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16/12/2020 | FRANCE | N°19/12497

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 2 - chambre 7, 16 décembre 2020, 19/12497


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 2 - Chambre 7



ARRET DU 16 DECEMBRE 2020



(n° 27/2020, 10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/12497 - N° Portalis 35L7-V-B7D-CAFKI



Décision déférée à la Cour : Jugement du 15 Mai 2019 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 18/04189





APPELANT



Monsieur [U] [H]

[Adresse 1]

[Localité 4]



Représenté par

Maître Sylvie KONG THONG de l'AARPI Dominique OLIVIER - Sylvie KONG THONG, avocat au barreau de PARIS, toque : L0069, avocat postulant

Assisté de Maître MASSIS DE SOLERE Clara, avocat au barreau de PARIS, to...

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 2 - Chambre 7

ARRET DU 16 DECEMBRE 2020

(n° 27/2020, 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/12497 - N° Portalis 35L7-V-B7D-CAFKI

Décision déférée à la Cour : Jugement du 15 Mai 2019 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 18/04189

APPELANT

Monsieur [U] [H]

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représenté par Maître Sylvie KONG THONG de l'AARPI Dominique OLIVIER - Sylvie KONG THONG, avocat au barreau de PARIS, toque : L0069, avocat postulant

Assisté de Maître MASSIS DE SOLERE Clara, avocat au barreau de PARIS, toque : E553, avocat plaidant

INTIME

Monsieur [T] [F]

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représenté et assisté par Maître Karim LAOUAFI, avocat au barreau de PARIS, toque : P526, avocat postulant et plaidant

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 28 octobre 2020, en audience publique, devant la cour composée de :

M. Jean-Michel AUBAC, Président

Mme Anne RIVIERE, Assesseur

Mme Anne CHAPLY, Assesseur

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Mme CHAPLY dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme Margaux MORA

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Jean-Michel AUBAC, Président et par Margaux MORA, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

EXPOSE DU LITIGE

[U] [H] travaille sous l'enseigne commerciale [E] qui commercialise des montres d'occasion et de collection de la marque ROLEX. Le 6 mai 2017, [T] [F] a fait l'acquisition auprès de cette enseigne d'une montre vendue comme étant de la marque ROLEX. Le 2 janvier 2018, [U] [H] a constaté une publication sur le compte Instagram de l'enseigne intitulé '[E] PRESTIGE', émanant d'un utilisateur utilisant le pseudonyme '[X]', à la suite d'une rubrique consacrée aux plus belles ventes de l'année 2017. Ses propos ont été constatés par huissier le 12 janvier 2018. Il n'est pas contesté que [T] [F] en est l'auteur.

Estimant diffamatoires ces propos, [U] [H] a délivré le 20 mars 2018 une assignation devant le tribunal de grande instance de Paris à [T] [F], aux fins d'obtenir de la juridiction, sous le bénéfice de l'exécution provisoire, au visa des articles 23, 29 alinéa 1 et 32 alinéa 1 de la loi du 29 juillet 1881 et 93-3 de la loi du 29 juillet 1982 :

- de dire et juger que les passages suivants :

'C'est un insert Tudor vendu comme un insert original Rolex a prix d'or ... sans aucune politique de retour pour tromperie!'

'Toutes les pièces que j'ai eu en main de chez eux n'étaient pas clean du tout ... insert, aiguilles, boîtes...mieux vaut y aller avec une assurance tout risque parce qu'en plus si on a le malheur de les contredire, tu es carrément menacé...après il y a les tribunaux...çà coûte, c'est cher...c'est le pot de fer contre le pot de terre. C'est pour çà qu'ils existent encore !'

'd'après leur Instagram il s'agit d'un 'incredible blue bezel faded' '#toutsaufrolex #jetrompemesclients #mensonges'

'd'après l'histoire c'est un mensonge totalement délibéré, aucune omission mais plutôt une bonne arnaque d'escrocs !'

contenus sur le compte Instagram '[E] PRESTIGE', émanant du compte '[X]' sont constitutifs du délit de diffamation publique envers un particulier, en l'espèce, [U] [H]

- de condamner [T] [F] à lui payer une somme de 50.000 euros à titre de réparation,

- d'ordonner à [T] [F] le retrait des propos litigieux sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard à compter de la signification de la décision,

- d'ordonner la publication d'un communiqué judiciaire sur le compte Instagram '[E] PRESTIGE',

- de condamner le défendeur à lui payer la somme de 6.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens de l'instance, en ce compris les frais de constat d'huissier du 12 janvier 2018.

Le 30 mars 2018, [T] [F] a notifié une offre de preuve à [U] [H] comprenant trois pièces.

Le 4 avril 2018, [U] [H] a notifié une offre de preuve contraire à [T] [F] comprenant neuf pièces.

[T] [F] a, par conclusions récapitulatives notifiées le 4 janvier 2019, demandé au tribunal, sous le bénéfice de l'exécution provisoire et au visa des articles 23, 29 alinéa 1 et 32 alinéa 1 de la loi du 29 juillet 1881 et 122 du code de procédure civile :

A titre liminaire :

- de dire et juger que les demandes de [U] [H] sont irrecevables pour défaut de qualité et intérêt à agir,

A titre principal :

- de dire et juger que les propos litigieux ne sont pas constitutifs du délit de diffamation publique,

- de débouter le demandeur de l'intégralité de ses demandes,

A titre subsidiaire :

- de dire et juger que les propos ont été publiés de bonne foi,

- de débouter le demandeur de l'intégralité de ses demandes,

A titre infiniment subsidiaire :

- de dire et juger que le demandeur ne démontre aucun préjudice résultant des propos litigieux,

Reconventionnellement :

- de condamner le demandeur à lui payer la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,

- d'ordonner une publication judiciaire,

En tout état de cause :

- de condamner le demandeur à lui payer la somme de 5.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'au paiement des dépens de la procédure.

Le 15 mai 2019, le tribunal de grande instance, statuant par jugement contradictoire a :

- déclaré [U] [H] irrecevable en ses demandes,

- condamné [U] [H] à verser à [T] [F] la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné [U] [H] aux dépens,

- rejeté toute demande plus ample ou contraire,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.

Le 20 juin 2019, [U] [H] a interjeté appel.

[U] [H] a signifié ses dernières conclusions par RPVA le 13 mars 2020, demandant à la cour de :

- déclarer recevable en son action et bien fondé en son appel,

en conséquence,

- réformer le jugement entrepris,

et statuant à nouveau,

- le déclarer son action en diffamation recevable,

- dire et juger que les passages contenus sur le compte instagram '[E] PRESTIGE' émanant du compte instagram '[X]' et figurant à l'adresse URL https://www.[05] ci-dessous reproduits en gras et en italique sont constitutifs de diffamation publique envers un particulier, en l'espèce, Monsieur [U] [H], faits prévus et réprimés par les articles 29 alinéa 1 et 32 alinéa 1 de la loi du 29 juillet 1881 :

'C'est un insert Tudor vendu comme un insert original Rolex a prix d'or ... sans aucune politique de retour pour tromperie!'

'Toutes les pièces que j'ai eu en main de chez eux n'étaient pas clean du tout ... insert, aiguilles, boîtes...mieux vaut y aller avec une assurance tout risque parce qu'en plus si on a le malheur de les contredire, tu es carrément menacé...après il y a les tribunaux...çà coûte, c'est cher...c'est le pot de fer contre le pot de terre. C'est pour çà qu'ils existent encore !'

'd'après leur Instagram il s'agit d'un 'incredible blue bezel faded'

'#toutsaufrolex #jetrompemesclients #mensonges'

'd'après l'histoire c'est un mensonge totalement délibéré, aucune omission mais plutôt une bonne arnaque d'escrocs !'

- par voie de conséquence, condamner Monsieur [T] [F] qui est l'auteur des propos poursuivis à payer à Monsieur [U] [H] une somme de 50.000 euros à titre de réparation du préjudice subi du fait de la diffamation commise.

- A titre de réparation complémentaire : ordonner à [T] [F] le retrait des propos litigieux sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard à compter de la signification de la décision.

- ordonner la publication sur le compte instagram '[E] PRESTIGE' à l'endroit de la photographie litigieuse et à la place des commentaires litigieux, en caractère gras et suffisamment visible, le communiqué suivant :

'par jugement en date du , la cour d'appel de Paris a condamné Monsieur [T] [F] pour avoir publié sous sa signature '[X]' sur le compte INSTAGRAM '[E] PRESTIGE' des propos diffamants Monsieur [U] [H]'.

- dire que ce communiqué qui sera effectué à la diligence du requérant pourra être publié dès le prononcé de la décision,

- débouter Monsieur [T] [F] de l'ensemble de ses demandes infondées et abusives,

- condamner Monsieur [T] [F] à lui payer une somme de 6.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens d'instance et d'appel.

[T] [F] a signifié ses dernières conclusions par RPVA le 17 décembre 2019, demandant à la cour de :

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré l'action de [U] [H] irrecevable,

- le confirmer en ce qu'il a condamné [U] [H] à lui verser la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens,

- infirmer le jugement en ce qu'il l'a débouté de ses demandes reconventionnelles au titre de la procédure abusive,

En cas d'infirmation du jugement quant à la recevabilité de l'action de [U] [H],

- à titre principal,

- dire et juger que les commentaires suivants ne sont pas constitutifs de diffamation :

'C'est un insert Tudor vendu comme un insert original Rolex a prix d'or ... sans aucune politique de retour pour tromperie!' et 'd'après l'histoire, c'est un mensonge totalement délibéré, aucune omission mais plutôt une bonne arnaque d'escrocs'

'Toutes les pièces que j'ai eu en main de chez eux n'étaient pas clean du tout ... insert, aiguilles, boîtes...mieux vaut y aller avec une assurance tout risque parce qu'en plus si on a le malheur de les contredire, tu es carrément menacé...après il y a des tribunaux...çà coûte cher, c'est cher...c 'est le pot de fer contre le pot de terre. C'est pour çà qu'ils existent encore !'

'd'après leur Instagram il s'agit d'un 'incredible blue bezel faded''

'#toutsaufrolex #jetrompemesclients #mensonges'

- par conséquent, débouter [U] [H] de l'intégralité de ses demandes,

à titre subsidiaire,

- dire et juger que les propos ont été publiés de bonne foi,

- par conséquent débouter [U] [H] de l'intégralité de ses demandes,

A titre infiniment subsidiaire :

- dire et juger que [U] [H] ne démontre aucun préjudice résultant des propos litigieux,

- par conséquent débouter le demandeur de l'intégralité de ses demandes,

En tout état de cause,

- condamner [U] [H] à lui payer la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,

- ordonner la publication, dès le prononcé de la décision et sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard, sur le compte INSTAGRAM '[E] PRESTIGE' à l'endroit de la photographie litigieuse en dessous des commentaires litigieux, en caractère gras et suffisamment visible, le communiqué judiciaire suivant :

'par arrêt en date du , la cour d'appel de Paris a débouté Monsieur [U] [H] de l'ensemble de demandes formées à l'encontre de Monsieur [T] [F] pour les propos tenus sous la signature '[X]'.'

- condamner Monsieur [U] [H] à lui payer la somme de 5.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'au paiement des entiers dépens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 30 septembre 2020.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la recevabilité de l'action engagée par [U] [H]

[T] [F] soutient que :

- [U] [H] n'a pas agi en son nom personnel mais dans l'intérêt et pour le compte de l'enseigne [E] PRESTIGE, laquelle n'a pas de personnalité morale, qu'il est irrecevable à agir, son statut de conjoint-collaborateur ne lui donnant pas pouvoir,

- la facture portant sur la montre a été émise par [O] [H], son fils, pour la SARL [H] ASSOCIES, pour laquelle [U] [H] n'a aucun pouvoir de représentation,

- [U] [H] n'est ni nommé ni visé par les propos querellés, rien ne permettant de l'identifier et les attestations produites datées de septembre 2019 et manifestement de complaisance sont inopérantes à prouver le contraire.

[U] [H] fait valoir que :

- il a assigné en son nom propre,

- il est bien visé par les propos même s'il n'est pas nommé ou expressément désigné et

- il a bien qualité à agir dès lors que les propos font planer les soupçons sur plusieurs personnes.

Sur ce,

Il est constant que lorsque les imputations ont été formulées d'une manière vague de nature à faire planer le soupçon sur plusieurs personnes, chacune d'entre elles a intérêt à agir.

Par ailleurs si tous les membres d'une collectivité dépourvue de personnalité juridique peuvent être concernés par les propos litigieux, cette collectivité doit être suffisamment restreinte pour que chacun puisse se sentir atteint.

Enfin, la personne ou les personnes doivent être identifiables lorsqu'elle n'est ou ne sont pas expressément nommées, par les termes de l'écrit voire par des circonstances extrinsèques au support poursuivi et claires, confirmant cette désignation de manière à la rendre évidente.

En l'espèce, les commentaires litigieux ont été mis en ligne sur le réseau Instagram sur le compte de '[E] PRESTIGE'. A la lecture du Kbis produit, [E] PRESTIGE n'a pas la personnalité morale, s'agissant d'une enseigne.

Les propos litigieux utilisent les termes suivants : 'de chez eux', 'les contredire' et 'ils existent encore' sans autre précision de sorte que l'ensemble des personnes travaillant sous cette enseigne est visé et a donc intérêt à agir, peu important que le Kbis mentionne que l'enseigne [E] est exploitée par [K] [J] [C] et que [U] [H] n'est que le conjoint-collaborateur.

Il n'est pas contesté qu'en l'espèce, la collectivité n'est composée que de quelques personnes travaillant au sein d'une boutique.

Outre le fait que le Kbis mentionne [U] [H] en qualité de conjoint-collaborateur de l'exploitante de l'enseigne, les pièces produites : les courriels adressés par [T] [F] après la vente litigieuse, articles de journaux, sites spécialisés et attestations, montrent que l'enseigne [E] est étroitement liée à la personne de [U] [H] et à son expertise.

Il en résulte que [U] [H], lequel a agi, à la lecture de l'assignation, en son nom personnel et non au nom de son conjoint et/ou de l'enseigne [E], est recevable à agir en diffamation et l'arrêt sera infirmé de ce chef.

Sur le fond

Sur le caractère diffamatoire des propos poursuivis

[U] [H] soutient que les faits qui lui sont imputés sont les suivants :

- escroquer et arnaquer ses clients en les trompant sur l'authenticité des pièces,

- menacer ses clients, l'auteur insinuant qu'il aurait fait l'objet de menaces,

Il considère que ces imputations constitutives de délits pénaux portent atteinte à son honneur et à sa considération.

[T] [F] réplique en faisant valoir que :

- il ne peut être établi que les propos visent bien [U] [H],

- la quasi-totalité des propos visent les produits vendus par l'enseigne lesquels n'entrent pas dans les prévisions de la loi du 29 juillet 1881,

- il apporte la preuve de la véracité des propos par les pièces visées dans l'offre de preuve,

- le propos suivant : 'Toutes les pièces que j'ai eu en main de chez eux n'étaient pas clean du tout ... insert, aiguilles, boîtes...mieux vaut y aller avec une assurance tout risque parce qu'en plus si on a le malheur de les contredire, tu es carrément menacé...après il y a des tribunaux...çà coûte cher, c'est cher...c'est le pot de fer contre le pot de terre. C'est pour çà qu'ils existent encore !' est insuffisamment précis et circonstancié pour faire l'objet d'un débat contradictoire sur sa vérité et ne dépasse en tout état de cause pas le droit de critique à l'égard d'une enseigne commerciale.

Sur ce,

Il sera rappelé à cet égard que :

- l'article 29 alinéa 1 de la loi du 29 juillet 1881 définit la diffamation comme 'toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé' ;

- il doit s'agir d'un fait précis, susceptible de faire l'objet d'un débat contradictoire sur la preuve de sa vérité, ce qui distingue ainsi la diffamation, d'une part, de l'injure -caractérisée, selon le deuxième alinéa de l'article 29, par 'toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l'imputation d'aucun fait'- et, d'autre part, de l'expression subjective d'une opinion ou d'un jugement de valeur, dont la pertinence peut être librement discutée dans le cadre d'un débat d'idées mais dont la vérité ne saurait être prouvée ;

- l'honneur et la considération de la personne ne doivent pas s'apprécier selon les conceptions personnelles et subjectives de celle-ci, mais en fonction de critères objectifs et de la réprobation générale provoquée par l'allégation litigieuse, que le fait imputé soit pénalement répréhensible ou manifestement contraire aux règles morales communément admises ;

- la diffamation, qui peut se présenter sous forme d'allusion ou d'insinuation, doit être appréciée en tenant compte des éléments intrinsèques et extrinsèques au support en cause, à savoir tant du contenu même des propos que du contexte dans lequel ils s'inscrivent.

Par ailleurs, ni les parties, ni les juges ne sont tenus par l'interprétation de la signification diffamatoire des propos incriminés proposée par l'acte initial de poursuite et il appartient aux juges de rechercher si ceux-ci contiennent l'imputation formulée par la partie civile ou celle d'un autre fait contenu dans les propos en question, les juges étant également libres d'examiner les divers passages poursuivis ensemble ou séparément pour apprécier leur caractère diffamatoire.

Les propos suivants :

'C'est un insert Tudor vendu comme un insert original Rolex a prix d'or ... sans aucune politique de retour pour tromperie!'

'd'après leur Instagram il s'agit d'un 'incredible blue bezel faded' '

'#toutsaufrolex #jetrompemesclients #mensonges'

'd'après l'histoire, c'est un mensonge totalement délibéré, aucune omission mais plutôt une bonne arnaque d'escrocs'

imputent aux personnes visées dont [U] [H] des actes de tromperie de la clientèle sur l'authenticité du produit vendu, des mensonges délibérés et une escroquerie, dont [T] [F] prétend avoir été victime lors de l'achat de la montre, ce qui va au-delà de la simple critique des produits vendus ou prestations fournies. Il s'agit de faits précis à savoir des pratiques commerciales douteuses susceptibles d'être poursuivies pénalement, pouvant faire l'objet d'un débat contradictoire et qui portent atteinte à la considération et à l'honneur de la personne visée. Ces propos sont donc bien diffamatoires.

Le propos suivant : 'Toutes les pièces que j'ai eu en main de chez eux n'étaient pas clean du tout ... insert, aiguilles, boîtes...mieux vaut y aller avec une assurance tout risque parce qu'en plus si on a le malheur de les contredire, tu es carrément menacé...après il y a des tribunaux...çà coûte cher, c'est cher...c'est le pot de fer contre le pot de terre. C'est pour çà qu'ils existent encore !' constitue d'une part une critique des produits et d'autre part des menaces d'actions en justice.

Comme l'a justement relevé [T] [F], les appréciations, même excessives, touchant les produits, les services ou les prestations d'une entreprise industrielle et commerciale n'entrent pas dans les prévisions de l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881. Quant à la menace évoquée dans ce propos, elle n'est en rien une menace physique mais bien une volonté d'agir et/ou de se défendre en justice, ce qui ne constitue pas l'imputation d'un fait portant atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne visée mais un droit dont dispose toute personne.

Sur l'offre de preuve

[T] [F] a produit trois pièces au titre de l'offre de preuve et [U] [H] neuf pièces au titre de l'offre de preuve contraire.

[T] [F] soutient qu'il apporte la preuve que l'insert bleu monté sur la montre qu'il a acquise est bien de marque TUDOR et non de marque ROLEX, que l'insert initial a été remplacé et que l'enseigne [E] lui a menti ce qui est susceptible de constituer une pratique commerciale trompeuse et une contrefaçon.

[U] [H] conteste l'offre de preuve de [T] [F] faisant valoir que :

- le contrat prévoyait un engagement de rachat par le vendeur de la montre dans un délai de 5 ans avec une plus-value de 2 % par an, ce qui est la meilleure preuve de l'absence de toute escroquerie,

- [T] [F] n'a jamais engagé d'action en justice ni demandé d'expertise judiciaire pour contester l'authenticité de la montre,

- les deux expertises produites par [T] [F] ne sont pas contradictoires et sont critiquables dans leurs conclusions,

- la contrefaçon, l'escroquerie, l'arnaque ou la tromperie supposent que le vendeur ait eu connaissance de la fausseté du produit.

Pour produire l'effet absolutoire prévu par l'article 35 de la loi du 29 juillet 1881, la preuve de la vérité des faits diffamatoires doit être parfaite, complète et corrélative aux imputations dans toute leur portée et leur signification diffamatoire.

Il sera précisé que des documents postérieurs à la publication des propos incriminés peuvent être pris en compte pour prouver la vérité des imputations diffamatoires, s'ils concernent des faits antérieurs à la publication.

Il y a lieu d'examiner les trois pièces produites par [T] [F] au titre de l'offre de preuve.

Les pièces sont les suivantes :

- une attestation de 'the vintage dealers' du 27 septembre 2017

- un échange de mails entre [E] PRESTIGE et [T] [F] du 11 mai 2017

- une expertise de M. [P] [L], expert judiciaire auprès du tribunal de grande instance de Paris, du 28 mars 2018.

La cour constate que les deux expertises produites confirment qu'il s'agit d'un insert Tudor et non ROLEX. Pour autant, ces expertises n'ont pas été contradictoirement établies et sont contestées par la partie adverse, elles ne constituent donc pas une preuve parfaite. En outre, constater que l'insert est de marque Tudor n'établit pas de manière parfaite et complète qu'il y aurait tromperie, mensonge totalement délibéré et arnaque d'escrocs de la part de [U] [H]. Quant aux échanges de mails entre [T] [F] et [U] [H] par lesquels [T] [F] fait part de ses doutes et [U] [H] maintient que la montre serait une authentique ROLEX, ils ne peuvent à eux seuls établir une preuve parfaite.

Les pièces invoquées à l'appui des imputations diffamatoires ne sont donc pas suffisantes pour rapporter la preuve parfaite que [U] [H] commettrait des pratiques commerciales douteuses, visant à tromper délibérément ses clients sur l'origine et l'authenticité des produits vendus et particulièrement lors de la vente de la montre litigieuse à [T] [F].

Ainsi, la preuve de la vérité des faits diffamatoires n'est pas rapportée par [T] [F] dans les conditions de certitude nécessaires.

L'offre de preuve des imputations, qui ont été qualifiées de diffamatoires, étant rejetée, il n'y a pas lieu d'examiner l'offre de preuve contraire.

Sur la bonne foi

[T] [F] fait valoir que :

- il n'est mû par aucune animosité personnelle

- il a pris soin de faire diligenter une expertise avant de publier les propos

- il était intimement convaincu d'avoir été trompé lors de son achat

- il s'est donc exprimé de bonne foi.

[U] [H] soutient que l'intention de nuire d'[T] [F] est caractérisée par le fait de ne pas engager de procédure judiciaire et de préférer la publication d'accusations graves renforcées par des hashtags #.

Les imputations diffamatoires sont réputées, de droit, faites avec intention de nuire, mais elles peuvent être justifiées lorsque leur auteur établit sa bonne foi, en prouvant qu'il a poursuivi un but légitime, étranger à toute animosité personnelle, et qu'il s'est conformé à un certain nombre d'exigences, en particulier de sérieux de l'enquête, ainsi que de prudence dans l'expression, étant précisé que la bonne foi ne peut être déduite de faits postérieurs à la diffusion des propos.

Ces critères s'apprécient différemment selon le genre de l'écrit en cause et la qualité de la personne qui s'y exprime et, notamment, avec une moindre rigueur lorsque l'auteur des propos diffamatoires n'est pas un journaliste qui fait profession d'informer, mais une personne elle-même impliquée dans les faits dont elle témoigne.

Lorsque les propos incriminés concernent un sujet d'intérêt général, leur auteur doit établir qu'ils reposent sur une base factuelle suffisante.

En l'espèce, les propos litigieux concernent un sujet d'intérêt général même s'il ne s'agit pas d'un intérêt général majeur, dans la mesure où ils se rapportent aux pratiques d'un professionnel qui se targue d'être le spécialiste des montres de marque ROLEX et qu'ils sont donc susceptibles d'intéresser tout consommateur.

Si les pièces produites par [T] [F] ne pouvaient suffire à établir la vérité des faits, il n'en reste pas moins que l'expertise 'the Vintage Dealers' qui certifie que le disque de lunette litigieux (insert) est de marque TUDOR et n'était pas monté à l'origine sur cette montre ROLEX de même que les échanges de mails entre [T] [F] et d'autres internautes, amateurs de montres ROLEX, qui font part de leurs doutes sur l'authenticité de l'insert en question, éléments tous antérieurs à la publication des propos, constituent une base factuelle suffisante.

En effet, dès lors qu'une expertise, laquelle présente toutes les caractéristiques d'un document sérieux, concluait à l'absence d'authenticité de l'insert, [T] [F] pouvait légitimement penser qu'il avait été trompé par le vendeur. A la lecture des pièces, il n'existait pas d'animosité personnelle antérieure, et compte tenu des circonstances et du ressenti d'[T] [F], les propos tenus par le sujet personnellement impliqué ne dépassaient pas les limites admissibles de la liberté d'expression.

Il s'ensuit que les propos litigieux, qui reposent sur des pièces pouvant conclure à l'absence d'authenticité de l'insert équipant la montre vendue, ne dépassent pas l'exercice du droit de libre critique, compte tenu du contexte dans lequel ils ont été énoncés et, partant, ne présentent aucun caractère fautif. En conséquence, il convient de confirmer le jugement entrepris et de débouter [U] [H] de l'ensemble de ses demandes.

Sur les demandes reconventionnelles

A défaut d'établir l'abus du droit d'agir en justice de [U] [H], le jugement rejetant la demande d'[T] [F] de dommages et intérêts pour procédure abusive sera confirmé.

Il en sera de même en ce qui concerne la demande de publication laquelle en l'espèce n'est pas justifiée.

Sur les demandes accessoires

Les premiers juges ont exactement statué sur le sort des dépens et les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile dont il a fait une équitable application.

En cause d'appel, il convient de condamner [U] [H] à payer à [T] [F] la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

[U] [H] aura la charge des dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Par arrêt contradictoire, statuant publiquement par mise à disposition au greffe,

Infirme le jugement en ce qu'il a déclaré [U] [H] irrecevable en son action,

Statuant à nouveau,

Le déclare recevable en son action,

Sur le fond,

Le déboute de l'ensemble de ses demandes,

Confirme le jugement en ce qu'il a rejeté les demandes d'[T] [F] de dommages et intérêts au titre de la procédure abusive et de publication de la décision,

Le confirme en ses dispositions relatives à l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens de première instance,

Condamne [U] [H] à payer à [T] [F] la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,

Dit que les dépens d'appel seront à la charge de [U] [H].

LE PRESIDENT LE GREFFIER


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 2 - chambre 7
Numéro d'arrêt : 19/12497
Date de la décision : 16/12/2020

Références :

Cour d'appel de Paris C7, arrêt n°19/12497 : Déboute le ou les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2020-12-16;19.12497 ?
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