Copies exécutoires délivrées aux parties le RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 2 - Chambre 2
ARRÊT DU 26 NOVEMBRE 2020
(no 234/2020, pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : No RG 19/14354 - No Portalis 35L7-V-B7D-CAK7F
Saisine sur renvoi après cassation par un arrêt rendu le 4 juillet 2019 par la 1ère chambre civile de la cour de cassation - Pourvoi no 18-11-758 ayant cassé partiellement l'arrêt rendu le 6 décembre 2017 par la cour d'appel de Paris - RG no 16/18088 ayant statué sur l'appel de la sentence arbitrale rendue le 27 janvier 2015 par le Bâtonnier de l'ordre des avocats de PARIS
DEMANDERESSE A LA SAISINE
Madame M... U...
[...]
[...]
Représentée et assistée de Me Léonore BOCQUILLON, avocat au barreau de PARIS, toque : E1085
DEFENDEURS A LA SAISINE
Madame N... K...
[...]
[...]
Madame J... I...
[...]
[...]
Monsieur L... X...
[...]
[...]
Monsieur L... G...
[...]
[...]
Monsieur P... F...
[...]
[...]
Tous pris tant en leur nom personnel que ès-qualité d'associés de l'association d'Avocats à Responsabilité Individuelle (AARPI) [...]
Représentés et assistés de Me Francis TEITGEN de la SELARL Teitgen & Viottolo, avocat au barreau de PARIS, toque : R011
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 15 Octobre 2020, en audience publique, devant la Cour composée de :
Mme Cathy CESARO-PAUTROT, Présidente
Mme Patricia LEFEVRE, Conseillère
Madame W... A...,
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Mme E... dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Madame Laure POUPET
ARRÊT :
- Contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Cathy CESARO-PAUTROT, Présidente et par Vanessa ALCINDOR, Greffière, présente lors de la mise à disposition.
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Collaboratrice, en vertu d'une convention en date du 1er août 2009, de l'AARPI [...] constituée entre Mme N... K..., M.P... F..., M. L... G..., Mme J... I..., M. L... X..., Mme M... U... a annoncé le 11 février 2013 sa décision de rechercher une nouvelle collaboration.
Les 16 et 17 mai 2013, elle a informé les membres de l'AARPI de son état de grossesse.
A compter du 27 mai 2013, le cabinet [...] et sa collaboratrice ont échangé des courriels à propos des modalités de son départ et, le 10 juin 2013, le cabinet a remis à Mme U... en mains propres un courrier aux termes duquel il constatait qu'à défaut d'avoir trouvé meilleur accord, le délai de prévenance avait couru à compter du 11 février 2013 et que le contrat prenait fin, le 11 juin 2013.
Estimant qu'il n'avait pas été mis fin au contrat de collaboration avant la déclaration de sa grossesse, mais pendant la période de protection dont elle bénéficiait en application de l'article 14.4 du règlement intérieur national de la profession d'avocat (RIN) et de l'article 14.4.1 du règlement intérieur du barreau de Paris, Mme M... U... a saisi, le 2 juin 2014, le bâtonnier de l'ordre des avocats dudit barreau sur le fondement de l'article 142 du décret n 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat.
Par décision du 27 janvier 2015, le bâtonnier de l'ordre des avocats au barreau de Paris a :
- jugé que Mme U... ayant annoncé sa démission le 11 février 2013, le délai de prévenance courait à compter de cette date et en conséquence, l'a déboutée de l'ensemble de ses demandes relatives à la protection des collaboratrices enceintes,
- jugé que la rupture du contrat de collaboration a causé à Mme U... un préjudice moral qui sera justement réparé par l'octroi de la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts et condamné Mmes et MM. K..., F..., G..., I..., X..., tant en leur nom personnel qu'en qualité de (membres de) l'AARPI [...], au paiement de cette somme,
- débouté Mmes et MM. K..., F..., G..., I..., X..., tant en leur nom personnel qu'ès-qualités de l'AARPI [...], de leurs demandes reconventionnelles,
- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires, dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile, laissé à chacune des parties la charge de ses dépens éventuels et a rappelé l'exécution provisoire attachée à sa décision et ses limites.
Le 18 février 2015, Mme M... U... a formé un recours contre cette sentence arbitrale devant la cour d'appel de Paris qui, par un arrêt en date du 6 décembre 2017, a confirmé ladite décision, dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile, et a condamné Mme M... U... aux dépens.
Par un arrêt en date du 4 juillet 2019, la Cour de cassation, après avoir écarté les deux premières branches du premier moyen de cassation soutenu par Mme M... U..., a, sur la troisième branche de ce moyen, cassé et annulé l'arrêt rendu, sauf en ce qu'il a dit que Mme U... ayant annoncé sa démission le 11 février 2013, le délai de prévenance courait à compter de cette date et remis, en conséquence, sur les autres points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les a renvoyées devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.
Pour ce faire, la cour a jugé, au visa de l'article 1134 du code civil (ancien) et ensemble des articles 129 du décret no 91-1197 du 27 novembre 1991 et 14.4 du RIN, dans sa rédaction applicable que, aux termes du dernier texte, sauf meilleur accord des parties, chaque partie peut mettre fin au contrat de collaboration en avisant l'autre au moins trois mois à l'avance ; que, selon la même disposition, ce délai est augmenté d'un mois par année au-delà de trois ans de présence révolus, sans qu'il puisse excéder six mois ;
Que, pour rejeter l'ensemble des demandes de l'avocate relatives à la protection des collaboratrices enceintes, l'arrêt retient que le délai légal applicable à la rupture du contrat de collaboration signé le 1er août 2009 est de quatre mois et non de trois mois, dès lors que l'article 14-4 du RIN applicable prévoit que le délai de trois mois est augmenté d'un mois par année au-delà de trois ans de présence révolus ;
Qu'en statuant ainsi, alors que l'augmentation du délai de prévenance prévu à l'article 14-4, alinéa 2, du RIN est d'un mois par année révolue postérieure aux trois années de présence révolues dont dépend la prolongation de ce délai, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
Mme M... U... a saisi la cour de renvoi, le 30 juillet 2019 et, aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 7 octobre 2020 et soutenues oralement lors de l'audience de plaidoiries, elle demande à la cour au visa de l'article 14 du règlement intérieur national de la profession d'avocat (RIN) et de l'article 14.0.4 du règlement intérieur du barreau de Paris et de l'article 4 de la loi 2008-496 du 27 mai 2008, de déclarer son appel recevable, de prendre acte de la rupture du contrat de collaboration, le 10 février 2013 et au constat :
- de la volonté des parties de se soumettre à un délai de prévenance conventionnel jusqu'à ce qu'elle ait trouvé une nouvelle collaboration et, subsidiairement, qu'elles ont renoncé à la rupture en continuant à travailler ensemble passé le délai de trois mois et, encore plus subsidiairement, ont entendu continuer à travailler ensemble au titre d'un nouveau contrat de collaboration, à compter de l'expiration du délai de prévenance, le 10 mai 2013,
- de condamner in solidum les intimés pris tant en leur nom personnel qu'ès-qualités à lui payer à titre principal, la somme de 83 919 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice financier subi et, à titre subsidiaire, cette même somme hors taxes au titre des honoraires dont le règlement devait lui être assuré par le cabinet, outre la somme de 33 000 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice financier et celle de 50 000 euros en réparation de son préjudice moral, tous deux subis du fait du caractère discriminatoire de la décision de lui imposer un départ, le 11 juin 2013.
En tout état de cause, Mme M... U... réclame la condamnation in solidum des mêmes au paiement de la somme de 30 000 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi du fait des conditions brutales et vexatoires dans lesquelles est intervenue la rupture, outre, la confirmation de la décision du Bâtonnier de Paris en date du 27 janvier 2015 en ce qu'elle a débouté les associés de l'AARPI de leurs demandes reconventionnelles et enfin, elle sollicite la condamnation solidaire des intimés au paiement de la somme de 15 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées le 5 octobre 2020 et soutenues oralement lors de l'audience de plaidoiries, Mme N... K..., M. P... F..., M. L... G..., Mme J... I..., M. L... X..., en leur nom personnel et comme membres de l'association d'avocats à responsabilité professionnelle individuelle [...] demandent à la cour, au visa de l'article 14-4 du RIN, après avoir rappelé qu'il est définitivement jugé que Mme M... U... a annoncé sa démission le 11 février 2013 et que le délai de prévenance a commencé de courir à compter de cette date, de confirmer la décision déférée en ce qu'elle a débouté Mme U... de l'intégralité de ses demandes relatives à la protection des collaboratrices enceintes et dit que le délai de prévenance applicable en l'espèce au regard de l'ancienneté de l'avocate collaboratrice de quatre mois en application de l'article 14.4 du Règlement intérieur national.
A titre subsidiaire, ils sollicitent de la cour qu'elle juge que Mme M... U... ne peut pas revendiquer le droit à la protection des collaboratrices enceintes, car le contrat de collaboration n'a pas été poursuivi entre les parties entre le 11 mai 2013 et le 11 juin 2013, qu'ils n'ont pas renoncé aux effets de la rupture du contrat, et qu'il n'a pas été conclu de nouveau contrat de collaboration entre les parties entre le 11 mai 2013 et le 11 juin 2013.
Ils soutiennent, en toute hypothèse, la confirmation de la décision arbitrale en ce qu'elle a jugé mal fondées les prétentions de Mme M... U... au titre d'une prétendue perte de rémunération, de ses demandes relatives au caractère prétendument discriminatoire ou vexatoire de la fin de la collaboration, et son infirmation en ce qu'elle a jugé que le caractère brutal de la rupture du contrat de collaboration avait causé à Mme U... un préjudice moral réparé par l'octroi d'une somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts et en ce qu'elle a dit que l'action engagée n'était pas abusive, sollicitant à ce titre, chacun, l'euro symbolique de dommages et intérêts.
Enfin, ils réclament le rejet des demandes de Mme M... U... et sa condamnation à leur payer solidairement, une somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
SUR CE, LA COUR,
Considérant que Mme M... U... fait valoir qu'en raison d'une démission au 11 février 2013 son contrat de collaboration aurait dû prendre fin à la date d'une nouvelle collaboration, ainsi qu'en avaient convenu les parties soit au 10 mai 2013, terme du préavis réglementaire ; qu'à titre principal, elle soutient que si le cabinet n'était plus d'accord sur le terme convenu du délai de prévenance, il lui appartenait de procéder à une nouvelle rupture du contrat en indiquant faire courir le délai légal de l'article 14-4 du RIN à compter de cette date sous réserve du respect des dispositions protectrices de la collaboratrice enceinte ; qu'à titre subsidiaire et à titre très subsidiaire, elle fait valoir que les parties avaient implicitement renoncé à la rupture notifiée le 11 février et que pour mettre fin au contrat, l'AARPI devait à nouveau lui notifier sa décision, où qu'à tout le moins, elles avaient poursuivi leurs relations conventionnelles aux mêmes conditions que précédemment ; qu'elle en déduit qu'en exigeant son départ le 11 juin 2013, le cabinet a violé les règles protectrices et que cette rupture est nulle et doit emporter obligation pour le cabinet de lui régler la rétrocession d'honoraires jusqu'au 19 septembre 2014, soit à la date de la fin d'un délai de prévenance dont le point de départ aurait été le terme de la période de protection réglementaire ; qu'en conséquence, elle soutient la nullité de la nouvelle rupture intervenue en violation des textes protecteurs, qui plus est, discriminatoire puisque concomitante et en lien évident avec son état de grossesse, et enfin brutale ;
Considérant que les membres du cabinet [...] reprennent les circonstances de la cause et avancent qu'il ne saurait y avoir de discrimination s'agissant d'une décision de la collaboratrice prise trois mois avant l'annonce de sa grossesse et que son départ au 11 juin n'est que la conséquence de ce qu'aucun accord n'a été trouvé sur la date de son départ et que le délai réglementaire de prévenance s'appliquait ; qu'ils rappellent que le seul chef du jugement qui échappe à la cassation est l'existence d'une démission au 11 février 2013 et que cette date constitue le point de départ du préavis de prévenance ; qu'ils en déduisent que la prétention de Mme M... U..., démissionnaire depuis le 11 février, à bénéficier de la protection des collaboratrices enceintes en raison de l'annonce de sa grossesse en mai 2013, est vouée à l'échec, la protection ne s'appliquant pas que le délai de prévenance soit conventionnel ou réglementaire ; qu'ils rappellent que le moyen de cassation, la computation de la durée de ce délai, en application de l'article 14.4 du RIN ne s'impose pas à la cour de renvoi et ils font valoir que la Cour a mal lu ce texte,alors que la majoration du délai intervient dès le début d'une nouvelle année de collaboration, et non lorsque celle-ci est, comme l'a retenu la cour, révolue ; qu'ils ajoutent que leur interprétation est conforme à l'information délivrée par le CNB ; qu'ils en déduisent, d'une part, que la collaboration ne s'est pas poursuivie au-delà du terme légal, et d'autre part, que dans le contexte d'une interprétation de leurs organes représentatifs conforme à leur pratique, aucune renonciation à un droit ne peut être déduit de la poursuite de la collaboration passé le délai de trois mois ; qu'ils ajoutent qu'il n'y a jamais eu d'accord sur un préavis conventionnel jusqu'à la signature d'une nouvelle collaboration et, qu'en réalité, ils avaient informé Mme U... qu'ils ne lui imposeraient pas sa poursuite si elle trouvait une nouvelle collaboration et précisent qu'ils ne lui confiaient plus aucun dossier, par anticipation sur son départ ; qu'à titre subsidiaire, ils discutent du montant des demandes qualifiées d'exorbitantes et estiment calomnieuses les affirmations de Mme M... U... à leur égard ;
Considérant, en premier lieu, qu'en application des articles 624, 625 et 638 du code de procédure civile, la cassation qui atteint un chef de dispositif n'en laisse rien subsister, quel que soit le moyen qui a déterminé la cassation ; que par l'effet de la cassation partielle intervenue, aucun des motifs de fait ou de droit ayant justifié la disposition annulée ne subsiste, de sorte que la cause et les parties sont remises de ce chef dans l'état où elles se trouvaient avant la décision censurée et peuvent invoquer de nouveaux moyens à l'appui de leurs prétentions, l'affaire étant à nouveau jugée en fait et en droit par la juridiction de renvoi à l'exclusion des chefs non atteints par la cassation ;
Qu'en l'espèce, la Cour de cassation a cassé l'arrêt rendu par la cour de ce siège, sauf en ce qu'il a dit que Mme U... ayant annoncé sa démission le 11 février 2013, le délai de prévenance courait à compter de cette date ;
Qu'elle a critiqué l'interprétation de la juridiction du fond quant à la durée du délai de prévenance, fonction de la durée de la collaboration et a, en revanche, écarté les deux autres branches du moyen de cassation au motif d'une part, que la cour d'appel avait caractérisé l'existence d'un acte unilatéral par lequel l'avocate avait manifesté de façon claire et non équivoque sa volonté de mettre fin au contrat, peu important que l'association ait été disposée, à cette date, à ne pas appliquer le délai légal de prévenance aux fins de laisser à sa collaboratrice le temps nécessaire aux démarches lui permettant de trouver une autre collaboration et d'autre part, qu'elle (Mme U...) remettait en cause l'appréciation souveraine des juges du fond, en soutenant qu'à supposer que l'annonce par l'avocate de son départ en février 2013 ait pu être assimilé à une « démission », il n'en était pas moins constant que les parties étaient convenues à cette date, par dérogation au délai de prévenance fixé par le RIN, de ne s'enfermer dans aucun délai de prévenance fixe et que c'était finalement la décision ultérieure des associés du cabinet [...], intervenue postérieurement à l'annonce de la grossesse, et plus précisément le 10 juin 2013, d'exiger l'application stricte du délai de prévenance fixé par le règlement qui avait entraîné la rupture effective du contrat de collaboration ;
Qu'il s'ensuit que, contrairement à ce que soutient Mme U..., ses adversaires peuvent discuter de la durée du délai de prévenance et prétendre comme ils le font, qu'il était, compte tenu d'une collaboration de plus de trois ans mais de moins de quatre années, de quatre mois ; qu'en revanche, est définitivement acquise la démission de Mme U... le 11 février 2013 et le délai de prévenance a commencé à courir à compter de cette date ;
Considérant qu'il convient de rappeler qu'en application de l'article 21-1 de la loi du 31 décembre 1971, le Conseil national des barreaux dispose d'un pouvoir normatif réglementaire et dès lors, seules les dispositions du règlement intérieur national ont vocation à définir le statut de l'avocat collaborateur, qui entre dans son domaine de compétence ;
Que selon l'article 14.4 du règlement intérieur national (RIN) :
Sauf meilleur accord des parties, chaque partie peut mettre fin au contrat de collaboration en avisant l'autre au moins trois mois à l'avance. Ce délai est augmenté d'un mois par année au-delà de trois ans de présence révolus, sans qu'il puisse excéder six mois ;
Qu'il en ressort, dès lors qu'il est précisé que le délai est augmenté, par année au-delà de trois ans de présence révolus, l'accroissement du délai est acquis, qu'une fois l'année révolue et dès lors, ce délai était, dans l'hypothèse d'une collaboration de plus de trois ans sans atteindre quatre années, de trois mois ; que cette interprétation est d'ailleurs celle de l'organe rédacteur ainsi qu'il ressort de l'article règles et usages du CNB, publié le 15 avril 2010, qui analyse la décision à caractère normatif no2010-001 de ce conseil qui a institué un délai de prévenance dont la durée variait entre la troisième et la cinquième année de collaboration (la pièce 14 de l'appelante) ;
Que l'article susmentionné se poursuit comme suit :
A dater de la déclaration de grossesse et jusqu'à l'expiration de la période de suspension du contrat à l'occasion de l'accouchement, le contrat de collaboration libérale ne peut être rompu, sauf manquement grave aux règles professionnelles non lié à l'état de grossesse ;
Qu'il s'ensuit que le régime protecteur revendiqué par Mme U... ne concerne pas les ruptures de contrat de collaboration intervenues sur l'initiative de la collaboratrice enceinte et antérieurement à la grossesse de cette dernière, ce qu'a, à juste titre, retenu la sentence déférée ;
Que dès lors, la demande principale de Mme U... qui tend à obtenir le bénéfice de ce régime protecteur au motif que le cabinet [...] aurait mis fin, avant le terme convenu, au délai de prévenance ne peut pas prospérer, puisqu'ainsi qu'il a été irrévocablement jugé, le contrat de collaboration en date du 1er août 2009 a été rompu à son initiative, le 11 février 2013 ;
Considérant qu'il est indéniable, au vu des mails échangés entre les parties et notamment de celui émanant du cabinet du 27 mai 2013 qui vient préciser afin de te faciliter la recherche d'une collaboration, nous avions bien voulu ne pas déterminer par avance la date de l'expiration de ton délai de prévenance, que le cabinet [...] était prêt à ne pas appliquer le délai prévu par le RIN - qui pouvait être allongé ou raccourci - et à laisser à sa collaboratrice le temps nécessaire aux démarches lui permettant de trouver une collaboration qui lui convienne ; que les témoignages qui font état des déclarations de Mme U... contemporaines de sa démission viennent corroborer la volonté du cabinet de lui laisser notamment le temps de se retourner (témoignage de Me O...), c'est à dire l'accord du cabinet sur un terme incertain mais dans un délai raisonnable ;
Que les décisions prises par le cabinet après la démission de sa collaboratrice (engagement d'un nouveau collaborateur, absence de distribution de nouveaux dossiers) comme le comportement de celle-ci (acceptation d'un changement du bureau, participation très épisodique aux réunions d'agenda) viennent caractériser la volonté des parties de ne pas retarder ou précipiter le départ de Mme U... en le subordonnant au délai prévu par le RIN ;
Que dès lors, dans le cadre d'un délai de prévenance d'une durée indéterminée, l'allégation de Mme U... selon laquelle la poursuite de la collaboration du 11 mai au 11 juin 2013 (soit passé le délai de trois mois de l'article 14-4) viendrait caractériser une renonciation du cabinet [...] aux effets de la rupture annoncée le 11 février 2013 est dépourvu de pertinence ;
Qu'il en est de même d'une prétendue volonté commune des parties de contracter à nouveau, à l'issue du délai du RIN, aux conditions de l'ancienne convention de collaboration ;
Qu'en effet, entre le 11 mai et le 11 juin 2013, les relations des parties s'inscrivaient dans la poursuite obligée, durant le délai de prévenance conventionnel, des effets du contrat rompu ;
Qu'il s'ensuit que les demandes principales de Mme U... fondées sur la renonciation du cabinet d'avocats aux effets de la rupture du 11 février 2013 ou à l'existence d'une nouvelle convention ne peuvent pas prospérer ;
Considérant que Mme U... présente une demande de dommages et intérêts pour discrimination au visa de la loi 2008-496 du 27 mai 2008 et fait valoir que la concomitance entre l'annonce de sa grossesse et la décision de lui imposer son départ immédiat démontre l'existence d'une discrimination en raison de son état ; que pour s'opposer à cette demande, le cabinet intimé met en exergue l'accroissement qu'il qualifie de fantaisiste des demandes de Mme U... et nie, à la lecture de la correspondance échangée le lien entre l'annonce de sa grossesse par sa collaboratrice et la fixation des modalités d'un départ qui devenait indispensable ;
Considérant que la loi 2008-496 du 27 mai 2008 pose le principe de non-discrimination en raison de l'état de grossesse ou de la maternité et, dans son article 4, institue un régime probatoire ;
Que selon cet article qui, par exception, ne s'applique pas devant les juridictions pénales, toute personne qui s'estime victime d'une discrimination directe ou indirecte présente devant la juridiction compétente les faits qui permettent d'en présumer l'existence. Au vu de ces éléments, il appartient à la partie défenderesse de prouver que la mesure en cause est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination ;
Considérant que la discrimination s'entend comme la situation d'une personne qui pour une raison visée et condamnée par le droit (ici selon l'appelante, sa grossesse) est traitée moins favorablement qu'une autre personne placée dans une situation comparable ;
Que Mme U... met en avant pour caractériser cette discrimination, la concomitance entre l'annonce de sa grossesse et la rupture de son contrat ou de l'exigence d'un départ immédiat ;
Considérant que, sur les circonstances du départ de Mme U..., il ressort des pièces produites au débat que :
- le 27 mai 2013, le cabinet [...] lui adressait le courriel suivant : tu nous as fait part, les 16 et 17 mai 2013 de ta grossesse. Ainsi que nous avons tous eu l'occasion de te l'indiquer, nous nous réjouissons de cette nouvelle. Nous te rappelons cependant que tu nous as informés le 11 février 2013 de ta décision de quitter [...] pour une nouvelle collaboration au sein d'un autre cabinet, décision que tu as fait connaître à l'ensemble des membres du cabinet dans les jours qui ont suivi. Afin de te faciliter la recherche d'une nouvelle collaboration, nous avions bien voulu ne pas déterminer par avance la date de l'expiration de ton délai de prévenance.
Après plus de trois mois d'attente de notre part, il était déjà devenu nécessaire de déterminer sans plus attendre les modalités de ton départ effectif. D'autant que, au-delà du caractère intrinsèquement temporaire, normalement de cette situation (...)nous avons procédé à deux recrutements en vue, notamment de palier ton départ : comme tu le sais deux collaboratrices rejoindrons le cabinet le 1er septembre 2013 (...) A la lumière de la nouvelle que tu viens de nous apprendre, ce qui était nécessaire devient urgent. Aussi nous te saurions gré de revenir vers nous sans délai pour nous indiquer les modalités de ton départ ;
- dans un courriel du même jour, Mme U... répondait : le 11 février 2013, je vous ai informé oralement que j'allais chercher une collaboration dans un autre cabinet. Vous m'avez répondu qu'aucun préavis en serait acté et que vous me laisseriez le temps nécessaire pour ma recherche de collaboration afin que je trouve un cabinet qui me convienne (...) Ma grossesse dont je vous ai fait part dès que j'en ai eu connaissance dans un souci de transparence, va compliquer ma recherche de collaboration. De ce fait, il est possible que mon départ du cabinet soit retardé ;
- à la suite du courriel du cabinet du 28 mai réitérant la question : As quelle date entends-tu voir prendre fin notre contrat de collaboration ? Mme U... adressait au cabinet le courriel suivant : pour répondre le plus précisément à ta question, je distingue les options suivantes que (je) souhaite partager avec vous :
1) un départ vers un nouveau cabinet qui pourrait en théorie arriver assez vite - je poursuis mes recherches activement dans ce sens -, mais qui risque toutefois de ne pas aboutir compte tenu de mon état ;
2) un départ à l'issue de mon congé de maternité, au environ du 1er avril 2014 ;
3) une fin de contrat anticipée, non conditionnée à l'obtention d'un nouveau contrat de collaboration dans un autre cabinet, à une date et dans des conditions que nous devrons déterminer d'un commun accord ;
- enfin, le 10 juin 2013, le cabinet remettait à Mme U... en mains propres le courrier suivant : depuis deux semaines nous avons cherché à t'être agréables en formulant diverses propositions que tu as toutes refusées après des délais de réflexion sans en proposer aucune autre. Tu as fini par nous indiquer vendredi, qu'en réalité, en toute hypothèse tu n'entends pas que notre contrat de collaboration prenne fin avant le 1er avril 2014 voire le 1er septembre 2014. D'une part, cela contredit les termes de ton dernier courriel dans lequel tu prétendais envisager un départ effectif antérieur au 1er avril 2014 (...) D'autre part, cela signifie qu'il te parait légitime de faire durer entre 14 et 19 mois la période durant laquelle tu es susceptible de partir du jour au lendemain (...) Au demeurant, ainsi que nous te l'avions indiqué, nous te confirmons que (...) à défaut d'avoir trouvé meilleur accord ton délai de prévenance expire le 11 juin courant ;
Qu'ainsi qu'il est dit ci-dessus, la volonté des parties était de ne pas retarder ou précipiter le départ de Mme U... en le subordonnant au délai contraint de l'article 14-4 du RIN et l'échange susmentionné vient confirmer que le cabinet n'excluait pas un dépassement de ce délai dont il pensait qu'il était, eu égard à l'ancienneté de quatre mois, ce que vient conforter d'ailleurs un recrutement annoncé en avril 2013 (la pièce 13 de l'intimé) de nouveaux collaborateurs à effet du 1er septembre 2013 à la suite d'une rupture actée depuis le 11 février précédent ;
Qu'il ressort également des termes de son dernier courrier, que ce n'est qu'en raison de l'échec des discussions entre les parties du fait de la revendication par Mme U..., dans ses effets, de la protection attachée à la maternité, dans une hypothèse où celle-ci ne lui était pas due, que le cabinet [...] a fait application du délai de quatre mois, qu'il estimait devoir ;
Qu'il s'agissait de voir définies les modalités d'un départ dont le principe était acquis depuis plusieurs mois et, par conséquent, le retour aux dispositions supplétives du RIN est dépourvu de tout lien avec l'état de grossesse de Mme U... ;
Que, lorsqu'elle tente de caractériser son préjudice, Mme U... n'évoque pas les conséquences de la précipitation avec laquelle le cabinet a agi, mais celles - financière et morale - de la rupture du contrat de collaboration (en l'espèce acquise dès le 11 février) qu'elle qualifie de discriminatoire, demande dont elle sera déboutée ;
Considérant que Mme U... demande à la cour de porter les dommages et intérêts alloué en réparation du caractère brutal et vexatoire de la rupture à la somme 30 000 euros; que l'intimé prétend que cette demande n'est fondée ni dans son principe ni dans son montant ;
Considérant que force est de constater à la lecture des échanges dont les termes sont rappelés ci-dessus, qu'à aucun moment avant le 10 juin, soit la veille de son départ, le cabinet [...] n'a avisé Mme U... qu'il entendait la voir quitter le cabinet le 11 juin et que si l'un des membres de ce cabinet (la pièce 8 de l'appelante) atteste que c'est le vendredi 7 juin que le cabinet a affirmé qu'à défaut d'accepter une offre de collaboration à mi-temps durant la durée de son congé de maternité les accès au cabinet lui seraient coupés pour le 10 juin, date censée être la fin de son préavis, il n'en demeure pas moins que cette annonce, trois jours avant son effectivité, est brutale ;
Qu'il ressort également des pièces communiquées par Mme U... sous le numéro 7-2 et par le cabinet sous les numéros 16/1 et 16/2 que le cabinet ne lui a pas fait suivre avec diligence le courrier qui lui était adressé à son ancienne adresse professionnelle et n'avait pas encore mis en place, au mois d'octobre 2013, la réponse automatique auprès de l'expéditeur indiquant sa nouvelle adresse électronique, comme lui en fait l'obligation d'article 14-4-3 du RIN ;
Que dans le contexte d'un courrier remis en main propre le 10 juin 2013 par lequel il lui était annoncé le terme de son délai de prévenance et se terminant par la phrase, nous t'invitons à nous communiquer la liste de tes fichiers informatiques personnels (réseaux, disque dur, messageries Outlook [...]) afin que notre informaticien te les restitue rapidement en ta présence si tu le souhaite, le refus du secrétariat du cabinet de laisser à Mme U... un libre accès à son bureau est certain ;
Que d'ailleurs, aucune des attestations des membres et collaboratrices du cabinet produites par celui-ci (ses pièces 1 et 2) ne vient contredire le fait qu'elle n'a eu accès à son cabinet, qu'accompagnée de l'informaticien et établir les conditions dans lesquelles elle a pu récupérer ses affaires personnelles ;
Qu'il s'ensuit qu'au-delà de son caractère brutal, la fin du contrat est marquée par une attitude vexatoire du cabinet, qui ne souhaitait plus sa présence dans ses locaux, puisqu'il évoque une restitution des documents et affaires par l'intermédiaire d'un tiers ; que tant la brutalité du départ que ces circonstances sont à l'origine d'un préjudice moral pour Mme U... qui sera réparé par l'allocation d'une somme de 15 000 euros ; que la décision arbitrale sera réformée pour prendre en compte ce montant et les intimés, associés de l'AARPI seront solidairement tenus à son paiement ;
Considérant que le cabinet [...] prétend, à titre reconventionnel, à l'allocation de dommages et intérêts au motif que les accusations formulées par Mme U... sont graves, calomnieuses et inconsidérées portent atteinte à son honneur et à sa réputation alors que les associés s'attachent au bien-être de ses membres et en particulier à celui de leurs collaboratrices qui donnent naissance ; que Mme U... soutient le rejet de cette demande ;
Considérant que le cabinet [...] ne fonde pas juridiquement sa demande mais qualifie de calomnieux les accusations contenues dans les écritures de Mme U..., sans pour autant viser expressément les passages dont il estime qu'ils lui font grief ;
Qu'il s'agit d'écrits judiciaires couverts par l'immunité de principe l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881 et Mme U... s'exprime dans des termes mesurés, nullement outrageants, pour décrire et qualifier sa situation personnelle et soutenir ses réclamations au titre notamment de ce qu'elle estime constituer une discrimination ;
Que la demande de dommages et intérêts sera rejetée ;
Considérant que les dispositions de la décision déférée au titre des dépens et frais irrépétibles seront confirmées ; qu'à hauteur d'appel les associés du cabinet [...] seront condamnés aux dépens et à payer une indemnité au titre des frais exposés par Mme U... pour assurer sa défense ;
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant en dernier ressort, contradictoirement et publiquement par mise à disposition de la décision au greffe
Vu l'arrêt de la Cour de cassation en date du 4 juillet 2019 ;
Confirme la décision de M. le Bâtonnier de l'Ordre des avocats au barreau de Paris en date du 27 janvier 2015, sauf sur le montant des dommages et intérêts alloués à Mme U... ;
Statuant à nouveau du chef infirmé et y ajoutant,
Condamne solidairement Mme N... K..., M. P... F..., M. L... G..., Mme J... I..., M. L... X... à payer à Mme U... la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts ;
Déboute les parties de leurs autres demandes ;
Condamne solidairement Mme N... K..., M. P... F..., M. L... G..., Mme J... I..., M. L... X... à payer à Mme U... la somme de 1500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRESIDENT