clientes venaient de lui remettre deux attestations qu'il souhaitait verser aux débats à l'appui de sa prétention, selon lesquelles les terres n'étaient pas effectivement exploitées par les consorts [E] ; que les consorts [E] ont indiqué ne pas avoir eu connaissance avant l'audience de ces deux pièces et se sont opposés à leur recevabilité ; les parties ont été autorisées a adresser à la cour des notes en délibéré sur ces attestations et leur recevabilité.

Le conseil des consorts [F] a communiqué ces deux pièces, l'une de la coopérative CERES et l'autre de M. [V] [L] numérotées 15 et 16 sur son bordereau récapitulatif, le lendemain 21 octobre et le conseil des consorts [E], comme il y était autorisé, a répondu le 5 novembre suivant, d'une part en sollicitant l'irrecevabilité de ces pièces qui ne lui ont été communiquées et produites qu'après la clôture des débats et, d'autre part, subsidiairement et au fond, en contestant la pertinence de ces deux pièces ; les consorts [F] ont répondu à cette argumentation par lettre du 15 décembre 2020 ; des observations ont été formulées en réplique par le conseil des consorts [E] le 23 décembre suivant et le conseil des consorts [F], par courrier du 31 décembre, a contesté la recevabilité de cette dernière note qui n'avait pas été autorisée ;

Bien que ces pièces nouvelles n'aient été formellement communiquées que le lendemain de l'audience, elles ont été évoquées lors de l'audience et, compte tenu du caractère oral de la procédure, elle sont susceptibles d'être retenues à condition que le principe du contradictoire soit respecté, condition en l'occurrence remplie, puisque le conseil des intimés a été en mesure de formuler des observations dans le cadre d'un échange de notes en délibéré. Ces deux pièces seront donc acquises aux débats.

A l'issue des débats, il a été indiqué aux parties que l'arrêt serait rendu par mise à disposition au greffe le 19 janvier 2021, date reportée au 26 janvier suivant.

SUR CE,

Sur la nullité du jugement

Considérant que les appelants invoquent les dispositions de l'article L 492-6 du code rural et de la pêche maritime aux termes desquelles « lorsque, par suite de l'absence d'assesseurs titulaires ou suppléants, régulièrement convoqués, ou de leur récusation, le tribunal paritaire ne peut se réunir au complet, le président statue seul, après avoir pris l'avis des assesseurs » ; qu'ils font valoir que le jugement mentionne que le tribunal était composé du président, d'un assesseur bailleur et d'un assesseur preneur, qu'il manquait donc un assesseur de chacune des catégories, mais que le jugement ne fait pas état du fait que le président a statué seul après avoir pris l'avis des deux assesseurs présents comme l'impose le texte précité ;

Que les consorts [E] s'opposent à cette argumentation, laquelle supposerait une présomption d'irrégularité du jugement, et versent aux débats la réponse qui a été faite par le greffe du tribunal selon laquelle le président confirmait avoir statué seul ;

Considérant cependant que tout jugement doit se suffire à lui même pour que soit établie la régularité de la décision rendue ; que l'article 454 du code de procédure civile dispose que le jugement est rendu au nom du peuple français et contient l'indication « du nom des juges qui en ont délibéré » ;

Qu'en l'espèce, l'en-tête du jugement sous le titre : « Composition du tribunal », mentionne les noms du président et du greffier, puis un seul nom figure après la mention « assesseurs bailleurs » comme après la mention « assesseurs preneurs » ;

Qu'il s'en déduit que, comme le soutiennent les appelants, ces mentions ne permettent pas de connaître les conditions dans lesquelles la décision a été rendue, par le seul président après avoir pris avis de ses deux assesseurs, ou bien si le président et ses deux assesseurs ont délibéré de l'affaire ;

Qu'ainsi, faute pour le jugement de contenir les éléments justifiant de sa régularité, sa nullité ne peut qu'être prononcée ;

Qu'il convient d'évoquer l'affaire, les parties ayant conclu au fond ;

Sur la demande de résiliation du bail

Considérant que les consorts [F] demandent à titre principal la résiliation du bail en raison du non-respect par les preneurs des articles L.411-37 dans sa rédaction antérieure à la loi du 9 juillet 1999 et L.411-35 du code rural et de la pêche maritime ;

Considérant que l'article L.411-37 du code rural et de la pêche maritime dans sa rédaction antérieure à la loi du 9 juillet 1999 dispose :

'A la condition d'en aviser le bailleur au plus tard dans les deux mois qui suivent la mise à disposition, par lettre recommandée, le preneur associé d'une société à objet principalement agricole peut mettre à la disposition de celle-ci, pour une durée qui ne peut excéder celle pendant laquelle il reste titulaire du bail, tout ou partie des biens dont il est locataire, sans que cette opération puisse donner lieu à l'attribution de parts. Cette société doit être constituée entre personnes physiques et, soit être dotée de la personnalité morale, soit, s'il s'agit d'une société en participation, être régie par des statuts établis par un acte ayant acquis date certaine.

L'avis adressé au bailleur mentionne le nom de la société, le tribunal de commerce auprès duquel la société est immatriculée et les parcelles que le preneur met à sa disposition. Le preneur avise le bailleur dans les mêmes formes du fait qu'il cesse de mettre le bien loué à la disposition de la société ainsi que de tout changement intervenu dans les éléments énumérés ci-dessus. Cet avis doit être adressé dans les deux mois consécutifs au changement de situation.

Le bail ne peut être résilié que si le preneur n'a pas communiqué les informations prévues à l'alinéa précédent dans un délai d'un an après mise en demeure par le bailleur par lettre recommandée avec demande d'avis de réception. La résiliation n'est toutefois pas encourue si les omissions ou irrégularités constatées n'ont pas été de nature à induire le bailleur en erreur.

Le preneur qui reste seul titulaire du bail doit, à peine de résiliation, continuer à se consacrer à l'exploitation du bien loué mis à disposition, en participant sur les lieux aux travaux de façon effective et permanente, selon les usages de la région et en fonction de l'importance de l'exploitation. Tous les membres de la société sont tenus de participer à la mise en valeur des biens qu'elle exploite, dans les mêmes conditions.(...)' ;

Que les bailleurs font valoir que MM. [Y] et [B] [E] ont constitué une société civile d'exploitation agricole dénommée « [E] Frères » selon statuts en date du 20 juin 1984, et que les parcelles données à bail selon acte notarié du 30 septembre 1993 ont été immédiatement mises à la disposition de cette société sans avertissement préalable comme l'imposait tant l'article L.411-37 du code précité qu'une stipulation du bail ; qu'ils précisent en outre, que ce n'est que la loi du 9 juillet 1999 qui a soumis la résiliation du bail à la condition que le bailleur démontre le préjudice causé par le manquement à cette obligation;

Que les intimés s'opposent à cette demande, faisant valoir que, même sous l'empire de l'article L.411-37 du code rural et de la pêche maritime dans sa rédaction antérieure à la loi du 9 juillet 1999, le manquement par le preneur à l'obligation d'avertir le bailleur préalablement à la mise à disposition des terres données à bail n'est pas sanctionné par la résiliation si ce manquement n'a pas été de nature à induire en erreur le bailleur ; qu'ils font valoir que le bailleur était informé dès la régularisation du bail de cette mise à disposition des terres louées et qu'il avait perçu des loyers de la société « [E] Frères » ;

Considérant cependant que, s'il est exact, comme le soutiennent les intimés, que l'absence d'envoi de la lettre recommandée peut ne pas être sanctionnée par la résiliation dans le cas où cette omission n'était pas de nature à induire le bailleur en erreur, il doit être relevé que le bail conclu par les parties offrait la possibilité aux preneurs de mettre à disposition les terres louées à une société dont ils étaient membres, à la condition d'en avertir préalablement le bailleur par lettre recommandée avec accusé de réception ; qu'il aurait été aisé aux preneurs de mentionner dans le bail la mise à disposition des terres à la société « [E] Frères » si, comme ils le soutiennent, « dès l'origine » ils avaient informé le bailleur de cette mise à disposition des terres données à bail à la société « [E] Frères »;

Qu'en outre, si, le même jour, un contrat de vente de matériel a été conclu par la société « [E] Frères » et le bailleur, lequel connaissait par conséquent l'existence de cette société, ce dernier avait également pu constater que cette société ne comportait comme associés que MM. [Y] et [B] [E] et non leurs épouses, lesquelles étaient preneuses des terres louées ; qu'ainsi, contrairement à ce que soutiennent les intimés, ce contrat de vente de matériel ne permettait pas au bailleur de supposer la mise à dispositions des terres à ladite société et, par conséquent, est insusceptible de démontrer l'information prétendument donnée au bailleur ;

Qu'enfin, s'agissant des payements des fermages qui ont été faits, selon l'attestation de l'expert comptable de la société « [E] Frères », par cette société au bailleur, il doit être relevé que cette attestation ne commence qu'à l'année 1996, soit trois ans après la conclusion du bail, alors qu'il n'est pas contesté par les intimés que la mise à disposition des terres a eu lieu dès le début du bail, de sorte que, compte tenu du contexte et du fait que les payements n'auraient été faits que trois ans après la conclusion du bail, ces payements ne caractérisaient nullement l'information due aux bailleurs qui ont été induits en erreur par les preneurs ;

Que pour ce motif déjà la résiliation du bail est encourue ;

Considérant que les consorts [F] se prévalent également des dispositions de l'article L.411-35 du code rural et de la pêche maritime dans ses troisième et quatrième alinéas lesquels disposent :

«Lorsqu'un des copreneurs du bail cesse de participer à l'exploitation du bien loué, le copreneur qui continue à exploiter dispose de trois mois à compter de cette cessation pour demander au bailleur par lettre recommandée avec demande d'avis de réception que le bail se poursuive à son seul nom. Le propriétaire ne peut s'y opposer qu'en saisissant dans un délai fixé par décret le tribunal paritaire, qui statue alors sur la demande. Le présent alinéa est applicable aux baux conclus depuis plus de trois ans, sauf si la cessation d'activité du copreneur est due à un cas de force majeure.

«A peine de nullité, la lettre recommandée doit, d'une part, reproduire intégralement les dispositions du troisième alinéa du présent article et, d'autre part, mentionner expressément les motifs allégués pour cette demande ainsi que la date de cessation de l'activité du copreneur.» ;

Qu'ils font valoir que Mme [C] [U] a cessé d'exploiter par suite de son décès survenu le [Date décès 9] 1996, que M. [Y] [E] a cessé de participer à l'exploitation des terres depuis le 31 décembre 2013 et a cédé ses parts dans la société « [E] Frères » à M. [S] [E] ainsi que l'indiquait Maître [R], notaire, dans un courrier adressée le 27 mai 2014 à Mme [J] [O] veuve [F], mais que M. [B] [E] s'est abstenu de demander au bailleur que le bail se poursuive à son seul nom ;

Que les intimés contestent ce moyen en soutenant, d'une part, que l'envoi par le copreneur de la lettre recommandée avec accusé de réception afin de demander que le bail se poursuive à son seul nom n'est qu'une faculté qui lui est offerte et non une obligation dont le non respect serait sanctionné par la résiliation du bail et, d'autre part, que la lettre du notaire en date du 27 mai 2014 a informé Mme [J] [O] veuve [F] et qu'en l'absence de réaction de cette dernière la poursuite du bail au bénéfice de [B] [E] a été acceptée ;

Considérant, en premier lieu, que, contrairement à ce que soutiennent les intimés, l'article L.411-35 du code rural et de la pêche maritime, qui pose le principe de la prohibition des cessions de bail en raison du caractère personnel de celui-ci, prévoit que ses dispositions sont d'ordre public, l'article L.411-31 du même code stipulant que le bailleur peut « demander la résiliation du bail s'il justifie d'un des motifs suivants :

1°) Toute contravention aux dispositions de l'article L 411-35 ; », sans préciser, comme c'est le cas s'agissant des manquements à l'article L.411-37 dans sa rédaction postérieure à la loi du 9 juillet 1999 et à l'ordonnance du 13 juillet 2006, la condition du préjudice qui en est résulté pour le bailleur ;

Qu'en outre, l'obligation posé par l'article L.411-35 qui offre au copreneur continuant à exploiter les terres données à bail lorsque l'un des copreneurs cesse de participer à l'exploitation, un délai de trois mois pour demander au bailleur que le bail se poursuive à son seul nom, ne constitue nullement une simple faculté qui lui serait offerte, mais une obligation lui permettant de recueillir l'indispensable agrément du bailleur dans des conditions de sécurité juridique pour les deux parties, dès lors que la demande de l'un et la contestation de l'autre sont enfermées dans un délai à l'expiration duquel leurs situations respectives sont fixées ou soumises au jugement du tribunal ;

Considérant, en toute hypothèse, que le consentement du bailleur ne peut résulter de son silence en l'absence d'envoi de la lettre recommandée avec accusé de réception prévue par le par l'alinéa 3 de l'article L.411-35 du code rural et de la pêche maritime issu de la loi n°2014-1170 du 13 octobre 2014 dont l'article 4 prévoit qu'il est applicable aux baux en cours, le délai de trois mois commençant à courir à compter du 14 octobre 2014 si la cessation d'activité du copreneur, non conjoint ou partenaire d'un pacte civil de solidarité, est antérieure à cette date, ce qui est le cas en l'occurrence ;

Considérant, en conséquence, que faute pour M. [B] [E] d'avoir sollicité par lettre recommandée avec accusé de réception que le bail se poursuive sous son seul nom au plus tard le 14 janvier 2015, la cession de bail doit être jugée illicite et le manquement aux dispositions de l'article L.411-35 du code rural et de la pêche maritime caractérisé et justifiant la résiliation du bail ;

Qu'il sera observé que les deux manquements ci-dessus relevés démontrent que depuis le début du bail, soit depuis 27 ans, les preneurs ont incontestablement induit les bailleurs en erreur en s'abstenant de respecter les obligations légales et contractuelles permettant aux bailleurs d'être informés de la situation réelle des conditions de l'exploitation des terres données à bail comme de connaître précisément l'identité de celui des preneurs qui les exploitait effectivement, informations imposées par la loi afin de permettre au bailleur d'exercer les droits que celle-ci lui reconnaît ;

Considérant, en conséquence, que compte tenu du prononcé de la résiliation du bail, la demande de M. [B] [E], M. [S] [E] et M. [Y] [E] tendant à ce que soit autorisée la cession dudit bail à M. [S] [E] est irrecevable, MM. [Y] et [B] [E] ne pouvant céder un bail résilié ; que la contestation de la validité de l'avis délivré par exploit d'huissier en date du 10 janvier 2018 par les bailleurs aux preneurs, MM. [Y] et [B] [E] et Mme [J] [A] divorcée de [Y] [E], afin de non renouvellement du bail en raison de l'âge des preneurs, est devenue, pour cette même raison sans objet ;

Qu'il sera fait droit à la demande d'expulsion sous astreinte dans les conditions prévues au dispositif ;

Que M. [B] [E], M. [S] [E] et M. [Y] [E] qui succombent en leurs demandes seront condamnés in solidum aux dépens d'appel et de première instance ainsi qu'à verser à Mme [J] [O] veuve [F], Mme [K] [F] épouse [I] et Mme [M] [F] épouse [D] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

- Prononce la nullité du jugement rendu par le tribunal paritaire des baux ruraux de Meaux le 30 janvier 2020,

Évoquant l'affaire,

- Prononce, sur le fondement des article L.411-37, L.411-35 et L.411-31 du code rural et de la pêche maritime la résiliation du bail à long terme conclu pour une durée de 27 ans par acte authentique en date du 30 septembre 1993 entre Mme [G] [T], usufruitière, et M. [Z] [F], nu-propriétaire, et M. [Y] [E], Mme [J] [A] épouse [E], M. [B] [E] et Mme [C] [U] épouse [E], portant sur les trois parcelles de terre suivantes situées sur la commune de [Localité 20] (Seine-et-Marne):

- ZK numéro [Cadastre 7], lieudit «'[Localité 24]'», d'une superficie de 14 ha 94 a 10 ca,

- ZK numéro [Cadastre 1], lieudit «'[Localité 25]'», d'une superficie de 41 ha 66 a 10 ca,

- ZK numéro [Cadastre 14], lieudit «'[Localité 23]'», d'une superficie de 0 ha 51 a 20 ca;

- Ordonne la libération de ces terres et à défaut d'exécution volontaire ordonne l'expulsion de M. [B] [E] et de M. [Y] [E] et au besoin de Mme [J] [A] ainsi que de tous occupants de leur chef, notamment M. [S] [E] ;

- Assortit cette mesure d'une astreinte d'un montant de 100 euros par jour de retard passé le délai de trois mois suivant la signification du présent arrêt et pendant une durée de trois mois,

- Déclare irrecevable la demande de cession de bail formée par M. [B] [E] au profit de M. [S] [E] et sans objet la contestation de l'avis signifié par exploit en date du 10 janvier 2018 sur le fondement de l'article L.416-1 du code rural et de la pêche maritime;

- Condamne M. [B] [E], M. [S] [E] et M. [Y] [E], in solidum, à verser à Mme [J] [O] veuve [F], Mme [K] [F] épouse [I] et Mme [M] [F] épouse [D], prises ensemble, la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamne M. [B] [E], M. [S] [E] et M. [Y] [E], in solidum, aux dépens de première instance et d'appel.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 4 - chambre 4
Numéro d'arrêt : 20/06142
Date de la décision : 26/01/2021

Références :

Cour d'appel de Paris G4, arrêt n°20/06142 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2021-01-26;20.06142 ?
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