REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 4 - Chambre 8
anciennement Pôle 2 - Chambre 5
ARRÊT DU 12 JANVIER 2021
(n° /2021, 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/04639 - N° Portalis 35L7-V-B7D-B7NV7
Décision déférée à la Cour : Jugement du 24 Janvier 2019 - Tribunal de Commerce de Paris - 3ème chambre - RG n° 2017058413
APPELANTE
Société FERRARI FINANCIAL SERVICES GMBH, société de droit Allemand , prise en la personne de ses représentants légaux domiciliès audit siège.
Ayant son siège social [Adresse 4]
[Localité 3] - ALLEMAGNE
Représentée par et assistée de Me Christofer CLAUDE substitué par Me Clarisse CARNIEL de la SELAS REALYZE anciennement SELAS CLAUDE & SARKOZY, avocat au barreau de PARIS, toque : R175
INTIMÉE
SA GENERALI IARD prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
Ayant son siège social [Adresse 1]
[Localité 2]
Représentée par Me Hélène RABUT, avocat au barreau de PARIS, toque : R144
Assistée de Me Laurent PINIER de la SCP SULTAN - PEDRON - LUCAS - DE LOGIVIERE, avocat au barreau d'ANGERS
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 27 Octobre 2020, en audience publique, devant la Cour composée de :
Mme Béatrice CHAMPEAU-RENAULT, Présidente de chambre
M. Christian BYK, Conseiller
M. Julien SENEL, Conseiller
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Monsieur Christian BYK, Conseiller, dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.
Greffière, lors des débats : Madame Vanessa ALCINDOR
ARRET :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Béatrice CHAMPEAU-RENAULT, Présidente de chambre et par Madame Joëlle COULMANCE, Greffière présente lors de la mise à disposition.
*****
Le 24 octobre 2012 la société Groupe Investor Trador a conclu avec la societé FERRARI FINANCIAL SERVICES Gmbh un contrat de location longue duree de 24 mois portant sur un véhicule FERRARI 458 Italia.
Par jugement du tribunal de commerce de Cannes du 23 juillet 2013, la société Groupe Investor Trador a fait l'objet d'une procédure de redressementjudiciaire.La societe FERRARI a déclaré sa créance de 140 290,44 euros le 30 octobre 2013 au passif de la procédure au titre des loyers restant dûs jusqu'au terme du contrat.
Par jugement du 22 juillet 2014, le tribunal de commerce de Cannes a ordonné la conversion
de la procédure de redressement judiciaire en liquidation judiciaire.
Dans la nuit du 31 mai au 1er juin 2014 la societe Azur Enchères Cannes, commissaire-priseur en possession de la voiture , a été victime d'un incendie qui a endommagé le véhicule. Une expertise a conclu que celui-ci était économiquement irréparable, le montant des réparations s'elevant à 196 443 euros TTC et la valeur de remplacement à 170 000 euros.
Par courrier du 29 octobre 2014, la compagnie GENERALI, assureur de la société Azur, a écrit à la société FERRARI pour lui proposer de lui acheter le véhicule à sa valeur de remplacement et lui a indiqué qu'elle disposait d'un délai de 30 jours pour donner sa réponse.
Par LRAR du 14 novembre 2014, la société FERRARI a indiqué à GENERALI qu'elle acceptait sa proposition et lui retournait dûment remplis le coupon réponse, le certi'cat de cession, la déclaration d'achat d'un vehicule d'occasion et un RIB.
Par courrier du 24 novembre 2014, GENERALI accusait réception de cette réponse et informait la société FERRARI que, pour y donner suite, elle était dans l'attente du double des clefs, de la clé codée et de la carte grise signée, tamponnée et barrée avec la mention «vendue le 14 novembre 2014 '', outre le carnet de garantie et d'entretien. FERRARI n'ayant pas transmis les éléments sollicités dans le déali imparti, GENERALI l'informait , par courrier du 24 mars 2015, qu'elle ne pouvait donner suite à I'offre de rachat .
Le 12 fevrier 2016 GENERALI recevait les clefs et la carte grise qu'elle restituait à FERRARI qui, par LRAR des 4 août 2016 et du 6 juillet 2017, la mettait en demeure de lui régler la somme de 170 000 euros au motif que la vente était parfaite.
C'est dans ces conditions que la société FERRARI a assigné GENERALI, par acte du 6 octobre 2017, devant le tribunal de commerce de Paris qui, par jugement du 24 janvier 2019, l'a déboutée de ses demandes et condamnée à payer à GENERALI la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles.
Par déclaration, reçue le 27 février 2019 et enregistrée le 8 mars, la société FERRARI a fait appel de cette décision et,aux termes de ses dernières conclusions, notifiées le 26 mars 2020, elle sollicite la confirmation du jugement en ce qu'il a dit que son action n'était pas prescrite et son infirmation en ce qu'il l' a déboutée de ses demandes, réclamant de la cour qu'elle juge que la cession du véhicule est intervenue le 14 novembre 2014, subsidiairement, de juger qu'elle a répondu à l'offre de cession dans le délai légal de 30 jours prescrit par l'article L.327-1 du code de la route , que la clôture du dossier est infondée et abusive et de condamner la société GENERALI IARD à lui payer la somme de 170.000 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 14 novembre 2014, date de la vente, outre 9.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par dernières conclusions, notifiées le 18 mars 2020, GENERALI demande à la cour, à titre principal, de constater que la déclaration d'appel ne critique pas le chef du jugement déféré ayant débouté la société FERRARI de sa demande de rachat du véhicule et de juger, en conséquence, que cette société a été définitivement déboutée de cette demande.
A titre subsidiaire, il est sollicité l'infirmation du jugement en ce qu'il l'a déboutée de son moyen tiré de la prescription et juger l'action prescrite.
A titre plus subsidiaire, il est demandé la confirmation et,en tout état de cause, la somme de 10.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
CE SUR QUOI, LA COUR
Sur les chefs du jugement critiqué :
Considérant que l'intimée fait valoir que ceux-ci ne sont pas les mêmes dans la déclaration d'appel et dans les conclusions d'appel ;
Qu'en effet, l'acte d'« appel tend à obtenir la réformation du jugement en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de condamnation de la société GENERALI IARD à lui payer une somme de 170.000 euros et en ce qu'il a condamné la société FERRARI à lui payer une somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile » alors que les conclusions étendent cette demande dans les termes ci-dessus repris de l'énoncé des conclusions de l'appelante ;
Qu'il s'ensuit que seul l'acte d'appel opérant dévolution, l'étendue de la saisine du juge d'appel est limitée par les énonciations de l'acte qui a déféré le jugement à la cour et ne peut être élargie aux conclusions subséquentes ;
Qu'en conséquence, faute d'avoir critiqué le chef du jugement l'ayant déboutée de sa demande de rachat du véhicule par la SA GENERALI IARD, la société FERRARI n'est plus recevable à le faire pour la première fois dans ses conclusions d'appel et ne peut lui réclamer la somme de 170 000 euros au titre de la vente ;
Considérant que la société FERRARI répond que GENERALI ne prétend ni que la déclaration d'appel serait nulle ni que les conclusions seraient irrecevables ;
Que, par ailleurs, le fait qu'elle ait développé son raisonnement et les fondements de sa demande dans son « Par ces motifs » ne fait pas automatiquement de tous ses propos des demandes ;
Qu'en l'espèce, ses demandes en justice visant à « dire que », « déclarer que », « constater que» etc' ne déterminent pas l'objet du litige que la juridiction devra trancher, mais sont un rappel des moyens et raisonnement développés dans ses écritures ;
Qu'au demeurant, l'article 562, alinéa 1 du code de procédure civile vise la connaissance aussi bien des chefs de jugement critiqués que de ceux qui en dépendent et que, dès lors qu'est demandée la condamnation de GENERALI au paiement de la somme de 170.000 euros, la question de savoir si la vente est parfaite ou non doit être tranchée puisque la solution du litige en dépend ;
Considérant, en effet, qu'aux termes des dispositions de l'article 562 du code de procédure civile, l'appel défère à la cour la connaissance des chefs de jugement qu'il critique expressément et de ceux qui en dépendent ;
Qu'il s'en déduit que la demande de condamnation de GENERALI à payer à la société FERRARI la somme de 170 000 euros implique nécessairement que soit aussi dévolue, dans le cadre de l'appel, la question de l'existence d'une vente parfaite, la somme réclamée représentant le prix convenu pour cette vente de sorte que s'interroger sur le fait de savoir si la somme est due impose de trancher la questin préalable de l'existence d'une vente, que ce point est donc implicitement discuté dans l'acte d'appel dès lors que de sa solution dépend la réponse sollicitée de la cour sur la demande de paiement ;
Sur la prescription :
Considérant que l'assureur avance qu'il est indéniable que l'action de la société FERRARI est fondée sur l'existence du contrat d'assurance liant la concluante à la société Azur et que la prescription biennale s'applique ;
Que, FERRARI estimant que la vente était parfaite depuis le 24 novembre 2014, l'action était donc prescrite au jour de l'assignation, le 6 octobre 2017 ;
Qu'elle ajoute que cette prescription ne saurait avoir été interrompue dans la mesure où l'envoi d'une lettre recommandée avec avis de réception ne constitue pas une cause ordinaire d'interruption de la prescription dès lors qu'elle ne vaut pas demande en justice ;
Qu'en effet, seule la lettre de l'assuré à son assureur, peut avoir un effet interruptif et qu'au surplus, la société FERRARI ne réclame pas le « règlement de l'indemnité » visée par le texte précité, mais le pris de rachat ;
Qu'enfin, si la désignation d'un expert interrompt le délai de prescription biennal, le véhicule a été expertisé le 12 juin 2014 de sorte que l'action intentée plus de 3 ans après le dépôt du rapport d'expertise entraîne la prescription ;
Considérant que la société FERRARI réplique qu'il ne s'agit pas d'une action fondée sur le contrat d'assurance mais d'une action visant à obtenir l'exécution forcée de la vente intervenue le 14 novembre 2014, suite à l'offre de GENERALI , compte tenu de l'obligation, non contractuelle mais légale, qui pèse sur elle en application de l'article L.327-1 du code de la route ;
Que la vente étant parfaite au 14 novembre 2014, elle disposait d'un délai jusqu'au 14 novembre 2019 pour engager une action visant à obtenir son exécution forcée , à savoir le versement du prix ;
Qu'elle ajoute, qu'à supposer l'action biennale applicable, force est de constater que, postérieurement à son acceptation de la cession, le délai de prescription a été interrompu, l'action ayant ensuite été introduite moins de deux ans après ;
Considérant qu'à la lecture de la déclaration d'appel ci-dessus explicitée, la demande de condamnation de FERRARI se fonde, non sur la mise en oeuvre d'un contrat d'assurance mais sur une demande d'exécution forcée d'une vente alléguée de parfaite, soumise à la prescription quinquennale, dont le point de départ est « le jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits permettant de l'exercer » (article 2224 du code civil) ;
Que, la société FERRARI alléguant que la vente serait parfaite, le 24 novembre 2014, jour où elle a donné son accord à l'offre faite par GENERALI, la prescription quinquennale n'était donc pas acquise, le 6 octobre 2017, jour de l'assignation ;
Au fond :
Considérant que la société FERRARI fait valoir que l'assureur ne dispose d'aucune liberté contractuelle et ne peut notamment pas limiter le montant de l'indemnisation sans violer l'article L.327-1 du code de la route, qu'en outre, ce texte n'oblige le propriétaire, qui souhaite céder son véhicule,qu'à faire connaître sa réponse dans le délai de 30 jours, sans lui imposer d'autres d'obligations ;
Qu'a fortiori, l'assureur ne peut échapper à cette obligation légale en conditionnant la cession ;
Considérant que GENERALI répond que la procédure de cession d'un véhicule économiquement irréparable à un assureur se trouve régie par les seules dispositions des articles L. 327-1 et suivants du code de la route et que ces dispositions sont dérogatoires au droit commun édicté par les dispositions générales de l'article 1583 du code civil de telle sorte que ce dernier texte ne peut trouver à s'appliquer ;
Qu'en l'espèce, FERRARI n'a pas respecté les dispositions de l'article L. 327-1 du code de la route ;
Que l'assureur ajoute que, même à supposer l'article 1583 du code civil applicable, la vente n'était pas parfaite ;
Qu'en effet, la condition posée par la compagnie d'assurances tenant aux pièces administratives du dossier n'a pas été respectée ;
Considérant que l'article L327-1 du code de la route dispose que :
« Les entreprises d'assurances tenues à un titre quelconque à indemniser les dommages à un véhicule dont un rapport d'expertise fait apparaître que le montant des réparations est supérieur à la valeur de la chose assurée au moment du sinistre doivent dans les quinze jours suivant la remise du rapport d'expertise proposer une indemnisation en perte totale avec cession du véhicule à l'assureur. Le propriétaire du véhicule dispose de trente jours pour donner sa réponse » ;
Considérant que ce texte crée une obligation légale pour l'assureur, tenu « à indemniser les
dommages à un véhicule dont un rapport d'expertise fait apparaître que le montant des réparations est supérieur à la valeur de la chose assurée au moment du sinistre », de proposer, « dans les quinze jours suivant la remise du rapport d'expertise ... une indemnisation en perte totale avec cession du véhicule à l'assureur » ;
Que si ce texte encadre ainsi ,sous certaines conditions de délai et de prix , l'obligation de l'assureur, il ne prévoit comme contrepartie, pour celui qui reçoit l'offre et l'accepte, que de la faire connaître dans un délai de 30 jours et de céder le véhicule à l'assureur contre cette indemnisation ;
Que, comme le rappelle la circulaire du 4 septembre 2003, l'article R 322-4 du code de la route ne prévoit , s'agissant des modalités de la cession, que les obligations suivantes à l'égard du propriétaire du véhicule : remettre à l'assureur (article R. 322-4 du code de la route) les documents suivants : la carte grise barrée portant la mention « vendu le... » ou « cédé le... » et signée, un certificat de cession indiquant que le véhicule est destiné à destruction, un certificat de situation administrative du véhicule (DSV) où figurent des informations éventuelles relatives à une opposition ou à un gage, étant précisé que l'inscription d'un gage ne fait pas obstacle à l'inscription d'une cession au fichier FNI ;
Que la société GENERALI ne pouvait donc conditionner la cession du véhicule à la remise du double des clefs, de la clé codée et du carnet de garantie et d'entretien ;
Qu'ainsi la vente était parfaite au 24 novembre de sorte que l'assureur doit à la société FERRARI une somme de 170 000 euros ;
Sur les frais irrépétibles :
Considérant que l'équité commande de condamner la société GENERALI à payer la somme de 2 000 euros à la société FERRARI, qu'en revanche, il n' y a a pas lieu de faire droit à la demande de l'assureur à ce titre ;
PAR CES MOTIFS
Statuant en dernier ressort, contradictoirement et publiquement par mise à disposition au greffe,
Dit qu'au titre de l'effet dévolutif de l'appel la cour est saisie tant de la demande de paiement que de la question de l'existence d'une vente parfaite, dont elle dépend,
Confirme le jugement par substitution de motifs quant à la prescription,
L'infirme quant au fond et aux frais irrépétibles,
Statuant à nouveau des chefs infirmés et, y ajoutant,
Condamne la société GENERALI AIRD à payer à la societé FERRARI FINANCIAL SERVICES la somme de 170 000 euros au titre de la cession du véhicule, , outre celle de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles,
Déboute la société GENERALI de ses demandes et la condamne aux dépens de première instance et d 'appel, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
La Greffière La Présidente