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15/12/2020 | FRANCE | N°19/04011

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 2 - chambre 5, 15 décembre 2020, 19/04011


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 2 - Chambre 5



ARRÊT DU 15 DECEMBRE 2020



(n° /2020, 2 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/04011 - N° Portalis 35L7-V-B7D-B7LWT



Décision déférée à la Cour : Jugement du 06 Février 2019 - Tribunal de Grande Instance de FONTAINEBLEAU - RG n° 16/00068





APPELANTE



Société ALLIANZ IARD

Ayant son siège social [Adresse 1]

[Ad

resse 1]



Représentée par et assistée de Me Yann JASLET de la SCP JASLET, avocat au barreau de FONTAINEBLEAU







INTIMÉES



SAS G.GILLARD

Ayant son siège social [Adresse 6]

[Adresse 6]



A...

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 2 - Chambre 5

ARRÊT DU 15 DECEMBRE 2020

(n° /2020, 2 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/04011 - N° Portalis 35L7-V-B7D-B7LWT

Décision déférée à la Cour : Jugement du 06 Février 2019 - Tribunal de Grande Instance de FONTAINEBLEAU - RG n° 16/00068

APPELANTE

Société ALLIANZ IARD

Ayant son siège social [Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée par et assistée de Me Yann JASLET de la SCP JASLET, avocat au barreau de FONTAINEBLEAU

INTIMÉES

SAS G.GILLARD

Ayant son siège social [Adresse 6]

[Adresse 6]

Ayant pour avocat constitué Me Bruno REGNIER de la SCP REGNIER - BEQUET - MOISAN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0050

ASSOCIATION DE LA COMBETTE

Ayant son siège social [Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentée par Me Laurent FILMONT de la SELARL FL Avocats, avocat au barreau de PARIS, toque : C1677

Assistée de Me Laetitia MINICI de la SELARL THILL-LANGEARD & Associés, avocat au barreau de CAEN

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 20 Octobre 2020, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Béatrice CHAMPEAU-RENAULT, Présidente de chambre

M. Christian BYK, Conseiller

M. Julien SENEL, Conseiller

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Monsieur SENEL Julien, Conseiller, dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffière, lors des débats : Madame Vanessa ALCINDOR

ARRET :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Béatrice CHAMPEAU-RENAULT, Présidente de chambre et par Madame Joëlle COULMANCE, Greffière présente lors de la mise à disposition.

*****

L'association de la COMBETTE exploite un centre équestre sur la commune de [Localité 5] dans le département de [Localité 4]. Le site d'implantation est situé sur un plateau, en léger devers vers le sud-ouest à une altitude d'environ 830 mètres.

Elle a acquis en février 2004 auprès d'un particulier, sur le marché de l'occasion une structure métallique supportant une couverture en bâche textile, à usage de manège couvert, fabriquée par la société G. GILLARD (la société GILLARD). A la suite d'une chute de neige, mettant en surcharge le chapiteau de cet ensemble, la structure s'est effondrée le 17 avril 2005.

Indemnisée par son assureur, la compagnie GENERALI France Assurances, selon police 'tout en un agricole' et garantie 'poids de neige', l'association de la COMBETTE a acquis le 10 juillet 2005, auprès de la société GILLARD, un nouvel équipement, selon facture mentionnant qu'il s'agissait d'un manège circulaire de 18 mètres de diamètre, au prix de 36 137,62 euros TTC, installation et livraison (6 357,40 euros HT) comprises, utilisable dès la fin juillet 2005.

La structure métallique de cette installation s'est effondrée sous le poids de la neige le 20 novembre 2013, malgré la 'chandelle' en bois mise en place à titre préventif par les membres de l'association, au centre de la coupole du manège. La compagnie GENERALI a alors mandaté un cabinet d'expertise, TEXA, dans le cadre d'une expertise amiable. Cette expertise concluait que la cause de l'effondrement était soit le poids de la neige, soit le sous-dimentionnement de la structure, sous réserve de la mise en évidence d'un éventuel défaut au moyen d'un calcul de résistance de la structure métallique. Le cabinet TEXA estimait que, si la neige a été soit le déclencheur d'une faiblesse structurelle, soit le fait générateur du sinistre, seules des investigations complémentaires et des calculs de résistance de la charpente permettraient d'appréhender les causes exactes de l'effondrement.

Le cabinet TEXA évaluait les dommages prévisionnels à 42 000 euros pour le manège GILLARD, 5 000 euros pour la démolition et les déblais, et 3 000 euros pour les frais annexes, soit un total de 50 000 euros TTC.

C'est dans ce contexte que l'association a assigné la société GILLARD devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Fontainebleau, par acte d'huissier du 25 mars 2014, aux fins d'expertise.

Entre temps, le cabinet EQUAD RCC, expert mandaté par la société ALLIANZ, assureur de la société GILLARD, dans le cadre de l'expertise amiable diligentée par GENERALI indiquait dans un projet de courrier en date du 7 mars 2014 adressé au cabinet TEXA que 'Le manège installé par la société GILLARD fait partie de la classe CTS (chapiteaux, tentes et structures itinérants ou à implantation prolongée ou fixes) des établissements spéciaux définis dans le classement des ERP (établissement recevant du public)', relevant de l'arrêté du 25 juin 1980 portant approbation des dispositions générales du règlement de sécurité contre les risques d'incendie et de panique dans les établissements recevant du public, et de l'arrêté du 23 janvier 1985 portant approbation des dispositions complétant et modifiant le règlement de sécurité contre les risques d'incendie et de panique dans les établissements recevant du public (ERP type CTS).

Il estimait que ' comme le stipule l'article CTS 7 de la réglementation sur les ERP, la structure du manège n'a pas été conçue pour résister à un tel cas de charge de neige. Le sinistre s'est produit vers midi et le manège a été très imprudemment utilisé le matin même alors que la quantité de neige était déjà très importante et que le centre équestre avait le temps de déneiger la couverture le matin du sinistre. La réglementation relative aux ERP imposait à l'Association de la COMBETE une obligation de déneiger la couverture au-delà d'une couche de 4 cm de neige, au risque sinon de mettre en péril le manège, ce qui est survenu. Par conséquent, aucune responsabilité ne peut être retenue à l'égard de la société GILLARD'.

Par ordonnance du 10 juin 2014, le juge des référés de ce tribunal a désigné M. J-P Espagne, architecte DPLG, en qualité d'expert, aux fins notamment de décrire les désordres allégués, de rechercher leurs causes et de dire s'ils proviennent d'une erreur de conception, d'un vice de matériau, d'une malfaçon dans la mise en oeuvre, d'une négligence dans l'entretien ou l'exploitation des ouvrages ou de toute autre cause, et notamment tout autre élément extérieur aux faits survenus le 20 novembre 2013, et d'apprécier éventuellement les préjudices subis et s'il y a lieu les évaluer, et il a condamné l'association aux dépens. Après s'être adjoint l'aide d'un sapiteur (M. B. [R], bureau d'études, ingénieur conseil, construction métallique) qui a déposé son rapport technique le 13janvier 2015, et un complément d'analyse le 20 avril 2015 en réponse aux dires des parties, l'expert judiciaire a déposé un pré-rapport le 16 février 2015 puis son propre rapport le 30 juin 2015.

Le sapiteur concluait notamment son rapport en page n°38 en notant qu'il 'était naturellement logique qu'un sinistre se produise à l'occasion d'une chute de neige somme toute habituelle en hiver sur le site de [Localité 3]. La limite des 10 kg par mètre carré donnée par le constructeur semble dérisoire au regard des 120 kg par mètre carré dont on doit tenir compte, en neige normale !' et que 'La mise en oeuvre d'une chandelle au centre du manège a considérablement augmenté la longétivité de la structure sous les charges de gravité, mais sans malheureusement supprimer le risque d'effondrement'.

Le sapiteur précisait en conclusion de son complément d'analyse notamment que 'la structure a été sauvée de façon continue par les utilisateurs qui ont réussi tant bien que mal à éliminer chaque hiver le surcroît de neige, jusqu'à ce jour (ou cette nuit) de novembre 2013 où ils ont été pris de court. C'est bel et bien la charge de neige qui a provoqué l'effondrement de l'ouvrage. Il s'est déclenché dans la zone sud, du fait d'une accumulation de neige due au vent'.

L'expertise judiciaire relevait quant à elle que 'l'effondrement du chapiteau est uniquement dû à la surcharge occasionnée par l'accumulation de neige sur la couverture', 'la structure telle qu'elle est conçue' n'étant 'absolument pas adaptée au site d'implantation' et que 'la chute de neige qui s'est produite le 20 novembre 2013 n'est pas, compte tenu du site d'implantation du manège, à considérer comme un événement 'exceptionnel', ni même imprévisible'.

Estimant que la société GILLARD était responsable du préjudice survenu parce qu'elle avait manqué à son devoir de conseil, l'association de la COMBETTE l'a faite assigner par acte d'huissier du 30 décembre 2015, devant le tribunal de grande instance de Fontainebleau aux fins d'indemnisation des frais de reconstruction et de la perte d'exploitation subie jusqu'au 31 décembre 2015, à parfaire, et subsidiairement aux fins d'expertise comptable pour chiffrer ce poste de préjudice.

Par acte d'huissier du 12 janvier 2017, la société GILLARD a assigné en garantie la société ALLIANZ IARD, au titre de sa responsabilité civile.

Par ordonnance du 02 mars 2017, le juge de la mise en état a ordonné la jonction des deux affaires.

Par jugement du 6 février 2019, ledit tribunal a :

- condamné la société G. GILLARD à verser à l'association de la COMBETTE les sommes suivantes:

. 31 853,80 euros au titre de son préjudice matériel ;

. 18 956 euros au titre de sa perte d'exploitation ;

- dit que la société ALLIANZ IARD doit garantir la société G. GILLARD des condamnations ainsi prononcées ;

- dit que chacune des parties conservera la charge de ses propres dépens ;

- rejeté les demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- accordé à la SCP JASLET, avocat de la société ALLIANZ IARD, le bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;

- rejeté toutes demandes plus amples ou contraires.

La société ALLIANZ IARD a interjeté appel de cette décision le 20 février 2019.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique en date du 16 mai 2019, la société ALLIANZ IARD demande à la cour au visa des conditions particulières et générales de sa police, d'infirmer le jugement en ce qu'il a retenu qu'elle devait garantir la société GILLARD de la condamnation prononcée à son encontre au titre du préjudice matériel et en ce qu'il a alloué à l'association de la COMBETTE la somme de 18 956 euros au titre de sa perte d'exploitation,

et statuant à nouveau, de débouter l'association de la COMBETTE de toute demande à ce titre,

en tout état de cause, de juger que toute condamnation à son encontre ne pourra être prononcée que dans les limites contractuelles de sa garantie et notamment concernant le plafond et la franchise contractuelle, et de condamner tout succombant à lui payer une indemnité de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens de première instance et d'appel, dont distraction.

Aux termes de ses dernières conclusions en date du 10 janvier 2020, l'association de la COMBETTE demande à la cour au visa des articles 1147 ancien, 1615 et 1787 du code civil, et du rapport d'expertise en date du 30 juin 2015, de constater que la société GILLARD a manqué à son devoir de conseil et en conséquence, de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a retenu la responsabilité de la société GILLARD,

- infirmer le jugement en ce qu'il a estimé que cette responsabilité n'était pas exclusive et a procédé à un partage de responsabilité par moitié entre les parties,

- juger que la société GILLARD est seule responsable du préjudice qu'elle subi,

en conséquence, condamner la société GILLARD à lui verser les sommes suivantes :

. 63 707,60 euros au titre des frais de reconstruction,

. 29 512 euros au titre de la perte d'exploitation subie jusqu'au 31 décembre 2015, puis à la somme mensuelle de 1 166 euros par mois ensuite écoulé jusqu'au mois d'avril 2018 inclus ;

A titre subsidiaire, elle demande de réserver l'indemnisation de la perte d'exploitation qu'elle a subie ;

En tout état de cause, elle demande de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit que la société ALLIANZ IARD devait garantir la société GILLARD de toutes condamnations prononcées à son encontre,

- débouter la société GILLARD de toutes prétentions,

- condamner la société GILLARD au règlement de la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance, et au règlement de la somme de 4 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens d'appel et de première instance et les entiers dépens de référé en ce compris les frais et honoraires de M. [D].

Aux termes de ses dernières conclusions en date du 24 octobre 2019, la société G. GILLARD demande à la cour au visa des articles 1101, 1147, 1217, 1303, 1615, 1787, 1792 et suivants du code civil, 138 et 700 du code de procédure civile, de l'ordonnance de référé du 10 juin 2014 nommant expert, du rapport d'expertise du 30 juin 2015 et du pré-rapport du 16 février 2015, de :

- déclarer la société ALLIANZ IARD mal fondée en son appel,

- la débouter de toutes ses demandes en cause d'appel,

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit acquise la garantie de la société ALLIANZ IARD à son profit, en cas de condamnation de celle-ci,

- la recevoir en son appel incident, et y faisant droit, réformer le jugement déféré en ce qu'il a retenu sa responsabilité, et statuant à nouveau, juger qu'elle n'a pas failli à son devoir de conseil et n'a commis aucune faute dans la réalisation de sa prestation,

- juger que l'effondrement du manège est dû à la modification de la structure initiale par l'association la COMBETTE qui a placé une chandelle au milieu du manège modifiant les forces de tractions et de poussées, lors d'une chute de neige qui ne peut être qualifiée d'élément exceptionnel ou imprévisible,

- juger qu'il s'agit d'un cas de force majeure l'exonérant de toute responsabilité,

- juger l'association la COMBETTE entièrement responsable du préjudice qu'elle a provoqué et la débouter de toutes ses demandes ; subsidiairement, si la cour retient sa responsabilité, la société GILLARD demande de la partager avec celle de l'association.

Elle demande en outre de :

- juger que le préjudice matériel de l'association la COMBETTE ne peut excéder le coût du remplacement d'un matériel strictement équivalent,

- juger que l'association de la COMBETTE ne justifie pas de son préjudice économique, et la débouter de toutes ses demandes de ce chef.

En tout état de cause, elle demande de :

- déclarer l'association de la COMBETTE mal fondée en son appel incident ; l'en débouter ;

- condamner l'association de la COMBETTE et les parties succombantes au règlement d'une somme de 8 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre tous les dépens comprenant les frais d'expertise.

La clôture est intervenue le 18 mai 2020.

Pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, il convient de se reporter aux conclusions ainsi visées, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

SUR CE, LA COUR,

Au delà des demandes de 'dire et juger' et de 'constater' qui ne saisissent pas la cour de prétentions au sens des articles 4 et 954 du code de procédure civile, l'examen des demandes soutenues dans le cadre de l'appel principal et de l'appel incident conduit la cour à réexaminer l'entier litige.

Sur l'action en responsabilité

La cour observe à titre liminaire que ce n'est pas sur le fondement de la responsabilité de plein droit des constructeurs d'ouvrage édictée à l'article 1792 du code civil que l'action en indemnisation a été initiée, mais sur celui de la responsabilité contractuelle de droit commun, de sorte que les notions d'impropriété à la destination de l'ouvrage, de solidité ou non de l'ouvrage et de cause étrangère, au sens de ces dispositions, invoquées notamment par l'association, est inapproprié, bien que certains de ces termes apparaissent dans l'ordonnance de référé.

Aux termes de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction ici applicable aux faits de la cause, antérieure à l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des obligations, du régime général et de la preuve des obligations, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part.

L'article 1615 ancien du code civil dispose que l'obligation de délivrer la chose comprend ses accessoires et tout ce qui a été destiné à son usage perpétuel.

Enfin, aux termes de l'article 1787 ancien du code civil, lorsqu'on charge quelqu'un de faire un ouvrage, on peut convenir qu'il fournira seulement son travail ou son industrie, ou bien qu'il fournira aussi la matière.

Comme l'a exactement relevé le tribunal, il se déduit de ces dispositions que le fabricant ou le fournisseur est tenu envers l'acquéreur d'une obligation générale de renseignements et de conseil et qu'il lui appartient de renseigner l'acheteur sur le produit et notamment sur les inconvénients inhérents à la qualité du matériau qu'il a choisi ainsi que sur les précautions à prendre pour sa mise en 'uvre, compte tenu de l'usage auquel il est destiné.

Par ailleurs, celui qui est légalement ou contractuellement tenu d'une obligation d'information doit rapporter la preuve de l'exécution de cette obligation.

En l'espèce, il est constant que l'association avait déjà acquis, en septembre 2004 un manège équestre d'occasion auprès d'un particulier constitué d'une structure métallique supportant une couverture en bâche textile fabriquée par la société GILLARD, structure qui s'était effondrée sous le poids de la neige le 17 avril 2005 (que les représentants de l'association ont qualifiée d'exceptionnelle) et que l'assureur de l'association a accepté d'indemniser ce sinistre, permettant ainsi à l'association de confier directement à la société GILLARD la fourniture et l'installation d'un nouvel équipement à usage de manège couvert, lequel sera utilisé dès la fin du mois de juillet 2005 jusqu'au 20 novembre 2013, date à laquelle, à la suite d'une nouvelle chute de neige, le chapiteau s'est effondré sous le poids de la neige accumulée.

C'est vainement que la société ALLIANZ demande à la cour de confirmer le jugement en ce qu'il a opéré un partage de responsabilité par moitié entre l'association de la COMBETTE et la société GILLARD, et que celle-ci demande à la cour de réformer le jugement aux motifs qu'elle n'a pas failli à son devoir de conseil et n'a commis aucune faute dans la réalisation de sa prestation, que l'effondrement du manège est dû à la modification de la structure initiale par l'association LA COMBETTE qui a placé une chandelle au milieu du manège modifiant les forces de tractions et de poussées, lors d'une chute de neige qui n'était ni exceptionnelle ou imprévisible, caractéristique selon elle d'un cas de force majeure l'exonérant de toute responsabilité, le tout justifiant subsidiairement selon elle un partage de responsabilité.

En effet, comme l'objecte à juste titre l'association, sa précédente acquisition auprès d'un particulier d'un matériel d'occasion, qui aurait été strictement identique à celui objet du présent litige, et la connaissance par elle qui en résulterait des risques encourus à acquérir une structure de ce type, en cas de survenance de chute de neige, ne sauraient exonérer la société GILLARD de son devoir de conseil dès lors que la première acquisition, concernant au surplus du matériel d'occasion et non du matériel neuf, s'est faite auprès d'un particulier, qui lui-même n'était pas soumis à cette obligation, peu important par ailleurs que dans le cadre de l'effondrement qui a suivi cette première acquisition, ni l'association, ni son assureur, n'aient alors mis en cause la responsabilité de la société GILLARD pour ce qui concerne notamment tant la qualité du matériel que la nature du lieu d'implantation.

En effet, la société GILLARD, en sa qualité de vendeur et installateur professionnel, a un devoir propre de renseignements et de conseil envers l'acheteur de son produit.

Or, l'expert judiciaire relève en page 8 de son rapport que 'l'effondrement du chapiteau est uniquement dû à la surcharge occasionné par l'accumulation de neige sur sa couverture. La structure telle qu'elle est conçue, n'est absolument pas adaptée au site d'implantation. La chute de neige qui s'est produite le 20 novembre 2013 n'est pas, compte tenu du site d'implantation du manège, à considérer comme 'exceptionnelle', ni même imprévisible.'

Il appartenait donc à la société GILLARD en tant que professionnelle, de fournir les conseils adaptés à l'implantation envisagée, en termes de choix du produit envisagé et d'entretien du produit finalement commercialisé et installé par elle, d'autant plus qu'elle se présente comme fabriquant de ce type de structures depuis plus de 30 ans, jouissant à ce titre d'une expérience certaine, et présente un catalogue de produits différents, permettant de choisir le produit le plus adapté à l'usage auquel il est destiné, à savoir un manège équestre, mais aussi au lieu dans lequel il sera installé par cette même société, en l'espèce en altitude sur un léger devers, soumis à un enneigement régulier, le simple renvoi à son site internet étant insuffisant pour attester de la parfaite exécution de son obligation de conseil et de renseignement pour ce qui concerne l'entretien de cette installation en cas de chutes de neige importantes.

La cour ne peut par ailleurs pas suivre la société GILLARD lorsqu'elle soutient que l'association aurait accepté un risque d'effondrement lors de l'achat du nouveau manège, au vu de sa précédente expérience, risque que le sapiteur qualifie de 'logique', le devoir de renseignements et de conseil d'un professionnel étant précisément d'informer l'acheteur afin de prévenir la réalisation d'un tel risque, en le guidant notamment dans ses choix parmi plusieurs modèles commercialisés, voire en refusant d'installer le produit si le lieux d'implantation envisagé ne permet pas de garantir dans le respect de la réglementation en vigueur, et plus largement de la sécurité de l'acquéreur, l'usage auquel l'équipement est contractuellement destiné.

En outre, s'il est exact que l'association a placé au centre du manège une chandelle en bois sur laquelle la structure du toit venait se poser lorsqu'elle était alourdie, afin de solidifier l'ouvrage et de réduire le risque d'effondrement, c'est vainement que la société GILLARD soutient que l'association a de ce fait contribué à la réalisation du sinistre en nuisant à la solidité de l'ouvrage.

En effet, les experts désignés rappellent que 'sans la présence de cette chandelle, le chapiteau était déjà en train de s'écrouler sous le poids de la neige. En d'autres termes, en son absence, il se serait, aussi, écroulé...mais autrement' (p 14 du rapport d'expertise, en réponse aux dires) et que 'la mise en place d'une chandelle au centre du manège a considérablement augmenté la longévité de la structure sous les charges de gravité, mais sans malheureusement supprimer le risque d'effondrement (p 38 du rapport du sapiteur)'.

Enfin, la société GILLARD ne peut arguer du fait que la structure mise en place serait 'totalement conforme à la réglementation' sur la base de laquelle elle a été conçue, ainsi qu'aux règles de l'art, pour s'exonérer de sa responsabilité, dès lors qu'il ressort des opérations d'expertise rappelées ci-dessus, que la société GILLARD ne s'est pas contentée de vendre la structure démontable dont l'association entendait faire un usage pérenne, mais l'a installée sur un site géographique qui était sujet à un enneigement régulier, sans pouvoir justifier si ce n'est avoir déconseillé ce type d'installation à cet endroit, avoir à tout le moins donné les conseils nécessaires afin d'éviter tout risque d'effondrement en cas de chutes de neige importantes, lesquelles n'ont rien d'exceptionnelles en cet endroit d'après les pièces produites au débat, peu important que METEO FRANCE ait diffusé une alerte vigilance orange pour l'événement climatique, cette alerte ne permettant pas de qualifier une négligence fautive à la charge de l'association, et la chute de neige qui s'en est suivie ne pouvant être qualifiée de force majeure au dire de l'expert, qui estime à juste titre qu'il ne s'agit pas d'un événement exceptionnel au regard du lieu d'implantation du centre équestre, et de la période à laquelle cet événement est survenu, à savoir fin novembre.

Le jugement entrepris sera en conséquence infirmé en ce qu'il a retenu un partage de responsabilité entre la société GILLARD et l'association de la COMBETTE.

Sur les dommages

Vu, ensemble, les articles 9 du code de procédure civile, et 1315 ancien, devenu 1353 du code civil ;

Selon le rapport d'expertise judiciaire, seule la construction d'un manège 'suivant une toute autre technique que celle qui a démontré à deux reprises son inefficience' permettra de remédier aux désordres survenus, en confiant préalablement 'une mission de maîtrise d'oeuvre à un professionnel compétent qui engagera sa responsabilité, entre autres, pour définir les caractéristiques techniques détaillées de cet équipêment et le détail du chiffrage nécessaire à la consultation des entreprises'. L'expert évalue à 60 000 euros TTC (maîtrise d'oeuvre incluse) le montant des travaux nécessaires. Il précise qu'il ne lui appartient pas de retenir ou non une perte d'exploitation.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a exactement, au vu des pièces du dossier, retenu qu'il y avait lieu de procéder à la démolition et l'évacuation des vestiges du manège initial, et que le coût de telles opérations s'élèvait à 3 707,60 euros TTC, aucun élément d'actualisation n'étant produit devant la cour sur ce point.

En revanche, le préjudice matériel ne saurait prendre en compte le coût de la construction d'un manège de remplacement tel qu'évalué par l'expert judiciaire à la somme de 60 000 euros TTC, alors que le manège, installation et livraison comprises, a été acquis par l'association pour la somme de 36 137,62 euros, sauf à la faire bénéficier d'une amélioration.

En effet, si la victime d'un préjudice a droit à la réparation intégrale de ce préjudice, lequel peut être estimé au jour où il s'est produit et actualisé au jour de la décision l'octroyant en fonction de l'évolution d'un indice, ce qui n'est en l'espèce pas demandé, cette réparation ne peut excéder le montant du dommage.

En l'absence de partage de responsabilité, il convient de condamner la société GILLARD au paiement de la somme de 39 845,22 euros (3 707,60 +36 137,62) au titre du préjudice matériel subi par l'association, le jugement étant ainsi infirmé sur le quantum retenu à ce titre.

S'agissant de la perte d'exploitation, si la preuve d'un fait juridique est libre, c'est à juste titre que la société GILLARD rappelle qu'il appartenait à l'association d'en justifier tant le principe que le montant.

Or, en dépit d'une sommation faite par elle en première instance, réitérée dans ses conclusions en cause d'appel, de communiquer au débat sa comptabilité, au visa des articles 138 et suivants du code de procédure civile, la cour constate qu'aucune pièce comptable, certifiée par une personne habilitée pour ce faire ne serait-ce qu'au moyen d'une attestation conforme aux prescriptions de l'article 202 du code de procédure civile, n'est produite aux fins d'étayer le préjudice allégué alors qu'il est contesté tant dans son principe que dans son montant, au vu des pièces produites par l'association.

La cour observe plus particulièrement que les tableaux récapitulatifs des pertes de gains alléguées et de la perte d'exploitation, des cavaliers partis, la note explicative et les comptes d'exploitation 2001 à 2015, ainsi que les documents intitulés 'courbe FFE de la fréquentation du club' (qui semble être une capture d'écran), les cahiers de monte,'comptes de l'association 2016 à 1018', produits aux fins de justifier la demande d'indemnisation ne sont confortés par aucun document extérieur à l'association, comptable ou bancaire, alors même que la société GILLARD lui avait fait injonction de produire ses comptes d'exploitation et bilans sur l'ensemble des années d'exploitation, ainsi qu'un relevé de compte probant des réservations et annulations, devant le tribunal.

Enfin, le procès-verbal d'assemblée générale du 30 juin 2016 faisant état de la mise en attente de toute activité équestre au vu des difficultés financières résultant du non remboursement des dégâts du manège, qui ne permettent plus à l'association de faire face à ses dettes, de la rupture conventionnelle subséquente concernant le contrat de travail d'un salarié, du dernier bulletin de salaire et du solde de tout compte (février 2018) de Mme [S], présidente de l'association, et les attestations de vente de chevaux produites, ne permettent pas davantage de caractériser l'existence et la certitude du préjudice allégué, concernant la perte d'exploitation, la cour ne pouvant 'réserver' ce poste comme demandé à titre subsidiaire, dès lors qu'il appartenait à l'association, sommée à cette fin, de fournir des éléments notamment comptables probants, nécessaires au succès de ses prétentions.

Il n'est par ailleurs pas contesté que l'association n'avait pas davantage communiqué de documents comptables de nature à étayer les chiffres évoqués dans son dire n°4 à l'expert, du 30 décembre 2014, ni planning de réservation des cours ou comparatifs avec les exercices des années précédentes. Au demeurant, l'expert judiciaire n'avait pas reçu expressément mission d'évaluer un préjudice au titre de la perte d'exploitation, l'ordonnance de référé le commettant mentionnant uniquement une appréciation éventuelle et s'il y a lieu une évaluation, des 'préjudices subis', sans plus de précision, dans le cadre d'une mission relevant en réalité d'une expertise telle que prescrite en matière de responsabilité des constructeurs.

Le jugement sera infirmé sur ce point, le fait que les conditions particulières du contrat d'assurance prévoient une prise en charge du risque perte d'exploitation à hauteur de 60 000 euros ne permettant pas de pallier cette carence dans l'administration de la preuve.

Sur la garantie de la société ALLIANZ

La société G. GILLARD, au moment du sinistre, était assurée au titre de sa responsabilité civile auprès de la société ALLIANZ (RCEIC : responsabilités des entreprises industrielles et commerciales), selon police n°45231498.

Aux termes des dispositions particulières de ce contrat, la société GILLARD est garantie lorsque sa responsabilité civile est engagée dans le cadre notamment de l'activité suivante : 'Fabrication, maintenance et location de manèges démontables pour l'équitation.de fabrication' (tel quel dans le texte) ; d'après le tableau des garanties figurant en page 5, cette garantie couvre les dommages matériels et immatériels consécutifs (à la responsabilité civile encourue de ce fait), survenus après livraison de produits et/ou achèvement des travaux, à hauteur de 1.500.000 euros par année et par sinistre, excluant les frais de dépose et repose, sous déduction d'une franchise.

La société ALLIANZ a par courrier du 17 février 2014 dénié sa garantie auprès de son assurée, en se fondant sur l'existence d'une clause d'exclusion relative au coût de remplacement, de dépose et repose. Elle maintient en cause d'appel sa position de non garantie.

Comme l'assureur le fait valoir, la responsabilité de la société GILLARD est recherchée au titre des dommages survenus au manège équestre après sa livraison dans le cadre d'un manquement à son obligation de renseignements et de conseil.

La clause d'exclusion invoquée par la société ALLIANZ IARD est stipulée en page 15 des conditions générales du contrat d'assurance souscrit, en ces termes (en gras dans le texte) :

'Ce que nous ne garantissons pas, outre les cas prévus au chapitre 3, pour l'ensemble des dommages (...) :

- Le prix de vos produits et/ou travaux, le coût de leur remplacement, réparation, mise au point, parachèvement, ainsi que les frais de dépose et repose correspondant à des prestations qui ont été à votre charge à l'occasion de la livraison ou de l'exécution de vos produits ou travaux.

Toutefois, demeurent garantis les dommages aux produits livrés ou travaux réalisés par vous dans le cadre d'un marché antérieur pour autant que ces dommages trouvent leur origine dans votre nouvelle intervention'.

Il est par ailleurs stipulé en page 17 de ces mêmes conditions ce qui suit :

'pour les dommages survenus après livraison de produits et /ou achèvement de travaux, nous ne garantissons pas :

- Les frais de dépose et repose de vos produits ou travaux défectueux si la pose était initialement à votre charge lors de leur livraison ou exécution, même si le défaut ne concerne qu'une de leurs parties.

- Les frais de dépose et repose relatifs aux matériaux destinés à la construction (ouvrage de bâtiment ou de génie civil)'.

Le présent litige tendant à indemniser le préjudice subi du fait de la non exécution de l'obligation de renseignement et de conseil incombant à la société GILLARD par la prise en charge du coût nécessaire au remplacement de l'équipement fabriqué, installé et posé par elle, incluant la pose et dépose de l'équipement sinistré, est ainsi exclu du bénéfice de la garantie sollicitée, s'agissant du ' coût de (...) remplacement des produits/travaux' de cette société exclusion qui s'étend aux 'frais de dépose et repose correspondant' aux ' prestations qui ont été à [sa] charge à l'occasion de la livraison ou de l'exécution de [ses] produits ou travaux', les dommages en cause étant survenus après la livraison du produit et /ou l'achèvement des travaux, au sens de la garantie.

Le jugement sera ainsi infirmé en ce qu'il a estimé que la société ALLIANZ devait sa garantie à la société GILLARD.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

Partie perdante, la société GILLARD sera condamnée aux entiers dépens de première instance et d'appel, incluant les dépens de référé ainsi que les frais et honoraires de l'expertise judiciaire, et à payer à l'association, en application de l'article 700 du code de procédure civile, une indemnité qui sera, en équité, fixée pour l'ensemble de la procédure à la somme de 5 000 euros.

Il ne sera pas fait application de l'article 700 du code de procédure civile au bénéfice des sociétés GILLARD et ALLIANZ IARD qui seront déboutées de leur demande formée de ce chef.

PAR CES MOTIFS

LA COUR, statuant en dernier ressort, contradictoirement et publiquement par mise à disposition de la décision au greffe,

INFIRME le jugement en toutes ses dispositions ;

Statuant de nouveau et y ajoutant :

Condamne la société GILLARD à payer la somme de 39 845,22 euros à l'association de la COMBETTE au titre du préjudice matériel qu'elle a subi de son fait ;

Déboute l'association de la COMBETTE de sa demande d'indemnisation au titre de la perte d'exploitation et de sa demande subsidiaire tendant à réserver ce poste de préjudice ;

Déboute la société GILLARD de ses demandes d'exonération pour force majeure, de partage de responsabilité et tendant à être garantie par la société ALLIANZ IARD ;

Condamne la société GILLARD aux entiers dépens de première instance et d'appel, incluant ceux de référé ainsi que les frais et honoraires de l'expertise judiciaire, lesquels seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile pour les avocats pouvant y prétendre ;

Condamne la société GILLARD à payer à l'association de la COMBETTE la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Déboute la société GILLARD et la société ALLIANZ IARD de leur demande formée de ce chef.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 2 - chambre 5
Numéro d'arrêt : 19/04011
Date de la décision : 15/12/2020

Références :

Cour d'appel de Paris C5, arrêt n°19/04011 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2020-12-15;19.04011 ?
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