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19/01/2021 | FRANCE | N°19/175157

France | France, Cour d'appel de Paris, E6, 19 janvier 2021, 19/175157


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées aux parties le :
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 3 - Chambre 6

ARRET DU 19 JANVIER 2021

(no , pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : No RG 19/17515 - No Portalis 35L7-V-B7D-CAUYM

Décision déférée à la Cour : Jugement du 30 Juillet 2019 -Juge des enfants de BOBIGNY - RG no H10/0266

APPELANTS

Monsieur N... R...
[...]
[...]
comparant en personne, assisté de Me Joseph BEHOTAS, avocat commis d'office au barreau de Seine-Saint-Denis,

toque : 106

Madame V... W...
[...]
[...]
comparante en personne

INTIMES

Monsieur LE PRESIDENT DU CONSEIL DEPARTEMENTAL D...

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées aux parties le :
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 3 - Chambre 6

ARRET DU 19 JANVIER 2021

(no , pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : No RG 19/17515 - No Portalis 35L7-V-B7D-CAUYM

Décision déférée à la Cour : Jugement du 30 Juillet 2019 -Juge des enfants de BOBIGNY - RG no H10/0266

APPELANTS

Monsieur N... R...
[...]
[...]
comparant en personne, assisté de Me Joseph BEHOTAS, avocat commis d'office au barreau de Seine-Saint-Denis, toque : 106

Madame V... W...
[...]
[...]
comparante en personne

INTIMES

Monsieur LE PRESIDENT DU CONSEIL DEPARTEMENTAL DE SEINE SAINT DENIS
[...]
[...]
représenté par Me Caroline LAUDE, avocat au barreau de Seine-Saint-Denis, toque : BOB32

Mademoiselle P... W... (Mineure de plus de 16 ans)
Placée à l'[...]
[...]
[...]
comparante en personne

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 01 Décembre 2020, en chambre du conseil, devant la Cour composée de :

Madame Marie-Pierre HOURCADE, Présidente de chambre chargée d'instruire l'affaire.
Madame Claire ESTEVENET, Conseillère.
Madame Anne LATAILLADE, Conseillère.

magistrats délégués à la protection de l'enfance, qui en ont délibéré

Greffier, lors des débats : Mme Jocelyne RAKOTONDRASOA

Ministère Public : l'affaire a été communiquée au Ministère Public qui a apposé son visa au dossier le 30 novembre 2020.
ARRET :

- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Marie-Pierre HOURCADE, Présidente de chambre et par Livia SEYMOUR , Greffière présente lors de la mise à disposition.

DÉCISION :

Prise après en avoir délibéré conformément à la loi.

La cour est saisie de l'appel régulièrement interjeté par madame V... W... et monsieur N... R... contre un jugement rendu le 30 juillet 2019 par le juge des enfants de Bobigny qui a notamment :

- ordonné le placement de leurs enfants P... W..., F... R..., G... W..., A... W... auprès de l'ASE93 pour une période de 2 ans à compter du 30 juillet 2019;
- dispensé les parents de toute contribution financière aux frais de placement ;
- dit que les prestations sociales auxquelles les mineurs ouvrent droit seront directement versées pendant la durée du placement par l'organisme débiteur au Président du Conseil départemental ;
- ordonné l'exécution provisoire de la décision.

RAPPEL DE LA SITUATION

Madame W... a cinq enfants :
- X... W..., né le [...] , reconnu par son père monsieur C...,
- P... W..., née le [...] ,
- F... R..., née le [...] ,
- G... W..., né le [...] ,
- A... W..., né le [...] dont la filiation paternelle n'est pas établie en 2019.
Monsieur R... a reconnu P..., F... et G....

Le juge des enfants a été saisi en 2010 de la situation des 4 aînés qui évoluaient déjà dans un climat d'insécurité affective et matérielle. Madame W... reconnaissait avoir des difficultés à prendre en charge ses enfants, fragilisée par un parcours de ruptures et de placements quand elle était enfant et confrontée aux violences et à l'alcoolisation de son compagnon monsieur R.... Après une mesure d'investigation éducative, une mesure d'AEMO était ordonnée en mars 2011 qui prenait fin en août 2015 compte tenu de l'évolution positive de la situation, la mère ayant tiré profit des conseils donnés. Les suivis médicaux étaient assurés, un certain équilibre familial avait été trouvé. Cette période avait tout de même été marquée par les révélations de P... qui avait accusé son grand-père maternel décédé depuis, d'agressions sexuelles sur elle et sa petite soeur F....

Le juge des enfants était à nouveau amené à intervenir auprès de X... et en août 2017 auprès de P..., F... et G... dans le cadre d'une mesure éducative en milieu ouvert. L'ASE 93 puis l'AVVEJ étaient désignés pour l'exercice de cette mesure qui tardait à être mise en place en raison d'une suractivité des services.

Le dernier rapport de l'AVVEJ du 14 juin 2019 était très alarmant et demandait le placement des quatre derniers enfants compte tenu de la dégradation de la situation. La famille avait été expulsée fin 2018 de son logement de Bondy après un épisode d'une grande violence où madame W... s'était opposée à des gitans occupant le même immeuble. Elle s'était réfugiée chez la grand mère paternelle qui occupait un F2 extrêmement exigü pour héberger 3 adultes et 5 enfants. Très vite, madame W... devait quitter les lieux avec les enfants après une violente altercation avec sa belle mère. A la suite de cet incident, le couple se séparait et la mère allait se réfugier en Seine et Marne chez le père de X.... Là encore, les enfants assistaient à des scènes de violences entre ce dernier et sa compagne qui nécessitaient l'intervention des forces de l'ordre à 2 reprises. De janvier à mars 2019, les enfants n'étaient quasiment plus scolarisés. Durant cette période de turbulences, les enfants étaient confrontés à une instabilité, à une précarité et une insécurité permanentes. Les relations entre P... et sa mère étaient devenues d'une grande violence, physique mais aussi verbale, la jeune fille traitant sa mère de « pute, d'alcoolique et de suceuse de bite » P... évoquait les nombreux épisodes de violences de la part de sa mère depuis leur départ de Bondy où cette dernière lui sautait dessus, la griffait, la frappait, lui arrachait les cheveux. P... retournait alors chez sa grand mère où vivait son père. Madame W... était obligée de suivre sa fille chez la grand-mère paternelle après une énième dispute entre le père de X... et sa compagne, la police lui ayant enjoint de quitter les lieux pour protéger ses enfants.
Les disputes et scènes de violence reprenaient entre les adultes. Mi avril, P... se confiait à l'assistante sociale scolaire et dénonçait des violences qu'elle subissait de la part de son père. Ce dernier avait reconnu les faits, à savoir lui « avoir mis une gauche et l'avoir tirée par les cheveux », ce dont il s'était ensuite excusé auprès de sa fille. Il expliquait avoir agi à la demande de la mère qui n'arrivait pas à se faire respecter de P.... Il reconnaissait boire uniquement les week-ends et contestait les violences sur sa femme ou sur les enfants. P... exprimait un profond mal être et avait demandé à F... un couteau pour se scarifier sans que madame W... ne s'en inquiète, au motif qu'elles ne se parlaient plus. F... traitait sa mère de « pute et de salope » dès qu'elle n'obtenait pas satisfaction. Les relations entre les frères et soeurs n'étaient pas plus apaisées. P... traitait F... de grosse vache en raison de son physique. F... traitait A... de pervers en lui faisant des doigts d'honneur quand ce dernier touchait les fesses de F... et de sa grand-mère. P... accusait G... et F... d'être jaloux de A... quand il recevait des cadeaux. La mère semblait se reposer sur F... et G... pour s'occuper du plus jeune.
Le couple était séparé mais vivait sous le même toit, partageant le même lit. Chaque parent entretenait en outre une relation extraconjugale au su des enfants.
Tous les enfants étaient exposés depuis plusieurs mois à des scènes de violence ainsi qu'à des échanges verbaux tout aussi violents, grossiers et sexualisés, et ce de façon tout à fait banalisée. Les tensions étaient régulières entre les parents mais aussi entre les enfants sans que les parents ne parviennent à réguler les altercations par des réponses éducatives adaptées.

Le service éducatif sollicitait le placement des enfants compte tenu du danger dans lequel évoluaient les quatre derniers enfants.( X... était déjà placé).

Le 30 juillet 2019, les enfants étaient confiés à l'ASE pour une durée de deux ans. Les parents étaient absents à l'audience et le placement se faisait avec l'intervention des forces de l'ordre. Les parents avaient dans un premier temps leurs droits de visite suspendus compte tenu de l'absence de collaboration avec les services sociaux puis ils se voyaient attribuer le 25 octobre 2019 un droit de visite en présence d'un tiers psychologue de formation, une fois tous les 10 jours en raison du besoin des enfants de voir leurs parents et des fugues répétés des aînés. Ce placement était maintenu le 13 mars 2020 mais les droits des parents étaient limités à un droit de visite à la journée une fois par mois du fait des pressions exercées par les parents sur les enfants pour mettre à mal le placement. Les parents ne reconnaissaient pas le climat de violence dans lequel avaient grandi les enfants, ils n'avaient pas conscience de leurs difficultés, ils entretenaient plus ou moins consciemment le conflit de loyauté dans lequel se trouvaient les enfants et qui les empêchait d'évoluer et tirer profit de leur prise en charge.

Les trois aînés étaient confiés au foyer [...] et A... était accueilli chez une assistante familiale.
P... d'abord hostile à son placement et en phase avec le discours parental, prenait de la distance et finissait par adhérer à sa prise en charge après le différend qu'elle avait eu avec son père qui s'était opposé à des relations entretenues avec un jeune du foyer d'origine africaine. Elle ne souhaitait plus rentrer au domicile familial, s'autorisant à parler des violences qu'elle subissait de la part de son père mais aussi de sa mère. Elle appréhendait un retour en famille préférant se donner le temps de voir comment les choses allaient évoluer.
Elle était décrite comme une jeune sociable, sympathique, ayant un rôle de leader positif au sein de son groupe.
F..., d'un naturel introverti, était généralement calme mais pouvait se montrer très réactive et virulente quand elle ne maitrisait pas ses émotions. Elle était décrite comme influençable, sachant peu verbaliser ce qui était source chez elle de tristesse et d'inquiétude. Tout comme son frère G..., elle fuguait mettant à mal sa scolarité et désirait revenir chez ses parents. G... était un enfant sensible, relativement autonome, mais en grande souffrance de par la séparation d'avec ses parents. Il pouvait se montrer tyrannique voire violent à l'encontre d'enfants plus jeunes. Le foyer proposait pour F... et G... à minima un élargissement des droits des parents en larges droits de sorties, évoquant la possibilité d'un placement à domicile en présence d'une TISF et un accompagnement thérapeutique de la famille afin de définir les rôles et places de chacun et de retrouver une communication plus saine et respectueuse.
A... avait vécu la séparation de façon difficile les premiers jours. Il avait fini par trouver auprès de sa famille d'accueil l'apaisement dont il avait besoin. Agé de moins de 2 ans lors du placement, il ne parlait pas mais savait se montrer attentif à ce qui était dit, notamment lorsqu'il s'agissait de sa famille. Sa rencontre avec ses frères et soeurs n'avait pas suscité beaucoup d'émotions de sa part, contrairement à ses frères et soeurs qui avaient été très émus en revoyant leur petit frère.

C'est dans ce contexte que survenait la décision frappée d'appel.

A l'audience de la cour :

P... entendue seule déclare que ça se passe bien au foyer. Elle est en première professionnelle. Elle aimerait être auxiliaire puéricultrice. La situation familiale a changé depuis le placement, ses parents se sont pris en mains, ils ont chacun un logement, et ils se sont excusés. Elle a envie de rentrer. Elle aimerait aller chez son père. Elle pourrait rester scolarisée au lycée de Romainville.
Les propos de P... sont rapportés à l'audience de la cour, en présence des parties;

Madame V... W... et monsieur N... R... demandent la main levée du placement et le retour des enfants, avec mesure d'AEMO si la cour l'estime nécessaire.
En cours d'audience, ils précisent que le plus jeune pourrait être remis à sa mère et les autres à leur père. Ils expliquent qu'ils ont chacun leur logement.
Monsieur R... conteste certains éléments du dossier comme le fait d'avoir été expulsé de leur logement ou d'avoir eu des problèmes d'alcoolisme. Il précisait qu'il était exact qu'ils avaient dû quitter leur logement à Bondy à la demande du propriétaire suite à une altercation entre sa femme et des voisins. Il contestait avoir été violent avec ses enfants, ne reconnaissant qu'un seul incident concernant P..., mentionné dans le rapport. Il y avait des violences entre P... et sa mère mais il n'était pas là, il rentrait tard de son travail.
Madame W... reconnaissait que la situation n'était plus acceptable mais que depuis le placement, les relations s'étaient normalisées notamment avec P.... Elle les voit tous les samedis, tous ensemble avec leur père au domicile de ce dernier.

Leur avocat rappelle, au soutien de la demande de main levée du placement, que ses clients n'étaient pas à l'audience de première instance et qu'ils contestent les éléments présentés dans le rapport que ce soit l'expulsion ou l'alcoolisme du père. La situation a
évolué, les parents sont séparés. Les enfants ont de réelles difficultés à supporter le placement, et attendent leur retour au domicile. Les enfants sont calmes durant les visites. On note un réel attachement entre parents et enfants et un fort lien de loyauté des enfants vis à vis de leurs parents.

Monsieur le Président du Conseil départemental de Seine-Saint-Denis représenté par son conseil, sollicite le maintien du placement dans l'immédiat. Le placement a été positif pour les enfants, et notamment pour les plus grands. Les visites se déroulent bien et l'ASE a sollicité des droits plus larges pour les parents. Dans la continuité du placement, vont être demandés des droits de visite et d'hébergement avant d'envisager un retour des enfants dans le cadre d'un placement à domicile. Le service a visité le logement de madame W... qu'elle disait aménager et la visite du logement du père doit être programmée.

Sur ce,
La cour,

Au vu des pièces du dossier telles que rapportées ci-dessus et débattues contradictoirement, c'est à juste titre et par des motifs pertinents et circonstanciés que la cour adopte, que le premier juge a pris la décision déférée.

En effet, le juge des enfants a pris sa décision pour protéger les enfants qui étaient exposés depuis plusieurs mois à un contexte de violence et en ce qui concerne P... à la violence physique de ses parents. Sa relation avec sa mère n'était plus acceptable. Au delà de cette violence, les enfants étaient exposés à une instabilité et une promiscuité qui mettaient en danger leur équilibre et leur développement psychoaffectif. Leur changement de domicile avait interrompu début 2020 leur scolarité durant près de 3 mois. Ils évoluaient dans une famille où régnait une grande confusion des places et des rôles de chacun.
Leur placement était tout à fait justifié.

A ce jour, les enfants semblent avoir trouvé un lieu d'apaisement au sein de leur foyer et pour le plus jeune au sein de sa famille d'accueil. Ils souhaitent revenir à la maison. Après une suspension de leurs droits, les parents ont bénéficié de droits de visites de plus en plus larges compte tenu du bon déroulement des rencontres avec leurs enfants.

L'ASE envisage un placement à domicile. Ce retour devant se faire progressivement après visite du logement de monsieur R... et évaluation du bon déroulement d'un droit de visite et d'hébergement avec nuitées.

La cour n'est pas saisie de cette demande et ne peut pas statuer sur ce point puisque la décision dont appel n'avait pas alors accordé de droit de visite aux parents.

Au vu de ces éléments, et pour la protection des enfants, la cour ne peut que confirmer en l'état la décision dont appel.

Par ces motifs,

La cour,

Statuant en chambre du conseil, par arrêt contradictoire,

Déclare recevable l'appel de madame V... W... et de monsieur N... R...,

Confirme le jugement rendu le 30 juillet 2019 par le juge des enfants de Bobigny,

Ordonne le retour du dossier au juges des enfants de Bobigny,

Laisse les dépens à la charge du Trésor public.

LA PRESIDENTE, LA GREFFIERE,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : E6
Numéro d'arrêt : 19/175157
Date de la décision : 19/01/2021
Sens de l'arrêt : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.paris;arret;2021-01-19;19.175157 ?
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