Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 2 - Chambre 6
ORDONNANCE DU 09 DÉCEMBRE 2020
Contestations d'Honoraires d'Avocat
(No /2020, 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : No RG 18/00167 - No Portalis 35L7-V-B7C-B5GW7
NOUS, Estelle MOREAU, Conseillère, à la Cour d'Appel de PARIS, agissant par délégation de Monsieur le Premier Président de cette Cour, assistée de Vanessa ALCINDOR, Greffière lors de la mise à disposition de l'ordonnance.
Vu le recours formé par :
Madame N... W...
[...]
[...]
Représentée par Me Olivier TOUCHOT, avocat au barreau de PARIS, toque : G0778
Demandeur au recours,
contre une décision du Bâtonnier de l'ordre des avocats de PARIS dans un litige l'opposant à :
Maître A... T...
[...]
[...]
Comparante en personne,
Défenderesse au recours,
Par décision contradictoire, statuant publiquement, et après avoir entendu les parties présentes à notre audience du 28 Octobre 2020 et pris connaissance des pièces déposées au Greffe,
L'affaire a été mise en délibéré au 09 décembre 2020 :
Vu les articles 174 et suivants du décret du 27 novembre 1991 ;
Vu la décision du bâtonnier de Paris en date du 21 février 2018 ayant notamment fixé à la somme de 119.200 euros HT le montant des honoraires dus par Mme H... W..., M. D... W..., Mme N... W... et Mme V... W... en leur qualité d'héritiers de O... W..., à Mme A... T..., avocat, constaté le règlement de la somme de 24.000 euros et dit que les consorts W... devront régler à Mme T... la somme de 119.040 euros TTC et celle de 721,18 euros au titre des frais et débours outre les intérêts au taux légal à compter du 25 août 2017 et les frais de signification de la décision ;
Vu le recours formé par Mme N... W... par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 9 mars 2018 ;
Vu l'audience du 28 octobre 2020 ;
Vu les conclusions de Mme N... W..., notifiées à l'intimée en temps utile, déposées à la cour et développées oralement à l'audience, demandant de :
- fixer des honoraires :
- à la somme de 20.000 euros HT pour la période du 26 novembre 2014 au 15 juillet 2015,
- à la somme de 30.000 euros HT pour la période du 15 juillet 2015 au 21 février 2016 en excluant les honoraires afférents à la défense personnelle de Mme T... devant la commission de déontologie du barreau de Paris et en révisant à la baisse le temps passé sur chacune des tâches mentionnées dans la fiche d'intervention du 17 octobre 2016 faute pour Mme T... d'avoir informé sa cliente au fur et à mesure de leur exécution,
- à la somme de 30.000 euros HT pour la période du 15 juillet 2015 au 24 février 2016,
- rejeter l'ensemble des demandes formées par Mme T... pour la période du 21 février 2016 au 17 octobre 2016,
- subsidiairement, réduire les honoraires,
- condamner Mme T... aux dépens et au paiement d'une indemnité de 2.400 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Vu les conclusions de Mme T..., notifiées à l'appelante en temps utile, déposées à la cour le 16 octobre 2020 et développées oralement à l'audience, sollicitant la fixation de ses honoraires à la somme de 145. 866 euros TTC majorés des frais de 865 euros soit un montant restant dû de 146.731,42 euros TTC après déduction de la provision de 20.000 euros versée, en faisant valoir l'accomplissement des prestations facturées et leur montant justifié compte tenu de la complexité du dossier, de sa qualification dans ce domaine, de la poursuite de sa mission après les mesures de mise sous sauvegarde et de placement sous tutelle dont sa cliente a fait l'objet et de la tardivité de la contestation de ses honoraires par un seul-ayant droit de celle-ci ;
SUR CE
Sur la fixation des honoraires d'avocat :
Il résulte des pièces produites aux débats et des explications des parties qu'à compter du 26 novembre 2015, Mme T... a été saisie de la défense de ses intérêts par O... W..., alors âgée de 93 ans pour être née le [...] , dans le cadre des opérations de liquidation partage de la succession de sa soeur K... P.... Une convention d'honoraires a été signée le 15 juillet 2015. O... W..., placée sous tutelle le 24 juin 2016, est décédée en janvier 2017, laissant pour héritiers Mme H... W..., M. D... W..., Mme N... W..., appelante, et Mme V... W....
Mme T... sollicite le règlement de ses honoraires d'un montant total de 122.276,18 euros HT déduction faite de la provision versée à hauteur de 20.000 euros HT, au titre de sa mission s'étant déroulée du 26 novembre 2014 au 17 octobre 2016, ce que conteste l'appelante en faisant valoir l'interruption de sa mission à compter du placement de O... W... sous mesure de sauvegarde le 21 février 2016 ou sous mesure de tutelle par jugement du 24 juin 2016.
Sur la période de décembre 2014 au 15 juillet 2015 :
Par acte du 4 décembre 2014, O... W... a donné procuration à Mme T... aux fins de la représenter dans le cadre de la succession de K... P..., et notamment d'interroger tout établissement financier, d'obtenir tout élément nécessaire au règlement de la succession, faire toutes déclarations et d'ordonner le paiement des droits de succession.
Aucune convention d'honoraires n'a alors été conclue.
Au vu de sa facture récapitulative du 17 octobre 2016, Mme T... sollicite le paiement d'une somme de 72.520 euros (37.110 du 26 novembre 2014 au 28 février 2015 + 35.410 du 2 mars 2014 au 27 juillet 2015) au titre de cette période.
La note d'honoraires du 6 mars 2015, qui a été réglée, pour un montant provisionnel de 20.000 euros HT ne mentionne aucun taux horaire.
En l'absence de convention d'honoraires, les honoraires de l'avocat doivent être fixés, en application des critères énumérés par l'article 10 de la loi du 31 décembre 1971, selon les usages, en fonction de la situation de fortune du client, de la difficulté de l'affaire, des frais exposés par l'avocat, de sa notoriété et des diligences de celui-ci.
Les taux horaires de 320 euros HT, 220 euros HT et 50 euros HT mentionnés au titre des prestations respectives de Mme T..., sa collaboratrice et son assistant dans sa facture récapitulative du 17 octobre 2016 sont compatibles avec la nature et la complexité du dossier, leur notoriété, en particulier celle de Mme T... justifiant d'une expérience de 40 ans dans ce domaine, la nature des diligences et la situation financière de sa cliente.
La fiche des diligences accomplies du 25 août 2017 communiquée par Mme T... ne contient aucun détail du temps passé, et ne distingue pas selon les prestations accomplies par elle, sa collaboratrice et son assistant dont les taux horaires sont différents, se bornant à indiquer un nombre d'heures total de 527 heures entre le 26 octobre 2014 et le 17 octobre 2016, à raison de 255,75 heures pour Mme T... (soit environ 49 %), 263,25 heures (soit environ 50 %) pour sa collaboratrice et 8 heures (soit environ 1%) pour son assistant. En revanche, le document intitulé "point sur les honoraires" du 17 octobre 2016 mentionne, pour la période facturée du 26 novembre 2014 au 27 juillet 2015, une durée de 151 heures 3/4 pour Mme T... au taux horaire de 320 euros, une durée de 103 heures pour sa collaboratrice au taux horaire de 230 euros, une durée de 6 heures pour son assistant au taux horaire de 50 euros.
La réalité des interventions de Mme T... durant cette période et leur exécution avec l'accord de sa cliente conformément à la mission confiée qui concerne le règlement de la succession sans que le détail des actes autorisés ne soit exhaustif, ne sont pas utilement discutées, n'ayant fait l'objet d'aucune contestation à l'époque de leur accomplissement, ni à l'occasion de l'envoi par Mme T... d'un point sur ses honoraires le 30 juillet 2015.
Au vu des éléments produits aux débats, le temps passé à ces prestations a été évalué avec exactitude par le bâtonnier à 200 heures. En revanche, il y a lieu d'appliquer les taux horaires de Mme T... et sa collaboratrice à proportion des prestations accomplies par elles, à raison de 50% pour Mme T... et sa collaboratrice, chacune, soit un montant total dû de 34.200 euros HT (100 x 320 euros + 100 x 220).
Sur la période du 15 juillet 2015 au 24 février 2016 :
Une convention d'honoraires a été signée entre les parties le 15 juillet 2015 sur la base d'un taux horaire de 350 euros HT, au titre d'une mission portant sur le "règlement de la succession dans son ensemble (préparation, établissement de la déclaration de succession, organisation du paiement des droits, du fractionnement et de la fourniture de garanties requises, et, le cas échéant, la recherche de solutions pour réunir les liquidités nécessaires)".
Les conditions de signature de cette convention ne sont pas utilement discutées, aucune demande de nullité de celle-ci n'étant formée, étant au surplus relevé qu'il n'est pas démontré par les pièces produites aux débats que le consentement de O... W... n'aurait pas été libre au moment de la signature de celle-ci.
La procédure spéciale prévue à l'article 174 du décret du 27 novembre 1991 ne concerne que les contestations relatives au montant et au recouvrement des honoraires d'avocat, de sorte que le bâtonnier et, en appel, le premier président sont incompétents dans le cadre de cette procédure pour connaître, même à titre incident, d'une demande tendant à la réparation d'une faute professionnelle de l'avocat par voie d'allocation de dommages et intérêts ou de réduction du montant de ses honoraires.
Ainsi, le premier président de la cour d'appel n'a pas le pouvoir de se prononcer sur une éventuelle responsabilité de l'avocat à l'égard de son client liée au manquement à son devoir d'information préalable quant aux conditions de sa rémunération ainsi qu'invoqué par l'appelante.
L'existence d'une convention ne fait pas obstacle au pouvoir du bâtonnier et du premier président de la cour d'appel de réduire les honoraires convenus initialement entre l'avocat et son client lorsque ceux-ci apparaissent exagérés au regard du service rendu.
Mme T... sollicite au titre de cette période la somme de 22.990 euros du 27 juillet 2015 au 10 novembre 2015 et celle de 20.540 euros du 12 novembre 2015 au 24 février 2016.
L'appelante fait valoir avec pertinence qu'il convient d'exclure les honoraires au titre de prestations afférentes à la défense personnelle de Mme T... devant la commission de déontologie du barreau de Paris, pour un montant total de 4.100 euros HT, et à un conflit d'intérêts, pour un montant de 2.100 euros HT, ces prestations ne rentrant pas dans le cadre de la mission confiée à l'avocat au titre de la convention d'honoraires conclue.
Le surplus des honoraires appliqués n'est pas utilement discuté, de sorte que les honoraires dus sur cette période sont de 37.330 euros HT.
Sur la période postérieure 25 février 2016 :
La convention conclue entre Mme T... et sa cliente le 15 juillet 2015 n'a pas pris fin en février 2016 par la saisine par l'appelante du juge des tutelles aux fins d'une mesure de protection de sa mère au vu d'un certificat médical du 21 février 2016, ni par le placement de celle-ci sous sauvegarde de justice par ordonnance du 21 avril 2015 révoquant "en tant que de besoin toutes procurations antérieures qui auraient été données par la personne protégée", et non pas les mandats préalablement confiés.
Le défaut allégué de respect par Mme T... de l'avis de la commission déontologique ainsi que sa mauvaise foi prétendue dans l'exécution de la convention au vu de la dégradation des facultés mentales de sa cliente ne relèvent pas du contentieux de la fixation d'honoraires.
Le jugement de tutelle du 24 juin 2016 n'a pas davantage mis fin à la mission de Mme T... dès lors qu'il est démontré par les pièces produites aux débats, en particulier les courriels échangés les 17 et 24 octobre 2016, qu'elle a été en contact avec Mme B..., désignée le 24 juin 2016 pour assurer la tutelle de sa cliente, a conseillé celle-ci ès qualités en envisageant des actes supplémentaires, a fait le point avec Mme B... le 16 septembre 2016 sur une offre d'achat d'un immeuble, et que Mme B... n'a pas contesté le "point sur les diligences accomplies depuis le 22 juillet dernier" et l'état du jour de ses interventions adressés par Mme T... par courriel du 17 octobre 2016, lui répondant au contraire, par courriel du 24 octobre 2016 "je prends bonne note de vos observations et informations" et l'informant de ses propres démarches complétant les diligences accomplies par Mme T....
Au vu de ces éléments, la mission de Mme T... s'est poursuivie avec l'accord du gérant de tutelles de sa cliente et a donc été maintenue aux mêmes conditions.
Pour la période du 23 février 2016 au 17 octobre 2016, Mme T... fait valoir 40 heures au taux horaire de 320 euros et 57,75 heures au taux horaire de 220 euros.
Madame W... souligne avec pertinence le caractère infondé de la facturation de prestations au titre de la mise sous tutelle de sa cliente ne relevant pas de la mission définie dans la convention d'honoraires, de prestations facturées à deux reprises ou encore au titre de procédures dans lesquelles sont désignés d'autres avocats, et la non justification du temps passé pour certaines prestations facturées.
Au vu des éléments produits aux débats et des observations pertinentes de l'appelante, les honoraires facturés apparaissent exagérés au regard du service rendu qui doit être estimé à 24 heures au taux horaire de 320 euros et 49 heures au taux horaire de 220 euros, soit la somme de 18.460 euros due à titre d'honoraires durant cette période.
Il résulte de l'ensemble de ces éléments que les honoraires de Mme T... doivent être fixés à la somme de 89.990 euros HT, dont il convient de déduire la somme de 20.000 euros HT versée à titre de provision.
La décision est donc infirmée.
Le recours de Mme W... étant fondé, Mme T... sera condamnée aux dépens d'appel. En revanche, aucune considération tirée de l'équité ne commande d'accueillir la demande de Mme W... au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, par ordonnance contradictoire, en dernier ressort, après débats publics et ensuite par mise à disposition de la présente décision,
Infirme la décision du bâtonnier de Paris en date du 21 février 2018 en ce qu'elle a fixé à la somme de 119.200 euros HT le montant des honoraires dus par Mme H... W..., M. D... W..., Mme N... W... et Mme V... W... en leur qualité d'héritiers de O... W..., à Mme A... T..., avocat,
Statuant de nouveau,
Fixe à la somme de 89.990 euros HT le montant des honoraires dus à Mme A... T..., avocat, par O... W..., aux droits de laquelle vient notamment Mme N... W...,
Constate le règlement de la somme de 20.000 HT,
Dit que les honoraires dus à Mme A... T... par O... W..., aux droits de laquelle vient notamment Mme N... W..., sont de 69.990 euros HT,
Vu l'article 700 du code de procédure civile,
Déboute Mme N... W... de sa demande à ce titre,
Condamne Mme A... T... aux dépens.
Dit qu'en application de l'article 177 du décret no 91-1197 du 27 novembre 1991, l'ordonnance sera notifiée au parties par le Greffe de la Cour suivant lettre recommandée avec accusé de réception.
LE GREFFIER LE CONSEILLER