Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 16
Chambre Commerciale Internationale
ARRET DU 12 JANVIER 2021
(n° /2021, 7 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/00073 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CBGAS
Décision déférée à la Cour : Jugement du 04 Novembre 2019 -Tribunal de Commerce d'Auxerre - RG n° 20190001132
Sous application du protocole de procédure applicable devant la chambre commerciale internationale de la cour d'appel de Paris
APPELANTE :
La SAS KRONOSPAN
Immatriculée au registre de commerce sous le numéro 799 378 781,
Ayant son siège social : [Adresse 2]
prise en la personne de ses représentants légaux,
Représentée par Me Maylis KAPPELHOFF-LANCÇON, avocate au barreau de Paris, toque : A0840- ayant pour avocat plaidant Me Solen REMY GANDON, avocate au barreau de AUBE ;
INTIMEE :
La SA FRUYTIER GROUP PURCHASE, SALES AND SERVICES
Immatriculée au registre de commerce sous le numéro B 54.706,
Ayant son siège social :[Adresse 1] (LUXEMBOURG)
prise en la personne de ses représentants légaux,
Représentée par Me Catheline MODAT, AARPI Studio Avocats, avocate au barreau de Paris, toque: R115 ; ayant pour avocat plaidant Me Jean-Charles MEUNIER, avocat au barreau de CHALON-SUR-SAONE ;
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 16 Novembre 2020, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant François Ancel, président, et Laure ALDEBERT, conseillère chargée du rapport.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
M. François ANCEL, Président
Mme Fabienne SCHALLER, Conseillère
Mme Laure ALDEBERT, Conseillère
Greffière, lors des débats : Mme Clémentine GLEMET
ARRÊT :
- CONTRADICTOIRE
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par le François ANCEL, président et par Clémentine GLEMET, greffière à qui la minute a été remise par le magistrat signataire.
I ' FAITS ET PROCÉDURE
1. La société Kronospan est une société spécialisée dans la fabrication et la vente de panneaux de bois en France et à l'étranger dont le siège est à [Adresse 2].
2. La société Fruytier Group Purchase, Sales and Services (ci-après la société Fruytier') est une société de droit luxembourgeois spécialisée dans le commerce en gros et/ou au détail de bois et de tous produits dérivés. Elle est membre du groupe Fruytier, dont fait partie la société française Fruytier Bourgogne.
3. La société Kronospan a repris le 1er avril 2014 le fonds de la société française Isoroy exerçant également dans le même domaine d'activité qui s'était déjà fournie en bois auprès du groupe Fruytier.
4. Entre avril 2014 et mars 2015 la société Kronospan a commandé du bois sous forme de plaquettes et de billons à la société Fruytier luxembourgeoise par l'intermédiaire de la société Fruytier Bourgogne qui la livrait.
5. Le bois était chargé au départ de [Localité 5] lieu d'établissement de la société Fruytier Bourgogne puis transporté par camions sur le site de la société Kronospan au [Localité 4] et à [Localité 3].
6. Estimant que la société Kronospan restait lui devoir un solde sur factures de 423 446,72 euros, la société Fruytier a, par courrier du 29 juin 2015, mis en demeure la société Kronospan de lui régler la somme réclamée ce que la société Kronospan a contesté.
7. La société Kronospan a fait valoir que le montant facturé par la société Fruytier ne correspondait pas au volume du bois réellement livré par les camions et qu'elle avait directement réglé en auto-facturant la société Fruytier luxembourgeoise.
8. C'est dans ce contexte qu'après avoir introduit une action devant la juridiction commerciale luxembourgeoise qui par jugement du 2 mars 2016 s'est déclarée incompétente au profit de la juridiction française la société Fruytier a, par exploit en date du 26 décembre 2017 fait assigner la société Kronospan en paiement de la somme demandée devant le tribunal de commerce d'Auxerre qui, par jugement en date du 4 novembre 2019 a :
-condamné la société Kronospan à payer à la société Fruytier la somme de 423.446,72 euros, outre intérêts à compter de la mise en demeure du 29 juin 2015,
-débouté la société Kronospan de ses demandes reconventionnelles,
-condamné la société Kronospan à payer à la société Fruytier la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
9. Par déclaration du 16 décembre 2019, la société Kronospan a interjeté appel de ce jugement.
10. Les parties ont accepté de faire application du protocole de procédure applicable devant la chambre commerciale internationale de la cour d'appel de Paris.
11. La clôture a été ordonnée le 16 novembre 2020.
II ' PRÉTENTIONS DES PARTIES
12. Aux termes de ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 8 novembre 2020, la société Kronospan demande à la cour, au visa des articles 1134 du code civil dans son ancienne version, 1104 dans sa nouvelle version et l'ancien article 1235 alinéa 1er du code civil :
- D'infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions';
Statuant à nouveau,
- Dire et juger la société Kronospan recevable et bien fondée en ses demandes, fins et conclusions ;
- Débouter la société Fruytier de toute demande à son encontre de la et notamment de toute demande tendant à la voir condamner à payer la somme en principal de 423.446,72 euros';
- Condamner la société Fruytier à lui payer la somme de 50.000 € à titre de dommages et intérêts ;
- Condamner la société Fruytier a` lui payer la somme de 10.000 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;
- Condamner la société Fruytier aux entiers dépens dont ceux de première instance.
13. Aux termes de ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 29 octobre 2020, la société Fruytier demande à la cour, au visa de l'article 1103 du code civil, de :
- Dire et juger mal fondé l'appel interjeté par la société Kronospan,
- Confirmer le jugement entrepris,
- Condamner en conséquence, pour les causes sus énoncées qui font expressément corps avec le présent dispositif, la société Kronospan à lui payer la somme de 423.446,72 €, outre intérêts au taux contractuel de 12% à compter de la mise en demeure du 29 juin 2015,
- Condamner la société Kronospan à lui régler la somme de 10.000 € au titre des dispositions de l'article 700 du CPC en cause d'appel ;
- Débouter la société Kronospan de l'intégralité de ses demandes reconventionnelles';
- Condamner la société Kronospan en tous les dépens tant de première instance que d'appel.
III ' MOYENS DES PARTIES
14. Au soutien de son appel la société Kronospan soutient qu'elle s'est aperçue par un contrôle visuel que les camions Fruytier chargés des copeaux de bois n'étaient pas complètement remplis et qu'elle a fait procéder à la pesée des camions à l'entrée et à la sortie du site pour déterminer'le volume de bois à l'arrivée des camions en fonction du poids figurant sur les bons de pesée signés avec les chauffeurs de Fruytier, après leur passage sur la balance, auquel elle a appliqué un coefficient de conversion qui était à l'époque de 270 ce qui revient en d'autres termes à convertir la tonne en mètre cube apparent (MAP).
15. Elle explique avoir ensuite déterminé les montants dus au prix du MAP convenu avec la société Fruytier qu'elle a réglé par virement à cette société selon le procédé de l'auto-facturation ou self-billing habituellement pratiqué que l'intimée a accepté pour un montant au final de 2 844 826 euros.
16. Elle fait valoir que ce n'est que 8 mois après le début des livraisons qu'elle a reçu des factures de la société Fruytier alors qu'elle l'avait avertie des écarts rencontrés par mails échangés le 11 juin 2014 et 5 février 2015 et que l'auto-facturation calculée à la pesée n'avait pas été contestée.
17. Dans ces conditions elle soutient que la société Fruytier ne peut sérieusement soutenir que ses réserves sur le volume d'arrivée sont hors délai et lui réclamer a postériori un solde des factures sur une quantité qui ne correspond pas en tout état de cause à la quantité livrée.
18. En réponse la société Fruytier sollicite la confirmation de la décision dés lors que l'appelante, sa cliente, a signé sans réserve les bons de livraison correspondant au montant facturé ni formé aucune réclamation sur la quantité livrée dans le délai prescrit par l'article L 133-3 du code de commerce.
19. A cet égard, elle oppose à la société Kronospan la fin de non recevoir tirée de ces dispositions légales qui selon elle obligeaient sa cliente à notifier une réclamation dans le délai de 3 jours à compter de la réception ce qu'elle a manqué de faire.
20. Elle conteste faute d'accord, la pratique de l'auto-facturation qu'elle qualifie d'illégale dont l'appelante ne peut se prévaloir et soutient que le prix facturé issu de l'accord des parties au moment de la commande ne peut être modifié unilatéralement par la société Kronospan en se déterminant sur le poids d'arrivée affecté d'un coefficient de conversion qu'elle a seule défini.
21. Elle fait observer enfin que le poids pouvant être variable en fonction de l'essence du bois et de sa densité, une différence de poids ne signifie pas automatiquement une différence de volume.
IV- MOTIFS DE LA DECISION
22. Le litige porte sur des commandes de bois passées entre 2014 et 2015 entre la société Kronospan et la société Fruytier par l'intermédiaire de la société Fruytier Bourgogne au départ de laquelle le bois était chargé pour être livré par camion sur les sites de la société appelante en France.
23. Bien que la société Kronospan nie l'existence d'un élément d'extranéité, le litige porte sur une vente de biens entre une société française et une société luxembourgeoise revêtant ainsi un caractère international, comme la juridiction luxembourgeoise l'a reconnu en faisant application du règlement UE n° 1215/2012 du Parlement et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire et la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciales pour désigner la juridiction française compétente, par jugement du 2 mars 2016 non critiqué.
24. Dans ces conditions la détermination de la loi applicable est soumise au règlement (CE) n° 593/2008 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles dit Rome I, qui à défaut de loi déclarée applicable par les parties, en application de l'article 4 prévoit que le contrat de vente de biens est régi par la loi du pays dans lequel le vendeur a sa résidence habituelle.
25. Cependant, il y a lieu de constater qu'en l'espèce, aucune des parties n'a sollicité l'application de cette règle de conflit de lois, celles-ci n'invoquant que les dispositions tirées du droit français auxquelles la cour en conséquence se réfèrera.
26. A cet égard, la société intimée sollicite l'application de l'article L. 133-33 du code de commerce qui concerne le délai d'action contre le voiturier. Cependant, ce texte n'est pas applicable en l'espèce, s'agissant d'un litige portant sur une demande en paiement d'un solde de factures réclamé par le fournisseur au destinataire final.
27. Selon les dispositions anciennes de l'article 1315 devenu 1353 du code civil, celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré, doit justifier le payement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation. Si, au visa de l'article L.110-3 du code de commerce, à l'égard des commerçants, les actes de commerce peuvent se prouver par tous moyens à moins qu'il n'en soit autrement disposé par la loi, il appartient toutefois à celui qui l'allègue, en l'absence de contrat, de rapporter la preuve d'un accord de volonté'.
28. Sauf usages reconnus dans certaines professions, la production de factures ne suffit pas à rapporter la preuve de la réalité d'une créance ou d'une prestation et les factures doivent être accompagnées de tout document tel que bon de commande ou bon de livraison, ou de tout échange de correspondances justifiant d'un accord sur des prestations ou des engagements spécifiques, ou sur un aménagement de ceux-ci.
29. En l'espèce la société Fruytier réclame le paiement d'un solde correspondant à des factures portant sur des livraisons de bois transportés par dizaines de camions par semaine que la société Kronospan a commandées entre mars 2014 et avril 2015, les parties n'étant pas d'accord sur la quantité livrée.
30. Il est constant que les commandes ont été convenues sans formaliser de contrat écrit et portaient sur la fourniture de plaquettes de bois selon un prix au mètre cube apparent (MAP) et de billons selon un prix fixé au poids (à la tonne) ce dernier n'étant pas contesté.
31. Pour établir le bien fondé de sa demande, la société Fruytier sur qui pèse en premier la charge de la preuve, a versé aux débats une grande quantité de bons de livraison sur lesquels figure le volume du bois signés à l'arrivée à l'usine des camions.
32. Toutefois il ressort des pièces communiquées que la société Kronospan, qui avait relevé un écart, a systématiquement mis en place la pesée contradictoire des camions à l'entrée et à la sortie du site et que la société Fruyitier produit des bons de livraison 2014 qui sont systématiquement assortis de leur bon de pesée.
33. Il ressort également des pièces communiquées que les factures de la société Fruytier dont le solde est réclamé ont été établies à une adresse à [Localité 6] qui n'est pas celle de la société Kronospan et que beaucoup d'entre elles ont été émises plusieurs mois après les dates des livraisons mentionnées (facture 331400108 du 15 octobre 2014 pour des livraisons mai 2014 ' facture 33150005 du 31.01.2015 pour des livraisons de septembre 2014 référencée «'self billing'») étant relevé que certaines d'entre elles correspondent à des livraisons auto-facturées en 2014 de sorte qu'il existe un doute sur leur caractère probant.
34. Il est en effet observé que depuis le début de leurs relations jusqu'en décembre 2014, la société Kronospan réglait la marchandise après la livraison à la société Fruytier par le procédé de l'auto facturation ou «'self billing'» qui consiste à émettre pour le compte de son fournisseur les factures en son nom et pour son compte que la société Fruytier a acceptées et comptabilisées pendant 8 mois démontrant son accord pour ce procédé parfaitement légal en France et connu des parties.
35. Par ailleurs la société Kronospan établit par des échanges de mails en juin 2014 portant sur les écarts rencontrés que la société Fruytier avait bien connaissance des difficultés et de la mise en place de la pesée des camions à l'entrée et à la sortie du site en présence de leur chauffeur pour déterminer le poids du bois qui peut également servir par application d'un coefficient de conversion à déterminer le volume et le prix correspondant.
36. La cour relève de ce qui précède que c'est en connaissance de cause que la société Fruytier a accepté les règlements de la société Kronospan autofacturés à partir de la pesée dont aucun élément ne vient remettre en cause le caractère objectif pour déterminer le volume.
37. Il résulte ainsi de ces constatations et énonciations que la société Fruytier n'établit pas suffisamment la preuve que la société Kronospan lui doit un solde de factures à partir des pièces qu'elle produit au titre des livraisons de bois dont elle a accepté le règlement en connaissance de l'écart relevé par sa cliente dans la quantité livrée et autofacturée de sorte que sa demande ne peut prospérer.
38. Il convient en conséquence d'infirmer la décision des premiers juges et de débouter la société Fruytier de sa demande.
Sur la demande de dommages intérêts
39. La société Kronospan estime qu'en agissant de la sorte la société Fruytier a été malhonnête et doit être condamnée à lui verser des dommages et intérêts pour procédure abusive, mauvaise foi, abus de dépendance économique, tromperie.
40. Toutefois l'exercice d'une action en justice constitue par principe un droit et ne dégénère en abus pouvant donner naissance à des dommages et intérêts qu'en cas de faute susceptible d'engager la responsabilité civile de son auteur.
41. En l'espèce la société Kronospan, faute pour elle de rapporter la preuve d'une quelconque faute ou légèreté blâmable de la part de la société Fruytier qui a pu légitimement se méprendre sur l'étendue de ses droits et d'établir l'existence d'un préjudice autre'que celui subi du fait des frais exposés pour sa défense, sera déboutée de sa demande à ce titre.
Sur les frais et dépens:
42. Il y a lieu de condamner la société Fruytier, partie perdante, aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
43. En outre, la société Fruytier doit être condamnée à verser à la société Kronospan, qui a dû exposer des frais irrépétibles pour faire valoir ses droits, une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile qu'il est équitable de fixer à la somme de 10 000 euros.
PAR CES MOTIFS
La cour,
1. Infirme le jugement du Tribunal de Commerce d'Auxerre en date du 4 novembre 2019 dans toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau :
2. Déboute la société Fruytier Group Purchase, Sales and Services de toutes ses demandes ;
3. Déboute la société Kronospan de sa demande de dommages et intérêts ;
4. Condamne la société Fruytier Group Purchase, Sales and Services à payer à la société Kronospan la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
5. Condamne la société Fruytier Group Purchase, Sales and Services aux dépens de première instance et d'appel.
La greffière Le président
Clémentine GLEMET François ANCEL